Leila !

Write by leilaji

****Elle****


Je sens des picotements d’effroi parcourir ma peau. Leila a eu le temps de me raconter les colères de Khan et franchement je n’ai pas du tout envie d’assister à un de ses pétages de plombs. C’est un homme pourtant si posé et poli… comment une femme peut-elle lui faire perdre les pédales ainsi ? 

Je me lève du salon VIP réservé par Denis pour nous et vais à leur rencontre avant qu’ils ne s’avancent vers nous puisqu’ils cherchent encore la table des yeux. 

Je m’avance vers eux et fais la bise à Alexander. Malgré le noir et la lumière bleue électrique qui nous donnent à tous des airs de zombis, je vois bien qu’il ne va pas bien. Ses yeux ont l’air triste.


Salut beau brun ! On dit quoi ? 

Ca va Elle, heureux de te voir dans mon pays. 

On va rentrer Denis, je commence à être fatiguée, je vais chercher Leila. 


Alexander jette un coup d’œil surpris à Denis qui me fixe histoire de comprendre le message que j’essaie de faire passer sans qu’Alexander ne comprenne.  C’est vrai que j’ai joué à fond la carte de la femme qui s’ennuie et insisté pour qu’il nous emmène ici. Il nous a déposé et est parti faire un tour. Et lui au lieu de faire tranquillement son tour, il revient avec son pote fou. 

J’insiste, des yeux.


Allez-y j’arrive ! dit Alexander.


Denis regarde Alexander qui déjà ne nous écoute plus. Il cherche Leila des yeux. Mon cœur s’accélère parce que je sais qu’il ne va pas la chercher bien longtemps. 


Elle danse au beau milieu de la piste et sa danse est si sensuelle que les autres clubeurs se sont écartés du couple qu’elle forme avec un autre client pour les admirer. 

En réalité, Leila ne sait pas vraiment danser. La faute à une vie consacrée à ses études et sa carrière qui l’ont empêché de s’amuser comme toutes les filles à cette époque. Elle ne sait donc pas danser mais malgré ses airs de petite blanche parfois, elle demeure une africaine. Et pour bouger des fesses, les africaines n’ont pas besoin de s’inscrire à un cours de danse. Hé si seulement ce n’était que ça ! Leila est mince, sa poitrine est menue, elle est belle mais ne met pas sa beauté en valeur. Mais des fesses comme les siennes ne peuvent se cacher. Et des fesses comme les siennes qui bougent sur du RNB made in Nigeria excitent les hommes. Surtout lorsque le corps en question est moulé dans une mini robe étroite et scandaleusement courte. Seigneur. 


Denis emmène Xander, on arrive. 


Mais Denis n’en a pas le temps. L’indien est déjà descendu « dans l’arène ». Denis se met à rire. 


Il y a des moments où t’es franchement con toi. 

Oh arrête tu t’excites pour rien. La dernière fois que je leur ai fait le coup, ils ont pu parler et ont pris l’avion pour Mumbai non ? 

Sauf que cette fois ci, ils ont de plus gros problèmes, il est en colère et elle est bourrée. 

Il gère. Quand elle est là, il arrive à gérer. 

Va le chercher. 

J’ai dit qu’il gère ! réplique –t-il d’un ton sans appel.



Je soupire et essaie de me rapprocher d’eux au cas où… Seigneur pourvu que je ne prenne pas une gifle perdue. 


****Alexander****


Je n’ai pas à être là. Je n’ai pas à lui dire avec qui danser ou pas lorsque j’héberge moi-même la femme qui a désiré sa mort. Mais je n’y peux rien si c’est elle que j’aime et que je veux à mes côtés. Je n’y peux rien si je m’embrase à chaque fois qu’un homme est trop prêt d’elle. Et celui-là est carrément scotché à elle. Je me faufile parmi les clients. Putain, il la touche. Je les regarde et j’ai comme l’impression de reconnaitre la silhouette de l’homme. Il embrasse son cou et elle ferme les yeux tandis que ses hanches font de petits mouvements qui doivent bien exciter l’autre imbécile. Leila Leila Leila, que vais bien faire de toi ? On ne s’est pas encore quitté que je sache. On ne s’est absolument rien dit. 


Je pousse l’homme devant moi et arrive enfin au milieu de la piste de danse. Je suis quasiment sur de reconnaitre cet homme. Je crois que c’est l’autre salaud de la dernière fois. Apparemment mon premier message n’est pas du tout bien passé. Je marche droit vers eux et tire l’homme vers moi, le poing gauche plié et prêt à s’écraser sur sa figure. 

