L’impact du nom

Write by Gioia

Blaise Pascal, Abidjan à 7 h 30, Classe de Seconde F1

Le professeur de Maths, M Adou fait son entrée dans la classe, mais les élèves continuent à bavarder.

— Bande de têtes brûlées levez-vous rapidement! tonne-t-il. Un professeur rentre dans la classe et vous restez assis comme des vaches couchées? Vous pensez que réussir le premier trimestre à 80 % fait de vous des cracs? Laissez-moi vous dire que rien n’est encore fait. Ehivet, debout!

Les murmures et rires fusent de partout dans la classe, tandis que l’élève interpellé s’exécute.

— Je veux du silence hein! Ehivet tu passes au tableau, ordonne le professeur sur un ton sévère

Le jeune garçon s’avance d’une démarche qui peut être qualifiée de nonchalante et arrache un juron au professeur.

— Toi tu portes le nom de Simone Gbagbo; vous avez bien pillé le pays, mais tu es taré comme pas permis. Tes parents n’ont pas pensé à faire quelque chose avec le butin dérobé? Comme te transplanter un cerveau fonctionnel peut-être?

Le jeune ne fait rien sinon l’observer, ce qui augmente l’agacement de l’enseignant.

— Tu me baisses ce regard et que ça saute! Je ne suis pas ton égal et encore moins ton chien. Huit de moyenne pour un premier trimestre, dont six en maths. La seule matière où tu as été foutu de faire quelque chose c’est en sport comme si c’est la course qu’on cherche sur le marché du travail. Et tu es fier de toi n’est-ce pas. Vos pères ne vont pas se gêner pour vous placer aux postes importants et après on se demandera pourquoi l’Afrique ne sort pas de la médiocrité!

Les camarades du jeune garçon continuent à murmurer entre eux. Une particulièrement, du nom de Miriam se penche vers Clarence l’élève avec qui elle partage le banc.

— Tu ne trouves pas qu’il exagère M Adou. On dirait une vendetta personnelle

— Ah Mimi tu n’as pas vu les mandibules concentrées du type? La sévérité est dans son ADN, et pire quand tu foires sa matière. Comme Ludovic vient en Benz à l’école là, il ne se gêne pas aussi pour bosser donc je vais dire quoi moi? Ça ne me concerne pas

— C’est ta vilaine voix que j’ai entendue Koutouan? Debout! exige M Adou.

Clarence obtempère, avec un air ennuyé tandis que Miriam collait sa tête au mur pour ne pas se faire remarquer par le prof.

— Ehivet fait-moi la simplification de A= [3 b — 7 (5a-2b)] — [-3 a + 8 (2a-5b+3)]. Toi Koutouan, tu l’aides vu que ta bouche te démange. Je vous donne cinq minutes

— mais Monsieur....., commence à protester Clarence avant de se faire sèchement rabrouer

— Je n’ai pas dit que ta voix me plaisait donc tu la boucles quand je ne t’autorise pas à parler. Vous aurez -5 tous les deux à la prochaine interro si je n’ai pas la réponse dans les quatre minutes suivantes. Et puis tu parles quand tu écris Ehivet! Je ne vais pas abimer mes yeux à me forcer pour lire ton écriture de crabes transportant des coquillages sur la tête

— A= [3b - 35a - 14b] — [3a + 16 a -30 b +24], donc A= [-35 a -17 b]......

— Ludovic! C’est 11B! le corrige Clarence

– Pardon, donc A= [-35 a -11 b] — [19 a — 30 b + 24]

— Une minute restante, leur rappelle M Adou.

— A= [-35 a -11 b -19 a -30 b + 24], puis A= [-54 a -41 b + 24]. J’ai fini, dit le garçon avant de déposer le marqueur à tableau

– Alors Koutouan, tu approuves cette réponse? lui demande le prof

— Je pense monsieur

— Je t’ai demandé de penser ou tu ne connais pas le concept des questions fermées?

— Pardon, je voulais dire Oui monsieur, répond timidement l’adolescente

— Gueye! Est-ce que tu es d’accord? le professeur interroge une seconde élève

— Umm… , c’est que… en fait, il y’a une erreur

— Passe donc au tableau corriger au lieu de bégayer. Tu ne peux jamais parler droit toi, à croire que tes parents bégayaient quand ils baisaient pour te concevoir

Gueye, dont le prénom est Blair, avance tête baissée vers l’avant, car embarrassée par la remarque de son professeur, tandis que certains dans la classe rigolent. Il faut dire que certains élèves se sont habitués aux petits commentaires de M Adou depuis le temps. Gueye rédige en moins de cinq minutes, la réponse suivante.

