Mon calvaire : partie 9

Write by Ibtissem

Mon calvaire : partie 9

Il était 5 h du matin quand je reçus l’appel de Alif… je refusais de décrocher, il avait envoyé plus de 150 messages la nuit avec des mots attendrissants ainsi que les plans pour faire partir la grossesse.

Il allait prendre le 4X4 de son père et me faire parvenir à Ouaga en compagnie d’une de ses amies d’enfance.

Elle connaissait tous ces rouages pour avoir avortée au moins une dizaine de fois, il n’attendait que mon aval pour quitter à tout moment.

Je refusais cette idée, mon cœur agonisait, mais quand je pensais encore à ma mère, à hafsat , à la famille, une autre voix me disait de ne pas garder cette grossesse.

Alif vint me voir à 7h30, il avait une barbe de 2 jours, les traits tirés, il stressait, dans un dernier effort il tenta encore de me réconforter :

Alif : bébé, tout ça est un cauchemar, d’ici 2 jours tu auras tout oublié, crois moi, fait ça pour nous stp. Je tiens à toi et je vais t’épouser, mais je veux que tu entres chez moi dignement

Moi : d’accord,

Alif qui ne s’attendait pas à cette réponse m’enlaça et lança : dès cette nuit si tu veux, je t’aide à faire ta valise

Il appela Mariza, une côtière camerounaise son amie d’enfance qui nous rejoignit à la maison, elle me raconta comment ça se passait et comment elle avait fait ses multiples avortements.

Je l’écoutais sidérée, c’était si banal pour elle, je n’arrivais pas à articuler un seul son. Puis vint enfin la nuit, j’informais les « Sembéne » que j’allais chez une amie pour 3 jours, un mensonge, ce que j’évitais de proférer toute ma vie.

Alif me remit une enveloppe d' un million 500 mille et me remit une carte de crédit qu’il pourrait approvisionner au besoin.

J’éclatais en même temps en pleurs en entrant dans le 4X4, dans ma tête c’était le grabuge total.

Tout le long du voyage, Mariza ne faisait que jacasser, Alif lui avait donné 500 mille pour son service et cela la faisait jubiler de bonheur, elle parlait de shopping. Elle pensait à ça alors que je m’apprêtais à tuer une vie, qui poussait en moi.

Hum…Comment a-t-elle fait pour en arriver là, insensible, matérialiste, sans âme, je me le demandais vraiment.

On avait quitté vers minuit, à 4H30 h du matin, on était déjà à Ouaga ville, je crois bien que le chauffeur faisait du 180 à l’heure.

Le premier coup de fil que je reçus fut celui de ma mère, elle me posa une question : es-tu sûre que tout va bien ma fille ? as-tu prié ? je lui mentis bien sûr.

Depuis cette fameuse nuit, je me sentais tellement sale que me prosterner devant Dieu était une honte pour moi , comment encore lui parler alors que je porte le poids d’un double péché ?

Elle me bénit et me demanda de ne pas hésiter à lui parler si le besoin me prenait. Elle savait , j’en étais sure , mais elle aurait souhaité que je lui en parle en premier certainement… Un sentiment de culpabilité m’envahit.

On arrivait à l’hôtel, pour se reposer, prendre une douche, petit déjeuner avant de partir pour la clinique, l’abattoir comme je le nommais.

L’heure grave arriva, Mariza me tenait la main car je manquais de tomber tellement que je tremblais et vomissais, je somatisais avant même d’arriver dans le bureau du docteur.

On le rencontra enfin, il me dévisageait de la tête aux pieds, sans état d’âme évaluable, j’avais des vertiges, on dirait que cet endroit provoquait tous les remous possibles en moi.

Il prit 500 mille pour l’opération, je devais être traitée comme une reine selon Mariza, sous anesthésie générale, il ne faudrait surtout pas que je souffre.

Je les écoutais débiter leurs âneries, j’étais fatiguée, je voulais que tout ça finisse une bonne fois pour toute.