L’homme me regarde complètement décontenancé. Ce … n’est pas le type de la voiture rouge. J’ai vraiment cru que c’était lui. Il faut que je parle avec Leila. On ne peut continuer avec ce silence entre nous. 

Je deviens fou. 

Je deviens complètement fou Leila. 


Je lâche l’homme qui recule de quelques pas. La musique continue de vrombir des hauts parleurs mais plus personne de danse.  Tous nous regardent. La tension dans la salle est palpable. 

Leila me regarde comme si j’étais une soudaine apparition. Pensait-elle ne plus jamais me revoir de sa vie? M’a-t-elle déjà rayé de son cœur ? 


Je ne peux pas te laisser me quitter Leila. C’est au dessus de mes forces. 


Je la prends par la main. Et la tire vers moi pour que nous puissions avoir une discussion à l’extérieure de la boite. Mais je ne sais pas pourquoi elle s’arrête. Je regarde derrière moi et constate que l’autre type la tien aussi. 


Leila, il y a un problème avec ce blanc ?


Leila rigole et me retire sa main pour se rapprocher du danseur. Ses yeux brillent un peu trop. Elle est saoule. Je respire un grand coup pour me calmer. Il faut que je me maitrise. Je me rapproche à nouveau d’elle et l’attrape par la main une nouvelle fois. Et l’autre type s’avance vers moi avec un air menaçant. C’est quoi son problème ? Je tire Leila. C’est la dernière fois que je garde mon calme. 


L’autre m’empoigne par chemise. Je le repousse si violemment qu’il tombe loin de nous sur ses fesses. Au moins je ne l’ai pas frappé, c’est déjà ça. En réalité, je suis concentré sur une seule chose. Trouver un coin tranquille pour que Leila et moi puissions parler. C’est pour cela que j’évite tout esclandre. Mais ce gamin ne me facilite pas la tache. Il doit avoir la vingtaine tout au plus. Il se lève et appelle quelqu’un. En moins de trois secondes,  quatre hommes sortent de la foule agglutinée autours de nous. Il y en a un parmi eux qui semble être le chef de la bande. Il prend la parole. 


Le blanc c’est comment ? Mon petit-frère veut continuer à danser tranquillement avec cette meuf. Laisse-la ou je te casse les dents. 


Il est bien plus massif que moi. Je suppose qu’il fait de la musculation. Les autres sont de taille normal et regarde leur boss. Un geste de lui et ils entrent dans le bain. Mais là n’est pas le problème. 


MON PROBLEME C’EST QUE JE VEUX PARLER AVEC LEILA ET QU’ILS M’EN EMPECHENT. 


Je vais abréger la discussion.  Je m’approche du groupe et repère une serveuse qui s’est arrêtée pas loin d’eux pour observer la scène. 


Je n’ai vraiment plus de temps à perdre. J’attrape la bouteille au passage et la casse sur une table. Ils ne s’attendent tellement pas à ce que je le fasse qu’ils restent pétrifiés à me regarder faire. Le blanc hein ? Je me jette sur le plus costaud qui bascule avec moi sur ma violente charge. Je sais que les autres perdront leur courage si je m’en prends au plus fort dès le départ. Ils s’écartent.


Tu disais quoi déjà ? je questionne en pointant la bouteille cassée vers son visage). Tu vas me casser les dents ?


Il grogne en signe de réponse. 


Je veux juste lui parler tu comprends ? Après, elle fera ce qu’elle voudra. On est d’accord ? 


Il me repousse et je me lève. Je suppose que c’est ok. Je reprends la main de Leila et elle me suit docilement. Je ne sais pas si elle est en train de dessouler ou si c’est la bouteille cassée que j’ai en main qui la convainc de me suivre sans faire de vagues. A cet instant précis, sentir sa main dans la mienne est tout ce dont j’ai besoin. La foule s’ouvre à notre passage et certaines personnes se remettent tout doucement à danser. 


Le spectacle est terminé. 


Je passe devant Denis et Elle. Denis me sourit tandis qu’Elle semble effrayée par moi. Je sais pourquoi Denis sourit. Le coup de la bouteille c’est sa spécialité parce qu’il n’aime pas vraiment se battre. Il m’a appris ça à Oxford. 