A= [3 b — 7 (5a-2b)] — [-3 a + 8 (2a-5b+3)]

= (3 b — 35 a + 14 b) — (-3 a + 16a - 40 b + 24)

= (17 b — 35 a) — (13 a -40 b + 24)

= (17b-35a - 13 a + 40 b — 24)

= -48 a + 57 b -24

— Ceux qui penchent du côté de Gueye levez la main, dit M Adou et toute la classe leva la main.

— Bien. Koutouan et Ehivet vous avez -5 et un extra -3 pour l’interrogation d’après parce que vous n’avez pas changé les accolades en parenthèses

— Oh Monsieur c’est Ludovic qui m’a induit en erreur! Proteste Clarence

— On dirait que tu veux un -5 additionnel, la menace indirectement le prof

Elle se ravise et s’assoit non sans tirer la tronche, pendant que ses deux camarades rejoignent leurs places respectives.

Plus tard, en récréation les groupes étaient formés et le bavardage était d’ordre.

— Pfff regarde la tête de nœud de Ludovic qui s’emmène par ici, peste Clarence

— Le gars qui fait des erreurs de débutant une simplification, rigole Miriam. Je me demande ce qu’il fout à la maison au lieu d’étudier

— Et c’est avec ce plouc que Vincent marche régulièrement, pourtant je lui ai dit que qui ça s’assemble se ressemble et j’ai une réputation à maintenir. D’ailleurs toi Blair là tu ne pouvais pas me souffler la réponse? Rien que pour ça, tu ne mérites plus de t’asseoir sur le banc spécial avec nous

— Mais Clari comment je pouvais souffler d’où je me tenais? En plus, le dicton ce n’est pas plutôt qui se ressemble s’assemble? ajoute-t-elle en chuchotant

— Donc tu ne m’aides pas, mais en plus tu veux me corriger, histoire de faire ta crâneuse comme tantôt en classe hein, OK Blair, je vois ton vrai visage maintenant

— C’est pas ça, tu m’as mal compris, réplique-t-elle la gorge nouée par les larmes qui n’étaient pas loin parce que les autres assises sur le banc la regardaient aussi comme une traitresse

— Et maintenant tu vas pleurer hein, pourtant c’est toi qui as zaillé, gros bébé va

— Tu ne peux pas lui parler doucement? intervient celui qu’on n’attendait pas. Ludovic Ehivet, qui était normalement dans la longue file attendant son tour pour s’acheter à manger avant que ses oreilles n’entendent un bout de la conversation des filles

— Qui parle, les filles? demande Clarence, pour signifier que Ludovic a autant d’importance qu’un grain de sable

— Nous cherchons aussi oh, répliquent les filles en chœur hormis Blair

— Bref, je passais

— C’est ça passe en vitesse comme le vent qui circule dans ta tête et emporte ce que tu apprends

— Répète un peu, lui dit Ludovic qui leur avait tourné le dos avant cette dernière intervention

— Ehivet éloigne-toi rapidement de nous! Vince! appelle-t-elle au secours, car effrayée que Ludovic lui réponde

— Tu penses que je suis un de tes petits minions que tu commandes? Tu ouvres ta gueule encore sur moi je te casse en deux. Impolie va, lui dit Ludovic, ce qui choque le groupe des filles. Avant ça, personne n’avait entendu ou vu Ludovic se rebeller contre quelqu’un.

Clarence s’enfuit vers Vincent son copain qui était avec un groupe d’amis. Dès que les amis en question la virent ils s’éclipsèrent

— Bébé qu’est-ce que….

— Le malotru et ignare que tu appelles meilleur ami a essayé de me frapper en plus de m’avoir gracié d’un -5, elle le dénonce avec effervescence et Vince se met à rire

— On parle de Ludo hein bébé, depuis quand le gars te parle et il va te frapper?

— Tu vois? Tu vois quand je dis que tu te fous de ma gueule? Ne me touche pas, proteste-t-elle avant de le repousser fortement alors qu’il essayait de lui faire un câlin. Comme je ne peux pas compter sur toi, n’ose pas m’appeler que tu veux venir me voir ce week-end!

