PREMIÈRE PARTIE---CHAPITRE III
Write by Fatima
Dakar, deux jours plus tard...
Le taxi s'arrêta devant une belle maison. Après en être descendu, Gora paya la course et aida le vieux gardien occupé avec les bagages de Sagar. Rose lui manquait énormément. Elle l'avait quittée à la gare. Comme elle habitait chez sa tante, il lui était impossible de la voir chaque jour. De plus, pour compliquer encore la situation, la distance qui les séparait s'avérait kilométrique. Elle logeait chez son oncle qui habitait au Point E, tandis que son amie se trouvait au fin fond de Mariste. Mais, se dit-elle, l'essentiel c'est que je ne la perde pas trop de vue...La distance n'est rien lorsque les cœurs sont proches...
-Sagar ? S'enquit Gora. Ne reste pas sur le seuil, veux-tu ? Entre, ta tante nous attend.
Il la conduisit à l'intérieur qui était décoré avec goût. Des pots de roses blanches, rouges et bleus, conféraient à la cour, un aspect de serre. Sagar traversa le couloir dont les murs étaient embellis par de petits tableaux représentant, une scène de chasse, une Nature morte; et un autre, l'immensité bleu, la mer, dans toute sa beauté. Pendant que la jeune fille admirait silencieusement ces chefs d'œuvre humains, une femme vint à sa rencontre. Son oncle était parti, déposer ses bagages dans sa chambre.
-Bonjour, dit-elle en souriant, j'imagine que tu dois être Aminata ?
Sagar qui s'était abandonnée à la contemplation de la maison qu'elle trouvait vraiment à son goût, sursauta avant de se tourner vers son interlocutrice.
-Oui, oui, je suis Aminata. Et vous, vous êtes sûrement ma tante Maty. Je me trompe ?
Rires.
-Du tout, mais dis, as-tu fait un bon voyage ? Tu dois être éreintée, le trajet est long...
Sagar lui sourit :
-Je suis morte de fatigue. A force de s'asseoir, on ne sent plus ses fesses, Et c'est malheureusement mon cas!
Maty éclata de rire, puis entraina la jeune fille.
-Je sens qu'on va bien s'entendre, toi et moi. Allez viens, que je te montre ta chambre. Mais avant, renseigne moi un peu, comme va Coumba, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu, et ton père ? J'imagine qu'il...
La nuit était maintenant arrivée. Dehors, un vent frais et léger soufflait doucement, balayant les visages des passants. Dans chaque coin de rue, il y avait des groupes de jeunes gens qui se retrouvaient autour d'un petit fourneau pour les trois normaux. De vieilles femmes se prélassaient devant leurs portes, un chapelet à la main ou croquant des arachides. Au loin, un chien aboya et fut répondu par un de ses congénères.
Chez Gora, après le diner, tout le monde se retrouva au salon, pour regarder un feuilleton télévisé. Sagar, assise auprès de sa tante, était plongée dans la contemplation de cette boite vraiment bizarre et d'où sortait un peu de tout. Au village, peu de personnes pouvaient s'offrir le luxe de posséder une télé. La majorité disposait d'une radio, pas plus. Pis, ils ne savaient même pas que pareil appareil existait.
Oncle Gora se racla la gorge avant d'annoncer :
-Bon, ma fille, il faut que je te dise une chose avant que je ne l'oublie. J'ai été aujourd'hui à l'université, pour les formalités d'inscription à la faculté de médecine, spécialisation pédiatrie...C'est bien ça... ? Oui...donc, dès la rentrée, tu pourras y aller. Il ne reste plus beaucoup de temps pour vous, les étudiants. Surtout que la médecine est un domaine très complexe. Ce n'est pas du tout un domaine facile. Non seulement la première année est difficile, mais aussi les cours sont nombreux. Il ne te reste donc qu'à t'accrocher et travailler d'arrache-pied pour réussir.
Sagar le remercia chaleureusement avant de s'enquérir :
-T'a-t-on donné une liste de fournitures, mon oncle ? Pour que je puisse commencer à anticiper...
-Il paraît que cela ne sort qu'à l'entrée. Mais, comme il n'existe pas mille et une pédiatries, tu peux commencer par te documenter. Bon, ajouta-t-il en se levant, je vais me coucher. A demain inch'Allah, lança-t-il à la cantonade.
Il sortit, laissant sa femme et sa nièce seules. Au bout de quelques minutes de silence, Maty demanda :
-Aminata, si je ne me trompe pas, tu cherches du travail aussi. En tout cas...c'est ce que ton oncle m'a fait comprendre. Est-ce exact?
La jeune fille se retourna vers elle, le visage souriant :
-Oui, ma tante. J'aimerai vraiment travailler avant la fin des vacances pour pouvoir au moins avoir de quoi satisfaire mes besoins. Comme ça, je pourrai de temps en temps, participer aux frais de la maison, vous aider, en quelque sorte, et envoyer de l'argent à la maison. Vous êtes si bons, mon oncle et toi!
