Partie 58 : un tsunami d'émotions
Write by labigsaphir
Nous arrivons enfin devant la porte du séjour, mon cœur bat la chamade. Au moment d'y entrer, Raviere me tire vers lui, me prends dans ses bras puis dépose un baiser sur mon front. Je ne sais pas, il a l'air si émue. Je me laisse faire, puis me tourne vers la porte et crois entendre Raviere renifler ; il est mieux de ne pas y faire attention. Je pousse la porte, deux dames sont assises dans le sofa, elles sont de dos. J'ai l'impression de reconnaître la silhouette de l'une d'elles.
- Euh...fais-je simplement.
L'une des deux dames se retourne, je suis choquée et garde la bouche grande ouverte ; non, je ne m'y attendais pas. Je suis choquée et prends sur moi pour ne pas prendre mes jambes à mon cou. Elle se lève et contourne le canapé, j'ai beau envoyer le message aux synapses mais mes jambes n'obéissent pas ; je crois avoir perdu le Control de mon corps.
- Laya, c'est toi ? Laya, c'est toi, c'est toi, fait-elle avant d'éclater en sanglots.
Je passe par toutes les émotions, la colère, la joie, la tristesse, la peine, la rancœur et la haine, tout cela en quelques secondes. J'ai du mal à croire que ce soit elle, elle qui m'ait lâchement abandonnée. Je repense à mon séjour chez elle, au Cameroun. Je repense à nos moments de complicité, à la façon avec laquelle elle prenait soin de ses enfants et de tous. Sans vraiment comprendre le pourquoi, sans préméditer quoi que ce soit, mon cœur se met à battre si fort que j'en ai mal. Je suis submergée par la douleur, la peine et surtout la colère ; c'est un tsunami d'émotions qui déferle en moi.
- Laya, c'est toi...Laya, c'est toi, répète-t-elle avec frénésie avançant petit à petit.
- Non, moi, c'est Jeneya Croft...Oui, Jeneya Croft, fille de Carla Croft et Hubert Croft. Mon grand-père est Klaus Stern, celui-là même qui a porté plainte contre moi en Angleterre et j'ai été relaxée fautes de preuves et surtout avec enquêtes.
- Laya, répète-t-elle pour la énième fois ; elle commence sérieusement à m'énerver celle-là, avec ces « Laya ». Qui est Laya, ici ? Elle me saoule !
- Je ne suis pas Laya, je vous interdis de m'appeler Laya. Moi, c'est Jeneya Croft !
- Je suis désolée, Jeneya, parvient-elle à dire.
- Désolée ? Désolée ? Pestai-je, réussissant enfin à reprendre le Control de mon corps. Désolée, mais de quoi ? Désolée de m'avoir mise au monde ou désolée de n'avoir pas pu avorter ? Désolée d'avoir conçu de moi ou désolée de m'avoir sur la conscience ? Quoi, aurais-tu des velléités ? Regret, est maintenant un vocable que vous connaissez ? Désolée de m'avoir portée neuf mois et de n'avoir pu avorter ? Désolée mais désolée de quoi ?
- Laya, essaie-t-elle en approchant.
- Non, c'est Jeneya ! Appelez-moi, Jeneya ! JE- NE-YA ! C'est français, rassurez-vous ! Il ne faut pas avoir un doctorat pour le comprendre ça !
- Je suis désolée, pardon pour tout le mal que cela a pu te faire ou créer, pardon mon bébé, dit-elle en pliant.
Je la regarde plier sans un mot, devant moi. Elle plie jusqu'à mettre les genoux au sol, puis poser la tête et enfin ses cheveux balayer le sol. Je la regarde de mon perchoir, elle lève la tête puis les mains vers moi, adoptant le geste et la posture de celle qui implore le pardon. Je devrais prendre plaisir à la voir dans cette posture mais je n'y arrive pas.
Un bruit me fait lever la tête, je reconnais là, la mère de Rustine. Cette femme si volubile, gaie et attachante, avance vers nous à pas de chat. Pour la première fois, je la sens hésitante, comme si elle est sur un terrain glissant.
- Laya, commence-t-elle, je sais que tu es très en colère contre ma fille, contre moi, contre toute ta famille pour cet abandon.
- Non, ce n'est pas Laya, mais Jeneya, JE-NE-YA, corrigeai-je sur un ton abrupte ; je sais avoir un regard noir à cet instant, c'est volontaire.
- Jeneya, j'implore ton pardon, j'implore ton pardon. Ma fille a fauté et elle le paie, elle le paie. Cela fait des années que nous te cherchons, je t'assure.
