leila
Write by leilaji
Chapitre 21
Leila
Lorsque j’ouvre la porte de notre salle de réunion tous les
regards se tournent vers moi. Aujourd’hui c’est le jour où j’accueille les
nouvelles stagiaires. « The firm » est une très grande entreprise et nous
recrutons dans tous les domaines à peu près tous les six mois. Beaucoup de nos
partenaires ne tiennent pas la route et s’en vont au bout de quelques mois. Devant
moi, il y a aussi bien des informaticiennes que des commerciales, des juristes,
des comptables etc. Ce sont des sœurs, des nièces, des cousines par alliance ou
éloignées de personnes qui travaillent déjà dans l’entreprise. On ne recrute
que par le bouche à oreille. Cette politique permet de savoir exactement qui
rentre ici. Les dossiers traités peuvent être très sensibles ou confidentiels,
on ne peut les confier à n’importe qui. Ce qui fait que quand vous merdez, la
personne qui vous a fait entrer dans l’entreprise saute avec vous. Il faut donc
avoir une confiance totale en la personne que vous proposez pour un poste. Par
ailleurs, je ne sais pas pourquoi 90 % des collaborateurs du cabinet sont des
femmes. La patronne dit toujours que les
femmes sont plus minutieuses, elles analysent plus finement les dossiers. En
tout cas, la vague que j’ai devant moi est assez jeune. Seigneur, je me sens
d’un coup du troisième âge.
Il y a encore deux ans de cela, c’était la patronne qui
accueillait les nouvelles. Mais depuis quelques temps, elle me confie le job.
Il parait que je sais parler aux jeunes femmes mieux que personne et déceler
celles qui veulent vraiment travailler. Moi, je ne sais pas trop. Je dis juste
ce que j’ai sur le cœur et j’espère qu’elle en prenne bonne note.
Je ferme la porte derrière moi et prends place à la table.
Je dépose leurs dossiers de candidature devant moi. J’aime beaucoup la salle de
réunion. Elle est très vaste et bien éclairée. Elle ressemble beaucoup aux
salles de réunion que l’on voit dans les séries juridiques américaines sauf
qu’elle est encore plus luxueuse, entièrement boisée et faite par des artisans
d’ici. Elle a pour but d’ impressionner les clients lors de la signature de
gros contrats. Je constate qu’il n’y a pas assez de chaises, certaines sont
debout. Je fais attention aux détails quand je les regarde. Il y a en a pour
tous les gouts. Celles qui sont habillée avec soin, celle qui sont un peu
négligées mais ont surement fait de leur mieux… Moi, je ne juge jamais sur
l’apparence. Quand j’ai commencé, je ne ressemblais pas à grand-chose. Si
j’avais même pu venir en jean au boulot, je l’aurais fait.
—
Alors, vous êtes la crème de la crème.
Elles rigolent doucement. Je ne vais pas leur mettre la
pression juste leur parler.
—
Celles qui ont des mecs qui exigent qu’elles
soient à la maison à 17 heures tapantes tous les jours même quand elles ont des
dossiers urgents en cours au boulot, des mecs qui ne leur font pas assez
confiance pour accepter qu’elles voyagent seules dans d’autres pays, celles qui
aiment faire juste ce qu’on leur demande et rien d’autres et qui ne penseront
jamais à se décarcasser pour satisfaire le client, celles qui sont ici parce
qu’elles n’ont rien d’autres à faire et attendent d’être mariées pour démissionner
et celles qui ne savent pas respecter le travail d’une collègue ou lui venir en
aide quand elle est bloquée ou encore lui donner la bonne information pour
faire avancer son dossier parce qu’elles poussent l’esprit de compétition
jusqu’à son extrême, prenez vos affaires et sortez. Ne me faites pas perdre mon
temps.
Elles me regardent complètement interloquées.
—
J’ai dit sortez.
Je vois deux à trois filles prendre leurs affaires et sortir
de la salle. Je les remercie de s’être tout de même déplacées avant qu’elles ne
disparaissent.
