Mea-culpa

Write by Farida IB



Yumna…


Papa haussant le ton : assois-toi, je te dis !!


S’il pouvait seulement savoir jusqu’à quel point je suis tétanisée en ce moment.  Rien que le fait qu’il m’appelle par son pseudo en dit long sur les minutes qui suivront. Je commence à marmonner dans une langue que moi-même, je ne maîtrise pas trop. 


Moi : papa euh, je… I te présente, enfin je te présence… Je… Euh…


Papa fermement : tu arrêtes de niaiser et tu t’assois !!


Je vous dis pas la manière dont j'ai d’un coup retrouvé l’énergie requise pour parcourir les deux centimètres qui me séparaient de la chaise en question. Assise coincée là-dedans pourtant malgré qu'elle fait deux fois la largeur de mes fesses, mon visage accueille une enveloppe timbrée d’une blancheur terne. L'enveloppe retombe aussitôt sur le sol laissant flotter trois photos dans sa chute, il n’en fallait pas plus pour me faire faire un infarctus. Je regarde les images complètement effarée. Je les regarde assez longtemps pour les enregistrer dans ma tête en gambergeant sur l’alchimie par laquelle il les a obtenues. 


Papa : qu’est-ce que c’est que ça ?


Moi (sortant de ma torpeur) : où les as-tu trouvés ?


Papa la voix dangereusement calme : tu réponds à mes interrogations par d’autres, je dis bien une seule et tu sauras pourquoi le ciel se colore en rouge souvent. Je répète, qu’est-ce que c’est que ça ?


Moi la voix enrouillée : des photos papa.


Papa ton rageur : je vois bien que ce sont des photos, ne prend pas pour un con Cheikha. 


Moi :…


Papa (tapant sur la table du bureau) : tu vas parler oui ?


Je sursaute la tête baissée. Lorsque je la relève enfin, il garde son visage impassible devant les larmes qui se sont mises à perler sur mes joues. Il faut dire que j’ai la larme trop facile et dans ce genre de situation encore plus.


Papa ton égal : si tu finis de pleurnicher, tu réponds à ma question.


Moi (pleurant franchement) : c’est, c’est, c’était mon petit ami.


Il me fixe et je peux lire une colère à peine voilée dans ses yeux qui virevoltent ensuite entre dégoût et déception. Je commence vraiment à baliser lorsque j’avise le noir profond de son iris, signe que sa colère a atteint son paroxysme.


Moi : papa, je suis désolée.


Papa voix posée, mais tendue : tu es désolée ? Désolée pour quoi en fait ? D’avoir mis ma patience à rude épreuve en sortant avec un Américain ? (moue de dégoût) Ces gens-là qui ont tué Oussama Ben Laden ? Cheikha, désolée que tu utilises (se tapant le torse) mon argent, le fruit de mon dur labeur censé t’aider à t’épanouir dans les études pour entretenir un vaurien ? Ou est-ce que tu es désolée de m’avoir pris pour un jambon ? Hein Cheikha ? De quoi es-tu désolée.


Moi : sniff de tout papa.


Papa cinglant : non, tu n’es pas du tout désolée. Tu allais avoir pitié de toi-même en évitant de t’enticher d’un imbécile de son acabit. (élevant la voix) Mais qu’est-ce qui t’est passée par la tête !? J’ai l’impression que tu cherches à me défier, n’est-ce pas que tu veux suivre le même chemin que ton frère aîné ?


Moi sanglotant : je ne te défie pas, je te jure que je ne te défie pas.


Papa : oh que si jeune fille. Tu as toujours été la plus exemplaire, tu n’as jamais rien fait pour m’irriter et voilà qu’aujourd’hui, tu tentes de m’apprendre à faire la grimace. Tu pensais peut-être que j’allais t’envoyer étudier à l’autre bout du monde sans pour autant garder un œil sur toi ? On dirait bien que tu m'as sous-estimé sur ce point. 


Moi me mettant à genou : c’était Sheitan papa, il m’a induit en erreur.


Il part d’un rire nerveux.


