Sur les traces de la mère !

Write by Saria

Chapitre 19 : Sur les traces de la mère !

*** Chez Lucien – Quartier Zogona – Ouagadougou***

***Selma***

Je frappe avec insistance, c’est le crépuscule. J’ai juste eu le temps de déposer Yacine et de demander à Audrey de mettre la table et de s’occuper de son père quand il rentre. C’est le jour de congé de Loubna. C’est d’ailleurs cette dernière qui vient m’ouvrir ; lorsqu’elle me voit une sorte de gêne passe dans ses yeux. Elle semblait intimidée, je ne vois même pas pourquoi. Cela fait un moment que je l’encourage dans cette relation.

Moi : Bonsoir miss.

Loubna : Bonsoir Tantie.

Moi : Ton homme est là ?

Loubna : Oui Tantie, il faut entrer !

Elle est trop chou, partagée entre la gêne et son rôle de maîtresse de maison. Je lui souris pour la mettre à l’aise. Lulu entre en arrangeant son débardeur.

Lulu : Hey Selma ! Comment tu vas, ma belle ? Il n’y a rien de grave j’espère ?

Moi : Hum… Une chose est sûre personne n’est mort. Mais j’ai besoin de ton aide d’urgence.

Lulu : Dis-moi tout ! Loubna ma chérie, tu veux bien nous laisser, s’il te plaît ?

Moi : Je voudrais que tu m’emmènes chez Kompoh, dans le Fada !

Lulu : Oh ! Pourquoi ? Kader a un problème ?

Sans entrer dans les détails, je lui explique que la mère de mon homme était aux soins là-bas. Comme à son habitude, il m’écoute attentivement sans prononcer une parole. Nous nous entendons sur les différentes dispositions à prendre.

Moi (concluant) : Je te dirai pour la date du départ. Merci encore pour tout, grand-frère.

Lulu : Rentre bien et fais-moi signe quand tu arrives… Loubna ? Notre étrangère s’en va !

Moi : C’est compris… Merci encore Loubna, nous nous voyons demain n’est-ce pas ?

Loubna : Oui Tantie… Rentre bien !

 

***Quelques minutes plus tard***

Je retrouve ma maison, mon homme et mes « enfants », ils m’appellent « petite mère ». Ils sont à table, je me lave les mains et me sers. Je sens le regard interrogateur de Kader sur moi mais je crois qu’il se doute bien que nous ne pouvons pas en parler là.

Yacine : Tatie ? Tu veux toujours me donner des cours de danse là ?

Moi : Moi ?! Onh onh ! Toi, tu m’as minimisé ici non ?!

Yacine : Tatie chou, s’il te plaît !

Moi : Lol ! Audrey t’a déjà briefé ; quand on m’appelle comme ça je fonds… Mon gars, barré !

Audrey : En tout cas, Tatie si tu ne l’aides pas, c’est mort pour le bal de sa promo hein… Il veut inviter sa chérie.

Kader (moqueur) : Comme ça tu dragouilles quoi ?  Au lieu de demander aux anciens comment on fait pour ferrer le poisson, tu veux apprendre à danser.

Audrey: Eusss! Kader Diaby the boss!

Kader : Ah oui ! Sinon comment j’ai fait pour attraper tata Selma ?

Moi (rigolant) : Ah donc tu m’as attrapée ?!

Kader (se rengorgeant) : Et comment que je t’ai attrapée ! Attrapée, collée, cimentée !

Nous rigolons tous ensemble, il commence à raconter aux enfants les soi-disant TAP[1] qui auraient marché sur moi.

 

***Kader***

Quand nous arrivons dans notre chambre, je la prends contre moi. Depuis que je m’en suis ouvert à elle, j’ai besoin de la sentir près de moi. Comme si j’assumais ma part d’humanité et de faiblesse. Dans ses bras je suis juste Kader, un homme simplement avec ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts.

Selma : Il faut que tu dises aux enfants que leur grand-mère est ici au Faso.

Je me crispe automatiquement et m’apprête à me défaire d’elle mais elle me retient contre elle.

