Toujours des explications
Write by lpbk
— Tu n’as pas tort, continue-t-elle alors que je reste
bouche bée, sous le coup de la stupeur, me demandant ce qu’elle a entendu. J’ai
entendu votre petite conversation, reprend-t-elle, répondant à ma question
muette. J’ai préféré attendre la suite pour avoir une réaction, comment dire,
honnête et je dois dire que je ne l’ai pas volée, celle-là.
Je me tourne vers André, qui lui aussi,
semble étonné par la présence de sa mère dans son bureau.
— Nous pourrions peut-être nous installer plus
confortablement, me propose-t-elle en me montrant les fauteuils alors même que
je suis toujours debout, comme une gourde. Je me suis permise de demander à
Marguerite de nous faire apporter un peu de café et quelques-uns de ses
délicieux cookies.
Elle sourit, tout en s’installant, ne
semblant nullement consciente de notre trouble ou préférant l’ignorer. Je
m’assieds sur le second fauteuil faisant face à André, celui que j’ai quitté
quelques instants plus tôt. A peine avons-nous pris place que la cuisinière
débarque avec la collation commandée par la matrone.
Lorsque Marguerite eut fini de nous servir
et sortir, la mère de mon amant reprend.
— Tu n’as pas tort, se répète-t-elle, lorsque tu dis que
je veux tout contrôler. Mais il faut que tu comprennes pourquoi. Tu vois,
poursuit-elle après avoir avalé une gorgée de son café, ma famille était très
riche, fabuleusement riche. Pas autant que nous le sommes à présent mais
lorsque j’étais jeune, nous étions parmi les familles les plus fortunées et par
conséquent, les plus influentes du pays. Et j’étais aussi naïve qu’Olivia. Ce n’est
pas André que j’aurais dû protéger mais ma petite fille. Je m’en veux tellement…
Elle s’interrompt, perdue dans ses
pensées, émue.
— Tu n’as pas à t’en vouloir, la rassure son fils. Personne
n’aurait pu se douter…
— J’aurais dû ! affirme-t-elle alors. Enfin, là n’est
pas la question. Pour que tu comprennes mes motivations Mélanie, il faut que je
te dise que je n’ai pas toujours été cette vipère, comme tu dis.
Elle m’adresse un sourire contraint mais
ne semble pas m’en vouloir alors que moi, je n’arrive pas à lui pardonner. Et d’ailleurs,
je ne sais même pas si j’ai envie de savoir ce qu’elle a à me raconter. Peut-être
va-t-elle essayer de m’embrouiller, comme elle le fait avec tout le monde, pour
avoir le beau rôle ! Toutefois, je décide de prendre sur moi et la laisse
d’expliquer.
— Lorsque j’avais vingt-trois ans, je suis tombée
amoureuse, se remémore-t-elle. J’étais même folle amoureuse. Il s’appelait
Thomas. Il était propriétaire d’une boite de nuit. Mes parents désapprouvaient
totalement notre romance. L’héritière et le fêtard, évidemment ce n’est pas
bien vu. Je n’ai rien voulu savoir. Je pensais déjà tout connaitre de la vie,
de l’amour, des hommes. Mais j’étais bien loin du compte.
— Je ne savais pas, lâche doucement André.
— Seul ton père est au courant, répond-elle avec un
sourire en direction de son fils, et mes parents bien sûr. Enfin, pour en
revenir à Thomas, mes parents m’ont interdite de continuer à le voir. Evidemment,
cela n’a fait que me pousser à braver leur refus. Notre amour était plus fort
que tout. Alors un soir, je suis sortie en cachette pour aller le rejoindre à
son club. Il était dans son bureau. Avec d’autres jeunes femmes. Bien sûr, il
ne faisait que discuter…
— Le salaud… commente son fils.
— Seulement, j’étais enceinte et je venais de le
découvrir. Je lui ai tout balancé à la figure, lui ai dit qu’il devait m’épouser
et il m’a ri au nez. Il a dit qu’il ne m’épouserait que si mon père était prêt
à mettre le prix.
Je ne peux qu’être d’accord avec André. Cet
home était une véritable ordure. Il avait mis enceinte une jeune femme naïve et
amoureuse mais n’assumait pas et au contraire, voulait en profiter pour se
faire payer pour sauver sa réputation.