Papa : laisse Satan en dehors de cette histoire Cheikha, laisse Satan où il est !! Tu as fini le coran à dix ans, je suppose que tu maîtrises les sourates pour le combattre. Cheikha comme ton prénom l'indique, je pensais avoir eu la chance de t’avoir donné la vie après Ussama. Je pensais vraiment que tu en valais la peine, j’étais tellement fière de toi si tu savais. Tu as eu le bac à 15 ans, à l’université là-bas, tes notes sont toujours bonnes. Tu es entreprenante, tu as le physique et la carrure d’une bonne femme au foyer. Je n’ai jamais envisagé t’imposer un homme, mais le moins que tu pouvais faire, c’est de me ramener d’abord un musulman ensuite attendre le mariage pour connaître le sexe.


Moi calmement : j’ignore même ce que c'est.


Il me lance un regard noir qui m'intime l'ordre de me taire.


Moi : je te jure que je suis toujours vierge, on peut voir un médecin s’il le faut pour vérifier.


Papa : ça ne change rien, absolument rien. Tu sais ce que ça fait d’apprendre que sa fille fait virer l’intégralité de l’argent que tu lui donne à un sale con ? Surement que non. (ton rageur) En fait ton frère et toi, vous vous êtes donné le mot pour salir ma réputation, lui en tant que bellâtre et toi à l'image d'une pute.


Je perçois sa phrase comme un véritable coup de massue et affaisse mes épaules. Une pute ? Il n’y va pas un peu fort là ?


Papa : cesse de me lancer ce regard désapprobateur, je pèse bien mes mots. Une relation qui n’a pas pour but d’aboutir au mariage, c’est de la prostitution point. Et tu ne vas pas oser me dire que tu comptais parachever cette (geste brusque de la main) Idylle dans ma maison.


Moi lui avouant : pas du tout papa, ça fait un bon moment que j’ai mis fin à cette relation. C’est lui qui me harcèle à présent. Je peux t’assurer que je n’étais pas portée sur ce genre de chose, j’avais simplement voulu faire comme les autres. Et j’ai tôt fait de regretter cette décision, crois-moi papa, je préfère faire mes études à la bien pour faire ta fierté comme toujours.


Il me jette un coup d’œil avant de reprendre.


Papa : Yumna, ai-je l’air d’un con ?


Mâcha Allah il m'appelle par mon prénom, au moins je sortirai d’ici vivante.


Moi secouant vigoureusement la tête : non papa.


Papa : alors pourquoi veux-tu prétendre le contraire ?


Moi : je ne prétends rien, je te jure que c’est la vérité.


Papa criant : arrête de jurer sur le mensonge !! Arrête de me mentir en me fixant droit dans les yeux. Ces photos sont prises, il y a seulement deux jours lorsque tu sortais de la banque avec lui. Lorsqu’il t’a lâchement abandonné devant la structure parce qu’il n’avait pas eu gain de cause.


Ma vie ! Même la CIA, le FBI, la DIA, la DSS tout ça réunis n’ont pas encore atteint ce niveau-là.


Moi répétant : il me harcèle papa. Je promets de trouver une solution radicale pour m'éloigner de lui à mon retour.


Papa trop zen : parce que tu penses que je t’ai ramené manu militari à Abu-Dhabi  pour te laisser repartir dans ce foutoir ? 


Moi arquant le sourcil : qu’est-ce que tu sous-entend par là papa ?


Papa : ça veut dire que l’Amérique, c’est fini pour toi ! Mon statut me permet de m’occuper relativement de toi jusqu’à ce que tu trouves un homme qui veuille bien t’épouser. De toute façon, je n'avais toujours pas à digérer cette idée que tu partes étudier à l’étranger, tu l’as voulu et ton imbécile de frère t’a cautionné. Et qu'il s'est avéré que vous faites la paire, voilà où nous en sommes. Tu restes ici, tu es une femme. Tu n’as pas besoin d’étudier encore moins de travailler pour t'épanouir dans la vie. 


Moi : non papa, pas ça s’il te plaît. Je ne peux pas, je ne veux pas finir comme ces filles sans ambition qui courent nos rues ici à Abu-Dhabi. 


Papa : elles ont au moins une vie décente.


Moi haussant le ton : dans quoi ? (soupire.) Je ne peux pas papa, je ne peux pas arrêter mes études. Pas maintenant que je suis presque à la fin.


Papa égal : il fallait y penser avant de te lancer dans cette vie de débauche. (sur un ton se voulant railleur) Etant donné que tu as voulu faire comme tes camarades filles de là-bas, je ferai comme mes collègues pères d’ici. 


