Mots Fêlés Acte VII Final

Write by Fortunia

J’aurais dû être surpris. Je l’étais, mais rien ne le montrait. J’étais à nouveau paralysé par cette aura qui émanait d’elle.

— Ne te pose pas trop de questions, mon cher. Tu n’auras que les réponses que je voudrais te donner.

Son murmure me fit frissonner.

— Tu te demandes sans doute « pourquoi ? » ou « comment ? ». Tu te demandes qui je suis et sans doute ce que je te veux. Ah, ah, j’adore ce regard que tu arbores, Alexandre. C’est le regard de quelqu’un à qui l’on a tout pris. Ça fait mal, hein ?

Elle glissa de mon dos et se mit face à moi. Elle arborait toujours cette robe blanche et noire dans laquelle je l’avais trouvée si belle.

— Le sais-tu ? Adama Gérard n’est pas quelqu’un que l’on approche facilement. Il est haut placé, bien entouré, toujours sur ses gardes. Intouchable est le mot qui lui conviendrait. Mais tu sais qui a pu l’approcher de très près ?

Elle s’approcha à nouveau de mon oreille.

— Une femme nommée Rachel, révéla-t-elle en s’éloignant à nouveau.

Elle fit de petits pas dans la nuit dénuée de passant tandis que j’étais toujours immobilisé.

— Ils ont eu un enfant. Une fille. Une fille qu’il abandonna sans aucun remord et qu’il laissa aux bons soins d’une mère devenue instable mentalement. Il voulait un garçon. Quelqu’un qui suivrait ses traces, quelqu’un à qui il apprendrait tout et qui pourra lui succéder le moment venu. Quelqu’un que sa femme infertile ne pouvait lui donner. Quelqu’un… comme toi.

J’avais peur de comprendre.

— Toi, tu n’étais qu’un souffreteux, un fils de rien. Mais tu as su attirer son attention comme personne n’avait pu le faire. Pas même son véritable enfant. Cette enfant qu’il a rejetée dès la naissance, cette enfant qu’il rejeta à nouveau une fois devenue une femme. Cette femme qui se tient devant toi.

Mon souffle déjà fuyant manqua disparaître.

— Je me demandais quel être exceptionnel tu étais pour qu’il ne veuille même pas me reconnaître malgré toutes ces années, alors qu’il était prêt à t’adopter pour de bon. Je voulais savoir qui tu étais vraiment. Et tu sais ce que j’ai découvert ? Que tu étais prêt à marcher sur les tiens pour atteindre ton but. Tu sais ce que ça fait de voir celui qui t’a tout pris, celui qui avait déjà une famille, traiter sa propre mère de la sorte ?

Un rictus de haine se dessina sur ses lèvres.

— J’étais prête à te pardonner, après tout, tu n’y étais pour rien. C’était lui le fautif, lui qui m’avait rejetée et conduit ma mère vers une mort prématurée, lui encore qui t’avait tout donné et m’avait abandonnée. Je t’aurais laissé tranquille, si seulement tu l’avais mérité. Mais tu n’as pas été à la hauteur de mes attentes.

Elle me saisit le menton et rapprocha son visage du mien.

— Des années durant, j’ai préparé ma vengeance. J’ai vendu mon âme au diable pour cela. Et voilà que tu deviens le dommage collatéral de ma revanche. C’est toi qui en as payé le prix le premier. C’est si triste.

Sa main libre parcourut les lignes de ma mâchoire. Elle dardait sur moi des yeux brillants, maléfiques. Les yeux de Keena, la sorcière. Un rire sardonique lui échappa.

—Tes paroles n’ont plus seulement été belles, mais meurtrières. J’espère que ça t’a plu.

Elle tira le mouchoir qui se trouvait dans ma main.

— Le mouchoir est presqu’entièrement rouge.