—
Je m’appelle Leila Larba. Je suis de nationalité
togolaise et j’ai 30 ans. J’ai 6 ans de boite et tout le monde vous le dira
ici, je suis la meilleure. Je commence le boulot à 7heures et je pars souvent
la dernière. Le cabinet ferme officiellement ses portes à 15 heures 30 mais je
suis encore devant mon ordinateur à 17 heures. Vous me direz que je n’ai pas de
famille dont je m’occupe et c’est normal que je dispose de tout mon temps. Je
vous l’accorde. Qui ici a des enfants ?
J’ai lu tous les dossiers et quand je pose des questions, en
réalité je connais déjà les réponses. Elles hésitent à se déclarer et je les
comprends.
—
N’ayez pas peur ! Je ne vous demanderais pas de
partir.
Certaines lèvent le doigt timidement.
—
Celles qui ont des enfants ont le droit de
partir aux heures normales. Il faut pouvoir vous occuper des vôtres. Les
célibataires sans enfants vous n’aurez pas cette chance mes petites.
Elles rigolent. C’est bien.
—
Je veux des femmes qui savent travailler et qui
ne se plaignent pas à tout bout de champs. Pensez-vous que ce soit normal qu’à
diplôme égal nous soyons payées de vingt
à quarante pourcent moins que les hommes ?
Nous faisons pourtant les mêmes études. Croyez-vous que ce soit normal que la
plus part des dirigeants sociaux des grosses sociétés, je veux dire les
sociétés anonymes qui font des chiffres d’affaires de plus de 100 000 000 de
francs Cfa soient des hommes ? Quoi, ils veulent nous faire comprendre
qu’on n’est pas capable de diriger ce
type de société! Nous sommes bonnes que pour être vendeuses au marché et faire
des tontines de 1 000 par jours ? Moi je dis non ! Moi je dis que nous sommes
capables de tout, il faut juste en avoir la volonté. Donc celles qui savent
qu’elles n’ont pas cette volonté en elles, prenez vos affaires et sortez. Vous
serez parfois confrontées à d’autres nationalités. Toutes se croient supérieurs
à nous les gabonaises, les maliennes, les togolaises, les ivoiriennes etc. Les
occidentaux, les arabes, les indiens, peut-être un peu moins les chinois
pensent que parce que nous avons la peau noire, nous ne valons rien, nous ne
comprenons rien à rien. L’image qu’ils ont des pays de l’Afrique c’est :
guerre, pauvreté, sida. Alors je mets
toujours un point d’honneur à les surprendre. Je les accueille à l’aéroport
dans leur langue si je le peux. Retenir quelques phrases ne me coute rien. Ca
les étonne et leur fait plaisir et moi je gagne des points. Et jamais au grand
jamais, je n’accepte la corruption ou leur donne accès à une image de nous qui
soit dégradante. Parce qu’en agissant ainsi, ils deviennent les témoins de
l’Afrique qui bouge, qui se modernise, qui leur fait de la concurrence et ils
rapportent cette image chez eux et la véhicule dans le milieu des affaires…
celles qui savent que ça ne les intéresse pas de montrer une telle image de
nous, qu’elles partent et ne me fassent pas perdre mon temps.
Je les regarde et dans leurs yeux je peux tout lire. Celles
qui sont émerveillées par mon discours et celles que ça ennuie profondément mais
font semblant jusqu’au bout et reste accrochées à leur chaise. Il est temps que
je leur montre à quel point je suis sérieuse.
—
Vous là-bas, dis-je en en pointant une du doigt.
Oui vous. Qu’est-ce que je viens de dire ? Depuis tout à l’heure vous pianotez sur
votre téléphone.
—
Moi, madame ? demande-t-elle totalement
confuse. Enfin, je ne sais pas trop…
—
Sortez. Et vous aussi. Vous là-bas, suivez la.
Elles ne rechignent pas trop et s’en vont. Je suis
satisfaite de moi. Celles qui sont restées me plaisent assez. J’espère
seulement qu’elles tiendront le coup assez longtemps pour faire carrière, ici
ou ailleurs peu importe. L’important c’est qu’elles réussissent et montrent la
voie à leurs petites sœurs.
Je prends les dossiers de celles qui sont restées et lis
leur nom pour les féliciter. Elles ont réussi le test écrit et l’entretien avec
moi. C’est un bon début.