— Mais bé…

Les longues jambes du bébé l’avaient déjà emmené loin et à la fin de la journée scolaire elle boudait toujours. Elle est d’ailleurs rentrée sans dire au revoir aux autres dès l’arrivée de son chauffeur. Et une fois dans sa grande maison familiale de huit chambres, sise à Angré Cité Diaspora, elle s’est jetée dans les bras de sa mère qui se prélassait sur un sofa douillet et devant «le destin de Lisa» sur TF1.

– Alors qu’est-ce qui se passe encore ma chérie? lui demande sa mère tout en lui câlinant la tête

— À cause de ce nullos d’Ehivet je vais avoir une mauvaise note et papa ne voudra plus que j’aille à Londres chez tata, pleurniche Clarence

— Cet Ehivet avec qui on t’avait mis en groupe de travail l’année passée et il venait selon ses envies?

— En plein dans le mil!

— Ah il a même réussi hein. Pourtant j’avais exigé au directeur qu’on ne vous associe plus, qu’est ce qui s’est passé maintenant?

Clarence raconta une version très édulcorée des faits à sa mère qui prit un ton doux pour tempérer sa fille.

— Ma petite fleur je suis désolée hum, ne pleure pas, c’est fini. Je vais en parler à papa ce soir

— Tu sais qu’il ne comprend pas maman. Il va m’accuser comme tu le connais. Déjà que j’ai eu 11 de moyenne à cause du foutu stress qu’on nous met à Blaise Pascal. Ce n’est pas dans un environnement rempli d’incompétents comme ça que je pourrais montrer mes aptitudes. Ça ne m’encourage pas et dans tout ça Blair me plante aussi un couteau dans le dos. Y’a décidément rien qui va maman!

— Oh non, Blair a fait quoi? la questionne sa mère

Elle raconte de plus belle, et maman lui promet de discuter avec papa pour tout arranger. Pendant ce moment, Blair aussi vient d’arriver chez elle, à Zone 4.

– Toi encore tu te fâches avec ton amie Clarence? la questionne sa mère dès qu’elle fait son entrée dans le jardin où elle se trouve

— Maman c’est elle qui a un peu commencé. Elle disait des méchantes choses à Ludo et ce dernier…

— Regarde-moi son visage comme «méchante avec Ludo». C’est lui ton ami maintenant? Vous vous connaissez depuis quand? Toi et Clarence n’êtes pas amies depuis le primaire? C’est un garçon que tu vas laisser entrer dans vos histoires? Voilà que tu m’embarrasses devant sa mère. En tout cas appelle la et excuse-toi promptement. Encore heureux qu’elle ait pris l’initiative de m’appeler en premier pour me faire part de tes conneries, parce que ce n’est pas de ta bouche que j’allais l’entendre hein B (prononcé comme bee en anglais, ou bi en français)

– Pourquoi tu fais pleurer ma fille? questionne le père de Blair qui les retrouvait avec un verre frais de limonade et sa tablette en main

— Tu me vois la frapper pour m’accuser?

– C’est quoi alors le problème B? demande son père après l’avoir câliné pour lui souhaiter une bonne arrivée

— Elle a encore fait l’enfant à l’école. Donne-lui de l’argent d’ailleurs. On va aller à Zino pour acheter un cadeau demain

— Un cadeau à qui? Tu as fait quoi Blair?

— Rien. Clarence et moi on a eu un petit malentendu

— Hum, les filles, il faut vite régler ça. Tu sais que son père est mon ami non, je t’ai dit d’être gentille avec Clarence ou pas  

— Merci de lui rappeler chéri. Au lieu d’être concentré sur les choses importantes ta fille a souvent la tête ailleurs. D’ailleurs c’est quoi le parfum préféré de Clari?

— Chanel Chance Eau fraiche

— Au moins ça. Bon, appelle là après tes devoirs, et tu t’excuses bien pour qu’elle te pardonne. Demain soir quand tu sortiras des cours, on ira à Zino. Son anniversaire c’est bien samedi?

— Oui c’est ça

— D’accord, va donc te changer et manger

Pendant ce temps, Vincent Kipre aussi est rentré chez lui, à Riviera Golf. Lui et Ludovic sont en pleine conversation devant son portail.

— Toi aussi tu te disputes avec ma go pourquoi?

— Tu m’as dit de venir chez toi pour me poser cette question stupide? Tu me connais que je m’engueule avec les filles? Je rentre même chez moi

— Ah attends non. Comment tu peux être susceptible toi, c’est pas possible. Tu connais Clarence, c’est une fille sensible. Essaie de l’éviter au max s’il te plaît. Cette fille je tiens sérieusement à elle

— Hum, j’ai entendu

— Elle donne une fête pour son anniversaire ce week-end. Tu viens?