On m’installa dans le bloc opératoire, la partie la plus difficile fit celle où je devais me déshabiller sous l’œil inquisiteur du docteur. Il me remit une robe d’hôpital avec une fente ouverte à l’arrière et un bonnet, comme dans les films.

Il m’installa sur le lit directement, il était assisté par 2 filles de salles et Mariza. Il décida de faire une échographie afin de voir comment se présentait la grossesse, une routine habituelle.

J’entendis soudainement un bruit, tel une horloge et il me dit, c’est le cœur de l’embryon. Tu veux entendre le tien comparé à celui-là ?

Je n’étais pas d’humeur à rigoler à cet instant. Bientôt les gouttes de sérum anesthésiant commencèrent à couler dans mes veines.

L’assistante interrompit le docteur en lui disant de bien regarder l’écran, il n’y avait pas un seul œuf, mais deux.

En attendant cela, je voulus arracher le sérum, il n’était pas question de détruire 2 vies en même temps, je ne pouvais tout simplement pas le concevoir.

Trop tard, ma tête vacillait, je voyais triple, mes forces me quittaient progressivement, je me débattais comme je pouvais mais Mariza et le docteur m’attrapèrent les bras pour me calmer et je sombrais aussitôt dans un sommeil comateux.

Qui avait dit qu’on dormait totalement après une anesthésie ? c’était totalement faux.

Dans mon sommeil je vis des personnes mortes me parler. Puis j’ai vu hafsat, debout, entrain de ricaner ; je descendais dans un tunnel sans fin, puis un labyrinthe, j’étais prise au piège, je voulais m’échapper mais des murs se dressèrent autour de moi de tout côté.

Un moment je me mis à genoux et commençait à implorer le pardon de Dieu en pleurant. Un homme transparent vint prendre ma main et me mit sur son dos pour m’amener jusqu’aux abords du tunnel ou je me tenais initialement.

Je revins alors à moi tout doucement, je commençais à percevoir des silhouettes, puis des voix, Mariza criait : Docteur , faites quelque chose, réveiller là svp, je ne veux pas avoir de problème avec son fiancé.

L’opération dura tout au plus 30 minutes semble-t-il , mais pour que j’ouvre les yeux, il avait fallu attendre 3h de temps.

Le docteur ne comprenait rien à mon état latent, pourtant il avait pratiqué plus de 200 cas d’avortement sans jamais rencontré une telle latence.

Quand je revins à moi, ils crièrent de soulagement, moi je n’avais plus de voix, j’étais tétanisée et abrutie par les sédatifs.

Je fus transférée dans une chambre spéciale, spacieuse et bien équipée. Je pouvais entendre Mariza parler au téléphone.

C’était Alif, elle lui disait dans les détails comment cela s’était passé. Il voulut me parler, elle me mit le téléphone aux oreilles, Alif hurlait pour que je lui réponde, mais rien, je n’avais plus de voix, je venais de commettre un double assassinat, j’attendais des jumeaux…

Pourrai-je un jour me le pardonner ?! je ne le pense pas.

La nuit fut très agitée, j’eus des cauchemars, je voyais des bébés partout qui me tenaient les pieds en pleurant pour que je les prenne dans mes bras… c’était déchirant, je me réveillais en pleurant.

Mariza, qui dormait à côté de moi ne comprenait pas cet état :

Mariza : Hayat , de grâce , calme toi, tu n’es pas la 1ere ni la dernière à avoir fait ce que tu as fait. C’était la meilleure chose à faire, crois-moi

Elle ne pouvait pas savoir comment le remord me déchirait au plus profond de moi, personne ne pourra de toute façon.

Le lendemain matin, les infirmières me donnèrent un bain chaud, mes larmes ne me quittaient pas.

Dès qu’elles essayaient de toucher mon intimité, je me mettais à crier de toute mon âme, ce qu’elles ne comprenaient pas naturellement.

On devait maintenant reprendre la route, tout se déroulait bien d’après le médecin, je portais une serviette hygiénique que je changeais toutes les 3 h jusqu’à arriver à Niamey.