- Cela devrait suffire à expliquer son geste, n'est-ce pas ?
- Non, non, ce n'est pas ce que j'ai dit, s'empresse-t-elle de dire.
- Alors quoi ? Je n'étais pas assez bien pour elle ? N'étais-je pas digne de porter le nom des McDermott ?
- Non, ce n'est pas ça, Jeneya. Pour tout te dire, à l'époque des faits, je n'étais pas au courant. Je ne l'ai su qu'il y a de cela quelques années et nous avons chargé des détectives privés de te retrouver mais Carla avait déménagé et quitter l'Angleterre. Elle s'est mariée et a porté le nom de son mari, je suis désolée.
- Si elle avait trop honte malgré la faveur qu'elle m'avait faite, me faire une layette assez onéreuse, pourquoi ne m'a-t-elle pas laissée avec toi ? Pourquoi ?
- Je ne sais pas, Jeneya, je ne sais pas.
- Rustine, pourquoi ne m'as-tu pas avorté si tu ne me trouvais pas assez digne ?
- Je n'ai jamais pensé que tu étais indigne de moi ou des McDermott, répond-elle en se redressant, les filets de larmes s'échappant de ses yeux.
- Alors, quoi ? Grondai-je en reculant d'un pas.
- J'étais jeune à l'époque et venais d'apprendre que j'étais enceinte. Oui, j'ai fait un déni de grossesse et ne l'ai su qu'à la fin du dernier trimestre.
- Je ne vois pas le lien de causalité, la coupai-je durement.
- Je sais, je sais, dit-elle en se levant.
- Et ?
- J'ai su que j'étais enceinte. Ayant lu, je savais que quelques jours plus tard, la nature reprendrait ses droits et que tous les signes de la grossesse apparaîtraient.
- Ce qui t'aurait mise dans une position délicate, glissai-je avec perfidie ; elle baisse les yeux quelques secondes puis lève la tête en se frottant les mains comme une gamine prise en faute.
- J'étais précoce à l'époque et mes parents attendaient tellement de moi.
- C'est la faute de tes parents maintenant. Eh ben, celle-là est vraiment bonne, fais-je hilare.
- Non, non. En fait, je crois que j'avais peur de décevoir mes parents et c'est vrai, je n'assumais pas... Je ne pouvais pas assumer car c'était inconcevable que je puisse assumer une grossesse...J'avais un avenir tout tracé...Un avenir tout tracé...j'étais super intelligente et venais d'une famille qui avait un nom...Une image à préserver...La séparation d'avec ton père...la séparation d'avec ton père...j'étais très jeune lorsque tu as été conçue...La séparation d'avec Maiwenn, mon petit copain de l'époque n'a pas été facile.
Elle regarde maintenant de gauche à droite, donnant l'impression de ne pas être avec nous. Elle est rouge comme une pivoine et peine vraiment à trouver ses appuis. Elle vacille mais je m'en fais et n'ai aucune envie de lui porter secours. Est-ce moi ou elle débloque ? Je trouve son discours décousu voire dithyrambique. Si je ne la connaissais pas, je dirais qu'elle est folle ou bipolaire. Je ne sais ce qui m'insupporte le plus, découvrir que ma mère biologique est bipolaire ou folle. Quoi, l suis-je moi aussi ? M demandai-je en portant la main à ma figure. Dans quelle famille suis-je tombée ? Qu'est-ce qui m'arrive ? Mais où ai-je mis les pieds ? Si je pouvais rembobiner le tout, je l'aurais fait. Entre une grand-mère rigolant tout le temps et frisant le ridicule, une fille au comportement de la poupée de Tchuky, un cousin draguant sa cousine et Raviere, l'homme de la maison à la larme facile, je ne sais plus où donner de la tête mais dans quelle famille suis-je tombée ?
Je ferme les yeux, espérant rouvrir les yeux et me rendre compte que je suis en train de rêver. Non, non, je suis bel et bien dans la réalité car les deux monstres me regardent, quêtant un geste ou je ne sais quoi de moi. Mais foutez-moi le camp ! Je n'ai qu'une envie, revoir ma vraie famille, celle des Croft car oui, je sais qu'ils sont ma seule et vraie famille. Carla, celle qui ne m'a pas portée, m'a aimée de suite et adoptée alors que cette gamine, m'a mise au placard pour je ne sais quoi. Et dire que je respectais les McDermott, je les respectais pour leur intégrité, mon dieu ! Et dire que je les ai presque érigés en modèle après les Croft, mon Dieu !
- Laya, avance Rustine en s'avançant et tendant les bras vers moi.