— Parce que j’ai été invité? Pardon ne me force pas non plus à m’associer avec vous

— Tu ne veux jamais sortir ou faire des trucs avec nous toi, on te fait honte ou c’est comment? se plaint Vince

— Je suis tranquille à la maison. En plus tu as entendu M Adou, je ne veux pas vous contaminer avec mes tares

— Ne dis pas ça. L’examen était dur. J’ai juste eu 10 de moyenne. Mais tu vas récupérer le deuxième trimestre ci. Je te fais confiance type

— Ouais. Bon je rentre là

— Ton chauffeur ne vient pas?

— Non… j’ai des choses à faire dans le coin et je ne sais pas quand je vais finir

— Ludo la force tranquille, tu gères les meufs des autres écoles hein comme celles de Blaise Pascal sont trop petites pour toi hein, le taquine Vince

— Hum quelque chose comme ça. Bon à demain

***Ludovic EHIVET***

Sur le chemin du retour, je marchais le ventre bien creux en repensant à ce que Vince avait dit. S’il m’avait dit que c’était pour parler de cette idiote je ne serais pas resté à la maison? Ce n’est pas d’abord l’argent on a pour aller chercher les filles? On crie Ehivet à gauche à droite, mais ce que ce nom apporte je le cherche en vain. Le chauffeur en question n’est pas venu avec moi parce qu’on n’en a pas. Les fois où l’on nous dépose à l’école en Benz, c’est qu’un tonton, ami de papa a pitié de nous. Sinon la majorité de mes déplacements, je la fais à la Moïse comme actuellement. Avec le temps je me suis habitué. Ça me prend maintenant environ trente minutes pour marcher de chez Vincent jusqu’à la Riviera 2 chez moi. Je venais d’arriver et comme d’habitude, celui qui se dit mon père était sur la terrasse à lire le journal et parler encore de manifestation à aller faire à Yopougon contre le régime actuel. Ma mère était assise dans la chaise plastique sur la terrasse et l’écoutait simplement.

 

— Tu reviens encore d’où? m’interroge mon père sur un ton hargneux

Je ne répondais pas et me contentais de le regarder comme d’habitude. Ses yeux sont vitreux signe qu’il a bu et quand il est comme ça, toutes les raisons sont valides pour me frapper. Je ne vais pas lui donner la satisfaction de me faire trembler en plus.

— Yvette tu vois ton fils? interpelle-t-il maman. Tu vois comment il ose me défier. On te cherche et tu pars vagabonder dehors?

— Henri s’il te plaît calme toi. Il n’était sûrement pas loin, maman essaie de le tempérer

— Toujours à l’encourager. C’est comme ça qu’il prend la grosse tête dehors et il va devenir un fainéant ici. Voilà qu’il m’a ramené un bulletin de 8 de moyenne au premier trimestre alors que je me saigne pour qu’il fréquente. Ce sont mes amis qui ont tout compris. Ils vivent la belle vie avec leur argent. Qu’est-ce que j’ai sinon des incapables comme enfants? Mets-toi rapidement à genoux!

La colère bouillonnait dans mon ventre et j’ai croisé le regard conciliant de ma mère. Ma faiblesse. Je me suis mis à genoux. Il m’a demandé d’étendre mes bras et a déposé un bloc de pierre dans chacun.

— Je vais t’en faire voir de toutes les couleurs si un de ses blocs tombe. Le peu d’argent que j’ai, je le gaspille à te payer l’école des blancs et tu n’es pas foutu de travailler. Le programme français où on te montre 1 +1=2 tu es incapable de le retenir. Continue bien à me regarder! Tu fais honte au nom Ehivet!

Foutu et merdique nom. Pendant que les gens pensent qu’on roule sur l’argent du pays, je crève la faim tous les jours. Quand je rentre je vais travailler sur les chantiers pour pouvoir payer mes manuels d’école et si j’ai un surplus, je me permets la cantine sinon je mens pour ne pas me prendre la honte devant les potes. La seule chose que cet homme qui se dit être mon père paie c’est l’écolage. Le reste personne ne sait comment je me débrouille. Je fais quoi avec ou j’en ai quoi à foutre de son nom?

L'histoire que vous lisez

Statistiques du chapitre

Ces histoires vous intéresseront

Le destin et nos pla...