****Denis****


Le gérant de la boite a fini par descendre. Il cherche la cause de tout ce grabuge dans son club et il n’a pas l’air très content. Deux vigiles bien baraqués l’accompagnent. Moi j’ai tranquillement pris Elle par la main et je nous ai conduits à notre table. Il reste une bonne heure avant la fermeture alors autant en profiter. Je veux voir des indiens danser, ça me fait rire. Ils sont pires que les blancs !


J’en vois un se trémousser comme un mort vivant en pleine réanimation cardiaque lorsque le gérant apparait devant moi. 


Je vais vous prier de bien vouloir payer vos consommations et quitter mon club.


Je croise les jambes et me carre un peu mieux dans le fauteuil en cuir bleu nuit des salons privés VIP. 


Pardon ?


Pardon est le mot de code qui donne le signal à mes gardes du corps toujours discrètement positionnés autour de moi. Tous les deux apparaissent comme des fantômes venus d’outre tombe. Ils ne sont pas aussi massifs que les deux zigotos qui accompagnent le gérant mais j’ai une totale confiance en leur capacité. Ce sont des israéliens. Ils sont d’une telle efficacité que j’ai préféré ne pas me demander ce qu’ils ont fait dans leur passé, je n’en vois pas l’utilité. Ils dévoilent légèrement leur arme, des Beretta automatiques qu’ils ne quittent jamais. Une serveuse vient souffler un mot au gérant en me pointant du menton. 


Et le nom va faire l’effet qu’il fait à tous !!!!! 

Aucun gérant de boite de nuit ou de boutique de luxe dans le monde entier ne peut mettre dehors le fils d’un président africain. C’est une coutume devenue règle internationale depuis que certains pays africains se sont enrichis avec le pétrole. 

Nous savons faire la fête mieux que les autres et surtout nous payons toujours cash. Ils le savent tous. 

Un, deux, trois …


Pardonnez-moi. Je viens d’arriver, je ne savais pas qui vous étiez. 

Oui je me disais bien (en lui tendant ma carte master card) Vous mettrez tous les dégâts sur mon compte et vous pourrez vous dédommager au passage en prenant vingt cinq pour cent de plus sur la note pour le dérangement. 


La serveuse prend la carte rapidement et me demande si je souhaite autre chose avec un grand sourire. Je lui demande si elle sait s’il y a des gabonais dans la boite pour les inviter à ma table. Elle répond qu’elle va chercher. Je lui fais un clin d’œil. Elle est très jolie. 

Quelques temps plus tard, des étudiants en informatique débarquent à notre table. Je me présente, présente Elle et je commande du champagne… Quand la serveuse nous l’apporte, je lui glisse quelques billets de cent dollars pour que ses collègues aussi viennent s’occuper de nous. Je veux que ces jeunes passent la plus belle soirée de leur vie ici, à Mumbai. 


***Elle***


Alors c’est ça ? C’est comme ça ? Leila disait craindre le regard des autres femmes sur Xander parce qu’il était comment dire … un assez beau spécimen du genre masculin. 

Moi je regarde Denis s’amuser… L’argent coule à flot et les filles commencent à s’agglutiner autour de lui. Il n’y a pas de limite à ce qu’il peut dépenser ?


Qu’est ce que j’ai à offrir moi ? 

Je suis mariée, mère de trois enfants et je porte les stigmates de ces trois grossesses sur mon corps. J’ai dépassé la trentaine… 

Qu’est-ce que j’ai à lui offrir ?  


****Leila****


Je suis assez saoule pour savoir que je suis saoule mais pas trop quand même. C’est une sensation étrange. Je n’avais encore jamais autant bu de tequila et je peux dire que je ne recommencerai plus. Je ne tiens pas très bien sur mes jambes et je chancèle à chaque pas d’autant plus que mes talons sont vertigineusement hauts. Je me serai étalée par terre à la sortie de la boite si Xander ne m’avait pas fermement rattrapée puis portée jusqu’à sa voiture. Il a ouvert sa potière et m’a forcé à m’asseoir sur le siège passager. Puis il m’atournée vers lui.


Il me fait face, debout entre mes jambes. Son regard est électrique. Ca fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Quelques jours en réalité mais une éternité pour nous. 


Je suis saoule mais pas assez pour ignorer que nous pensons tous les deux à la même chose. 


Tu n’as pas intérêt à me toucher. 

Je veux juste te parler. Après les révélations de Neina, tu es partie et je n’ai pas pu te retenir parce que je comprenais ta colère. Mais maintenant…

Elle est vraiment enceinte ? je demande brusquement pour couper court.