Selma : Elle fait partie de leur vie. Yacine ne supporte pas les adieux, il vit les départs comme un drame, d’abord toi, sa grand-mère, sa mère, moi…

Moi (douloureusement) : Elle est malade et diminuée ! Je ne veux pas qu’ils la voient comme ça !

Elle se détache et encadre mon visage. Ses yeux cherchent les miens, ils sont empreints de douceur.

Selma : Bébé, ils prendront soin d’elle. C’est leur grand-mère, ils l’aiment ! Il suffit de les préparer sinon, ils t’en voudront plus tard. Et elle, tu as pensé à elle ? Je vais les accompagner la voir, tout ira bien crois-moi !

Moi : Ok… Nous leur en parlerons demain.

Selma : Nous ?

Moi : Oui… Nous… Je ne le ferai pas sans toi !

 

***Deux jours plus tard***

***Villa Oasis-Bureau de Kader***

***Chérifa***

Yass et moi nous nous serrons fort les mains tout le temps où papa nous explique la maladie de notre grand-mère. Les implications spirituelles qui font qu’ils ne pourront plus jamais être en présence physique l’un de l’autre. Nous nous serrons fort les mains, comme pour mieux affronter ce qui arrive. C’est ainsi, depuis que nous nous sommes réveillés un matin pour apprendre que nous ne reverrions plus jamais notre père.

Papa : Elle a des moments de lucidité qui ne durent pas vraiment…

Yacine : Je veux la voir !

Tatie (avec douceur) : Tonton Lulu nous y emmènera en fin de semaine. Nous partirons vendredi après les cours et reviendrons dimanche soir.

Moi : Ok… Nous allons nous préparer…

Papa : Je suis désolé de vous imposer cette nouvelle épreuve.

Yacine : Hum… Y a-t-il autre chose que nous devrions apprendre par rapport à toute cette histoire ?

Un silence passe et j’ai l’impression que notre père cherche ses mots.

Moi : Papa ?

Papa : Euh… Oui… Tonton Booba est décédé, il y a un mois.

Yacine (ironique) : Donc maman est veuve…

Moi : Yass !

Yacine (me regardant) : Je ne suis plus un gamin ! Je sais pourquoi ils ont divorcé !

Il se lève et vient se mettre devant papa, le fixe en disant :

- Pa, j’espère que c’est TOUT ! Je suis fatigué des mélodrames… J’ai besoin d’une pause.

Papa : C’est tout !

Tata Selma les attire contre elle, je les rejoins et nous nous serrons les uns contre les autres.

 

***Quelques jours plus tard***

***Tanwolbougou***

***Chérifa***

Nous entrons dans un hameau tard dans la nuit, il doit bien sonner 22 heures. Nous sommes tous fatigués, Yass a posé sa grosse tête sur mon épaule. Dès que la voiture s’arrête, je le secoue et il se redresse en se frottant les yeux.

Tonton Lulu : Terminus tout le monde descend !

Effectivement, nous descendons tous de la voiture. J’avais les membres engourdis. Je fais quelques pas, histoire de me détendre. Une petite vieille attend à l’entrée d’une maisonnette. Tata Selma et Tonton Lulu sont devant et mon frère et moi fermons la marche.

Elle nous souhaite la bienvenue, dans un français approximatif. Elle enchaîne en langue. Tout le monde entre dans la case, je comprends qu’elle nous offre l’hospitalité. Au moment où je m'apprête à  franchir le seuil de la porte, elle me bloque avec sa canne. Pensant que sa canne me barre le chemin par inadvertance, j’essaye de pousser ; étrangement je n’y arrive pas. Je fronce les sourcils et pousse encore, la canne ne bouge pas d’un iota et pourtant la vieille ne semble pas faire un effort particulier.

Tonton Lulu : Mais Chérifa, tu fais quoi dehors ?

Moi : Mais tonton, je n’arrive pas à passer la vieille me bloque.

Tonton ressort, il échange en langue avec elle et me montre du doigt. Je tourne un regard interrogateur vers eux.

Tonton Lulu : Kompoh dit qu’elle connaît son petit mari, mais toi tu es qui ? Rien ne lui prouve que tu ne sois pas sa rivale.

