Retrouvailles (2)
Write by Saria
Chapitre 25 : Retrouvailles (2)
***Une dizaine de jours plus tard***
***Chez les Sidibé – Villa Oasis – Quartier Wemtenga – Ouagadougou, Burkina Faso ***
***Kader***
La famille est là depuis quelques jours déjà ; tout se passe pour le mieux. Un rituel s’est installé ; le matin on prend le petit-déjeuner ensemble, les enfants prennent leurs marques avec l’aide de Lulu. Je ne leur ai toujours pas parlé. Marlène, elle, passe ses journées entre la maison et les boutiques de Kwame Nkrumah et de Ouaga 2000. Pour le moment j’observe et je ne dis rien.
La plupart du temps, je travaille ou au siège ou de mon bureau à la maison. Tout compte fait, je travaille énormément. J’en profite pour mettre en place mon business d’ébénisterie ici. J’ai également déjà été « approché » par les hommes politiques de tous horizons : français, américains, libyens, ivoiriens, maliens, guinéens, libériens et burkinabé… Ce n’est que le début ! Bref, je prends mes marques sans précipitation.
Les week-ends, tous les repas se prennent systématiquement en famille. J’essaie d’être là ; ce qui n’est pas évident.
Ce samedi matin, on était tous là autour de la table pour le repas du matin. Tout le monde, sauf Yacine. Je demande à sa sœur d’aller le chercher pour qu’on commence. Il prend son temps mais il finit par venir, complètement débraillé. Je sens la colère monter en moi mais je m’adresse à lui avec calme.
Moi : C’est comme ça que tu viens à table ?
Yacine : Je n’ai pas faim… C’est toi qui as insisté pour que je vienne…
Il me défie du regard, le silence se fait autour de la table. On pouvait entendre même les mouches volées.
Marlène : Yacine !
Yacine : Quoi ?!
Moi : Tu parles sur un autre ton à ta mère
Yacine : Sinon quoi ? Tu vas me frapper ? Tu vas jouer ton rôle de père ? Désolé mais mon père est mort !
Moi : Laissez-nous seuls s’il vous plaît !
Chérifa : Papa s’il…
Moi : Dehors !
Malgré moi j’avais haussé le ton. J’entends de la bousculade mais je n’en ai cure. La porte se referme, alors j’ouvre la bouche.
- Je t’écoute !
Yacine (silence buté) : …
Moi : Quoi… Tu réalises finalement que tes couilles ne sont pas aussi grosses que tu le croyais ?! Tu me reproches des choses alors dis-les-moi en face !
Yacine : Je veux rentrer chez moi !
Moi : Chez toi c’est là où se trouve ta famille !
Yacine : Non ! Ma famille, c’est Chérifa ! Ma famille, c’est Mamie ! Tu es revenu, tout ça est remis en cause ! Tu nous as abandonnés pourtant !
Moi : Non ! Tu me connais ! Comment peux-tu le penser un instant ?
Yacine : …
Moi : J’étais dans l’incapacité de vous prévenir.
Yacine (amer) : Mais tu connaissais mes résultats scolaires ! Tu nous as laissés tomber !
Moi : Fils ! Assois-toi s’il te plaît ! Une minute !
Il s’assoit sur une chaise. Je lui demande un instant d’un geste et je vais ramener une Chérifa inquiète. Quand tout le monde prend place.
- Ce que je vais vous raconter vous semblera improbable ; mais je vous demande de me croire. Il y a quelques années, j’ai fait la connaissance d’un vieil homme qui m’a passé une commande que j’ai exécutée. Je ne l’ai jamais rencontré mais on se parlait quasiment tous les jours. Le travail réalisé, je lui ai fait la livraison puis je n’ai jamais eu de suite. Tout ça sans jamais le rencontrer mais il avait réussi à réveiller un intérêt en moi : celui du retour en Afrique, la découverte de la terre de mes ancêtres, qui je suis, mon nom, le métier que je fais qui n’est pas le fruit d’un hasard. Il y un peu plus de trois ans, j’ai été contacté par un notaire me spécifiant le fait que je suis à la tête d’un héritage venant de mon grand-père maternel.
J’ai interrogé ma mère qui n’a voulu rien me dire à part que c’était un panier de crabes. Je me suis entêté parce que j’avais besoin de savoir, mais aussi parce que je voulais découvrir cette part de moi. Mon voyage au Burkina Faso n’a pas été de tout repos. J’ai été confronté à l’adversité… Je vous passe les détails. Je n’héritais pas que de biens ; j’héritais d’une famille, d’une collectivité.
Je ne mesurais pas les implications… moi qui ai reçu une éducation purement occidentale, même si je comprenais quelques bribes de dioula et que j’avais des potes africains. Hum… Je ne sais plus mais un soir je me suis couché dans la maison de mon grand-père et je me suis réveillé dans un pays que je ne connaissais pas. Sans papier, sans mémoire, sans le sou. Je n’ai retenu que deux choses : je m’appelle Kader Diaby et j’avais 40 ans.
Un jour mon chemin a rencontré celui d’une jeune femme qui m’a aidé et sorti de la rue. J’ai vécu environ huit mois avec elle. Puis j’ai commencé à avoir des flashs. En creusant un peu, je suis revenu au Burkina. Dès que ma mémoire est revenue… J’ai organisé ce voyage, votre arrivée. Il y a encore pas mal de choses que vous ignorez, les unes que je vous dirai progressivement, d’autres que vous ne saurez jamais. Tellement c’est laid ! Mais ces dernières années n’ont pas été de tout repos !
Mais le plus important à retenir pour vous est que JAMAIS je ne vous ai abandonnés ! J’ai souffert et je souffre encore autant que vous de la séparation. J’essaye là, chaque jour, à chaque instant de rattraper tout ça ! Tu es en colère Yacine ? Je le suis plus que toi ! Ce qui m’a été enlevé, personne ne me le rendra !
J’ai besoin de vous ! Pour le moment, votre maison c’est ici ! J’ai conscience de vous exposer parce que l’adversité est là, permanente et tout près ! Mais je ne pouvais plus rester loin de vous !
J’ai besoin de réapprendre avec vous à être un père patient et aimant ! Tes repères sont ébranlés ; on est tous dans la même situation. Ta grand-mère… est au Burkina… Mais nous ne pourrons pas encore la voir ! Elle est occupée.
Je ne suis peut-être pas parfait mais je vous aime ! Alors, les choses sont entre vos mains… Je n’ai pas tout choisi de ce qui nous arrive…
***Yacine***
Il a raison… Je suis en colère… Une grosse colère mais après tout ce qui vient d’être dit, ce sentiment est remplacé par de la gêne, de la honte. J’ai pensé un instant qu’il allait me taper dessus quand mon père a demandé aux autres de sortir.
Il ne m’avait jamais levé la main dessus pourtant… Je transpirais la peur mais également la colère.
Il se lève et vient se mettre devant moi. Les bras écartés, les yeux embués de larmes, la voix vibrante.
Papa : Je ne peux pas te rendre ce dont tu as été privé ! Ce critère qui selon toi me fonde à être ton père ou non. Mais pour moi tu restes mon fils. Tu veux décharger ta colère ? Je suis là debout, j’encaisserai. Mais je voudrais que tu me dises et me fasses les reproches en me regardant. Tu veux me taper dessus ? Viens, lève-toi ! Tu veux te battre ?
Je me lève et j’entends ma sœur souffler. Le menton droit, les lèvres serrées, les narines palpitantes j’avance.
Chérifa : Yass non !
Je m’avance à petits pas, mes yeux rivés aux siens.
Chérifa : Yass… C’est ton père !
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