Il ne répond pas.


Elle est enceinte de toi ? 


Je pose la question alors que j’ai déjà la réponse. Le fait que j’aille droit au but l’a déstabilisé.


Réponds.


Il ne répond pas et terre son visage dans mon cou en me caressant les cheveux. Il n’arrive pas à me mentir, ni à me dire la vérité toute crue. J’ai mal. Il faut qu’il ait mal à son tour. Je chuchote et je ne sais même pas pourquoi je le fais alors que j’ai envie de hurler.


J’espère que t’as bien aimé ce qu’elle t’a donné et que je n’avais pas. Après tout c’était une vierge, une femme bien de chez toi. C’était bien ? Tu lui as aussi donné son premier orgasme ! Tu les collectionnes ma parole ! Elle en valait le coup ? Je suppose que oui. Elle était tellement bandante que tu n’as pas pu t’empêcher de l’enceinter… (Je me mets à pleurer alors que j’ai envie de le cogner) Tu avais dit que ça n’avait pas d’importance que je ne fasse pas d’enfant. Tu l’avais dit et je t’ai cru. Mais ce jour où elle a dit être enceinte, ose me mentir et dire que quelque part tu n’as pas été soulagé d’apprendre que finalement tu auras un enfant bien à toi ! Vas-y, je t’écoute…

Leila !


Regarde-moi. Il lève la tête et plonge son regard dans le mien. Sa confusion est telle que je le repousse. 


J’espère que tu souffres en ce moment. J’espère que tu en baves vraiment. 


Je descends de la voiture et vacille encore. Il me retient. 


Je n’ai vraiment aucune envie d’entendre ce que tu as à me dire. Parce que je sais d’avance ce que tu vas faire. 


Je le sais parce que nous avions déjà eu une conversation sur le sujet quand je lui ai parlé de mon père. Ce vide dans ma vie qui m’a pourri la moitié de mon existence. Ce père qui n’a voulu ni de ma mère ni de moi. Je lui ai expliqué la souffrance que causait ce vide sur mon acte de naissance, ce vide sur le plan affectif, ce manque de reconnaissance de mes origines gabonaises parce qu’il n’avait pas voulu me reconnaitre. Le pire c’était les dissertations en classe où il fallait évoquer son père. Je l’inventais d’un bout à l’autre, de son physique à son caractère. Je racontais d’énormes mensonges que personnes ne croyait car mon père imaginaire était à l’apposé du vrai : parfait, compréhensif, aimant. Je lui ai dit à l’époque qu’aucun père ne devrait abandonner son enfant quoi qu’il se soit passé avec sa mère. 


C’est moi qui le lui ai dit. 


Et il m’a répondu qu’il ne lui viendrait jamais à l’idée d’abandonner un être innocent. Qu’il ne lui viendrait jamais à l’idée d’abandonner son sang, que les indiens ne font pas ça ! Et je l’ai embrassé, rassurée de ne pas être tombé sur un homme tel mon père. Heureuse de savoir qu’il était incapable de poser ce genre d’acte ignoble. 


****Alexander****


C’est bien la première fois que je ne trouve pas mes mots face à Leila. Je suis paralysé par la peur de la perdre à jamais et je ne sais plus quoi faire d’autre si ce n’est me taire et l’empêcher de partir. Je pensais qu’en la voyant, les mots me viendraient tous seuls, que j’aurai tellement d’explication à lui donné qu’elle ne pourrai me refuser son amour. Je le pensais. Mais maintenant que je suis face à sa peine, je ne sais plus quoi dire pour la soulager. Je n’ai jamais vraiment su lui parler, seulement lui montrer à quel point je l’aimais. C’est tout ce que je sais faire. L’aimer. 


Pourtant elle a bien raison. Nous savons tous les deux ce que je vais faire. Nous le savons. 

Reste à savoir ce qu’il adviendra de nous quand je le ferai. 


Que vas-tu faire ? 


Je ne réponds rien et détourne le regard.


Félicitation pour ton mariage, ajoute –t-elle tristement, d’une voix dénuée de colère


Et elle part. 

Non, je l’ai laissé partir. 