— J’étais effondrée. Comment pouvait-il me dire cela ?
Nous étions amoureux. Enfin, je le pensais et je l’étais. Masi pour lui, je n’étais
rien d’autre qu’un amusement. Il n’en avait même pas après mon argent. Au début,
tout au moins. Mais avec la menace d’un mariage contraint et forcé, il a montré
son côté impitoyable de businessman. Lorsque j’ai tout révélé à mon père, il
est allé le voir et ils se sont arrangés. Thomas a accepté de m’épouser mais je
savais que mon père avait dû lui promettre monts et merveilles pour le faire
céder. Car Thomas n’était pas du genre à se marier. Je me rendais compte qu’il
n’avait rien du genre, du mari ou du père idéal.
— Mais tu ne l’as pas épousé ? Et ce bébé ?
continue André abasourdi par ses révélations fracassantes. Qu’est-il devenu ?
est-ce… moi ?
— Non mon chéri, tu es bien le fils de ton père,
rassure-t-elle avec un sourire rendre à l’intention de sa progéniture. Pour répondre
à tes questions, j’étais sur le point de l’épouser. Il fallait que je sauve ma
réputation et que je n’entache pas celle de ma famille. A l’époque, coucher
avec un homme hors des liens du mariage était mal vu alors tomber enceinte… Tu
n’imagines même pas les répercussions que cela aurait pu avoir sur ma vie mais
aussi sur les contrats de mon père. il était furieux et refusait de me parler,
même de me voir.
Elle fit une pause le temps de poser sa
tasse, vide à présent et d’avaler une petite douceur, probablement pour se
donner le courage de nous avouer la suite.
— Moins d’une semaine avant la cérémonie, cinq jours
pour être précise, Thomas s’est fait tuer lors d’une bagarre dans son club. J’en
ai été soulagée, car mon aveuglement avait laissé place à du dégoût pour lui. J’étais
devenue amère et je le détestais pour ce qu’il me ferait subir une fois mariés,
car je savais qu’il me serait infidèle, que je serais malheureuse avec ses
côtés. C’était cruel de ma part…
— Ou honnête, plutôt, commentai-je, ouvrant la bouche
pour la première fois depuis son arrivée.
— Sans doute, approuve-t-elle. Mais quoi qu’il en soit,
j’étais dans de beaux draps. Enceinte, mon futur mari mort, je ne savais plus
quoi faire. Et c’est là que ton père entre en scène.
— Ton mariage avec papa est un mariage arrangé ? s’écrie
André, choqué.
— En quelque sorte. Il était le fils d’un associé de mon
père. il m’aimait, comme un ami. Lorsque mon père a tout raconté à son ami, ils
ont décidé de nous unir. Cela ne pouvait pas faire de mal à leur partenariat ;
au contraire, ils faisaient d’une pierre deux coups. Ils sauvaient ma
réputation et la leur, mais se liaient à vie par ce mariage.
— Mais, il était d’accord avec cette idée ?
demandai-je, sceptique.
— Il n’a jamais été du genre romantique. Pour lui, nous
allions bien ensemble. Il savait qu’il était tout désigné pour reprendre les
affaires de nos pères. Alors, qu’importe que nous ne nous aimions pas et que
nous nous connaissions à peine.
— Mais… et le bébé ?
— Il était au courant, bien sûr et il était prêt à le
reconnaitre comme étant son fils. Mais nous devions faire vite, car il ne
fallait pas que j’accouche trop peu de temps après notre mariage. Si je donnais
la vie à cet enfant avec un ou deux mois d’avance, nous pourrions prétendre à
un prématuré mais avant, cela aurait semblé suspect.
— Bien sûr, approuvais-je.
— Mais qu’en est-il de cet enfant à la fin ? s’impatiente
André.
— Finalement, nous avons précipité les choses pour rien.
J’ai fait une fausse couche à peine deux mois après la noce.
— Je suis désolée, compatis-je en lui prenant la main.
— Oh maman ! s’émut son fils en venant l’étreindre.
— Enfin, reprend-elle après s’être dégagée des bras d’André,
je ne suis pas là pour être plainte. Cette histoire remonte à tellement d’années.
