Partie 34
Write by Ornelia de SOUZA
L'accouchement dura un peu plus de dix heures de temps. Alors qu'on me ramenait dans l'une des chambres communes, j'entendis les infirmières qualifier mon accouchement de « facile ». Il avait été tout sauf facile pour moi mais cela en valait la peine. Le bonheur que je ressentis en serrant mon fils dans mes bras était innommable. Je venais d'avoir un beau bébé en pleine forme. Je n'arrivais pas à croire que j'avais eu un enfant aussi beau et aussi potelé étant donné les conditions dans lesquelles j'avais vécu cette grossesse. Je comprenais vraiment cette phrase qui revenait si souvent dans le quartier. Il y a un Dieu pour les pauvres. Mon bébé en était la preuve vivante. J'observais maintenant Yves qui ne jurait que par mon poupon. Il semblait être tombé amoureux de mon fils et cela ne faisait qu'accroître les sentiments que j'avais pour lui. Il s'occupait du bébé comme s'il en était le père. Comme s'il en était le père...
-Désirée sera si heureuse de le voir. Je veux lui présenter le petit dès que possible...
Un voile recouvra les yeux d'Yves à la prononciation du nom de sa sœur. Ses yeux s'embuèrent de larmes et je m'en aperçus même s'il se retourna immédiatement.
-Ne t'inquiète pas. La situation de Désirée va s'arranger. J'ai eu un peu d'argent et après avoir réglé les frais de la maternité...
-Désirée est morte! lâcha t-il comme si mes mots l'agaçait
« Désirée est morte ». Mon cœur se fendit. Était-ce donc cela d'avoir le cœur brisé? Désirée, ma sœur. Désirée, ma mère. Je ne pouvais retenir mes larmes alors je laissai libre cours à mes émotions. Des larmes salées tombaient sur mes lèvres alors que je recherchais les bras d'Yves. Il le comprit et m'enlaça. Une éternité ou une minute aurait pu s'écouler. Je ne maîtrisais plus le temps. J'étais tout simplement dans les bras de l'homme qui avait gagné mon amour et tout les deux nous pleurions un être cher. Soudainement, Yves recula. Je le retint car je n'étais pas rassasié de notre étreinte. Je sentis son souffle chaud me caresser la joue, puis le nez. C'était inévitable. C'était désiré alors nos lèvres se rencontrèrent et s'apprécièrent. Je sentis son cœur palpiter alors que le mien dansait la zumba. Tout mon être frissonnait de joie, de nouveauté et surtout d'amour. C'était donc lui l'homme qui m'était destiné et cela n'avait rien à avoir avec le matériel. Je n'en avais d'ailleurs rien à faire qu'il soit sans le sou ou qu'il soit un prince. Je l'aimais et c'était tout ce qui comptait à ce moment précis. Je me rendis alors compte de toutes mes erreurs passées et du mal que j'avais fait. Yves me lâcha et baissa la tête. Je savais ce qu'il pensait. Je le connaissais et je savais qu'il s'inquiétait beaucoup du fait de me manquer de respect. Il évitait mon regard alors je lui pris la main. Je me devais de le rassurer.
-Je t'aime! lui murmurai-je
-Je t'aime aussi! dit-il en me regardant enfin dans les yeux.
-Nous avons perdu Désirée mais nous devons être forts. Je reconnais que je t'aime et que je veux passer le restant de ma vie avec toi. Tu es l'homme de ma vie et je m'en veux d'avoir été aveuglé auparavant par l'argent et par toutes les choses matérielles de cette vie.
-Moi je t'ai regardé dans les yeux et j'ai vu le fond de ton âme. Je t'ai vu seule et désemparée dans ce monde. J'ai compris que toutes tes actions n'étaient guidés que par l'ignorance et la peur. La peur d'être seule, d'être maltraitée.
-Aujourd'hui je me rends compte que cette peur n'avait pas de raison d'être. Bien au contraire, tout ce que j'ai fait m'a conduit vers ce que je redoutais le plus. Je m'en veux tant si tu savais. J'ai fait du mal à tant de gens.
-Je le sais mais cela n'a plus grande importance.
