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Write by Les petits papiers de M

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Ma Caro

Je me réveille en sueur en plein milieu de la nuit. Je n’ai pas besoin de me pincer pour savoir que c’était un rêve. Ou plutôt un cauchemar. J’en fais constamment depuis le retour d’Alban à la maison. Pour le moment, ses sœurs semblent avoir abandonné l’idée d’aller « consulter ». Et il en sera ainsi tant que leur frère ira mieux. Alors j’use mes genoux à supplier Dieu pour qu’il ait pitié de moi. Mais ces mauvais rêves où je me vois traînée dans la boue par une Gisèle hystérique n’arrêtent pas. A mes côtés, Alban dort paisiblement. Par réflexe, je rapproche mon oreille de sa bouche pour m’assurer qu’il respire toujours avant de sortir de la chambre. Je ne crois pas que je pourrai me rendormir. Je vais m’installer devant la télé avec un film.

  

Domenico Guérin

Je souris en achevant la lecture du mail d’Alban. Une fois encore il ne pourra pas passer nous voir. Il se répand en excuses sur deux longues pages. Et pourtant il n’en a pas besoin, mais c’est tout Alban.

Nous nous sommes rencontrés il y a de longues années. Nous étions jeunes, insouciants et avons partagé de sacrées histoires. Moi jeune artiste qui ne pouvait s’empêcher de dilapider son argent et lui un jeune étudiant en droit qui voulait à tout prix entrer au barreau. J’avais trop la flemme pour répondre à un si long message. J’ai juste lancé l’appel sur messenger.

-         Nico je t’ai déjà dit d’arrêter de m’appeler sur les réseaux sociaux. Avec la connexion de merde de ce pays je vais devoir me répéter dix fois pour une seule phrase

 

-         Tu râles toujours et pourtant tu sais que je ne peux pas me permettre de t’appeler sur la ligne directe. Et les réseaux sociaux ne sont pas aussi terribles que tu le dis

  

-         Parce que tu ne le veux pas

 

-         Parce que je ne le peux pas. Et tu le sais très bien. J’ai passé presque toute ma vie à tes crochets. Laisse-moi m’accrocher à ces petits détails qui me font croire que j’ai un semblant de dignité

 

-         Tu n’exagères pas un peu là ? tu travailles pour moi. C’est absolument différent

 

-         Tu connais beaucoup de concierges qui ont mon salaire et un luxueux appartement de fonction ?

 

-         Veillent-ils aussi sur les intérêts de leur employeur qui en passant n’en est pas vraiment un ?

 

-         Tu ne t’avoues donc jamais vaincu ? tu as toujours réponse à tout

 

-         Il le faut bien avec quelqu’un d’aussi borné que toi me répond-t-il en riant. Comment tu gères ta nouvelle vie de père ?

 

-         Totalement débordé. Tu sais mieux que personne que je n’ai jamais été un grand responsable durant ma vie. Alors me découvrir père de deux grands enfants à bientôt soixante ans… le dialogue ne passe pas très bien. J’aurais bien eu besoin d’un coup de main

 

-         Je sais. J’espérais que ton récent séjour à l’hôpital vous aurait rapproché. Lorsque Michelle m’a appelé, elle semblait réellement soucieuse

 

-         Peut-être parce qu’elle n’avait pas envie de se retrouver orpheline pour de bon juste après le décès de sa mère.

 

-         Je n’arrive toujours pas à croire que Mélanie t’ait caché un pareil secret. 22 ans c’est toute une vie

 

-         Je lui en veux tu sais ? je lui en veux terriblement. Tout aurait été différent si je l’avais su. Il aurait suffi qu’elle m’envoie une lettre, qu’elle me dise ce qui se passe. Elle ne m’a jamais fait confiance. Jamais…

  

Alban

Je regarde Nico qui passe nerveusement la main dans ses cheveux devenus grisonnants avec l’âge. Je comprends qu’il lui en veuille mais à la place de Mélanie, j’aurais fait la même chose. Il ne sert à rien de lui faire la morale aujourd’hui. Les jeux sont faits. Personne ne saura jamais ce qui aurait pu se passer si elle lui avait dit qu’elle était enceinte.

Nico et moi nous sommes rencontrés à la bibliothèque universitaire lorsqu’après mon mariage je suis reparti tenter ma chance au barreau de Lyon. J’avais besoin d’un appartement et lui d’un colocataire car il voyageait énormément. Je logeais jusque-là avec des compatriotes mais nous étions terriblement à l’étroit à six dans un deux pièces. Je n’avais cependant pas les moyens de louer un appartement tout seul. Nico le pouvait même si ce n’était pas le grand luxe dans son appartement. Il avait cependant le mérite d’être relativement proche du campus. Campus où il  passait des heures sans être étudiant juste pour conter fleurette à une étudiante en deuxième année de droit. Lorsqu’elle lui céda enfin, leur idylle prit fin aussi vite qu’elle avait commencé.