Moi en pleurs : papa, je t’en prie laisse-moi finir mes études, j’ai travaillé corps et âme pour réussir. (Sniff) Je ne peux pas balayer six années de ma vie comme ça, pas maintenant que je suis sur le point d'atteindre mon objectif.


Papa : Yumna, j’en ai fini avec toi, tu peux disposer.


Moi l’implorant : je vais me séparer de lui, je vais le faire. C’est la première des choses que je ferai à ma descente d’avion.


Papa : jeune fille j’ai été assez patient avec toi, si tu ne veux pas me faire perdre cette patience, tu ferais mieux de sortir d’ici.


Moi (genou à terre les mains jointes en l’air) : papa s’il te plaît


Papa criant : je te dis de sortir !!


Moi persistant : tu peux ne plus m’envoyer de l’argent (sanglots) je suis prête à écurer les toilettes s’il le faut papa. Je t’en supplie laisse moi partir. 


Papa (criant de plus belle) : hors de ma vue Yumna ! Va-t-en !!


Je sors de là avec une dextérité olympique pour retrouver les autres devant la porte. Ils écoutaient sûrement aux portes. Je me jette dans les bras de maman en pleurant toutes les larmes de mon corps.


Moi : maman dis lui s’il te plaît, dis lui de me laisser partir.


Elle soupire.


Moi désespérément : Khalil dis le lui toi aussi (me tournant vers Ussama) parles-lui s'il te plaît. Aidez-moi à lui faire comprendre. Je ne l’ai pas fait exprès, je vous le jure.


Ils me prennent tous dans leur bras pendant que maman m’étreint fortement. Nous restons ainsi un moment avant d’entendre la porte du bureau s’ouvrir.


Papa ton péremptoire : je ne veux voir personne dans ce couloir d’ici les trente prochaines secondes.


Maman : Al-Amine…


Papa (le coupant net en hurlant) : dans vos appartements, j’ai dit !!!


On fonce dans les escaliers sans rechigner puis chacun prend la direction de chez lui. De loin, on l’entend encore vociférer.


Maman : est-ce que tu as besoin de terroriser les enfants pour obtenir gain de cause ?


Papa criant sur elle : toi, la ferme !!


Je ferme la porte de mon appartement à clé et fonce dans ma chambre avant de m’allonger sur le lit en pleurs. Je suis hyper en colère et en même temps, j’ai tellement mal. Je repasse en boucle mon scénario de vie ces six dernières années. J’ai trimé dans le grand froid hivernal, je me suis privée de sommeil un nombre interminable de fois, j'ai balancé ma vie sociale aux archives , pour être obligée d'y mettre fin presque à la fin. Ça parait banal pour mon père puisqu’il a simplement financé sans s’être impliqué de près ou de loin donc il n’a aucune idée de tout ce que j’ai dû traverser pour maintenir le flow jusqu’ici. 


Je me saisis d’un coussin que je presse très fort contre mon visage pour étouffer mes sanglots. Si seulement mon Dieu, si seulement !! Je sais que l’heure n’est plus au regret, cependant si j’en avais la possibilité, j’aurais voulu que tout ceci ne soit qu’un vil cauchemar encore que ça l’est vraiment. Je n’aurais jamais dû m’aventurer sur ce terrain glissant connaissant mon père. C’est d’ailleurs la décision la plus stupide que j’ai prise de toute ma vie, et ce, simplement pour complaire aux autres à la fac. En plus, je n'ai pu profiter des joies d'une vraie relation qu'un laps de temps, ensuite, c’est devenue le pire cauchemar de ma vie.


Je ne connaissais pas grande chose sur l'amour, encore moins sur les relations. Mon modèle de couple n’était autre que celui de mes parents et il faut que je le dise, je n’en ai gardé rien de bon. J’ai grandi avec la croyance que le mariage avilit les femmes et les rend vulnérables aux yeux des hommes. D’autant plus que les événements extérieurs observés au fil des années n’ont fait que renforcer cette croyance. Car dans la pratique, l’homme a le droit de vie et de mort sur sa femme. Elle se doit de se taire et de ne surtout pas contredire son mari. À cela, s’ajoute l’aspect le plus redoutable qui est d’éviter de s’exprimer, d’exprimer ses émotions aussi bien que ses sentiments au risque de se prendre une bonne baffe. Tout cela au nom de ce versé dans le coran qui stipule que "L'homme a une prééminence sur la femme" !! 