Maty lui retourna son sourire.
-Merci, toi aussi tu es très gentille. Tu ne ressembles point aux jeunes de nos jours, si irrespectueux. Au fait, j'ai une amie canadienne qui cherche une domestique. Si cela ne te dérange vraiment pas, je peux t'y emmener dès demain. Et j'avoue que, Claudette, c'est son nom, sera d'accord pour te prendre. Tu discuteras de ton salaire avec elle.
Sagar ne s'y opposa pas et accepta tout de suite. Sa tante lui donna quelques recommandations, avant de lui servir du lait caillé frais. Tout en sirotant leurs rafraichissements, elles discutèrent de tout et de rien, éclatant de rire sous l'humour de Sagar. Un peu plus tard, avec la fin du programme, elles allèrent se mettre au lit. Avant de se jeter dans les bras de Morphée, Sagar pensa encore une fois au nouveau chemin qu'empruntait sa vie, et se jura de faire l'impossible pour réussir.
Le soleil s'infiltrait à travers les rideaux de la chambre meublée avec soin. Un petit rayon de soleil se promenait coquinement sur le nez de la jeune fille. Sous l'effet de la chaleur de cette caresse, elle se réveilla et s'étirant telle une chatte paresseuse. Elle mit quelques secondes pour comprendre où se trouvait avant de se rappeler qu'elle devait aller avec Maty chez Claudette, pour son nouvel emploi. Elle bondit hors du lit; attrapa à la volée, une serviette posée sur la table de nuit et s'engouffra dans la salle de bains. Trente minutes plus tard, elle descendit à la cuisine. Sa tante sirotait une tasse de café fumant. A sa vue, Maty la gratifia d'un sourire taquin :
-Eh bien, dis donc toi! J'imagine que le voyage a pompé toute ton énergie, tu as dormi comme un loir ! C'est mimi...
Sagar éclata de rire avant de rétorquer:
-Mais je me sens en forme, c'est l'essentiel. Ma tante, maintiens-tu toujours ta décision par rapport à mon travail chez ton amie Claudette?
Maty finit son café avant de répondre :
-Bien sûr! D'ailleurs, en parlant d'elle, je l'ai appelé ce matin. Elle est au courant de ta disponibilité et souhaiterait te rencontrer le plus tôt possible. J'ai fixé, comme convenu, le rendez-vous pour aujourd'hui. Ça te va ?
-Parfaitement. Je finis de prendre mon petit déjeuner et on y va. Mon oncle est-il absent ?
-Oui, il est parti rendre visite à un de ses amis qui est hospitalisé pour hypertension. Je pense qu'il va y passer la journée. Bon, je monte me changer. Sitôt que tu auras terminé, avertis-moi pour qu'on puisse partir sans plus tarder.
Elle alla dans sa chambre, laissant Sagar, seule. Un café au lait et des tartines achevèrent de réveiller la jeune fille. Elle fit la vaisselle, rangea la cuisine avant d'aller chercher sa tante.
On sonna une, deux, trois fois. Au quatrième dring dring, une jeune blanche ouvrit. De taille moyenne, avec des yeux vert bouteille renforcés en clarté par un teint halé dénonçant un bronzage intensif, elle sourit à Maty, avant de remarquer d'une voix où pointait une note de mélancolie.
-Qui vois-je, Maty? ça fait un bail!
L'autre toujours égale à elle-même, se fendit d'un large sourire allant des commissures des lèvres au crâne.
-Plus qu'un bail même! Alors, qu'est-ce que tu deviens ma chère ? Oh! J'ai failli oublier...
Elle se déplaça de façon à ce que Claudette soit en face de Sagar.
Un sourire.
-Vous devez sûrement être la nièce de Maty.
-C'est elle, intervint la jeune femme, c'est Aminata, celle dont je t'avais parlé.
-Je vois mais entrez-donc. Ne restez pas sur le seuil!
Claudette les fit entrer dans un salon aux tons oriental et occidental. La pièce était spacieuse, intime et confortable. Sagar s'y sentit immédiatement à l'aise. Les murs étaient lambrissés de tapis hétéroclites dans l'aile gauche et dans celui de droite, il y avait des rideaux de velours sombre. Ce mélange était si harmonieux, que l'on se voyait dans un conte où l'irréel côtoyait le fabuleux. Une petite bibliothèque, fière de porter autant de savoir dans ses livres, se dressait dans un coin et avoisinait un vase en cristal ancien rempli d'eau de roses blanches. La jeune villageoise appréciait ce perfectionnisme dans les détails et ce goût recherché dans le confort qui exhalait de la pièce. Elle s'abandonna à la contemplation en songeant « Mon Dieu, que c'est beau! Quand est-ce que je pourrai en avoir un similaire?»
Maty, les pensées annihilées par le nouveau feuilleton télé n'avait pas remarqué sa fascination, ou si elle s'en était aperçue, elle s'en était gentiment amusée.
