Dalila quitta le cabinet de Soraya d’un pas lent, son esprit toujours embué par le flot de souvenirs qu’elle venait de déverser. Une fois dans sa voiture, elle s’installa au volant et prit une profonde inspiration. Le silence environnant fut rapidement brisé par sa propre voix.

– Tu crois que je vais devoir y retourner la semaine prochaine Amid ? lança-t-elle en jetant un coup d’œil au siège passager vide. 

Amid, bien sûr, ne répondit pas. Mais cela ne semblait pas l’arrêter.

– Elle a posé trop de questions aujourd’hui... Mais je crois qu’elle m’aime toujours bien, tu sais ? Elle n’est pas comme les autres. Elle ne me juge pas

Le moteur ronronnait doucement tandis qu’elle s’engageait sur la route menant à son appartement. La voix de Dalila oscillait entre légèreté et gravité, comme si elle dialoguait réellement avec son défunt fiancé. Ses paroles étaient ponctuées de rires discrets, de pauses songeuses, et parfois même d’un soupir, témoins d’une illusion profondément ancrée dans sa psyché.

En arrivant chez elle, elle poussa la porte et alluma la lumière de la cuisine. Elle posa son sac sur la table et se dirigea instinctivement vers le réfrigérateur.

– Alors, qu’est-ce que tu veux manger ce soir ? demanda-t-elle en feignant d’attendre une réponse. 

Elle ouvrit le frigo et observa son contenu avec une mine exagérément pensive. 

– Des pâtes, encore ? T’es vraiment un italien dans l’âme, Amid, plaisanta-t-elle.

Elle se mit à préparer le repas, discutant tout au long du processus, échangeant des plaisanteries comme si Amid était là, juste derrière elle. À un moment, elle se retourna brusquement, comme pour répondre à une remarque invisible.

– Très drôle ! Comme si je ne savais pas cuire des pâtes al dente !

Le dîner terminé, elle dressa deux assiettes sur la table, une devant son siège habituel, l’autre en face. Elle mangea dans un calme étrange, ponctué par des sourires fugaces et des murmures adressés au vide. Quand elle eut fini, elle débarrassa les assiettes et alla s’asseoir dans le salon, son regard perdu dans les ombres mouvantes du plafond.

Pendant ce temps, au poste de police, Jimmy continuait de se plonger dans les antécédents des suspects. Une nouvelle piste venait d’émerger, cette fois concernant Linda. En analysant une photo trouvée dans les archives numériques d’une des victimes, il remarqua une silhouette familière en arrière-plan. Linda. Elle se tenait à quelques mètres de la victime lors d’un événement caritatif organisé deux ans auparavant.

– C’est quoi, ça ? marmonna Jimmy, agrandissant la photo sur son écran. 

Il fouilla davantage et trouva une autre incohérence dans le CV de Linda. Elle prétendait ne jamais avoir rencontré l’une des victimes, mais une ancienne collègue de travail confirmait qu’elles avaient toutes les deux participé à une conférence professionnelle au même moment.

Intrigué, Jimmy convoqua Linda au poste pour un interrogatoire. Elle arriva vêtue d’une tenue sobre, son visage trahissant une certaine nervosité.

– Merci d’être venue, Linda, commença Jimmy, adoptant un ton neutre. Je veux revenir sur quelques points concernant vos relations avec les victimes.

Linda hocha la tête, son regard oscillant entre Jimmy et les documents étalés sur la table.

– Vous avez affirmé ne pas connaître Lisa Thibault, mais cette photo raconte une autre histoire. Vous êtes en arrière-plan, juste derrière elle, à cet événement. Que faisiez-vous là ?

Linda se pencha pour regarder la photo et pâlit légèrement. 

– Oh... oui, je me souviens de cet événement maintenant, répondit-elle, sa voix tremblante. Mais je ne la connaissais pas personnellement. J’étais juste une invitée, comme tant d’autres.

Jimmy fronça les sourcils. 

– Et cette conférence à laquelle vous avez assisté ? On m’a confirmé que vous y étiez en même temps qu’une autre victime, Vicky Delovan ainsi que Dalila De Sousa.

Linda serra les mains sur ses genoux. 

– C’est une coïncidence, inspecteur. Dans notre milieu, on croise souvent les mêmes personnes sans vraiment les connaître.

– Vous comprenez que ça fait beaucoup de coïncidences, Linda, répondit Jimmy, son ton devenant plus incisif. Avez-vous autre chose à ajouter avant que je poursuive mes vérifications ?

Linda secoua la tête, évitant soigneusement le regard de Jimmy. Celui-ci sentit qu’elle lui cachait quelque chose, mais il n’avait pas encore de preuves solides pour la retenir.