Elles rigolent et s’en vont dans un brouhaha terrible. Quand
je pense que j’ai été à leur place un jour, je sens que le temps passe… Je suis
assez contente de moi pour cette nouvelle sélection. J’attends de voir ce
qu’elles vont donner sur le terrain. Je donne à chacune quelques directives
pour cette première journée de boulot et sors de la salle pour me cogner contre
… Denis ! Mais qu’est-ce qu’il fait là ?
—
Joli speech ! La porte est restée légèrement
entrouverte alors j’ai eu droit à la totale.
—
Que veux-tu ? Ah je suppose que tu as une
nouvelle somme à me proposer ?
Il me sourit et m’entraine vers mon bureau en me prenant par
le bras. Je ne peux lui permettre de telles familiarités et le lui retire assez
vivement.
Une fois installés dans mon bureau, il prend la parole.
****Denis****
Encore maintenant je me demande pourquoi elle n’a rien dit à
Alexander. Elle sait très bien qu’elle gagnerait des points en lui racontant
notre petite entrevue. J’ai compris que je l’avais largement sous-estimée et je
ne suis pas prêt de refaire cette erreur. J’en suis arrivé à deux conclusions :
soit elle l’aime vraiment, ce qui est tout à fait … possible bien que ça me
contrarie un peu, soit elle est encore plus maligne que je le pensais. Je la
regarde m’observer.
—
J’ai un projet pour les jeunes filles mères et
Elle m’a conseillé de m’adresser à toi.
Devant son sourcil dubitatif levé, je me racle la gorge
avant de continuer.
—
Et ce que je viens d’entendre m’a largement
convaincu que tu es le meilleur choix.
—
Je n’ai pas le temps pour ça. Trouve une autre
personne.
Je lui tends le dossier du projet. Elle ne prend même pas la
peine de le feuilleter.
—
Les élections arrivent. Je n’ai aucune envie de
participer aux mascarades habituelles où on tend des enveloppes de 50 000 à des
filles qui ont besoin qu’on leur trouve un job qui leur permettra de s’occuper
elle-même de leur enfant.
Sa voix est dure et je sens qu’elle est sérieuse sur le
sujet.
—
Je ne fais pas dans la politique. Je suis un
homme d’affaires. Je vais être bref. Le budget est de 25 000 000 de francs. Ce
sont des enveloppes d’un million pour chaque fille qui a un projet réalisable
et potentiellement lucratif. J’ai besoin de quelqu’un pour coordonner le tout
et leur donner assez confiance en elles pour qu’elles se lancent.
Elle est intéressée mais se demande où est le piège. Je joue
carte sur table.
—
A vrai dire c’est un très vieux projet que je
n’ai jamais voulu mettre en marche. Mais Alexander m’a demandé de te le proposer pour que tu puisses te rendre compte
que je ne suis pas aussi horrible que j’en ai l’air. Bien entendu je n’étais
pas sensé te dire que c’était son idée.
—
Puisqu’on joue la carte de la franchise, je me
demande où est le piège. C’est quoi ? De l’argent détourné d’un projet officiel
que tu cherches à blanchir ?
—
Il n’y a pas de piège. C’est l’idée d’Alexander
pas la mienne. Tu prends 10% pour l’organisation.
—
Je ne veux pas de ton argent. Je n’en connais
pas la provenance.
—
Ton insinuation est insultante. Je suis vexé !
je lui dis d’un ton exagérément outragé
Elle sourit car elle sait que bien évidemment, je ne suis
pas du tout vexé par ces accusations.
—
Je le ferai gratuitement pour te prouver ma
bonne volonté.
—
Je suis émerveillé par ta gentillesse.
—
Tu m’en devras une.
—
Pardon.
—
J’ai dit que tu m’en devras une.
Qu’est-ce qu’elle mijote ? Bon ce n’est pas grave, je saurai
faire face en temps voulu.
—
Ok la togolaise.
Puis je m’en vais. C’est un bon début pour tous les deux non
? C’est Alexander qui va être heureux.
Un peu plus tard, le soir.