- Combien de fois, faut-il vous le dire ? Rugis-je en reculant ; que ne comprend-elle pas, cette pauvre demeurée ?
- Pardon, Jeneya, pardon est-ce tout ce qu'elle a à me dire ?
- Quo, encore ? Pardon, pardon, est-ce tout ce que tu as dans la bouche ?
- Je suis désolée, dit-elle en éclatant en sanglots.
Elle s'assied sur le sol, soutenue par l'autre folle que je n'ai même pas envie de nommer, tellement j'ai les nerfs. De rage, et je ne sais même pas pourquoi je pleure, j'essuie du revers de la main, les larmes qui coulent sur mes joues sans interruption. Je n'en peux plus de tout ça, je sens une rage monter. Je sens la déferlante arriver avec une rage, elle gronde, gronde, gronde telle une vague et monte, monte, s'élève et va s'abattre sur les rives du désespoir. J'ai du mal à respirer, mes jambes sont flageolantes, les mains moites et ma cage thoracique qui monte et descend à un rythme effréné, vite, vite, trop vite et ce qui devait arriver, arriva. La douleur et la rage, s'ébattent sur les rives du désespoir, faisant un pied de nez à la réalité. Dame tristesse, cette femme si généreuse et gentille folle, apparaît, drapée dans sa plus belle toilette, souriante et riant avec douceur, me tend la main, m'invitant à la suivre, faire d'elle une amie et plus qu'un. Je sens mes pieds rentrer dans le sable chaud, le liquide essentielle bouillir en moi, mes yeux devenir rouge.
Je ne sais comment, l'image de Carla Croft et son mari, s'imposent en moi. Je sens la tension baisser et la température baisser ; c'est trop rapide. Je plie, plie, jusqu'à m'asseoir sur le sol, dans la position du lotus et fermer les yeux. J'ai grand besoin de retrouver la paix intérieure, impossible de réfléchir normalement avec tout ce qui se passe. Je lève nouveau la tête vers l'autre olibrius en l'entendant bouger. J'ai une envie subite d'envoyer tout le monde valser mais la voix de maman, résonne à mes oreilles, « écoute-la avant de prendre toute décision ».
- Je t'ai conçue, étant âgée de 16 ans, continue-t-elle en posant la main sur la bouche. Maiwenn fut mon premier amour, un camerounais que j'avais rencontré, je ne sais plus où. Je lui ai donné mon cœur et mon corps et il s'est foutu de moi.
- Tu aurais pu m'épargner les détails, dis-je sans vraiment y penser.
- Je l'ai aimé de tout mon âme, de tout mon cœur mais il m'a trompée avec une fille de rien du tout. Malgré cela, je me suis relevée à force d'amour, soutenue par mes amis, ma meilleure amie de l'époque et Dean, sans oublier ma famille.
- ...
- Comme convenu avec mes parents, je suis partie en Angleterre. J'avais été inscrite dans une université prestigieuse, heureuse d'avoir la liberté, de pouvoir la leur arracher. Je suivais mes cours normalement jusqu'à ce que je me sente mal ; elle a le regard rivé sur un point, comme si elle contemplait quelque chose.
- ...
- Elle est partie acheter un test de grossesse et stupeur, j'étais enceinte ; elle se tourne vers moi et me regarde dans les yeux.
- Rustine, mon bébé, fait sa mère ; mais lâche-la, ai-je envie de lui dire.
- Ça va, maman, ça va. Savoir que je portais l'enfant de Maiwenn Banimbeck, celui qui avait pris l'unique rose de mon jardin, l'homme que j'avais aimé de tout mon cœur, me faisait souffrir. Je sais avoir mal agi, je le reconnais mais comprend-moi, à l'époque j'étais très jeune. J'allais avoir 17 ans et étais à un tournant de ma vie, je ne pouvais vraiment pas louper le coche. Ma coloc qui était ma meilleure amie, n'avions pas la même vision de l'avenir.
- Humm.
- L'idée a commencé à germer en moi, je voulais me débarrasser de toi dans mes ires et elle, me demandait de me calmer, d'attendre accoucher et aviser. Ah oui, elle souhaitait aussi que j'avise la famille, ce que je lui ai formellement interdit de faire. Je me suis renseignée et ai décidé d'accoucher sous X.
- Accoucher sous X ? Demandai-je colérique. Tu ne souhaitais vraiment pas que je et retrouve, si l'envie m'en prenait, n'est-ce pas ?
- Oui, avoue-t-elle en baissant la tête.
