L'invitation

Write by lpbk

J-5 avant le mariage d’Olivia.

Je déteste les lundis matins ! Je les hais plus que tout. Et je ne pense pas être la seule personne sur cette terre à médire ce jour de la semaine.

Lorsque le réveil sonne, je grogne car je n’ai pas du tout envie de me lever.

La soirée de samedi s’est terminée très tôt le dimanche matin ou tardivement dans la nuit, au choix. Notre chauffeur nous a toutes ramenées chez nous et j’ai pu m’effondrer sur mon lit, épuisée par cet enterrement de vie de jeune fille mais heureuse d’y avoir participé et quelque peu avinée.

Heureusement, lorsque je me suis levée dans la journée, je n’avais pas la gueule de bois. Clairement, je pense être celle de nous cinq qui a été la plus sage. Les filles ont vraiment dû payer cette soirée très chère, vue leur consommation d’alcool. Mais après tout, ce genre d’évènement n’a pas lieu tous les jours.

Je suis encore fatiguée, et j’ai l’impression d’avoir plus que mes trente ans. C’est d’un affligeant. Je suis pathétique. Cette pensée me fait me secouer et je saute hors de mon lit pour rejoindre la salle de bains, et passer sous le jet vivifiant de la douche.

Cette fois, je n’ai pas oublié la promesse d’André de venir me chercher à midi et m’habille en conséquence. Je reste dans la sobriété et la décontraction avec un jean brut taille haute, un chemisier crème avec un col en V, j’ajoute une ceinture camel avec une jolie boucle en métal doré, qui s’harmonise avec la bride de mes escadrilles composées, au talon tressé, et d’un bleu intense. Simple mais élégant.

Je travaille toute la matinée aux derniers préparatifs du mariage d’Olivia et Pierre. Samedi prochain aura lieu la cérémonie ; il ne reste donc que peu de temps pour fignoler les détails.

J’ai eu le temps de confirmer les divers rendez-vous d’Olivia. Le premier aura lieu demain en fin de matinée chez Anna pour les derniers ajustements de la robe ; le lendemain, je rencontre une dernière fois Mix Master Mike, notre DJ, pour revoir une dernière fois la playlist qui sera jouée durant la cérémonie puis la réception.

Ezra est ravi d’avoir de mes nouvelles et m’atteste qu’Olivia sera sa cliente exclusive du samedi. Je suis réellement soulagée car je sais qu’il est le meilleur et que ma future mariée sera sublimée grâce à son talent.

Je joins également Anaïs, ma fleuriste, qui me confirme avoir commandé toutes les fleurs dont elle aura besoin pour les bouquets, les boutonnières et diverses décorations.

Quant à Jacques, le traiteur, il voudrait me voir car il a une proposition « absolument fabuleuse » à me faire. Je suis curieuse de savoir laquelle.

Je termine par Abraham, le photographe de la famille Felton. Il s’occupe de mitrailler tous les évènements concernant les familles aisées de la ville. La famille d’Olivia l’emploie depuis des lustres et celle de Pierre s’est récemment offert ses services pour d’innombrables soirées caritatives. Bref, ce ne pouvait être que lui qui s’occuperait d’immortaliser le mariage. Il me confirme donc qu’il sera présent dès huit heures pétantes, pour prendre des photographies des différentes étapes de la préparation de la mariée, mais aussi qu’il a pris sur lui d’engager un autre de ses collègues pour tourner autour de Pierre durant toute la journée.

Lorsque la sonnette de mon appartement se fait entendre, je suis pleinement satisfaite et part déjeuner, l’esprit léger, un sourire de contentement flottant sur mon visage.

Tout est sous contrôle ! Ce mariage sera parfait, à n’en pas douter !

     Bonjour. Tu es très en beauté, me flatte André, à peine la porte d’entrée ouverte.

Je le salue à mon tour et ne peux que lui retourner le compliment. Il porte un gilet marron sur une chemise bleue nuit, associée à un jean foncé sur des mocassins camel.

     Tu es prête ? me demande-t-il.

J’attrape mon sac à main, que je laisse toujours sur la console à l’entrée et mon blazer noir sur la patère avant de le suivre.

Une Porshe Cayenne noire nous attend devant mon immeuble. André m’invite à m’installer côté passage. Je vois alors un homme s’éclipser rapidement après avoir laissé le volant à mon hôte.

     Qui était-ce ? ne puis-je m’empêcher de demander.

     Philippe. Il est en quelque sorte mon homme à tout faire.

     Et comment Philippe compte-t-il rentrer je ne sais où ?