Aisa deewana hua hai yeh dil

Voilà comment mon cœur est devenu fou

Aapke pyar mein

Dans ton amour


****Deux mois plus tard****


****Karisma****


Il n’y pas eu de grande cérémonie comme l’espérait Neina. Juste la signature d’un contrat de mariage et un passage bref devant le maire avec deux témoins pour chaque partie. Comme témoin, uncleji a appelé deux passants qui circulaient dans la mairie qu’il ne connaissait absolument ni d’Eve ni d’Adam. Personne n’a bronché. Qui aurait pu le faire ? Il n’y a eu aucune cérémonie traditionnelle, ce qui est assez inusité ici. Pas de prêtre, pas de fête, pas de joie. 

Le ventre de Neina est maintenant parfaitement visible. Et la grossesse se passe. Elle souffre beaucoup du mépris d’Uncleji mais n’en parle plus. Je crois qu’elle était très loin de se douter que les choses se passeraient ainsi. Elle pensait qu’une fois Leila loin de lui, elle pourrait se faire aimer de lui. 


LES CHOSES N’ONT FAIT QU’EMPIRER. 


Uncleji ne parle à personne dans la maison, ni à sa mère, ni à Neina, ni à moi, ni aux autres. Il s’est muré dans un silence douloureux qui le fait paraitre fou. Moi je sais qu’il ne l’est pas. Il a juste mal. Il aime. Je pense qu’il n’est heureux que dans son travail. Il a encore plus de responsabilités qu’avant et ne fait rien d’autre à part travailler. La famille voulait qu’il travaille et remette de l’argent dans les caisses des Khan ? Il les remplit à ras bord mais qui oserait y toucher maintenant. 


Contrairement à ce que j’avais redouté, Leila n’est pas rentrée au Gabon. Elle a vendu ses parts dans the Firm pour créer ici une start-up qui emploie des étudiants gabonais et indiens. Elle dit être follement tombée amoureuse de l’Inde. Je la crois volontiers, personne n’est aussi heureux qu’elle de slalomer en voiture dans les rues de Mumbai. Moi, je crois juste qu’elle est incapable de quitter définitivement l’Inde parce qu’uncleji y est. C’est tout. 

Les adultes aiment compliquer les choses quand elles sont pourtant si simples. 


Elle aime bien les mélanges elle a dit. Je crois qu’elle espère qu’un jour au moins un de ses employés d’une nationalité tombe amoureux d’un employé d’une autre nationalité. Elle veut croire que ce qui a été impossible pour elle, ne le sera pas pour les autres. 


Quand je viens lui rendre visite ce que je fais au moins trois fois par semaine, la règle c’est de ne jamais parler d ‘oncle Devdas. JAMAIS. Elle vérifie mes notes, me demande comment je vais et c’est tout. Elle me taquine au sujet de potentiels petit-amis mais je lui ai répondu une fois que je n’en voulais pas parce que l’amour, le vrai était trop douloureux. Elle m’a réprimandé mais n’a rien ajouté d’autre. 


****Alexander****


tanhai tanhai 

Solitude, solitude

 

dil ke raste men kaisi thokar main ne khaihow 

Je suis tombé sur le chemin du coeur


tute khwab sari ek mayusi hai chhayiall 

Mes rêves brisés par les cendres du découragement 


har khushi so gai zindagi kho gaiall 

Mon Bonheur s’est endormi et ma vie s’est perdue


tumko jo pyar kiya main ne to saza men paiin 

Dans l’amour que je t’ai porté je n’ai trouvé que la peine


tanhai tanhai milo hai phaili hui tanhai 

Solitude solitude, une vaste étendue de solitude 


ab tute sapnon ke shishe chubhte hain in ankhon mennow 

Les éclats des rêves brisés percent mes yeux


kal koi tha yahin ab koi bhi nahin 

Hier encore tu étais à mes côtés et aujourd’hui il n’y a plus personne


banke nagin jaise hai sanson men laharaiit s 

Comme un serpent qui s’enroule autour de mon souffle


tanhai tanhai

Solitude solitude


palkon pe kitne ansu hai lai

Combien de larmes ça a porté à mes cils ?


kyon aisi ummid ki main ne jo aisi nakam huiwhy 

Quand j’ai espéré si fort, cet espoir était-il inutile ?


dur banai thi manzil to raste men hi sham huimy 

Le but a été atteint dans la distance, le crépuscule est tombé sur mon chemin 


ab kahan jaun main kisko samjhaun mainnow 

Où dois-je aller, à qui l’expliquer?


kya main ne chaha tha aur kyon kismat men aiwhat

Je l’ai désiré et qu’est-ce que le destin m’a donné?


tanhai tanhai

La solitude, la solitude


jaise andheron ki ho gaharailike 

Les profondeurs de la noirceur


Je m’arrête de courir pour reprendre mon souffle et enlève les écouteurs de mes oreilles. Le regard dans le vide et le cœur lourd.  Je ne sais plus quoi faire de cette douleur qui m’envahit l’esprit à chaque instant. Parfois j’ai l’impression que l’ombre de son sourire plane sur moi. Je ne m’en sors pas. Ai-je fais une erreur en choisissant de donner un nom à mon enfant plutôt que de l’éloigner de moi ? 