Claudette entra dans le salon et déposa sur la table un plateau où trônaient une carafe et des verres, fragiles de beauté.
-Maty, remarqua-t-elle, je vois que cette série te plait!
La concernée ne l'entendit point, tant ses yeux étaient scotchés sur l'écran ...ses oreilles aussi, comme si elle n'avait jamais vu rien de plus intéressant.
Ce que voyant, son amie servit copieusement de la boisson à Sagar. Quand elle lui tendit le verre, la jeune fille hésita un moment, ne sachant comment tenir cet objet fragile. Claudette, compréhensive, sourit :
-Je te comprends, mais regarde, il suffit juste de faire doucement...
Elle lui montra comment s'y prendre tant et si bien, qu'à la fin, Sagar fut en mesure de tenir le verre sans en renverser le contenu. Claudette s'assit à côté d'elle et engagea la conversation :
-Comme ta tante semble plus intéressée par ce qui se passe à la télé qu'au reste des choses, nous, nous allons faire autrement. On...
Elle s'arrêta, surprise de voir que la jeune fille la regardait, muette. Claudette se tapa le front avec la paume de sa main et afficha un sourire contrit :
-Je vois que tu ne comprends traite mot de ce que je dis. Attends, j'appelle Maty pour qu'elle nous serve d'interprète.
Elle ouvrit la bouche pour parler à son amie quand Sagar la devança :
-A quoi bon, Madame ? Si je ne suis pas habituée à un couvert si élégant, je suis au moins habituée à m'exprimer en français. Vous n'avez pas de raison de vous excuser. Toute la faute m'incombe et vous m'en voyez désolée. J'aurai du me manifester depuis le début, au lieu de garder les lèvres scellées.
Claudette ouvrit la bouche et la ferma. Quelle était sa surprise! Les yeux agrandis, elle fixa Sagar. Puis, reprenant ses esprits, elle murmura, toute ébaubie :
-Si je m'y attendais...
Un cri de Maty les firent se retourner. La jeune dame s'était emparée d'un coussin qu'elle mordait de toute la force de ses molaires. Ses yeux ressemblaient à de gros orbites fixés sur l'écran où un requin avançait dangereusement vers une petite fille barbotant dans l'eau. Cet instant de distraction suffit à Claudette pour reprendre ses esprits. Elle se tourna vers Sagar et lui parla de ses activités dans la maison. Elle n'aurait qu'à bien entretenir la villa, et préparer les repas de son époux, actuellement en voyage d'affaires à Puerto Rico. Claudette préférait manger au dehors. Elles parlèrent menus détails et en virent au salaire. La somme annoncée par la dame était si élevée que Sagar qui avalait de la boisson, fut prise par une quinte de toux. Sa patronne, la regarda amusée et lui dit :
-Quant à toi, je t'apprendrai comment te tenir convenablement à table. Je te donnerai aussi mes livres de cuisine. Tu es intelligente et tu n'auras aucun mal à t'en sortir. Puis, lorsque tu le voudras, nous irons à Women's Touch, la boutique de prêt-à-porter d'une de mes copines pour que tu puisses avoir des tenues adéquates pour des évènements différents. Un dernier saut au salon de coiffure pour la tête, la manicure et la pédicure, quelques effets de toilette incontournables pour une femme, et le tour sera joué!Rassure-toi, le tout sera à mes frais.
Sagar, les yeux brillants la remercia chaleureusement:
-Merci, mrmura-t-elle, merci Madame. Vous êtes vraiment quelqu'un de bien!
Claudette effaça ses remerciements d'un mouvement de la main, et demanda, modeste :
-De rien! Au fait, tutoies-moi, je n'aime pas les lourdeurs, tu veux bien ?
Comme Sagar la regardait sans rien dire, elle se pencha vers elle et dit sur le ton de la confidence :
-Ça empêche d'être libre ! Monsieur par ci, Madame par là! Milord par-ci, Mi lady par là-bas, Sir par ci...
Elles éclatèrent de rire, complices. Au même moment, Maty (le film était terminé), se tourna vers elles :
-Heureusement que le requin n'a pas dévoré la petite. On l'a sauvée à temps.
Elle écrasa une larme, en reniflant...
-Enfin, « tout est bien, qui finit bien!»...et se moucha bruyamment .
Elle n'avait guère remarqué que Claudette et sa nièce avaient toutes les peines du monde à garder leur sérieux.
Maty se tourna vers l'horloge qui marquait onze heures moins le quart, avant de s'adresser aux deux jeunes femmes:
-Bon, et si nous commencions par dire à Amina, en quoi consiste son travail?
Sagar et Claudette éclatèrent de rire, en se tapant la main. Maty les regarda un moment, ne comprenant pas, puis éclata de rire à son tour. Riant du rire des autres, sans savoir de quoi, elle déclencha une hilarité générale.