C’est pour cela que j’ai tôt fait de déterminer et de prioriser mes valeurs personnelles. J’avais la ferme conviction de renverser les tendances. Pas le genre féministe, simplement une femme indépendante, vertueuse et soumise à l’instar de ma mère. Toutefois une soumission basée sur le respect et la liberté d’expression en bref une soumission non asservissante. Je voudrais pouvoir avoir mon mot à dire dans mon couple parce que  selon moi nous sommes tous égaux devant Dieu.


Cela dit, force est de constater que la société peut se montrer tellement persécutante au point de t’amener à transgresser tes propres convictions. Avant mon bac, je pouvais encore préserver ces valeurs grâce à la bulle dans laquelle m’avait enfermé le daron, mais une fois loin, cela fut une lutte sans fin. J’étais ballotée entre l’envie redondante de préserver mes valeurs et la pression de céder à la vindicte populaire. Autant dire que j’étais souvent exposé à la raillerie des autres, et même de celles que j’appelais « copines ». J'étais la guigne, souvent indexée comme la fille coincée, ennuyante,  celle qui n’est pas dans le mouv’. En bref, toutes ces paroles désobligeantes et acerbes qui ont fini par me plonger dans un état dépressif.


Et c’est là qu’est intervenu, Walter. Au début, il m’avait redonné goût à la vie. Il était tellement sympathique et réservé, ensuite, il s’est révélé être pire que les hommes de chez moi. Ça m’a pris deux années pour pouvoir accepter que j’ai en réalité affaire à un pervers narcissique. Je n’ai jamais voulu m’en persuader malgré qu’il fût inconstant, d’une jalousie maladive, d’un extrême égoïsme et ne reconnaissait jamais ses torts. J’étais toujours responsable de ce qui lui arrivait de mauvais ou de bon. C’est fou ce qu’il arrivait à me faire culpabiliser lorsque je refusais de lui rendre tout le contenu de mon compte en banque, ou faire preuve de violence   quand je  réfute ses commandes de joints. Parce que oui, il est également addict à la nicotine en plus d'avoir des tendances suicidaires. Je subis ses assauts depuis le temps sans savoir comment m’en défaire. Le sexe est le seul point sur lequel j’arrive à lui tenir tête au prix d’un tel gadget ou tel objet coûteux. Sa dernière tentative, c’était il y a deux semaines où j’ai dû échangé le dernier IPhone sur le marché avec le reste de mes économies contre un semblant de paix avant que ça 'e reprenne de plus bel. La période de disette qui a suivi ce moment là m’a fait prendre conscience qu’il fallait m’en débarrasser coûte que coûte. Je n'ai eu le courage d'en parler à ma famille parce que je pensais pouvoir m'en sortir toute seule. J'ai néanmoins tenu informé Ussama et maman  de son existence, mais pas de ses troubles de personnalité. Je craignais que ça s’ébruite et que ça finisse comme actuellement en faisant abstraction de la détermination de mon père à garder un œil attentif sur ses investissements.


Je finis par me calmer et me laisse bercer dans les bras de Morphée. Le lendemain, je suis réveillée par le défilé de maman et ses fils devant ma porte. C’est Khalil qui finit par ouvrir avec le double des clés.


Khalil entrant dans la chambre : bonjour princesse.


Je me redresse péniblement avant de lui faire un sourire faible.


Khalil : ça va ?


Je hoche la tête en repliant un genou sur l’autre.


Khalil brusque : c’est qui ce Schlag (mec cradingue) ?


Je prend d'abord une grande inspiration. Au fait, Khalil, c'est l'hybride parfait de ses parents. Il est tout autant strict que papa et peut en même temps faire preuve d'une douceur indéniable à l'exemple de maman. Là il est venu faire sa part de représailles au lieu de se contenter de compatir. (soupir) Je n’ai du tout pas envie de subir un autre tour de colère, mais son regard appuyé m’oblige à parler.


Moi soupire lasse : je l’ai connu à l’université.


Khalil : ce n’est pas ce qui m’intéresse, je veux son nom, son adresse, son numéro de sécurité sociale. Je veux tout savoir sur lui, jusqu’au nombre de fois où il va aux toilettes par jour. 


