Mirage
Write by EdnaYamba
Alice MOUSSAVOU
Assise sur le long banc inconfortable de la salle d’attente
du service de gynécologie de l’hôpital Général, Je regarde la longue file de femmes,
tous âges confondus, qui comme moi, attendent d’être reçues par le Docteur
BEKALE. Ce dernier prend pourtant de l’âge, comme le montrent ses cheveux qui
se grisent de plus en plus avec le temps, mais aucune femme de la ville, ne
semble être prête à le voir prendre sa retraite. C’est l’un des meilleurs
gynécologues de la ville et l’un des plus prisés du fait de ses résultats
probants.
Comme à chaque rendez-vous, la salle d’attente est remplie
de femmes discutant les unes avec les autres sur leurs éventuels motifs de
consultation, d’autres s’étendent même en parlant de sujets personnels, ou de
faits d’actualités afin de faire passer le temps. Le temps semble long,
d’autant plus que le gynécologue aime prendre du temps avec chaque patiente. Je
regrette de n’être pas arrivée plus tôt, maintenant il faut attendre. Je serais
bien rentrée chez moi, d’autant plus que je ne supporte pas l’odeur âcre du
glycérol qui provient de la salle des hospitalisations située à quelques mètres
de celles des consultations. Mais ça fait un moment déjà que j’ai repoussé ces
entrevues avec le médecin et mon mari ne sera pas très content d’apprendre que
j’ai encore raté un rendez-vous.
Soupirant, je fais sortir de mon sac, le roman dont j’ai
entamé la lecture quand j’aperçois un jeune homme en blouse blanche, un interne
certainement. À son passage, quelques jeunes femmes s’arrêtent de parler pour
l’admirer. Il a de l’allure dans sa blouse blanche. La scène me fait sourire car elle me rappelle
qu’il y a deux ans, assise sur ce banc, mon regard venait de s’accrocher à un
autre.
Une période dont je me rappelle avec sourire. D’ailleurs,
je la surnomme les vacances de l’amour, intitulé digne d’un Soap opéra ou d’une
série française des années 90. Je passe en revue les femmes venues avant moi,
il y en a treize. J’aurai au moins le temps de me remémorer ces souvenirs.
2 ans
plus tôt
-
Chérie, crie Madame Moussavou, il faut que tu
ailles à l’hôpital. Cette douleur que tu as ressentie hier là nous a inquiété
ton père et moi.
-
Maman, c’était trois fois rien, vous n’avez pas
à vous inquiéter.
-
C’est sans appel Mlle Moussavou. On a appelé le
Dr BEKALE et il consulte aujourd’hui. Prends une douche et je te dépose à l’hôpital.
Bien que je sache qu’il n’y a plus de raison pour mes
parents de s’inquiéter, Je savais aussi que je ne pourrais pas rassurer ces
derniers.
Je suis la fille unique de Pierre Martin et Jacqueline
Moussavou, de qui j’obtiens généralement tout ce que je désire, de mon père
surtout. Il cède à tous mes caprices, ma mère par contre est un peu plus
difficile à amadouer.
Cependant depuis l’enfance, ils veillent à me protéger comme
un trésor précieux. J’ai vingt-quatre ans déjà et je vis désormais seule à
Accra où je poursuis mes études de Gestion d’entreprises. Néanmoins, chaque
fois qu’elle rentre en vacances, ils me surprotègent, et me couvre d’un trop
plein d’amour. J’ai grandi avec beaucoup de restrictions, Ne fais pas ci Alice, tu pourrais te blesser, et à la moindre petite
égratignure, on m’emmenait directement à l’hôpital. C’était parfois si
étouffant que j’ai souvent désiré avoir une sœur ou un frère avec qui se
partager tout cet amour. Heureusement, depuis quelques années, Marina, la nièce
préférée de mon père, fille de sa sœur morte assassinée, des années auparavant,
vit avec eux. Nous nous partageons depuis lors l’amour des parents.
C’est au CHU de Libreville anciennement Hôpital Général de
Libreville que ma mère me dépose. Alors que je m’avance pour chercher le
service de Gynécologie, je remarque que ce qui n’a changé ici depuis sa
nouvelle appellation, n’est que le nom. Les bâtiments étaient les mêmes,
L’accueil n’avait pas changé, c’est auprès d’une femme acariâtre que j’apprends
que la consultation d’urgence coûte 20.000FCFA et que si je veux un
rendez-vous, le mois est plein.
Le prochain rendez-vous le plus proche ne serait disponible
que pour le mois prochain.
Le seul avantage que j’obtiens de la consultation
d’urgence, c’est d’être reçue avant celles qui avaient pris un rendez-vous. Cependant,
J’ai le numéro 10 . Trouvant une place sur le long banc placé pour nous, je
fais sortir un roman dont j’ai entamé la lecture, avant toi de Jojo MOYES. L’adaptation
cinématographique est sortie récemment mais je préfère toujours lire le roman
avant de suivre le film pour ne pas perdre l’idée originale de l’auteur et voir
ce qu’un film d’une heure ou deux ne peut pas montrer.
