Seul à seule

Write by lpbk

Le chef nous laisse à nos réflexions aussi, retournant en cuisine d’où nous parviennent des bruits de vaisselle et la voix de Marguerite qui ne semble pas contente que Jacques empiète sur son espace.

     Marguerite n’a pas l’air ravie que la dégustation se fasse ici, lançai-je pour rompre le silence pesant qui s’était installé.

     Marguerite déteste être dérangée dans ses petites habitudes, me répond André en levant les yeux au ciel. Et elle déteste par-dessus tout que quiconque mette les pieds dans sa cuisine, ajoute-t-il en insistant sur le « sa ». même moi, je n’ai pas le droit d’y entrer.

     Donc ta gouvernante te mène à la baguette, ris-je. Les bonnes habitudes ont la vie dure, dirait-on, continuai-je faisant référence à madame Rose, l’ancienne gouvernante des Felton qui derrière son cœur d’or, cachait un Cerbère qu’il ne fallait pas enquiquiner et qui dirigeait la maisonnée d’une main de fer dans un gant de velours.

     J’ai été très affecté par son décès…

     Oh, je… Je ne savais pas ! balbutiai-je, bêtement.

Normal finalement puisque nous ne sommes plus en contact depuis pas mal d’années. Et puis, lorsque j’étais jeune, madame Rose semblait aussi vieille que Mathusalem. Il était donc inévitable qu’elle meurt un jour. Malgré tout, elle semblait aussi faire partie des meubles chez les Felton.

     Quand est-ce arrivé ? m’enquis-je.

     Il y a deux ans, déjà. Elle avait pris sa retraite depuis quelques années et était partie rejoindre sa fille du côté de Kribi. D’après elle, elle n’a pas souffert puisqu’elle est morte paisiblement dans son sommeil.

Je ne sais que répondre à cela, et la conversation s’essouffle.

     Pour en revenir au menu, reprend André me tirant de mes pensées, qu’as-tu préféré ?

     Tout était très bon, je dois dire. Mais si nous voulons rester dans le thème champêtre, il faut que le menu ne soit pas trop sophistiqué. Je pense que…

La conversation dure encore un long moment avant que nous décidions enfin.

Le menu sera donc composé du millefeuille, suivi d’un suprême de lotte fumée accompagné de son gratin dauphinois. Nous continuerons avec un plateau de divers fromages français garni de sa salade aux noix ; pour conclure par un framboisier royal servi en pièce montée. Je pense qu’Olivia sera satisfaite de ce menu qui reste chic mais dans le thème. Sophistiqué mais sans extravagance.

Jacques étant revenu entre temps, je discute avec lui du tarif de la prestation et tente de négocier les prix mais André s’interpose.

     L’argent n’est pas un problème, je te l’ai déjà dit Mélanie.

     Mais je… protestai-je.

     Laisse tomber, je verrai moi-même avec Jacques.

     Comment… Tu ne peux pas… balbutiai-je, outrée.

J’aperçois Jacques qui opère un repli stratégique en cuisine lorsqu’il comprend que la discussion risque de tourner au pugilat.

     Comment as-tu osé me faire cela ? finis-je par éructer. Le mariage d’Olivia n’est pas le seul dont j’ai la responsabilité ! Je dois, dès le début, négocier avec Jacques pour qu’ensuite nous puissions continuer à travailler ensemble en harmonie ! Tu as bafoué ma crédibilité !

     Ce n’était pas mon intention… se justifie André, penaud.

     La prochaine fois, tasi-toi simplement et laisse-moi faire mon travail. Il va maintenant falloir que je rattrape ta bêtise auprès de lui car si toi, tu as les moyens de payer des sommes folles, ce n’est pas le cas de tout le monde, je te rappelle !

     Je le sais bien…

     Non, tu ne le sais pas ! Tu as toujours tout eu alors tu ne peux pas comprendre que certaines personnes désirent parfois se faire plaisir mais ne peuvent pas claquer leur argent sans compter, conclus-je.

     Désolé, Mélanie. Laisse-moi me faire pardonner, je t’en prie.

Il me fait son regard de chien battu, que je connais par cœur d’ailleurs. André sait y faire avec les femmes, depuis sa plus tendre enfance. Je sens ma colère refluer peu à peu jusqu’à s’apaiser complètement.

     Ne crois pas que t(en tireras comme ça…

     J’ai une idée, me lance-t-il. Si nous allions diner ensemble mercredi soir. Nous pourrions revoir tout ce que tu veux au sujet du mariage d’Olivia et je pourrais t’en raconter plus sur elle pour que je puisse mieux la cerner, s’enthousiasme-t-il.