     Nous sommes à Douala, Mélanie. Il va prendre un taxi et rentrera directement à l’appartement, en attendant que j’ai de nouveau besoin de ses services.

     Hum… acquiesçai-je, muette de… Je ne sais pas. Car je ne devrais pas être étonnée par l’existence de ce Philippe, toujours prêt à répondre au moindre caprice, à la moindre lubie d’André. Où allons-nous ? le questionnai-je en le voyant s’engager dans la circulation.

     Je ne peux pas te le dire, pour l’instant.

     Et pourquoi cela ?

     Car c’est une surprise, m’assure-t-il avec un sourire en coin.

     Une bonne surprise ? m’enquis-je, faussement suspicieuse.

     Je l’espère, en tout cas, commente-t-il, visiblement peu sûr de lui.

J’hausse un sourcil étonné mais ne réponds pas. Le trajet se fait dans le silence ou presque puisque Nickelback apporte un fond sonore agréable. André se concentre sur la circulation particulièrement dense à cette heure de la journée.

A peine une vingtaine de minutes plus tard, André gare le 4x4 devant Joe’s Pizza qui parait étrangement vide pour un jour de semaine, à cette heure qui plus est.

Rien n’a changé de l’extérieur : toujours le même auvent bordeaux au nom de l’enseigne, la fenêtre donnant sur le comptoir extérieur est ouverte laissant s’échapper de délicieuse odeurs de pizzas maison fraichement préparées. J’en salive à l’avance.

     Alors, penses-tu que ce soit une bonne surprise ? me questionne André, nerveux.

     C’est parfait, fis-je, heureuse de retrouver cet endroit dans lequel je n’ai pas mis les pieds depuis des lustres. Mais pourquoi n’y a-t-il personne ? je me souviens que la queue allait parfois jusqu’au coin de la rue…

     Ce midi, il nous est entièrement réservé.

     Tu as privatisé Joe’s Pizza ? m’écriai-je, éberluée.

     Euh… Oui… balbutie mon hôte.

     C’est un peu… extravagant, tu ne trouves pas ? Enfin… je veux dire que…

Je m’embrouille dans mes explications et décide de me taire. Je ne voudrais pas qu’il pense que je ne lui suis pas reconnaissante de m’emmener dans ce lieu, symbole de tant de souvenirs heureux à ses côtés.

André se ressaisit avant moi et m’invite à entrer d’un geste de la main.

A l’intérieur, la décoration est toujours la même : le commerce est petit pour ne pas dire minuscule. Une unique table trône au centre de la pièce, et des comptoirs, sous lesquels sont provisoirement rangés des tabourets attendant les clients, courent le long des murs et sous la fenêtre. Sur l’un des pans muraux, sont affichées des photographies du propriétaire des lieux en compagnie de stars africaines tels que Yemi Alade, Ko-C, Locko, ou les Toofan, Khalima Gadji, Osita Iheme et même plusieurs d’Ebenzer Kepombia. Bref, de très nombreux clichés montrant l’ancienneté de la pizzéria mais aussi sa renommée.

Nous approchons du comptoir où nous attend le chef cuisinier, Alfred.

     André, c’est toujours un tel plaisir de te voir, le salue-t-il ; puis se tournant vers moi, il ajoute : Votre visage ne m’est pas inconnu.

     Eh bien… j’étais une cliente très régulière il y a quelques années, dis-je en m’empourprant.

     Je vois… me sauve le chef avec une moue compatissante. Les diktats actuels vous ont rappelé qu’il faut faire des sacrifices à la bonne chair plutôt qu’en subir les conséquences.

     Tout à fait, intervient André. Pourtant, Mélanie est…

     Mélanie ? l’interrompt Alfred. Ta Mélanie ? Je me souviens maintenant… termine-t-il avec un sourire entendu. Vous vous dévoriez toujours des yeux à l’époque. Ma Mélissa disait toujours que vous…

     Alfred ! l’appelle une voix venue de la cuisine. Tu peux venir une minute s’il te plait ?

     Justement, elle m’appelle. Je vous laisse faire votre choix, je reviens tout de suite.

Les dernières paroles du pizzaïolo me laissent perplexe. Que disait Mélissa ? Et comment se fait-il, qu’après toutes ses années, Alfred se souvienne de nous ? Qu’il parle même de moi comme étant « la » Mélanie d’André ?

D’ailleurs, celui-ci semble totalement absorbé par la lecture de la carte quand bien même je suis certaine qu’il la connaisse par cœur car il semble toujours être un grand habitué des lieux. Je m’étonne même qu’il ne fasse pas partie du mur des photographies du propriétaire ; il y aurait sa place en tant que client ultra régulier mais aussi célébrité, à sa manière.