Sa dernière phrase me fait sourire, ce qui a le don de le faire sortir de ses gongs.


Khalil sur un ton de reproche : tu souris ? Tu penses qu’il y a matière à sourire là ? Ça porte à croire que tu ne te rends pas compte de l’ampleur de la situation. Tu penses un peu à toutes ses années que tu es sur le point de gaspiller ? Je t'ai demandé si tu n'avais pas un cadavre dans ton placard, tu m'as donné quoi comme réponse ?


Moi : ...


Khalil ton menaçant : réponds moi quand je te parle !!


Moi : que je n'avais rien fait.


Khalil se mettant en colère : donc si je comprends bien, hier soir, tu voulais me vendre aux rabais à ton père. (non d la tête) J'aurais eu l'air de quoi avec la version que tu m'as donné ? J'étais prêt à te défendre bec et ongles devant papa alors que toi, tu te foutais clairement de ma gueule !! Ma vie ! Yumna, je t’aurais donné Dieu sans confession. Je te faisais aveuglément confiance, je...


Moi lui coupant la parole : Khalil, je n’ai rien fait !


Khalil voix rauque de colère : tu n’as pas fait quoi ? Tu ne refiles pas tout ton argent à cet pingouin selon les informations de papa ? Tu ne lui paies pas des gadgets coûteux ? Je parie que l’IPhone dont tu parlais l’autre fois lui était destiné. Depuis que tu es là, je ne te vois qu'utiliser la même tablette que je t’ai toujours connu. (hurlant) Bon sang qu’est-ce qui t’es passée par la tête ? Je t'ai connu plus intelligente et plus mature que l'idiote que cette historique fait de toi. Alors qu’est-ce qui n’a pas marché ?


Je baisse la tête pendant que maman et Ussama font leur entrée.


Maman : qu’est-ce qui se passe ici ? Khalil, ce n’est pas ce dont elle a besoin en ce moment, je pense qu’elle a déjà eu sa dose de remontrances.


Khalil soupirant : maman s’il te plaît, laisse-moi régler cette histoire à ma manière. Tu vois déjà où nous as mené ta lassitude envers elle, tu es toujours en train de cautionner ses bêtises. Voilà, dans quel pétrin elle nous met. Il n’y a pas que papa qui a dépensé son énergie et son argent pour qu’elle aille au bout de ses rêves. J’ai tant investi pour elle, je me suis porté garant à chaque fois que papa voulait se désister. Non seulement, j’ai dû faire une intervention de force pour qu’il la laisse partir à l’étranger, et tout ça pourquoi ? (criant) Tout ça pour que tu ailles te laisser berner par un sale gigolo. (soupir frustré) Celui là a même la chance que j’ai des problèmes avec papa en ce moment, il aurait su aujourd’hui même que tu es issue d’une famille de détraqué. 


Moi les yeux bernés de larmes : je te jure que je n’en suis pour rien dans cette histoire.


Khalil hurlant de plus belle : tu veux dire que papa ment, c’est ça ?


Je sursaute.


Maman : Khalil calme-toi.


Khalil piqué au vif : je ne peux pas me calmer dans une pareille situation. Non pas toi Yumna, tout le monde sauf toi !!


Il tape son point dans le mur, on lui lance tous un regard paniqué.


Moi pleurant : je n’ai rien fait, du moins pas sciemment. Je… Il m’obligeait à le faire…


Je me mets à leur raconter, au fur et mesure leurs visages passent par toutes sortes d’émotion. Maman s’est effondrée sur le sol et pleure en silence, Ussama me regarde d’un air compatissant. Khalil reste statique et neutre, ses iris ont viré au noir profond (le fils à papa). Avant de conclure, j’étais vraiment en émoi, car je redoutais sa réaction.



Khalil…


J’écoute le récit de ma sœur et je sens la température montée en moi. Tout mon être est embrasé d’une colère sourde. J’ai une soudaine envie de meurtre, mais je me retiens d’étrangler Yumna à la place. Comment a-t-elle pu se taire sur une chose aussi grave ? Aussi, loin, que je me souvienne, elle a toujours été extravertie, on partage presque tout donc je ne lui trouve aucune excuse pour garder un tel secret enfoui dans son cœur. Des hommes manipulateurs et narcissiques du genre de son Walter machintruc méritent juste d’être découpés en petits morceaux ensuite éparpillés dans différents sacs pour être jetés à la mer. La prison ou l’hôpital psychiatrique seraient trop leur faire plaisir. 