-Si, cela est important pour moi. J'ai commis des ignominies et principalement envers deux personnes. Inès et Carin. Tu ne connais pas Inès mais tu as sûrement compris ce que je lui avais fait. J'ai besoin qu'elle me pardonne. J'ai besoin que Carin me pardonne.
-Il t'a fait du mal...
-Je lui en ai fait bien avant. J'aimerais que tout ceci s'arrête. J'irai à la rencontre de Carin dès que possible au lieu de fuir. Je lui ferai comprendre qu'il faut que l'on arrête ce jeu malsain. J'irai aussi me confesser auprès d'Inès.
-Tu risques de te créer des problèmes; fit Yves inquiet
-Alors ce ne sera que ce que je mérite. J'ai besoin de faire les choses biens pour moi et pour toi. Pour ce petit être, pour mon fils.
-Pour notre fils; rectifia Yves.
Cet homme était exceptionnel. Il était tombé amoureux de moi alors que j'étais odieuse. Il avait accepté de creuser au delà de l'apparence et il avait patienté tout le temps nécessaire à ce que je me rendes compte qu'il était l'homme de ma vie. Accepter un enfant qui n'était pas le sien était la plus grande preuve d'amour qu'Yves pouvait me faire.
-Alors quel nom comptes-tu donner à notre fils ? le questionnai-je
-Désiré; répondit Yves sans une once d'hésitation en se penchant sur mon fils. Ta tante t'aimait beaucoup et elle te désirait plus que tout au monde. Alors oui, tu mérites de porter ce prénom petit homme.
Je souris alors qu'Yves se rapprochait une fois de plus vers moi pour déposer ses lèvres sur les miennes. J'étais totalement d'accord avec lui. J'aurais aussi donné ce nom à mon fils en l'honneur de cette femme formidable, de cet ange rappelé trop tôt à mon goût. Yves aimait mon garçon et j'en étais fière comme si nous l'avions conçu ensemble mais alors une vérité alarmante fit surface dans mon esprit. Il n'était pas le père biologique de Désiré et si je voulais dorénavant mener une vie exemplaire, je me devais de dire la vérité à Carin et ceci peu en importait les conséquences.
-Je compte me rendre chez Carin et chez Inès dès ma sortie de l'hôpital; dis-je coupant court à la joie d'Yves. Je vais révélé la vérité à tout les deux et leur présenter mes excuses.
-Toute la vérité ?! s'inquiéta t-il en jetant un coup d'œil au bébé.
-Oui, toute la vérité! dis-je sûr de moi. Et nous ferons face aux conséquences.
-Mais es-tu au courant que Carin pourrait nous prendre le petit?questionna t-il soudainement
-Oui; répondis-je car j'en avais pleinement confiance. Mais nous nous défendrons. L'important c'est de faire les choses bien dorénavant.
-Très bien si cela peut te faire du bien. Je respecte tes choix. Je voulais que l'on parte au plus vite d'ici car tout à l'heure j'ai croisé la sœur ainé de Carin et cet homme là...
-Ashley... et Roland? l'interrogeai-je alors que je connaissais déjà la réponse.
Roland était gynécologue et donc il était logique qu'il se retrouve ici de temps en temps et Ashley le suivait partout. À cette heure-ci Carin avait sûrement déjà été mis au courant de mon accouchement.
-Très bien; dis-je après le hochement de tête d'Yves. S'il veut venir à ma rencontre, laisse le faire. J'en profiterai pour lui présenter son fils. Et de plus ce lieu public est l'idéal. Il ne pourra rien nous faire ici.
Yves sourit à ma remarque. Il préférait aussi que Carin vienne à la maternité plutôt que je n'aille lui rendre visite chez lui. Nous étions plus en sécurité ici. Il me montra ensuite une liste de chose qu'on lui avait demandé d'acheter pour le bébé. Je lui donnai une partie des cent mille francs pris chez Kayodé pour qu'il aille faire les achats. Il me conseilla de me reposer le temps qu'il ne revienne et je le regardai s'en aller. Dans la salle, il y avait une autre dame qui avait accouché. D'une fille, avais-je compris de ce que sa mère disait. La grand-mère s'occupait de sa petite-fille pendant que la nouvelle mère rangeait ses effets. Elle allait maintenant quitter la maternité, je le compris. Une tension vive régnait pourtant dans la salle.