Je ne veux pas ajouter à sa gêne et fait mine de lire moi aussi le menu même si je sais déjà ce que nous allons commander car c’est ce que nous faisions il y a quelques années de cala.

     Vous avez fait votre choix ? nous demande Alfred, de retour.

Après un regard pour me demander mon accord, que je donne évidemment, André nous commande une pizza géante au fromage avec supplément peppéroni.

Nous nous installons sur la seule table qu’accueille la salle en attendant notre repas. Le silence se fait, uniquement ponctuée par les sourires de nos téléphones respectifs qui empêchent toute conversation sauf celles jouées par nos doigts sur nos écrans.

Lorsque une délicieuse odeur se fait sentir, je lève le nez de mon smartphone et m’aperçoit qu’André me dévisage avec un sourire en coin. Le genre de sourire qui signifie que cela fait déjà quelques minutes qu’il m’observe à mon insu.

Pour me donner une contenance, j’attrape une part de pizza, la hume intensément et mord férocement dedans. C’est un véritable chef-d’œuvre, un orgasme de saveurs. Simple mais tellement délicieuse. La pâte est si fine, si croustillante, si fondante. Bref, cette pizza est à tomber. La qualité des produits n’a pas changé et je me régale, ce qui n’échappe pas à André, qui sourit toujours, visiblement plus confiant désormais mais aussi fier du succès de son entreprise.

Lorsqu’il ne reste rien dans la boite, je pousse un profond soupir de contentement. Je n’avais pas mis les pieds ici depuis des lustres et je le regrette amèrement. Ces pizzas sont les meilleures au monde ! Je me promets d’y revenir plus souvent à l’avenir mais pas trop tout de même car je tiens à ma ligne.

     C’était bon ? me questionne anxieusement André, comme s’il avait lui-même préparé notre pitance et s’inquiéter de sa qualité.

     Divin, tu veux dire ! Je ne me suis pas régalée comme aujourd’hui depuis… je ne sais plus. Ça remonte à trop longtemps. Merci, dis-je en faisant d’amples gestes des bras pour montrer le commerce, de m’avoir rappelé qu’il existe encore de tels endroits à Douala.

     Je t’en prie… J’avoue que je voulais surtout te rappeler les souvenirs que nous avons ensemble ici, à vrai dire.

     Et nous en avons beaucoup, n’est-ce pas ?

     Pas assez, selon moi, me rétorque mon ex-petit-ami. Et puis, ils sont si anciens. Nous étions si jeunes, si naïfs…

     Nous pourrions en créer de nouveau… Si tu es d’accord.

Je contemple André, éberluée par sa proposition même si finalement, je ne devrais pas l’être. Il a été plutôt clair avec moi depuis que nous nous sommes retrouvés. Il tient à se faire pardonner, à rattraper le temps perdu mais… il manque quelque chose. Un « je ne sais quoi » qui fait que je ne sais pas si je peux me lancer avec lui, si nous pouvons reprendre où nous nous étions arrêtés.

     Je pense que nous d’en engendrer un nouveau, qu’en penses-tu ? Cela faisait des années que je n’étais pas venue et grâce à toi, je viens de redécouvrir ce palais des plaisirs.

     Tu exagères un peu, tu ne crois pas ? s’esclaffe André.

     Peut-être un peu, avouai-je, faussement piteuse.

Un silence complice s’installe tranquillement, ponctué toujours par les bruits de nos téléphones mais cette fois, nous n’y prêtons aucune attention. Nous sommes trop concentrés l’un sur l’autre, perdus dans nos pensées, plongés dans le passé ou l’avenir ?

     Enfin, finis-je par lancer, qu’as-tu prévu désormais ? Je ne pense pas que tu comptais uniquement m’emmener ici. Je pensais que tu voulais me parler, lui rappelai-je, mon cœur battant la chamade.

     Tu as raison, approuve-t-il, mais des oreilles indiscrètes pourraient nous entendre ici. Que penses-tu d’aller chez moi ? propose-t-il en se levant et me tendant déjà la main.

Je le suis hors du restaurant et me laisse guider vers son véhicule. Lorsque je me glisse sur le siège passager, mon rythme cardiaque ne s’est pas apaisé, loin de là et je sens une douce chaleur se répandre dans mon corps.

Aller chez lui ? Est-ce vraiment une bonne idée ? Arriverons-nous à avoir une conversation alors que tant de tensions électrisent l’air entre nous ? 

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