Le chauffeur nous emmena directement chez Alif qui attendait comme un fou à tourner en rond, il me serra très fort , me prit le visage dans ses mains et m’embrassa en pleurant et en lançant : je suis désolé Hayat, pardon, pardon, pardon….il se mit à genoux et attrapa les miens, je restais de marbre, mes larmes coulaient tout au long de mes joues.

Je ne réagissais pas, je voulais dormir et ne plus me réveiller, plus rien n’avait de l’importance à ce moment précis.

Il me ramena à la maison et resta là à mon chevet jusqu’au petit matin, j’étais pâle, je refusais de m’alimenter, je somatisais rongée par les regrets et la peur de la main de Dieu.

Des jours passaient, je devais maintenant reprendre le boulot,j’étais devenue l’ombre de moi-même, rien ne m’ébranlait. Alif voulait retrouver la Hayat d’avant, c’était carrément impossible.

Il m’invita à sortir plusieurs fois, mais je refusais, pour moi m’amuser après ce qui venait de se passer était un manque de respect total envers Dieu, envers ces êtres que j’avais massacrés.

Alif commencait à sortir seul avec ses amis, il buvait plus qu’avant. Cette dernière sortie lui coûta chère cette nuit.

Ivre, il se laissa aller avec une fille de la haute société, qui lui courait après depuis des lustres, mais il ne la calculait pas à cause de moi. C’était la fille d’une personnalité du pays, un haut placé du gouvernement.

Il partit avec elle chez lui et ils couchèrent ensemble. Le lendemain matin réalisant ce qu’il avait fait, il était si mal qu’il se mit à divaguer, à boire encore plus.

Il vint chez moi , ivre et m’insulta, me pointant comme celle qui était responsable de ce qui lui arrivait. Il devenait un délinquant à cause de moi, car je refusais de le suivre.

Au bureau, J’étais dans mon coin plus triste que jamais, manquant la concentration requise pour faire mon boulot. Ma collègue hésitante, ayant aussi pitié de moi décida de me raconter ce qu’elle avait vu .

Elle était en boite et avait vu le spectacle entre Alif et Samiha (la fille), elle me détailla ce qu’elle avait vu et m’intima de me bouger si je ne voulais pas perdre mon gars.

Je me contentais de lui dire que je n’en pouvais plus, je n’avais plus envie de rien et je fondis en larmes.

Elle savait que quelque chose n’allait pas, elle me proposa alors de parler avec une de ses tantes, qui était psychologue. Ça se voyait clairement que je faisais une dépression.

J’acceptais difficilement de rencontrer qui que ce soit à ce moment. Bon gré, malgré, ma collègue réussit à m’amener là-bas à une descente.

La dame était super gentille avec moi, elle me mit en confiance afin que je puisse lui expliquer dans les détails ce qui me hantait.

Elle me laissa d’abord pleurer toutes les larmes de mon corps avant d’entamer les questions, elle me donna un verre d’alcool afin de calmer mes spasmes.

Ma tête commençait à tourner puis c’était la libération, je me déversais sans retenue, la culpabilité voulait me tuer. Elle me prit dans ses bras et me demanda de la regarder dans les yeux.

Elle m’avoua qu’elle-même fut violée dans sa jeunesse, elle aussi était tombée enceinte d’un inconnu et c’était pire, ils étaient 3 mais aujourd’hui , elle avait su se relever et apporter de l’aide à des filles qui en avaient besoin.

Ce fut un déclic chez moi, il y’avait pire que ce que j’avais vécu, mais cette femme m’avait l’air si forte, comment avait elle fait pour y arriver ? Et c’est ainsi que je commençais à la fréquenter, on devint très amies, elle était nettement plus âgée que moi, 15 ans d’écart, mais on était devenue vite très intimes, sa nièce ne sut jamais ce qui m’avait plongé dans cet état.

Deux mois passèrent , je reprenais confiance en moi, je me pardonnais progressivement, certaines nuits étaient difficiles, et je me droguais aux somnifères pour ne plus entendre les bébés pleurer.