-Tu vois qu'il n'est pas venu? lança soudainement la grand-mère. Comptes-tu te tuer pour un tel homme? Tu lui as donné cinq filles et ni lui, ni sa famille ne te considère car tu n'as pas encore donné de garçon. Pourquoi ne rentres-tu donc pas à la maison? Il t'a battu enceinte lorsqu'il a su que tu attendais une fille. Il a ramené une jeunette sous votre toit pour qu'elle lui donne ce garçon tant désiré. Pourquoi ne rentres-tu pas à la maison alors qu'il te bat pour un oui ou pour non? Cet homme n'a aucune pitié pour toi. Si tu quittes la maternité pour sa maison, saches que je ne te considérerai plus comme ma fille.
-Maman, je sais qu'il m'aime! murmura la nouvelle mère inquiète du fait que je n'écoute leur conversation. Et je l'aime aussi. De plus que diront les gens si je me retrouve sans mari?Et nos filles ne peuvent pas avoir des parents divorcés. Elles ne seront pas heureuses.
-Elles seront moins heureuses si leur mère est morte; me sentis-je obligée d'intervenir.
Les deux femmes se retournèrent vers moi les yeux grands écarquillés.
-Vous savez; continuai-je comme si elle m'avait invité dans leur discussion. En Afrique, nous n'avons pas la culture de l'abandon. On nous inculque qu'une femme doit rester dans son foyer peu importe les circonstances alors même que ce foyer n'est plus qu'un enfer sur terre. Laissez-moi vous dire une chose Madame que je ne connais pas. Lorsque vous mourrez sous les coups de votre mari, lui continuera de coucher avec sa maîtresse et ils auront son petit garçon tant désiré. Lorsque vous mourrez sous les coups de votre mari, ces mêmes gens dont vous craignez les critiques se plaindront de votre insistance à vouloir rester dans ce foyer et vous jugeront coupable à la place de votre meurtrier de mari. Et lorsque vous serez six pieds sous terre, vos filles souffriront de solitudes, de maltraitance et de tout les maux réservé aux orphelins ici bas car leur père n'est père que de garçons. Faites donc un bon choix alors qu'il est encore temps.
La nouvelle mère s'emporta soudainement du fait que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Elle défendit son mari qui selon elle n'était pas un meurtrier puis elle sortit de la salle en colère devançant sa mère. Cette dernière fit exprès de traîner le pas puis elle s'adressa à moi et me remercia chaleureusement. Selon elle, sa fille était bornée mais elle était convaincu que j'avais trouvé les mots justes et qu'en dépit de sa réaction, elle y réfléchirait. Elle me laissa seule à mes nouvelles réflexions. Moi j'avais abandonné et je souhaitais dorénavant que chaque femme soumise au coups de son époux abandonne. Je souhaitais aussi que chaque homme emporté par une pareille colère abandonne au lieu d'en venir à de telles extrêmes. Je me rendais bien compte que j'avais été stupides de me soumettre au coups de Carin en pourchassant un but malsain. J'avais sûrement mérité ces coups et bien plus encore mais avec du recul, j'aurais maintenant préféré que Carin abandonne. Mais toute situation concoure à un bien, pensai-je en me penchant vers mon doux fils. Je lui posai un baiser sur le front avant de me laisser emporter par le sommeil.
Je ne sus combien de temps s'était écoulé mais malgré mes paupières lourdement fermer, je sentis une ombre me couvrir. Il s'agissait sûrement d'Yves, pensai-je préférant dormir un peu mais mon bébé couina. J'ouvris instinctivement les deux yeux et Carin était là souriant sadiquement. Je ne pus détacher mon regard du sien pendant deux secondes avant de me rendre compte que son bras n'était pas contre son corps. Je suivis alors du regard, la direction de ce bras qui finissait par une main puissante qui enserrait le cou de mon nouveau né. Je criai effrayée par cette scène et je me jetai sur le bras de Carin prête à sauver mon fils car ce regard et se sourire ne me trompait pas. Carin était animé de mauvaises intentions. Alors que je le mordis à pleine bouche espérant le faire lâcher prise, je n'eus que l'effet contraire. Il souleva alors Désiré par le cou. Un regard vers mon fils et j'eus l'impression qu'il mourrait. Mon cœur ne pouvait pas supporter ça. Je pleurais désespérée car je voyais bien que Carin était déterminé. Comme dans un dernier élan d'espoir, je lâchai prise pour le mordre plus fort, plus loin dans sa chair. Le monstre cria de douleur puis me poussa loin de lui dans un coin de la pièce et jeta mon bébé sur les carreaux de l'autre côté de la pièce. J'hurlai de tout mes forces et de toute l'air contenu dans mes poumons.
