Partie 10
Write by PaulBernardAMGL
Il me repoussa doucement pour me regarder en face.
- Qu'est-ce que tu viens de dire ?
Je me tus à nouveau. J'avais parlé assez clairement pour ne pas avoir à me répéter.
- Qui sont ces gars ? Et pourquoi tu ne m'as rien dit ?!
Il s'était levé. Il se mit à tourner en rond dans la pièce comme un animal en cage.
- Tavio, calme-toi s'il te plaît !
- Mais comment veux-tu que je me calme en apprenant que ma sœur s'est faite violée ? Non pas par un mais par cinq gars !
Je me pinçai l'arête du nez.
- Tu ne m'aides pas là, lui dis-je en me levant à mon tour.
Je lui bloquai le passage pour l'obliger à s'arrêter et à me regarder.
- Tavio, regarde-moi s'il te plaît.
Il planta son regard dans le mien.
- Je comprends que tu sois en colère. Je le suis aussi. Mais là tout de suite, ce dont j'ai besoin c'est de ton réconfort. Pas d'une crise de colère de ta part.
- Mais pourquoi tu ne m'as rien dit ? tonna-t-il.
Je posai mes deux mains sur ses biceps.
- Parce que si je t'en parle tu vas le retrouver et tu l'enverras à l'hôpital ou la morgue. Mais j'ai besoin de toi ici près de moi, pas dans une cellule loin de moi.
Il ferma les yeux, les poings serrés.
- Pardonne-moi si je suis plus émotif que logique mais je ne peux pas laisser faire.
- Mais c'est déjà fait Tavio, répliquai-je en le secouant. C'est déjà fait. J'ai déjà été violée. Si tu le bats à mort, qu'est-ce que ça changerait à la situation ? Tu veux avoir le sang d'un violeur sur les mains ? La liberté n'a pas de prix à mes yeux. Si tu devais aller en prison, que ce soit pour quelque chose en vaille vraiment la peine. Pas à cause d'un violeur. Et puis je ne suis plus une enfant, je suis une femme maintenant. Tu m'as toujours protégée et je t'en serai éternellement reconnaissante. Mais il faut que tu me laisses grandir. On ne va pas éternellement vivre ensemble, tu le sais aussi bien que moi. Il faut que j'apprenne à me défendre et à me protéger moi-même. Pour cette fois, je saurai m'en sortir seule. Je ferai ça à ma manière parce que la violence n'engendre que la violence, dit-on.
Après un long soupir, il répondit en me prenant à nouveau dans ses bras.
- Ta dignité vaut toutes les peines de prison du monde. Je n'ai pas pu te protéger, laisse-moi te venger au moins.
- Tout ne se résout pas à coups de poing. Grandis un peu bordel ! m'emportai-je.
Il sortit de la chambre en claquant la porte. Une minute plus tard, il revint en claquant à nouveau la porte derrière lui.
- Que comptes-tu faire ? me demanda-t-il les bras croisés.
Je haussai les épaules.
- Le séduire et ensuite le faire payer. Je ne sais pas encore comment, mais l'inspiration viendra. J'ai rendez-vous avec lui demain. Enfin cet après-midi.
- Où ?
- Je ne te le dirai pas. Mais sache que c'est un endroit public et je ne le suivrai nulle part. Je te ferai signe pour que tu viennes me chercher après d'accord ?
Il accepta malgré lui.
- Si d'ici deux semaines tu ne fais rien, je m'en occuperai.
- Pourquoi es-tu si pressé ? La vengeance est plat qui se mange froid comme on dit.
Il retourna dans sa chambre. Moi je remplis ma baignoire et m'y allongeai.
Le contact de l'eau contre ma peau m'apaisait quelque peu. Pendant quelques secondes, j'oubliai tout. J'oubliai qu'on m'a violée, que j'ai été souillée par des gars trop lâches pour demander, que je ne serai plus jamais la même, que j'aurai beaucoup de mal à me regarder comme la jeune à l'avenir. Même si je n'avais rien demandé, même si je n'avais rien fait pour mériter cela : j'avais honte de moi. Je me dégoûtais. Se faire violer ? C'est le genre de choses qu'on entend de loin jusqu'à ce que ça te tombe dessus un vendredi soir alors que tu as décidé de sortir te « changer les idées ».
J'avais peur. Peur, qu'à ses yeux je ne sois plus la sœur jumelle avec qui il a partagé neuf longs mois dans un espace aussi restreint que le ventre de notre génitrice. Puisque nous partageons souvent la même vision des choses, j'avais peur qu'il me voit comme je me voyais moi-même et que, dégoûté par ce qu'il a vu, il décide de me tourner le dos. Mais j'avais surtout peur qu'il ne me croit pas. Qu'aurais-je fait si, au lieu de me croire, il m'avait sorti « C'est sûrement un cauchemar. Oublie ça. » Ou encore qu'il me dise que je faisais ça juste pour attirer l'attention sur moi ?
Si Tavio n'avait pas tant insisté, je ne lui aurais peut-être jamais dit ce qui s'était passé. Malgré mes efforts pour paraître naturelle, pour ne pas laisser cet incident m'affecter, elle m'affectait quand-même. Je n'avais plus confiance en mon entourage. Pourtant Tavio serait la dernière personne sur terre à me juger, le premier à chercher à défendre mon honneur. J'en étais au point où je doutais de mon frère jumeau et par la même occasion, je doutais de moi-même. J'étais sûre de perdre toute contenance face à lui. J'étais sûre de bégayer quand je le reverrai.
- Alors fais comme si de rien n'était, me dit une petite voix dans ma tête. Fais comme si c'était un rendez-vous galant. Comme si c'était votre deuxième rencard et que ce viol n'a jamais eu lieu. Souris lui en pensant à Youss ou encore à Martial. Mais ne perd pas de vue ton objectif.
C'était ma conscience qui me parlait. Je finis par m'endormir dans la baignoire, épuisée par mes pensées et le manque de sommeil.