Plongée dans l’histoire d’amour naissante de Louisa Clark
et William Traynor, j’essaye de faire fi des bruits de bavardages des patientes
ou des hospitalisés à quelques mètres qui crient de douleurs quand un parfum m’attire.
Un mélange de senteurs aromatiques titille mon odorat, Je relève doucement la tête,
je lève mes yeux et mon regard s’agrippe au sien. Le marron de mes yeux
rencontre le sien. Mon cœur se met à battre comme sous l’impulsion du rythme
d’une danse folle d’un sorcier indien exécutant la danse de la pluie, devant le
jeune homme au teint mat, et aux traits exquis, d’à peu près 1m70 qui se tient
à quelques mètres de moi.
L’intense marron des yeux du jeune médecin me fixe, me déstabilisant,
je baisse aussitôt mon regard, troublée. Essayant de me concentrer sur le
chapitre que je lis, j’espère que mon cœur reprenne une cadence normale, mais
le visage du jeune inconnu semble s’être niché dans mes pensées.
L’odeur se disperse…. Il est parti. Je me demande si tout comme dans les publicités
de parfum pour homme, je vais le suivre
partout. Ce que je viens de vivre ressemble bonnement à un coup de foudre. Ce
n’est pas possible, je suis en couple et j’aime Anthony. Mais à peine y pensé-je,
que je n’en suis plus sûre. Notre relation tendue de ces derniers mois ne me
rassure pas. Mais pourquoi remettais-je tout en question subitement ?
J’ai toujours eu un odorat assez développé, mais je n’ai
jamais pensé que ça m’amènerait à quelques secondes de folie.
J’ai du mal à remettre dès l’ordre dans mes pensées jusqu’à
ce que je rentre dans le bureau du Docteur. C’est un cinquantenaire aux cheveux grisonnants
qui me reçoit avec toute son amabilité, il a dû être un bel homme dans sa
jeunesse. Il me gratifie de son sourire charmeur que je le soupçonne bientôt
d’avoir charmé ses patientes avec cet atout. Après un interrogatoire concis et
clair, il m’examine et me donna un bon d’examen après m’avoir rassurée sur mon
état de santé. Une nouvelle qui va rassurer mes parents.
Il est 18h quand je sors du bureau du Docteur BEKALE, alors
que je vais attendre ma mère à l’entrée de l’hôpital, je me mets à espérer
revoir le jeune médecin de tout à l’heure. Mais aucune trace de ce dernier. Ce
n’est au final pas grave, ça devrait m’aider à comprendre qu’il ne s’agit qu’un
mirage. Pourtant, je reste troublée au point de ne pas écouter les histoires
que me raconte ma mère tout au long du trajet vers la maison. Pourtant, j’ai toujours
été friande des ragots qu’on appelle communément KONGOSSA.
J’ai la sensation d’être passée à côté de quelque chose.
(…)
-
Anthony je ne comprends pas ce que tu veux
dire ? dis-je à celui qui partageait
ma vie depuis bientôt 2 ans.
-
Ce que je veux dire c’est que pour l’instant je
ne peux pas te dire comment mais j’aurais l’argent.
-
Non mais tu es sérieux là ? Nous sommes en
couple Anthony ça veut dire qu’on doit tout se dire mais tu passes ton temps à
faire des cachotteries !
-
Alice je ne peux pas te dire, c’est tout !
-
Ok !
Je raccroche, remontée. Je ne supporte plus les cachoteries
de mon fiancé. Dans une relation, les deux partenaires sont supposés tout se
livrer, mais il fait des mystères sur tout ce qui le concerne. Je ne sais
jamais rien des projets qu’il entreprend, et quand il daigne me donner quelques
informations, ce n’est jamais en totalité. Notre relation va de mal en pis.
Pourtant, ça n’a pas toujours été comme ça. C’étaient nos conversations qui m’avaient
fait tomber amoureuse de lui. Nous passions des heures au téléphone à tout se
dire, à se confier nos rêves et projets. Une fois en couple, rien n’était plus
pareil. Nous ne faisions plus rien ensemble, et passions notre temps à nous disputer.
-
Encore une dispute ? me demande Marina en me
trouvant la mine boudeuse sur le lit
-
Je n’arrive vraiment pas à comprendre Anthony
je vais rompre ! lui confié-je.
-
Ne te précipite pas Alice ! je pense que
vous devez discuter, tu l’aimes oui ou non ?
-
Je t’avoue que je ne sais plus !
-
Hummm, écris-lui ! on ne dort pas fâchée
avec son amoureux ! je vais à la cuisine !
Ma cousine a certainement raison. Tous les couples traversent
des crises, J’espère que le nôtre survivra. Ce serait tellement dommage de jeter
aux ordures tout ce que nous avons construit en 2 ans.
Soupirant, je prends mon téléphone et j’écris un message à
Anthony.
« Je te comprends Anthony quoiqu’ il arrive je te
soutiens, jtm »
Ce je t’aime, abrégé est tellement peu convaincant.