Lettre 2

Write by Alex_Akah



Laurent Assa

19 octobre 1976

Abidjan

   

Mon cher amour,

                J’ai encore rêvé de toi.

Je rêve quotidiennement de toi, d’ailleurs, depuis cette première fois, il y a un an.

J’ai envie de te dire que tu es la femme de mes rêves, mais ce serait te mentir. Maman dit souvent que lorsqu’on attend impatiemment quelque chose, le jour où DIEU nous le donne, Il s’arrange à dépasser nos espérances, rendant cette chose plus merveilleuse encore, de sorte à compenser et à récompenser notre attente. Alors je suis convaincu que tu seras la plus belle, la plus gentille, la plus intelligente, la plus douce de toutes les femmes que cette terre ait jamais porté, et bien plus encore. Parce que mon attente sera grande, et que le Seigneur nous donne toujours au-delà de ce qu’on espère, tu seras bien plus que le plus grand de mes rêves, bien plus que la plus grande de mes aspirations, bien plus que tout ce que mon esprit pourrait un jour imaginer.

 

En attendant de te rencontrer, je vais te raconter ma vie, comme ça, quand le moment sera venu, on ne perdra pas  de temps à se découvrir et à apprendre à se connaitre. Je te ferais lire ceci, et on gagnera plein de temps, qu’on utilisera pour mieux s’aimer, pour plus s’aimer.

 

J’ai maintenant 14 ans, et je suis en seconde C4 au Lycée Classique*. Tout le monde s’extasie sur le fait que je sois si jeune et déjà si loin – en plus dans une école de cette envergure – mais comme dit souvent maman, ‘’Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années. Si tu n’as pas compris, ça veut dire que tu n’as pas besoin d’être un vieillard tout fripé pour faire des choses importantes et susciter le respect des autres. Mais tu dois quand même respecter les vieillards tous fripés.’’ Maman et ses proverbes…

 

Parlant de maman, elle est – encore – enceinte. Elle m’a avoué la semaine dernière qu’elle ne voulait pas, mais que papa avait insisté, parce qu’il voulait un autre fils. J’ai un peu boudé, parce qu’il ne nous a pas consulté pour savoir si on voulait un autre frère. Alors qu’il dit souvent à maman qu’on est dans un pays démocratique et que chacun a le droit de donner son avis.

Mes autres frères, eux, s’en fichent un peu. Je pense qu’ils ne comprennent pas bien les enjeux de l’affaire. En même temps, ils sont tellement jeunes. Paul Junior a 10 ans, Félix en a 7 et Hermann en a 3. Tout ce qui les intéresse, c’est jouer au foot avec leurs amis de l’école primaire et regarder le Club des petits** à la télévision.

Ça m’énerve d’ailleurs, qu’ils n’aiment pas plutôt lire, ou travailler les mathématiques. Je les gronde régulièrement pour ça, je dois l’avouer. Mais tu connais maman, ou plutôt tu la connaitras, elle est toujours en train de défendre ses bébés. Elle dit souvent que je dois être indulgent avec eux, du fait de leur jeune âge, et ne pas les stresser. Elle dit aussi qu’ils ont tout le temps de faire des mathématiques dans leur vie, et que de toutes les façons, les maths, ça ne sert pas à grand-chose dans la vie active. La dernière fois, je lui ai demandé pourquoi elle me stressait pour étudier et réaliser des choses importantes, si le jeune âge impliquait de l’indulgence. Elle a répondu que j’étais l’ainé et que mon éducation devait être plus stricte que celle de mes frères, de sorte à mon tour les éduquer, au cas où papa et elle ne pourraient plus le faire. Je lui ai alors demandé pourquoi elle m’empêchait de commencer à les éduquer, vu que c’était ça, mon rôle de grand frère. Elle a juste soupiré et a dit : ‘’Laurent, tu me fatigues. Tu as appris ta leçon d’histoire ?’’

Elle fait toujours ça quand je lui pose une question qui la dépasse. Ça devrait me vexer, en principe, mais comme elle le fait aussi avec papa, je ne le prends pas personnellement. C’est sa façon d’éviter d’admettre qu’elle a tort, je pense. Je t’avais dit qu’elle était bonne joueuse, n’est-ce pas ? J’ai menti.

Je suis conscient que ce n’est pas bien, et je te promets de tout faire pour éviter de te mentir le plus possible. Je ne le ferais qu’en cas d’absolue nécessité, comme par exemple si tu me demandes comment je trouve ta nouvelle coupe, alors qu’elle est toute pourrie. Même si je suis convaincu que même avec un sachet noir sur la tête, tu seras toujours la plus belle. C’est mon cœur qui me l’a dit. Et comme dit souvent maman, le cœur a toujours raison.

 

J’ai toujours hâte de te rencontrer.

Je t’aime,

Laurent Assa.

 

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*Lycée Classique : école d’enseignement secondaire d’Abidjan, à la réputation d’excellence. Les meilleurs élèves du pays étaient orientés soit là, soit au lycée scientifique de Yamoussoukro

**le club des petits : nom donné à la rubrique consacrée aux dessins animés (dans les années 70-80) à partir de 19 heures sur la RTI

Moayé