-À l'aide! criai-je en courant rejoindre mon bébé.
La douleur me transperça un cœur déjà fendue. Mon bébé était là par terre, mort, le cou brisé. Je ne sus par où le prendre. Je ne sus que faire pour le ramener à la vie.
-C'est ton fils! hurlai-je de toutes mes forces au meurtrier pour lui faire réaliser son erreur.
Il sembla confus mais il n'eut pas le temps d'analyser mes mots qu'Yves entra dans la salle . Ni une, ni deux, celui-ci constata ce qui venait de se produire et se jeta le poing en avant sur Carin. Mon esprit se brouilla à ce moment là et je tombai dans les pommes. Mon fils venait d'être tué par son père.
********
(Carin)
J'étais assis à même le sol de cette cellule pleine de délinquant. Je tremblais et je pleurais à chaudes larmes incapable de me contrôler. Qu'avais-je fait? Jusqu'où m'avait poussé mes démons?
« C'est ton fils »
L'écho de ces mots résonnait dans ma tête et le corps du nourrisson était là devant moi. Peu importait où je tournais la tête, il était là. Si je fermais les yeux, il était là. Des frissons parcouraient mon corps et j'avais de la fièvre. Impossible. Pas un seul instant, je n'avais envisagé que cette grossesse pouvais être la mienne. Je m'en étais prise à Mélaine pour avoir tué mon enfant dans le ventre de sa mère mais je venais de faire pire.
-J'ai tué mon fils! dis-je me parlant à moi-même
-Qu'est-ce qu'il raconte celui-là ? lança un autre homme dans la cellule
-Il délire depuis tout à l'heure; lui répondit un autre.
-Regarde le donc; se moqua un autre. Un fou bien habillé.
Ils s'approchèrent alors un à un de moi alors que ma vision s'embrouillait. Ils étaient six au début mais bientôt ils devinrent douze puis vingt-quatre. J'étais encerclé et je devenais nerveux. Les rires se furent plus rauques, plus forts. Ils envahissaient ma tête. « C'est ton fils! C'est ton fils »; répétait Mélaine. Je ne le supportais plus.
-Bois ça ! me lança une des vingt-quatre personnes présentes devant moi en me tendant une bouteille de bière. Ça va te détendre le fou.
Oui, j'étais fou car seul un fou pouvait tuer un de ses fils. Que dira ma famille? Que dira le monde? Je ne pouvais pas le supporter. Il ne restait qu'une solution. En finir...
Je me levai difficilement et j'arrachai la bouteille que l'on me tendait des mains de mon voisin de cellule.
-Doucement mon beau! fit ce dernier en éclatant de rire
Ma décision à moi était prise alors sans réfléchir, je brisai la bouteille de bière sur le sol. Et je pointai l'objet tranchant que je tenais en direction des vingt-quatre habitants de mon esprit. Tous reculèrent.
-Mon pote, qu'est-ce que tu fais? Pose ça!
-Officier! cria l'un d'entre eux
-Restez loin de moi! criai-je à l'un d'entre eux qui s'approchait un peu trop de moi.
Subitement je retournai l'arme contre moi prêt à rencontrer mon créateur. Je l'enfonçai de toutes mes forces dans mon ventre. Je sentis à peine la douleur comme si mon corps était anesthésié. Tout les hurlements me semblèrent alors lointains comme si je venais d'un autre monde. Je titubai et je tombai.
-Je demande pardon; murmurai-je aux hommes qui se penchaient au dessus de moi.
I.G : nelie_nova
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