- Mais quel genre de mère es-tu ? Demandai-je en me redressant, avec une envie folle de lui en foutre, UNE. Une mère qui non seulement abandonne son enfant, mais ne souhaite pas être retrouvée dans l'avenir. Tu aurais mieux fait de me faire passer par la lunette des toilettes !
- Jeneya, c'est ta mère ! Gronde l'autre en soutenant sa fille.
- Non, cette femme n'est et ne sera jamais ma MÈRE ! Ma mère s'appelle CARLA CROFT ! Cette femme devant moi est ma GÉNITRICE et rien que ma GÉNITRICE ! Je ne sais pas si tu es vraiment digne d'être une mère, toi !
- Sniff...snifff, fait l'autre en s'accrochant à sa mère comme à une bouée de sauvetage.
- J'ai commandé la layette sur internet en piochant dans mes économies continue l'autre d'une voix monotone.
- Encore heureuse pour moi, la duchesse avait un petit cœur, répliquai-je de suite.
- Rustine, fait sa mère.
- Non, laisse maman, elle a le droit. Je la comprends, c'est son droit. Ma copine allait en cours, nous avons prétexté une maladie jusqu'au terme de la grossesse. Quelques jours avant l'accouchement, j'ai pris mes quartiers dans un hôtel de la ville et de-là, nous avons pu rallier l'hôpital assez facilement. J'ai accouché et t'ai léguée la chaîne que m'avait offerte Raviere pour mes 15 ans.
- Thank you, my dear, dis-je avec théâtralité.
- J'ai accouché et à la dernière minute, ai demandé à ne plus accoucher sous X. J'ai demandé à une sage-femme d'appeler une sœur. Nous avons pu discuter et j'ai décidé de lui donner mon bébé.
- Bravooo, dis-je en applaudissant à tout rompre, c'est dommage que je n'ai pas de vuvuzela.
- Je suis consciente d'avoir fui les responsabilités qui m'incombaient. Je reconnais avoir agi avec légèreté. Je reconnais avoir agi comme une gamine et choisi le chemin de la facilité. Je reconnais avoir privilégié mon image et celle de ma famille.
- Nous aurions pu trouver une solution, Rustine, la coupe sa mère ; celle-là, j'avais presque oublié sa présence.
- Je m'en rends aujourd'hui compte, maman. Je regrette maman, je regrette ma fille. Jeneya, je t'ai cherchée durant des années et des années. Tout ce qui me restait, c'était l'espoir, espoir de te retrouver un jour, te serrer contre moi et te demander pardon. J'avais espoir que le Seigneur prendrait soin de toi et que nos chemins finiraient par se croiser ; elle se mouche bruyamment et essuie les larmes qui inondent son visage.
- ...
- Je sais qu'aujourd'hui, rien ne pourrait justifier cet acte, si ce n'est la jeunesse, l'insouciance, la peur et peut-être la honte de décevoir. Je regrette, Jeneya, je regrette. Ne te méprends pas, je t'aime. Je t'ai aimée depuis le premier jour où je t'ai rencontrée à Douala.
- J'ai fait un séjour chez toi à Douala, j'avais de l'estime pour toi. Et dire que j'enviais la façon que tu avais de t'occuper de tes enfants, d'être près d'eux, d'aimer les enfants de ton mari. Dire que parfois je vous regardais et me demandais ce qu'aurait été ma vie si tu étais ma mère, dis-je les sanglots dans la voix.
- Jeneya,
- Non, ne m'appelle plus jamais ! Criai-je en me levant.
- Jeneya Croft, ma petite-fille, intervient la mère de Rustine. Regarde-moi, s'il te plait, regarde-moi ; ce que je fais avec rage.
- Quoi ?
- Je sais qu'en ce moment, tu la détestes, tu as la rage. Tranquillise-toi, la vie s'est chargée de la punir. Tu sais, les blessures de l'âme sont les pires. Les plus grandes barrières sont celles de...
- L'esprit, complétai-je en pensant à Elric durant quelques secondes.
- Rustine s'auto-flagelle depuis toujours, depuis quelques années. Je ne prétend pas que c'est assez, mais sa conscience l'a jugée durant toutes ces années. Et son cœur, son cœur n'a jamais été en paix. J'ai vu ma fille souffrir, j'étais impuissante et souffrais le martyr car je ne pouvais rien, rien de rien. Rustine t'aime depuis toujours et regrette ce geste ainsi que nous tous, d'ailleurs.
- ...
- Je sais que ne représente surement rien à tes yeux mais la maman et grand-mère que je suis, fait-elle en se levant.
- ...
- La maman que je suis, te demande de ne pas prendre de décision unilatérale ou définitive. L'on dit chez nous, que la nuit porte conseils, ma fille. Je te demande humblement, te supplie de e pas prendre de décisions hâtive.