Je ne ressens rien pour lui. Absolument rien pour cet être qui grandit dans le corps de Neina. Il m’est étranger. Je ne ressens rien et ça me terrifie encore plus parce que j’ai tout sacrifié pour … un enfant. 


J’ai envoyé à Leila, un chèque en blanc pour la somme qu’elle a dû payer à l’homme qui lui a donné les informations compromettantes sur les Oberoi, sa voiture qui a été endommagée lors de l’accident et tout ce qu’elle voudra bien prendre. 

J’y ai joint aussi une montre pour remplacer celle qu’elle a donnée au petit garçon de la rue ainsi que le pendentif en forme de cadenas et la chainette qu’elle m’avait rendu à Libreville. Mon cœur n’est plus dans mon corps depuis que je l’ai rencontré. Mon cœur est à elle. Qu’elle le garde et en fasse ce qu’elle voudra bien. 


Mon cœur n’est plus à moi depuis bien longtemps. 


Certains soirs, je conduis toute la nuit puis comme si un démon en moi me poussait à souffrir encore plus, je me dirige vers son studio et je gare dans la rue en face de ses fenêtres. Je descends de ma voiture et je m’adosse à la portière. Je reste là à contempler pendant des heures sa fenêtre. Je vois parfois sa silhouette traverser les volets et cela suffit à calmer les battements désordonnés de mon cœur. 


Ma mère me parle, me reproche de ne pas m’occuper de Neina ou de l’enfant. Combien de fois m’a-t-elle présenté des échographies et j’ai détourné la tête. Je ne supporte pas la vue de Neina ou de l’enfant. 


Je ne sais pas combien de fois il m’est arrivé de m’arrêter de parler en pleine réunion avec des administrateurs parce qu’un souvenir d’elle me traverse l’esprit. Il suffit parfois d’une odeur, d’une image, d’une musique pour que la douleur remonte à la surface et me terrasse. 


Je remets mes écouteurs et me reprends ma course. J’ai besoin de fatiguer mon corps, pour fatiguer mon esprit et pouvoir m’endormir le soir. 


La chanson reprend et fait écho à mes pensées.


Solitude, solitude

Je suis tombé sur le chemin du cœur

Mes rêves brisés par les cendres du découragement 

Mon Bonheur s’est endormi et ma vie s’est perdue

Dans l’amour que je t’ai porté je n’ai trouvé que la peine

Solitude solitude, une vaste étendue de solitude 

Les éclats des rêves brisés percent mes yeux

Hier encore tu étais à mes côtés et aujourd’hui il n’y a plus personne

Comme un serpent qui s’enroule autour de mon souffle

Le but a été atteint dans la distance, le crépuscule est tombé sur mon chemin 

Où dois-je aller, à qui l’expliquer?

Je l’ai désiré et qu’est-ce que le destin m’a donné?

La solitude, la solitude

Les profondeurs de la noirceur


Et elle ? Pense-t-elle encore à moi ? 


****Leila ****


Cette descente aux enfers est sans fond. Je m’accroche à mon projet … pour survivre. Mais ça ne suffit pas. Pourquoi je n’y arrive pas ? 


J’ai mis mes pieds dans une église pour la première fois de ma vie et j’ai prié, à genoux. Quand on s’enfonce comme moi, on se tourne souvent vers la personne qui on l’espère aura l’ultime réponse. J’y ai croisé un père qui m’a relevé et m’a parlé sans que je ne lui raconte rien de ma vie. Il m’a réconforté mieux que personne. Mais j’avais vraiment besoin de définitivement couper les ponts avec mon histoire. 


Pour avancer. 