À la fin de son récit, j’enfonce un autre poing dans le mur sous le regard apeuré de maman. Elle se mord la lèvre pour éviter de commenter.


Ussama : cheh ! C’est ta faute Yumna. Je t’ai prévenu, je t’ai dit que ce garçon ne m’inspirait pas confiance.


Je le regarde incrédule et me tourne vers Yumna qui baisse instinctivement la tête.


Moi bégayant de colère en m’adressant à Ussama : tu… Tu savais pour ce forcené ?


Il détourne son regard du mien.


Moi à Yumna : tu as parlé de ça à Ussama ?


Yumna hochant la tête avec nonchalance : je leur ai parlé de lui, mais je n’ai jamais pu leur révéler la vérité sur la façon dont il me traite.


Moi la fixant avec mépris : et selon toi ça allait arranger la situation n’est-ce pas ?


Yumna triturant ses doigts : je… Je pensais pouvoir m’en sortir toute seule.


Moi : parce que tu es fille unique de cette famille ? Nous comptons pour toi que lorsqu’il s’agit de nous extorquer pour ravitailler ton type, c’est bien ça ? 


Yumna l’air confuse : je n’ai jamais dit ça !


Khalil : c’est ce que ça sous-entend, et puisque nous comptons que pour du beurre (regard en biais vers les autres) autant pour moi, puisque JE compte pour du beurre, tu vas rester là et regarder ta vie défiler. Sans études, sans travail, sans la liberté et l’indépendance que tu as tant réclamé avec véhémence et ténacité.


Je leur tourne le dos et sors de la chambre en faisant fi du regard implorant de maman. Je me mets ensuite au volant dans l’intention de me rendre à l’agence. Jusque-là, je n’ai pas encore statué sur la décision de papa, je trouve qu’il n’y a même pas matière à statuer là-dessus. Qu’est-ce que j’irai chercher dans un trou pareil ? J’ai passé les deux derniers jours à faire des recherches sur ce pays et je n’ai rien trouvé d’intéressant en dehors du climat tropicale et tempéré qui change de la perpétuelle canicule d’Abu-Dhabi. Il pouvait m’envoyer en Tchétchénie ou au pôle Nord s’il le voulait, mais l’Afrique ? Hmmm, mieux je me garde de faire tout commentaire.


Je conduis en ruminant tout ça dans ma tête jusqu’au tournant d’Al Bery (centre-ville) mais au lieu de foncer vers l’agence, je prends le chemin inverse. À trente kilomètres, plus loin, je passe le portail de la Ferrari World et me dirige ensuite vers l'accueil pour me prendre un billet d’entrée avant de pénétrer le parc très heureux du peu d’affluence sur les lieux. J'opte par la suite pour le  Formula Rossa et démarre sur des chapeaux de roue. En cinq secondes, je passe les 250 Km/h en déversant toute ma rage, ma déception et ma frustration dans la vitesses.


J’ai la rage contre papa et je suis déçu de Yumna. En outre, dire qu’elle m’ait déçu est peu dire. Je pensais être le grand frère idéal pour elle, bien que je ne sois pas le plus exemplaire. L’épaule sur laquelle elle pouvait s’appuyer en toutes circonstances, du moins c’est ce que je pensais parce qu’en dépit de tout, j’ai toujours été présent pour mes frères. Je suis capable du pire pour eux. Pour ma famille, je serai prêt à payer au prix de ma vie s’il le faut. Ils le savent tous, elle encore plus particulièrement. C’est pour cela que j’ai du mal à comprendre cette soudaine discrimination.


En fait, cette histoire dénote clairement que j’ai raté mon rôle de grand frère. La situation aurait pu dégénérer si papa n’avait pas été aussi vigilant, et ça normalement, c’était mon rôle. C’est en réalité ce qui me frustre en ce moment. Non parce que c’est papa qui ait découvert le pot aux roses, mais parce que je me rends compte avec amertume que je passe à côté de l’essentiel à force d’être trop obnubilé par le bras de fer avec papa (soupire.)


Je me gare sur le bas côté de la voie  à 1000 Km plus loin, et me met à cogiter sur la bonne manière de pallier à tout ce bordel, la tête posée sur le volant.


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