Elle marche jusqu'à moi, me regardant dans les yeux, puis plie, plie devant moi. Elle pose un genou, puis le deuxième, se met à genoux et descend, descend, jusqu'à ce que sa tête touche le sol.
- Je t'en supplie, ma petite-fille, je t'en supplie.
L'image de ma mère et moi, dans notre cuisine, apparait dans mon esprit. Je ne sais plus ce que nous faisions ou ce que je lui racontais, elle se tourne vers moi et me dit, le visage grave.
- Ne laisse plus une personne et surtout, une grande personne se mettre à genoux devant toi.
- Pourquoi ? Demandai-je, étonnée par sa verve.
- Ce privilège appartient au Seigneur. Seul, lui sonde les cœurs. Seul, lui, peut s'arroger le droit de juger. Seul, lui, a le droit de vie ou de mort sur nous. Et n'oublie pas, quoique tu fasses, mets-toi toujours à la place des autres et écoute ta conscience. Ecoute cette petite voix, ce frôlement au creux de ton oreille, écoute le murmure dans le vent.
Je reviens à moi, baisse les yeux et vois cette femme noire, soumise, étendue devant moi, cette femme à mes pieds. Je repense à Elric qui me dit si souvent que le cheveu blanc est très souvent signe de sagesse et que quoi qu'il arrive, il ne faudrait jamais manquer de respect à un aîné ou à une personne âgée.
Je me courbe et descends pour me mettre à son niveau, les larmes aux yeux ; je ne sais pas pourquoi je pleure, je vous assure mais je pleure.
- Non, lève-toi. Je suis touchée par ton geste mais j'ai trop de haine en moi, trop de noirceur en moi. Si je disais que je vous pardonne, ce serait mentir. Je préfère que mon non, soit un non de vérité. En regardant ta fille, le côté sombre de ma personnalité menace de faire surface. Si je reste là, certains mots, dépasseront ma pensée. Non, non, je ne peux. Et si je le fais, ce serait réduire à néant, réduire à zéro l'éducation et les valeurs inculquées par mes parents. Au fil du temps, je m'en voudrais, c'est la raison pour laquelle, je préfère m'en aller, oui, je préfère m'en aller.
Je l'aide à se relever, elle pleure silencieusement et avec dignité. Elle me regarde dans les yeux et me prend dans ses bras. Je n'ai aucune réaction, me laisse faire et me détache d'elle. Je me tourne vers la porte sans un regard vers Rustine, le cœur lourd et les larmes pleins les yeux.
Je suis venue en Afrique du Sud pour des raisons de travail, d'une part mais aussi, parce que cherchant ma vérité. Je croyais tout maîtriser, croyais avoir toutes les données mais avais oublié que la vérité n'est pas exactement la même pour tous. Je viens d'apprendre dans la douleur que la vérité est une illusion de l'esprit. Comme disait Ghandi, nous approchons ou approcherons tous la vérité mais ne l'atteindrons jamais.
J'essuie les larmes qui coulent sur mon visage du revers de la main, touche la main de Raviere qui est devant la porte et monte les marches, menaçant de tomber à tout moment. Je fais mes valises en pleurant, les portes l'une après l'autre jusqu'au bas l'escalier où toute la famille est réunie, les yeux rouges.
- Merci Raviere et Rose, ne pus-je que dire, les sanglots dans la voix.
- Jeneya, tu seras toujours la bienvenue, ici, répond-il en me prenant dans ses bras ; il me tend le collier que je refuse de prendre, j'ai l'impression qu'il me brûle même à distance.
- Que le Seigneur te bénisse, fait simplement Rose en m'embrassant.
- Tu t'en vas, Jen. Tu vas me manquer, pleure Moisha ; j'essuie une larme en la prenant dans mes bras.
- Rael, dis-je en me tournant vers lui. Tu as les yeux rouges, toi. Donc derrière les manières de rustre et macho, tu as un petit cœur. Désolée mais je vais y aller.
- Je comprends, tu seras toujours la bienvenue dans cette maison.
- J'aurai aimé dire au revoir à Maelys qui n'est pas là, ce sera surement pour une autre fois.
Le chauffeur fait avancer la voiture. Je pense à me tourner vers Rustine et sa mère, mais n'y arrive pas. Les bagages sont mis dans la malle arrière, je monte et éclate en sanglots dans la voiture aussitôt la barrière traversée. Je vais rester à l'hôtel, le temps de payer mon billet d'avion.
- J'ai si mal, mon Dieu ! J'ai mal, mal.