Mais lorsque je t’ai vu tourner autour d’André, j’ai eu peur que tu fasses la
même erreur que moi. je n’ai jamais pensé que tu en avais après notre argent,
mais je voyais à quel point tu étais sous le charme d’André. Tu ne voyais
personne d’autre alors que lui collectionnait les conquêtes. Tu me faisais
tellement penser à Thomas, mon chéri, dit-elle en se tournant vers son fils. Aussi
volage que lui, aussi beau, diablement séduisant et charismatique. Tu as
toujours su t’entourer et j’avais peur que tu ne fasses qu’une bouchée de
Mélanie.
— Alors vous nous avez éloignés… conclus-je, à voix
basse.
— Je dois bien t’avouer que je n’étais pas la seule à m’inquiéter
pour toi. Tu te doutes biens que ta mère avait peur que tu ne fasses une
bêtise. Ton travail scolaire s’en ressentait déjà, tu te rebellais parfois et
il t’arrivait même de découcher sans prévenir personne.
Je ne peux pas lui donner tort. J’étais
tellement obnubilée par André que rien ne comptait à par lui. S’il m’avait
demandé de tout plaquer et de le suivre lorsqu’il est entré à l’université, je
l’aurais fait sans hésiter. Il était tout pour moi. Rien ni personne ne
comptait autant que lui à mes yeux.
— Un jour, ta mère est venue me parler. et nous avons
mis en place ce… « stratagème », dit-elle en mimant les guillemets. Je
savais que Matthieu avait des difficultés à rembourser son prêt. Il était
proche de vous, n’avait pas de petite-amie connue. Bref, il était le pion qu’il
nous fallait pour vous séparer, avoue-t-elle piteusement.
— Mais lorsque je t’ai questionnée… commence André.
— Penses-tu que je pouvais te dire que je vous avais
séparé à cause de toi ? sans ce que je viens de t’expliquer à l’instant,
tu ne m’aurais plus adressé la parole. Je ne suis pas fière de ce que j’ai fait
à l’époque. Je m’aperçois maintenant que votre amour l’un pour l’autre était
sincère. Mais je ne peux pas revenir en arrière, et rien sinon le besoin de
vous protéger ne peut excuser ce que je vous ai fait.
Un silence pesant suivit ces dernières
paroles. Chacun était plongé dans ses réflexions.
Qu’auraient été nos vies si nos mères ne s’en
étaient pas mêlées ? Serions-nous encore ensemble ? Aurions-nous déjà
fondé une famille ? Ou nous serions-nous séparés à cause de la distance
instaurée par nos études respectives ?
Mais toutes ses questions sont inutiles
car comme elle l’a si bien dit, nous ne pouvons remonter le temps et revenir
sur ce qui s’est passé pour le reforger. Les évènements sont ce qu’ils sont,
ils nous ont permis de devenir les personnes que nous sommes aujourd’hui. Peut-être
avions-nous besoin de cette séparation pour mieux comprendre ce que nous
ressentions l’un pour l’autre.
— Je crois qu’il est temps pour moi de vous laisser. Avant
de partir, je dois te prévenir, André, que ta sœur a décidé de partir s’installer
quelques temps chez son amie Chloé à Paris. Cela lui permettra de se changer
les idées. Si tu veux lui parler avant son départ, elle est à la maison. Mais ne
tarde pas, son avions part dans la nuit.
Sur ces dernières paroles, elle attrape
son sac à main posé à ses pieds avant de se lever et de se diriger telle la
reine mère vers la sortie. Sans que l’un de nous ne fasse un geste pour la
raccompagner ou la retenir.
Toutes ses révélations… Nous avons besoin
de temps pour les digérer.
— Je pense qu’il est temps pour moi de m’en aller. J’ai
besoin de… de faire le point sur… tout.
Je ne sais pas si André m’entend car
lorsque je referme doucement la porte de son bureau, il n’a pas bougé d’un
iota. Toujours perdu dans une contemplation du vide, plongé dans les abysses de
ses pensées.
Tout ce que je sais avec certitude, c’est
que nous devrons avoir une conversation sérieuse. Ensemble. Mais aussi avec nos
parents.