Moi (exaspérée) : Oh ! Tonton dis-lui que je suis celle qui a ouvert le chemin au mari dont elle se prévaut. Que si elle ne veut pas que je trouve quelqu’un pour la remplacer au pied levé, elle ferait mieux de me laisser passer !

Lorsque tonton traduit, elle éclate d’un rire malicieux, ses yeux vifs s’animent. Elle s’efface et me laisse passer. Je comprends que je viens de passer mon test de bienvenue.  Il y a de la nourriture en quantité, nous nous restaurons. Le temps de finir, c’était déjà l’heure de dormir. Nous nous organisons pour la nuit : les hommes dorment d’un côté et Tata et moi occupons l’autre pièce.

Le lendemain très tôt, nous faisons le ménage, puis Tatie et moi descendons vers la rivière. C’est seulement au retour que j’assiste à une scène qui m’émeut : mamie et Yacine sont assis sur une natte. Elle a posé sa tête sur les cuisses de Yacine. Ce dernier ne semble pas du tout perturbé.

Je décharge ma calebasse, et m’avance vers eux.

Mémé : Tu sais Dramane, à l’usine ça a été très dur aujourd’hui !

Yacine : Je comprends mais tu es brave !

Mémé : Merci mon chéri. Notre fils, j’espère qu’il sera grand et fort comme toi… Surtout gentil comme toi.

Mon frère remarque ma présence, il me montre du doigt.

Yacine : Regarde ta petite fille, Chérifa !

Mémé : Oh ! Elle est magnifique ! Approche jeune fille !

 

***Selma***

J’avoue avoir été déstabilisée avec la rencontre de la mère de Kader. Elle est, selon ce que j’ai compris, dans ses bons jours. La détresse l’a fait se réfugier dans les meilleures années de sa vie : sa vie avec Dramane Sidibé, le père de Kader. Mais étrangement, lorsque Kompoh m’a présentée, elle m’a regardée avec de grands yeux, m’a caressé la joue :

« Protège-le du monde, c’est mon fils ! ».

Trop émue pour réagir, je l’ai regardée juste et ai hoché la tête après coup. Ensuite, elle est passée à autre chose. Là, j’observe Audrey et Yacine, ils ont compris et jouent le jeu. Nous avons eu raison de leur avoir parlé. Ils n’ont pas leur grand-mère comme elle était mais c’est quand-même elle. Tout ce qu’elle leur raconte dévoile un peu de la vie qu’elle a eue, je crois que ça les édifie.

Le lendemain soir, le départ est assez dur. Les enfants ont du mal à se détacher de leur mémé. Tous les trois sont comme dans une bulle. Ils se touchent le visage, se serrent les uns les autres. Moi je suis un peu en retrait, Lulu vérifie la voiture avant que nous ne prenions la route.

Concentrée dans la scène qui se déroule sous mes yeux, je réalise que Kompoh s’est déplacée et se trouve près de moi que lorsque je sens un coup sec tiré à ma taille. A mes pieds des cauris s’étalent, je ne me souviens pas de ça ! Sa voix résonne dans ma tête.

« Maintenant que tu as réparé, l’année prochaine à pareil moment, tu seras pleine comme une jarre d’eau et tu feras des triplés[2]. ».

Elle disparaît à mes yeux. Aussitôt, un vent fort se lève, le tourbillon commence à se former. C’est le signal. Lucien nous fait embarquer sans attendre. Nous arrivons tard dans la nuit ; Kader est dehors et nous attend. Je suppose qu’il doit être anxieux ; puisque le réseau n’étant pas bon, nous n’avons pas pu lui parler depuis notre départ. Dès que la voiture s’arrête, je descends et me jette dans ses bras. Ensemble nous réveillons les enfants qui commencent à raconter à leur père tout ce qu’ils ont vu et fait. Je crois qu’on en a pour toute la nuit. J’invite Lucien à rester ce soir.

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[1] Techniques d’Approches

[2] Clin d’œil à toi Elsa.

L'homme qui n'avait...