     Désolée mais ce ne sera pas possible, les rembarrai-je lui et son arrogance. Je sors avec Ethan mercredi soir…

Ce n’est pas tout à fait la vérité puisque je sors avec les filles et que nous serons escortées par trois hommes dont Ethan mais c’est presque pareil. Et puis, il n’est pas obligé de tout savoir, alors qu’importe ! Et puis, si cela peut le faire cogiter un peu, cela ne lui fera pas de mal…

Il semble hésiter puis me propose :

     Dans ce cas, vendredi soir. Je suis pris par un diner jeudi soir, se justifie-t-il.

     Oh… Eh bien… C’est que… bredouillai-je.

     Ne me dis pas que tu es prise tous les soirs de la semaine, tout de même ? rit-il.

     Non, bien sûr. Masi je…

     Bien, m’interrompt-il. Dans ce cas, je viendrais te chercher vendredi à ton appartement. Je dois y aller, je te laisse négocier avec Jacques, continue-t-il avec un clin d’œil. A plus.

Et comme Claire quelques instants plus tôt, il me plante là.

C’est ce moment que choisit mon téléphone pour biper, signe que j’ai reçu un nouveau mail privé. Peut-être est-ce Alexandre qui confirme sa présence… ou Franck qui annule.

Je suis fébrile lorsque j’ouvre l’application et clique sur le message qui vient… d’Alexandre !

Alexandre : Chère Mélanie,

Je suis flattée par l’intérêt que tu as porté à mon profil et je t’en remercie.

Par ce message, je te confirme que je serai présent mercredi soir.

Communique-moi l’heure et le lieu du rendez-vous.

Cordialement. Alexandre.

J’ai l’impression qu’Alexandre a confondu « rencard » et « entretien d’embauche ». Après je ne vais pas lui en vouloir. Lui, au moins, ne fait pas de faute d’orthographe, est poli et semble timide. Je trouve ça adorable. C’est finalement un bon point pour lui.

Visiblement, tout le monde s’est donné le mot puisque je reçois à l’instant même un appel de Coralie.

     Hey ! Comment vas-tu ?

     Bien, bien… me répond-elle laconiquement. Ecoute pour mercredi…

     Justement, nos grands esprits se rencontrent, l’interromps-je. Je viens de recevoir un mail d’Alexandre qui confirme sa présence. Nous serons six, c’est parfait ! continuai-je tout excitée désormais.

     Je ne sais pas si je pourrais… tente de placer Coralie.

     Ah non, mademoiselle ! Certainement pas ! Tu as eu cette idée avec…

     Astride a eu l’idée, pas moi…

     Idée que tu as joyeusement approuvée, contrai-je, donc maintenant tu assumes. J’ai assuré aux trois rencards que nous serions trois donc tu seras de la partie ! Et d’ailleurs, pourquoi ne veux-tu pas être des nôtres ? Tu n’es jamais la dernière pour faire la fête d’habitude… m’étonnai-je.

     Rien, juste un coup de blues. Je serai là, ne t’inquiète pas.

     Tu es sûre que tout va bien ? m’inquiétai-je tout de même. Déjà, la dernière fois…

     Justement, m’interrompt-elle, mercredi il y a une soirée chez The top of Standard, je pourrais facilement nous y avoir des places. Qu’en penses-tu ?

The top of Standard est un rooftop très sélect de Douala. D’ailleurs, il n’est pas loin d’une discothèque très branchée aussi, appelé le Mandarin.

Je ne veux pas paraitre snob ou superficielle envers ces messieurs et j’ai peur qu’aller dans ces lieux chics, luxueux et tous ces adjectifs pour décrire un monde où je n’ai pas l’habitude de mettre les pieds, ne soit une mauvaise idée.

     Ce n’est jamais « too much ». Ce sera parfait, j’en suis certaine. Je nous réserve une table pour six là-bas et nous verrons bien. Si ton Alexandre et ton Franck sont des ploucs, ils seront refoulés et pas besoin de se prendre la tête avec eux. Précise tout de même à Ethan qu’il faut qu’il soit très chic.

Je l’imagine bien me faire un clin d’œil de l’autre côté du téléphone et ris.

     Bien sûr, je n’y manquerais pas. N’empêche, Astride et toi auraient des explications à me fournir quant à votre rencontre.

     Il ne t’a rien dit ?

     A ton avis ?

     Intéressant… murmure-t-elle telle une conspiratrice. Bon, je dois te laisser, un appel sur l’autre ligne. On se voit mercredi. Ciao !

Je raccroche à mon tour. Il ne me reste donc plus qu’à prévenir trois hommes que nous allons avoir rendez-vous dans l’un des endroits les plus huppés et les plus chers de Douala.

Je sens qu’ils vont être ravis…

 

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