Les lèvres rouges de Keena embrassèrent le tissu. Je la sentais déjà s’échapper, s’évaporer. Bientôt, elle me laisserait à mon sort. Elle m’avait fait tant de mal alors que je ne lui avais rien fait. Ce n’était pas juste. Qu’elle s’en prenne à son père. Je ne voulais pas me perdre. Malgré mes efforts, je ne pouvais pas bouger. Même mes yeux n’arrivaient pas à pleurer. Cela sembla l’amuser davantage.

— Bientôt tu erreras pour l’éternité sans l’espoir d’être à nouveau entendu. Adieu.

Cette fois, je ne perdis pas connaissance. Je tombai à genoux tandis qu’un hibou… non, une chouette au plumage d’argent s’envola vers la lointaine nuit. J’étais de nouveau seul, réalisant que ma vie avait changé.

— KEENA ! Reviens ! Pourquoi fais-tu ça ? Je ne t’ai rien fait ! J’aurais pu t’aider, j’aurais pu lui parler ! J’aurais fait tout ce que tu m’aurais demandé !

Mes suppliques ne la ramenèrent pas. Elle était déjà partie.

J’étais maudit, et il n’y avait plus rien à faire pour y remédier. Je sentais le mal, la malédiction de Keena circuler en moi. Je le savais. Ce bout de mouchoir était le sablier du temps qu’il me restait. Peu à peu, le rouge dévorait le blanc et une fois qu’il sera totalement mort, je disparaîtrais en même temps que lui. J’allais bientôt perdre l’esprit, me perdre dans ce néant dans lequel elle m’avait plongé. Un monde où je n’avais plus rien et où je n’étais rien.

Je devais faire vite.

Mes jambes me portèrent jusqu’à une boutique encore ouverte. Le gérant ne se soucia pas de mon allure débraillée ou de mes yeux hagards. Il n’avait d’yeux que pour les pièces de monnaie que je lui tendis en échange de quelques feuilles et d’un stylo.

Ces mêmes jambes me menèrent au pied d’un arbre où des yeux d’oiseaux me guettèrent. Je ne sus dire si Keena attendait de voir ma fin arriver. Je n’avais pas le temps de me poser la question, je m’installai à son pied sans attendre et me mis à écrire. Je devais le faire, garder une trace de ce qu’elle m’avait fait. Je devais raconter cette histoire, cette leçon. Pour qui ? Je n’en savais rien. Peut-être pour moi, peut-être pour me faire comprendre quelque chose.

Mes fautes.

Le rejet de ma propre famille.

Mes ambitions.

Keena.

Le rouge évoluait sur le mouchoir pendant que j’écrivais, pendant que je me perdais entre mes lignes, jusqu’à ce qu’il submerge le blanc.
Jusqu’à ce que je ne ressente plus rien.

***

Les mots ont un sens. Les mots sont puissants. Les mots sont vicieux. Les mots ont un pouvoir. Et malheureusement pour moi, j’en ai fait les frais. Mais quelle leçon en ai-je tirée ? Aurais-je dû renoncer à la richesse, au pouvoir ? Aurais-je dû renoncer à l’opportunité qui m’avait été donnée de sortir de la misère ? Etais-je obligé de me raccrocher à un passé honteux ?

Les feuilles s’envolèrent sous la force du vent, éparpillant mes mots. Peut-être une page atterrirait au pied de quelqu’un. Mais les comprendrait-il ? Ils seraient incomplets, décousus, des mots fous racontés par un fêlé.

L’histoire d’un homme rendu fou par une belle sorcière.

FIN

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Mots Fêlés est terminé, faîtes péter le champagne !! Merci à toi qui est arrivé jusque-là de l'avoir suivie jusqu'à la fin. C'est vraiment une grâce.
C'est fini,  mais l'aventure continue et tu ne tarderas pas à avoir de mes nouvelles. :D

Comme on dit « les bénédictions viennent de la bouche des autres », alors je compte sur toi pour commenter, me dire ce que tu penses de cette histoire et de ma façon d'écrire. Si tu as aimé ce que tu as lu, n'hésite pas à partager car mes lecteurs, c'est toi, et tous ceux autour de toi.



A bientôt.

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