Partie 10 : Un moment de répit

Write by Fleur de l'ogouée

Tania B

Aujourd’hui je ressens l’envie de sortir, je veux pouvoir conduire le long du bord de mer, les vitres baissées, je veux ressentir le vent marin qui me chatouille le visage tout en écoutant mes morceaux préférés de R’nb des années 80. Être ici c’est mieux que la prison certes mais je commence à me sentir en cage, surtout que lorsque Gregory va au travail moi je reste ici seule à tourner en rond. J’ai regardé tous les quelques films qui sont dans mon ordinateur, lu les livres, écouté toute la musique aussi. Je n'ai plus grand chose à faire, maître Mvé a officiellement accepté de représenter papa, il arrivera sur Libreville dans les prochains jours et il a non officieusement conseillé à maman de me laisser en cavale, il a un plan d'action a t-il dit. C'est un grand avocat qui a l'habitude de se battre pour ses convictions, je croise seulement les doigts, je n'ai pas le choix de toute façon, je me sens impuissante sur ce coup là. 

 Chaque jour j’attends son retour comme une petite fille attendant son père, quand il est là on peut discuter, jouer au ludo ou regarder des films ensemble. Assise sur le canapé je compte les minutes avant son retour. Quelqu’un cogne à la porte mais il est un peu trop tôt pour que ce soit lui, je demande alors qui est là ‘’ Ma belle c’est Ingrid oh’’, le retour de miss pot de colle, j’essaye de prendre un ton et une expression neutres avant d’ouvrir la porte.

-Bonjour Ingrid, entre

-Merci ma chérie, je suppose que Greg n’est pas encore là

-Effectivement !

-Je vais l’attendre si ça ne te dérange pas

-Il y’a pas de soucis

Nous restons là assises l’une à côté de l’autre sans bien savoir quoi se dire, vu la colère dans laquelle elle était à son départ l’autre jour, ça m’étonne de la voir ici. Elle gigote sur place et le silence se fait vraiment pesant, je cherche désperemment quoi dire mais rien ne me vient en tête. Quelques minutes plus tard elle se lance

-ça m’étonne que tu sois encore ici, je pensais que tu étais seulement là pour un temps non

-Je n’ai pas encore l’opportunité de partir

-Mais pourquoi n’est tu pas chez ta tante qui t’avais accompagné ici ou chez une amie même ?

-Ils sont à 4 dans un rentrer-coucher on n’allait pas suffire là-bas et je n'ai pas vraiment d'amie

-Hum.

Elle se tait pendant un instant et semble réfléchir mais Dieu merci l’on cogne à la porte avant qu’elle ne puisse ajouter quelques choses, Grégory est là et son visage souriant se décompose lorsqu’il voit sa dulcinée.

 

Grégory

Cette journée était agréable, aucune ombre au tableau, au travail tout s’est bien passé comme d’habitude. J’ai hâte de rentrer à la maison et de lui raconter ma journée, en dégustant ce plat de porc sauté que j’ai cuisiné la veille, je salive déjà. Chaque soir je suis impatient de rentrer, impatient de trouver une présence dans ce lieu que je ne savais pas si chaleureux, de voir son sourire et de voir comment elle relativise tout. J’aime la taquiné et l’appelé Gourou Tania, elle a le don de calmer mes peurs et mes insécurités. Après mon périple habituel, je m’enfonce dans notre mapane et croise des amis

-Mon bro on te voit plus, les gens chuchotent que tu as maintenant mis une femme au foyer, c’est la petite Ingrind du chill de la dernière fois ?

-Man vous n’avez pas d’autres sujets de conversation, comment ça j’ai mis quelqu’un au foyer

-Ah gars, les gens parlent dans le quartier, tu sais ça

-Oui mais vous êtes mes bros, je vais vous cacher ce genre de chose pourquoi

-J’ai bien dit ça aux petites maboules qui me racontaient ça, ta sista là est toujours là ? Jamais tu ne nous présente hein, peut-être elle peut tomber amoureuse de moi comme ça

-Regarde dégage, dis-je en riant, on se know man

Je continue ma progression vers la maison, il faut vraiment que je fasse tout pour éloigner les gens le plus possible. Je frappe à la porte mais elle ne m’ouvre pas avec son sourire habituelle et quand mes yeux tombent sur celle qui est assise sur le canapé je comprends tout. Tania se retire dans la chambre et je m’assois en face de la sangsue

-Bonsoir Ingrid, j'espère que tu vas bien que puis-je faire pour toi ?

-Bonsoir Greg, je pense qu’on s’est mal laissé la dernière fois, je suis venue pour qu’on essaye de recoller les morceaux

-Sincèrement tu n’aurais pas du te donner autant de peine, il faut tourner la page

-C’est depuis que ta soi-disant cousine est là que les choses vont mal, on ne peut même pas avoir d’intimité, avant tout se passait bien

-Je crois que tu délires Ingrid, écoute allons je vais te raccompagner en route, c’est mieux

-C’est du gâchis Greg, on aurait fait un beau couple, moi je m’attachais déjà à toi

-J’en suis désolé

Je me lève et l’invite à m’imiter, j’aimerais avoir de la peine pour elle mais je n’en ai pas. Nous marchons silencieusement jusqu’au carrefour, elle arrête un taxi qui accepte le prix qu’elle propose, elle s’installe à l’arrière et s’en va. J’espère que son retour dans les parages ne va pas plomber l’ambiance à la maison, on avait déjà trouvé notre équilibre. Je rentre et je la trouve devant la télé, son visage est neutre, pas colère apparente mais pas de joie aussi. Je chauffe la nourriture et on s’assoit pour manger.