Jimmy laissa le silence s’étirer après la réponse de Linda, scrutant son expression comme un prédateur jaugeant sa proie. Ses doigts pianotèrent légèrement sur le bureau, un geste calculé pour introduire un léger malaise. Linda, toujours sur la défensive, joua nerveusement avec la chaîne de son collier, un mouvement répétitif qui trahissait une anxiété contenue.

– Vous dites ne pas connaître Amid, reprit-il doucement, mais la dernière fois que nous avons interrogé un ami proche de Lisa, il nous a affirmé vous avoir vue à une soirée où Amid était également présent. Alors, si ce n’était pas une rencontre significative, pourquoi nier ?

Linda plissa les yeux, un mélange de surprise et d’indignation traversant ses traits.

– Une soirée ? Je ne vois pas de quoi vous parlez. Et même si j’y étais, cela ne prouve rien. Des dizaines de personnes croisent d’autres dizaines dans ces événements. Vous pensez sérieusement que ça fait de moi une suspecte ?

– Peut-être pas une suspecte. Mais une personne d’intérêt, certainement, répliqua Jimmy, l’ombre d’un sourire à peine perceptible sur ses lèvres. Ce que je ne comprends pas, Linda, c’est pourquoi vous insistez autant à minimiser ces détails. Si vous n’avez rien à cacher, vous pourriez tout simplement coopérer. Vous aviez consciemment ou inconsciemment été en contact avec trois des victimes.

Elle croisa les bras, une barrière physique qui accentua son irritation.

– Je coopère. Vous me posez des questions, je réponds. Ce n’est pas de ma faute si vous voulez tordre mes paroles pour leur donner un sens qui vous arrange.

Jimmy hocha la tête, presque imperceptiblement, et recula dans sa chaise.

– Très bien, Linda. Disons que vous avez raison. Disons que nous exagérons. Mais je vais tout de même faire un dernier tour dans votre dossier, histoire de vérifier quelques petites choses. Des incohérences dans des dossiers administratifs, des relations professionnelles tendues… rien de grave, vous comprenez, mais ce genre de détails finit toujours par peindre un tableau plus large.

Linda se redressa brusquement.

– Quelles incohérences ?

Jimmy leva un sourcil, marquant une pause volontaire pour laisser l'inquiétude s'installer.

– Rien que nous ne pourrons pas clarifier ensemble, bien sûr. On vous rappellera si nécessaire. Pour l'instant, je vous conseille de rester à disposition.

Linda, visiblement troublée, glissa une mèche de cheveux derrière son oreille et récupéra ses affaires.

– Vous perdez votre temps, inspecteur, dit-elle avec une assurance forcée avant de quitter la pièce, ses talons résonnant sèchement dans le couloir.

En la raccompagnant à la sortie, il lança une dernière question.

– Une dernière chose, Linda. Pourquoi avoir omis ces détails dans vos déclarations initiales ?

– Ce n’était pas important, murmura-t-elle avant de partir précipitamment.

Jimmy la regarda s’éloigner, son esprit bouillonnant de doutes. Quelque chose clochait, et il était déterminé à découvrir quoi.

Jimmy resta seul dans la salle d'interrogatoire, fixant le siège vide face à lui. Il sentit un mélange d’agacement et d’excitation monter en lui. Quelque chose ne collait pas, il en était convaincu. Peut-être pas de quoi accuser Linda directement, mais assez pour ne pas la rayer de la liste des suspects.

Il sortit un carnet de sa poche et y nota quelques points clés :

• Relation avec Lisa : pourquoi minimisée ?
• Présence à la soirée mentionnée ? Creuser davantage.
• Antécédents professionnels à vérifier.

En retournant à son bureau, il passa devant son collègue Marouane qui l’interpella :

– Ça s’est bien passé avec Linda ?
– Comme un entretien d’embauche, répondit Jimmy en esquissant un sourire ironique. Elle est brillante pour détourner les questions. Mais quelque chose me dit qu’elle cache plus qu’elle ne veut bien admettre.

Marouane haussa les épaules, peu convaincu.

– Tu veux que je creuse un peu dans ses relations ? Voire si on peut trouver d'autres témoins pour confirmer cette histoire de soirée ?
– Oui, et vérifie ses précédents postes aussi. Quelque chose cloche dans son parcours. Je veux savoir si elle a travaillé avec une autre des victimes.

Marc acquiesça et se dirigea vers son poste, laissant Jimmy seul face à un flot de réflexions. Alors qu’il s’asseyait, une notification sur son ordinateur attira son attention : une réponse du service technique concernant l’analyse de l’ordinateur de Lisa. Il ouvrit le dossier, ses yeux scannant rapidement le contenu. Une série de messages intrigants apparut, l’un d’eux contenant un prénom : Linda.

Il sentit son cœur s’accélérer légèrement. Et si Linda n’était pas seulement une coïncidence ?