Je devenais une femme, mes rondeurs s’affirmaient, ma poitrine grossissait à vue d’œil, je devins claire, en un mot les hormones avaient fait un bon travail sur moi.

Alif vint s’excuser de son comportement envers moi après 1 mois de distance prise avec moi. Il décida d’envoyer la dot chez moi. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne le croyais pas, quelque chose me disait que ça ne marchera pas.

J’avais raison, à deux semaines de la dot, il m’appela pour me dire de lui pardonner mais que le mariage ne saurait avoir lui, il savait qu’il me l’avait promis, et qu’il ne saurait me dire pourquoi.

Tout ce qui sortit de ma bouche était : puisse Dieu te guider et faire en sorte que celle que tu vas épouser te rende heureuse ! mais une chose Alif, la vie est un karma, si ta famille et toi vous m’avez fait du mal consciemment, sache que tu n’auras que des filles et on rendra sur elles tout ce que tu m’as fait subir.

Il raccrocha…

Au lieu de pleurer, je fus comme soulagée qu’il quitta enfin ma vie, c’était comme une délivrance. 
Je sus quelques temps par son ami qu’il avait épousé samiha qui était en fait tombée enceinte de lui. Vue qu’elle était de leur milieu, il fallait empêcher un scandale, c’était cela la raison de leur mariage.

Hum… vous savez quoi ? ça seulement je ne lui pardonnerai jamais, je n’y arrive pas.

Moi, il fallait que je m’en débarrasse parce qu’il fallait éviter un scandale, mais comme Samiha était la fille d’une personnalité politique, c’était le contraire, quelle ironie du sort.

Depuis cette déception je décidais tout bonnement de continuer ma vie, à travailler durement et à soutenir ma famille, je battis les records au bureau allant de promotion en promotion.

Je gagnais très bien ma vie, je faisais tout ce que ma mère désirait, après tout qui était plus important qu’elle ??
Je ne voulais plus d’hommes dans ma vie. Ils me dégouttaient tous.

J’eus plusieurs prétendants, mais aucun ne pût m’accrocher, pire quand je pensais qu’ils voulaient tous coucher avec moi, je ressentais une haine sans pareille qui les décontenançait, ils finissaient par partir me traitant de sauvage.

L’histoire me donna raison, Alif a eu 2 paires de jumelles, il a 4 filles aujourd’hui, il cherche désespérément à avoir un garçon, mais Dieu s’en fout.

Il semble qu’il ne soit pas heureux avec sa femme. Leurs parents respectifs ne sont plus des hauts placés, mais de simples citoyens. Il m’arrive de le croiser en ville, il baissait toujours son regard quand il me croisait.

On a tous mûri aujourd’hui, 10 ans après, il continue de baisser son regard quand il croise le mien, je souris ironiquement au volant de ma range rover , remplie de bénédictions de ma mère. J’étais tout simplement en paix.

Vous savez quoi, je pense même que ces épreuves étaient bénéfiques pour moi, elles m’ont permis de voir que l’argent ou le pouvoir ne faisait pas le bonheur et que tout était éphémère dans cette vie.

Je pensais ne plus pouvoir m’enticher d’un homme, je me trompais, il fallait que j’atteigne ce cap de pardon de soi, de plénitude, d’accomplissement de soi et de satisfaction de soi.

Il y’a des papillons dans l’air, je ne sais pas si celui-là est le bon, mais j’espère en tout cas que ce sera l’homme pour qui Dieu m’a préparé…. Je vous dirai la suite, s’il y’a une suite un jour…………….

Ce que j'ai découvert sur Hafsat me laissa sans voix, elle faisait recours aux forces mystiques pour me déstabiliser,vrai ou faux Dieu fait ce qu'il veut , quand il veut.

Elle récolte les pots cassés aujourd'hui, c'est dommage d'en arriver là par méchanceté. Moi je suis heureuse et c'est l'essentiel...

Récit recueilli et transcrit par Ibtissem…………..

Mon calvaire