-Je m’excuse si sa présence t’a gênée

-Je te l’ai dit la dernière fois, t’as pas à t’excuser. Que ton ex vienne pour essayer de recoller les morceaux c’est normal

 

Tania B

Ingrid est comme une tâche d’encre qui coule sur ta chemise blanche et refuse de s’en aller au lavage mais c’est normal qu’elle s’accroche, un homme comme Grégory, avec autant de qualité, il n’y en a pas des tonnes, s’ils se remettent ensemble ce sera pesant mais ai-je le choix ?

-Tu sais techniquement elle n’a jamais été ma petite amie, donc ex est un bien grand mot

-Je ne pense pas que le ressenti était pareil de son côté, pour elle tu étais son terminus, son futur mari, le père de ses enfants à venir

-Je pense que tu n’as qu’une version de l’histoire, pour te dire toute la vérité, je l’ai rencontré il y’a moins d’un mois, le jour même où j’étais venue te dépanner à l’hôtel. On s’est rencontré à un chill ici au quartier et on a décidé de passer la nuit ensemble, quand on s’est vu au glacier, ce n’était que la première journée que l’on passait ensemble

-Ce n’est pas possible ! dit-elle stupéfaite

Cette fille sait parfaitement jouer la comédie et j’étais trop peinée pour voir son stupide jeu d’actrice, tout s’éclaire finalement, son envie de me caser, cette manie de parler de leur relation qui n’existait que dans sa tête. Sans pouvoir me retenir j’éclate de rire, franchement les hommes savent toujours se mettre dans des situations rocambolesques.

-J’espère que tu ne te manques pas de moi

-Bien sûr que si, tu n'as suivi le protocole des plans d’un soir

-Ah mais je vois que tu t’y connais vas-y donne-moi des astuces ?

-On ne s’affiche pas avec son plan, dès le lendemain on est des inconnus, pas d’échange de numéro, pas d’attache. Et si possible on ne couche pas chez soi, pour pouvoir partir au petit matin

Il me regarde étonner que je tienne ce discours et ça n’a fait qu’accentuer mon fou rire, je ne suis pas une sainte. En Europe c’était plus facile de coucher que de se caser, surtout en tant que femme noire qui préfère les hommes blancs. Certains étaient prêts à tout pour une nuit avec moi mais ne pouvaient pas assumer devant leurs collègues, amis et leurs familles bourgeoises qu’ils étaient en couple avec une femme noire, une africaine de surcroît. Du coup j’ai été à deux reprises la fille qu’on aime bien, avec qui le sexe c’est trop génial mais qu’on ne présente à quasiment personne de son entourage, alors pour prendre le dessus sur cette situation et inverser la tendance, j’étais celle qui partait au petit matin sans laisser son numéro. Cette période-là, était trépidante mais j’ai fini par rencontrer un homme avec une famille ouverte d’esprit, nous nous aimions, c’était l’une de mes seules relations sérieuses, trois ans d’amour, nous parlions mariage et enfant mais ceci est un autre chapitre de ma vie, un chapitre que je tente toujours de surmonter ou juste d’oublier.

Nous terminons de manger dans la bonne humeur, je n’arrive pas à arrêter de dire depuis tout à l’heure, cela me rappelle beaucoup mes soirées avec Ben, je passe mon temps à moquer de son choix de conquête et lui se moque de ma vie monotone, il me manque terriblement autant j’apprécie la compagnie de Gregory autant mes proches me manquent. J’avais une vie réglée comme une horloge, tout était réglé au millimètre, vivre au jour le jour c’est tout nouveau pour moi.

-Hey, tu sembles perdu dans tes pensées

-Oui, ma famille et mes amis me manquent énormément ; même les activités du quotidien, comme me maquiller, conduire, sortir au resto, les réunions familiales

-C’est normal et je suis là si tu veux parler, si tu veux chanter, danser, je peux même être ton meilleur ami pendant le séjour, quand ta vie reprendra son cours normal, je vais démissionner de mon poste de meilleur ami

-Tu es adorable

-On ne me le dit pas assez souvent, donc je prends

Nous restons là assis l’un à côté de l’autre, nos respirations et semblent synchrones, même le mouvement fourchette-assiette-bouche semble suivre la même cadence. Il y’a des silences légers ou chacun se plonge dans ses pensées.

Gregory

Nous finissons de manger et elle prend les assiettes pour aller les laver, pendant ce temps je file prendre une douche, elle me remettra les idées en place. Lorsque je termine nous entamons une partie de Ludo, quand elle m’a dit qu’elle ne connaissait pas ce jeu, la star dans tout le continent africain, je pensais qu’elle blaguait mais hélas. Maintenant que je lui ai appris, elle n’hésite pas à mettre ces instructions en pratique

-Six cinq, ton pion vert est à moi, allez donne-le moi, il ira en prison

-On ne joue pas pour bouffer, on joue pour gagner

-Regarde donne le pion, ta psychologie inverser là ne marche plus sur moi

-J’ai créé un montre dis-je en riant

Une fois la partie terminée, elle rejoint la chambre et moi je déplies mon matelas, voilà la seule chose pour laquelle je peux remercier Ingrid. Une journée calme, sans ombre au tableau, je pourrais m'habituer à tout cela. 

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