Karisma m’a un jour parlé du temple de Vishnou. Et je me suis renseignée sur ce temple. J’ai lu sur internet que dans l'état du Karnataka, à 200 km de Madras se trouve un temple, qui est certainement le plus riche de l'Inde. De 10.000 à 100.000 personnes s'y rendent chaque jour de toute l'Inde pour y prier le dieu Vishnou (appelé la bas Lord Venkateshwar). Toute personne qui s'y rend en pèlerinage, y va pour faire un voeu et doit y retourner quand son voeu est exaucé. C'est une noria incessante de bus qui transportent les pèlerins à une heure de Tirumalai, sur une montagne... Il arrive souvent que pendant le voyage en bus, femmes ou hommes entrent en transes, dans le bus, tellement ce voyage très important pour eux, est l'accomplissement d'une longue démarche religieuse. Une des particularités de ce temple est que tous ceux qui vont faire un vœu, et demander quelque chose au dieu Vishnou ou simplement lui rendre visite, font don de leur chevelure par humilité, et se font entièrement raser le crâne! Le temple fonctionne 24h sur 24 et emploie 4000 permanents. Plusieurs centaines de statues en or et pierres précieuse, diamants, rubis, etc , ont été offertes au temple par des pèlerins riches. Il n'est pas rare de voir des personnes qui arrivent avec une mallette pleine de billets et l'offrent à l'entrée du temple. (une pièce spéciale est consacrée aux dons importants avec plusieurs comptables, et une cassette vidéo avec la photo des dons importants, en or, bijoux, statues, pierres précieuses, est à la vente à la sortie du temple...). Il faut souvent faire la queue pendant plusieurs heures avant de pouvoir pénétrer. 4 étages, 435 barbiers y travaillent en se relayant 24h sur 24. Les tickets numérotés sont distribués à l'entrée, et les barbiers appellent par numéro.

La coupe est gratuite, mais une taxe a été payée avant de franchir l'enceinte extérieure au bas de la colline. La coupe est faite uniquement au rasoir-couteau, après avoir mouillé abondamment la chevelure. Pas de savon ou de crème à raser... En moins de 5 minutes, les superbes chevelures des femmes se retrouvent à terre, ainsi que celle des hommes et leurs moustaches et barbes.. Ceci en signe d'humilité avant d'aller rencontrer Dieu. Femmes, hommes, enfants, restent très silencieux pendant que le rasoir officie, ils prient pour le don qu'ils font à Dieu. Seuls les bébés hurlent...

Tous vont ensuite faire une offrande à l'extérieur du temple, et brisent une noix de coco sur les marches. C'est ensuite une queue de plusieurs heures avant de pouvoir pénétrer dans le temple et voir la statue noire et rouge de Vishnou (sans figure) pendant les quelques secondes autorisées et de recevoir les "Ladhous", boulettes de sucreries offertes par le temple. Souvent les femmes qui viennent de se faire raser, ou qui vont y aller, achètent des cheveux !! Les marchands du temple revendent aux clientes rasées des mèches de très longs cheveux ou des chignons. Le temple a créé depuis longtemps une importante industrie dans la revente des cheveux. Depuis le salon de coiffure, ils sont ramassés (uniquement par des intouchables, car une fois tombés à terre ils sont considérés comme "souillés" et ni la caste des barbiers, ni personne de caste ne les balaiera ou les transportera..) Les cheveux sont portés dans une annexe du temple, mis à sécher sur les toitures, triés et peignés par longueur et mis en sac. Les plus courts ceux des hommes, sont revendus à une usine japonaise qui en tires des produits servant pour des médicaments, les plus longs sont vendus à madras à des exportateurs qui les vendent dans le monde entier, (très cher en dollars..). Plusieurs milliers de kilos sont récupérés par mois. La plupart des perruques ou postiches faites dans le monde, sont des cheveux qui viennent du temple de Vishnou !


A la fin de l’article j’étais comme époustouflée et je me suis rappelée des mèches indiennes vendues à Libreville à 150 000 francs la botte alors qu’ici, ces mêmes mèches ont été gratuitement offertes par des femmes qui voulaient voir un vœu se réaliser. 


Je me suis couchée ce soir là avec cette idée en tête. Toute la nuit je n’ai pas pu dormir. 


Le lendemain, je suis allée chez un coiffeur et avant qu’il ne passe la lame de son rasoir sur ma tête. J’ai fait un vœu, j’ai envoyé une prière à Dieu. Je lui ai offert ce à quoi je tenais le plus au monde, ce dont je n’aurai jamais pensé me séparer un jour, ce qui m’a toujours distinguée des autres femmes, ce que Xander a aimé par-dessus tout. Mes cheveux. Je l’ai fait pour qu’il soulage ma peine. 