****Alexander****
Je parcours le corps de Leila de petits baisers légers et de
morsures discrètes. Elle est en attente d’autre chose mais étrangement, je ne
me sens pas vraiment d’humeur à faire l’amour avec elle. Je pense à nous et à
ce que je voudrais que l’on représente l’un pour l’autre. Je pense au mariage,
aux enfants mais c’est trop tôt. Pas pour moi. Pour elle. Ça fait à peine un an
que l’on se connait et Leila tient bien trop à son indépendance pour accepter
de se lier à moi ainsi.
Elle me prend dans ses bras et me serre très fort. Je me
laisse faire. Son corps sur le mien est tellement doux. Je veux que ça continue
éternellement.
Je ne sais plus où j’ai lu que beaucoup d’hommes font comme
s’ils faisaient une faveur aux femmes en les épousant. Mais pour nous elles
changent leur nom, quittent leur maison et leur famille, construise une
nouvelle vie avec nous, tombent enceintes pour nous, portent nos enfants, et
pendant les multiples grossesses leurs corps changent, perdent leur éclat, leur
jeunesse, elles souffrent lors de l’accouchement. Les enfants naissent et
portent le nom de l’homme, jusqu’à ce qu’elles meurent tout ce qu’elles font
bénéficient à leur mari et leurs enfants. Alors qui fait une faveur à l’autre ?
Leila me fera-t-elle cette faveur ? Laissera-t-elle son
corps changer pour me donner un enfant ? Son corps si parfait ! Elle a
tellement l’habitude de penser à elle d’abord. Je n’ai jamais eu aussi peur de
poser une simple question.
—
Bébé ça ne va pas ? Je te sens ailleurs.
—
Ça va. (Je préfère changer de sujet). Et ta
journée ?
—
Docteur Denis et Mister Louis est passé au
cabinet.
—
Oui et alors ?
—
Tu n’as rien manigancé ?
—
Il m’a balancé hein ? Alors ça a marché ou pas ?
Tu acceptes le projet ?
—
Hum. Il se peut qu’on ne s’entende jamais tu
sais.
—
Vous êtes fait pour vous entendre parce que vous
êtes deux têtes de mule tous les deux. Mais j’ai confiance en toi. Tu sauras le
mater.
Elle éclate de rire et m’embrasse. Puis sa main descend tout
doucement. De mes épaules, les caresses vont vers mes abdominaux puis bien plus
bas. Mais je suis tellement stressé que je ne serai bon à rien. Je l’arrête
dans son élan. Elle est étonnée puis un tout petit peu vexée.
—
Tu ne veux pas ?
—
Pas ce soir Leila.
—
Ok. Pas de souci.
Elle sort des draps et se lève du lit. Je la retiens pas la
main et la tire vers moi. Je vais repenser à tout ça un peu plus tard. Je ne
veux pas qu’elle se sente délaissée.
—
T’as pas envie donc ne te force pas. Changeons
de sujet veux-tu !
Je ne dis rien. Comment vais-je faire ? Ma famille n’est pas
là et elle n’a quasiment aucune famille non plus. Qui va partager notre joie
avec nous ?
—
Je crois qu’il est temps qu’on partage les
charges.
Elle me tire de mes pensées.
—
Tu disais ?
—
Tu gagnes ta vie et moi aussi je gagne la
mienne. Mais tu payes tout. L’appartement, la bouffe, l’électricité, la
ménagère, les bons d’essence pour les voitures…
—
L’appartement ce n’est pas moi mais la holding
OLAM.
—
Ça revient au même.
—
Tu pourras payer Canal + si tu tiens tant à
payer quelque chose.
—
Are you kidding me ? (tu te moques de moi ?)
—
Ecoute Leila, je veux bien que tu sois moderne
et tout, ça ne me dérange pas. Mais c’est moi l’homme de cette maison et c’est
à moi de tout payer et pas le contraire. Je prends en charge ce que je veux et
la discussion s’arrête de là.
—
La discussion s’arrête là, ça veut dire quoi ?
Ne me parle pas comme si tu étais mon mari…
—
Et ça te dérangerait tellement que je le
devienne ?
Je ne sais pas ce qui m’a pris de répliquer ça. Elle me
regarde. Son regard vacille un bref moment. Mon cœur bat à tout rompre. Merde
je m’y suis très mal pris.
A suivre.
Un petit commebntaire les filles!