Il faut qu’il m’écoute. Il parait qu’il n’abandonne aucun de ses enfants. Je suppose que je fais partie de ces enfants aussi. 


Pour moi faire offrande d’argent ou de quelque chose d’autres n’a aucun sens car je ne tiens à rien de tout ça depuis que j’ai perdu Xander. Mais mes cheveux dans ma mémoire sont liés à lui. Mes cheveux. 


Est-ce la même chose pour Xander ? Je n’ose demander à Karisma de ses nouvelles de peur de me mettre à pleurer devant elle. Le ventre de Neina doit l’occuper entièrement. 


*

**


Aujourd’hui, je vais visiter une entreprise qui loue des locaux en plein centre ville. Mes affaires marchent bien et il me faut déménager pour m’installer dans un endroit plus conforme à mes aspirations. 


Je porte une robe noire avec une veste métallisée qui me plait énormément avec un rouge à lèvre marron foncé qui gomme le rose de mes lèvres. Trop de clients me font des avances. Mes cheveux ont repoussé plus vite que je ne l’aurais cru et je me coiffe en faisant une petite coupe rafraichissante au babyliss. J’avoue que j’ai moins de mal à les discipliner maintenant qu’ils ont cette taille. 


L’entreprise qui loue des « offices » possède quinze étages d’une grande tour située en plein centre ville de Mumbai. Je compte bientôt y recevoir les chefs d’entreprises pour lesquels je soustraite du travail et de l’audit numérique. Je suis la petite nouvelle du coin mais je veux être respectée. Pour ça, je n’ai pas changé depuis Libreville. 


Je serre un peu plus fort ma mallette en cuir et appuie sur le bouton du 7e étage. C’est là que j’ai choisi de m’installer. Le chiffre 07 m’a toujours porté chance. Je suis sûre que c’est Dieu qui m’y envoie. Les affaires seront bientôt florissantes.


La porte s’ouvre. 


Je lâche ma mallette. Pétrifiée. 


****Alexander****


Elle est magnifique.

En très peu de temps ses traits ont muri mais elle demeure la femme la plus belle pour moi.

Elle a quelque chose de changé et je n’arrive pas à trouver quoi. 

Rien qu’à sa vue je sors de ma longue torpeur. 

Je la regarde.  

Quand elle lâche sa mallette quelque chose bouge à son poignet. 

Je reconnais tout de suite le médaillon, le cadenas. Elle en a fait une gourmette ?

Elle ne me l’avait donc pas rendu ? 

Je ne m’en étais même pas aperçu le jour où j’ai reçu en colis retour le chèque, la montre et tout ce que je lui avais fait envoyer. 

En colère j’avais fait valdinguer le tout sans plus réfléchir parce qu’elle l’avait accompagné de ce petit mot délétère : « cadeau de mariage de la part de Leila Larba». 

J’avais toujours supposé que le médaillon en faisait partie. 


ALORS ELLE M’A RETOURNE L’ARGENT ET A GARDE MON CŒUR. 


J’ai oublié de bloquer les portes de l’ascenseur et elles se referment sans que je ne puisse les en empêcher. J’appuie fébrilement sur le bouton « open ». 


Quand les portes s’ouvrent enfin, il n’y a plus personne devant l’ascenseur. J’en sors. 

Je me mets à courir vers la sortie de l’immeuble en verre. Tout le monde doit se demander pourquoi le propriétaire court ainsi ? 


ILS NE PEUVENT PAS SAVOIR QUE JE COURS APRES MA VIE !


J’ai vécu l’enfer sans toi dans ma vie. Et malgré tout … il y a cet espoir qui demeure parce que tu as gardé mon cœur. 


MERA DIL. 


Je vois une femme s’avancer rapidement parmi la foule.  Mais elle est de dos et je ne peux distinguer ses traits. Elle a la même silhouette que Leila mais ses cheveux sont trop courts pour que ce soit elle. Je regarde mieux. Quelque chose me dit de mieux regarder. Elles ont vraiment les mêmes silhouettes. 


Un cri sort de ma bouche sans que je ne puisse me retenir. 


LEILA !


Tout le monde dans le hall se fige et me regarde. J’ai couru comme un fou, j’ai l’air d’une âme perdue. 


Mon Dieu la silhouette se fige. C’est elle. 


Elle a gardé mon cœur, puisse-t-elle sauver mon âme.


A suivre 


Les amoureux du Taj...