Nico a pendant longtemps été un rêveur qui vivait au gré du vent. A l’époque il était un artiste aux multiples talents. Il avait arrêté ses études après le bac, et avait rejoint un orchestre après diverses formations en musique. Et il était excellent. Alors pendant ses nombreuses tournées à travers le monde, je m’occupais de son appartement et de ses chiens. En échange, je payais le tiers du loyer et cuisinait lorsqu’il était présent. Autrement Nico mangeait toujours au restaurant. Il menait une vie plus ou moins dissolue mais quand j’essayais de lui faire la morale, il me répétait sans cesse que cela lui donnait de l’inspiration et que la vie était courte. Les femmes, l’alcool et plus tard la drogue lorsque j’étais retourné chez moi étaient devenus son quotidien.

Mais en dépit de tout cela il restait un ami d’une indéfectible loyauté. Les enfants étaient dingues de lui et finissaient toujours en larmes lorsqu’on devait le raccompagner à l’aéroport après ses courts séjours parmi nous. Mais une vie dissolue a forcément des conséquences. Il a rencontré Mélanie en sortant d’une clinique de désintoxication où je l’avais expédié contre son gré pendant six mois. Il venait de perdre sa mère qui était son seul parent et qui lui avait tout donné. Son monde s’était écroulé. Mélanie était l’infirmière chargée de son suivi à domicile. J’ignore ce qui s’est passé mais elle avait simplement disparu un jour de sa vie et n’était jamais revenue. Il avait débarqué ensuite à Cotonou le cœur en morceaux d’avoir perdu l’amour de sa vie. Sauf que c’est lui qui avait refusé de s’engager et de l’épouser. Elle ne pouvait juste pas vivre au jour le jour comme il le lui demandait.

Nous avons encore discuté une dizaine de minutes avant que je ne raccroche. Repenser à tout ça me conforte dans mon choix de lui léguer cet immeuble qu’il gère pour moi. Ou plus précisément aux enfants. Ils lui verseront une rente jusqu’à son décès. Je doute qu’ils puissent prendre soin d’eux sinon.

Il est temps que j’aille prendre soin de ma petite femme. Je la sens très stressée par les évènements de ces derniers mois. Il y a plusieurs semaines déjà que mon état est stable. Je crois qu’il est temps que nous fassions enfin ce voyage sur la Suisse pour qu’elle puisse se détendre et que je lui annonce que je prends ma retraite. Ce qui j’en suis sûr lui fera très plaisir. Je relis une dernière fois la copie corrigée de mon testament que m’a fait parvenir mon notaire avant de rejoindre Caro. Je pensais la trouver dans la salle de jeux avec les enfants de Stéphane que nous gardons depuis hier mais je les retrouve tous seuls en train de faire la course avec leurs petites voitures téléguidées.

-          Attention à ne pas faire tomber papi les jeunes !

 

-          D’accord papi !

 

-          Tu viens faire la course avec nous ?

 

 

-          Pas maintenant mon grand. Où est Ma Caro ?

 

-          Elle est partie dans votre chambre avec son téléphone

Je marche avec précaution pour éviter leurs voitures qui vont à une vitesse folle dans le couloir. Caro a toujours détesté ce jeu. Elle le trouve dangereux pour ses vieilles jambes pensai-je en me dirigeant vers notre chambre dont je trouve la porte entrouverte et Caro de dos qui semble vraiment très énervée.

-         Manuel ne joues pas avec moi tu comprends ? la vie de mon mari est en danger. Donc débrouilles toi mais retrouves moi ce vieil homme. Si jamais la saloperie que vous m’avez donné pour l’empoisonner le tue, considères toi comme mort

Je sens mes jambes me lâcher. Empoisonner ? Ai-je bien entendu ?

-         Ce n’est pas mon problème. Je dirai que vous étiez complices. Sinon pourquoi l’antidote ne marche pas ?

J’ignore comment mais je suis rentré dans la chambre en claquant très fort la porte derrière moi. Ce qui l’a fait raccrocher précipitamment son téléphone. Je ne saurais décrire les sentiments qui m’animent en ce moment.

-         Donc tout ce temps c’était toi qui m’empoisonnais ? qui essayait de me tuer ? Caro ?



  

Romain

Je jette un rapide coup d’œil à ma montre en me garant devant ‘’Le Boulot’’. Je dois me dépêcher pour rentrer assez tôt chez moi. Depuis que Philo est enceinte, je m’efforce d’être présent et d’être un mari encore plus attentionné. Je suis surexcité à l’idée d’être père. A tel point que je ne sais même pas si je veux une fille ou un garçon.

Le Boulot, c’est la partie visible du business que je gère avec Rachelle. Aucun membre de ma famille, pas même mes frères ne savent que c’est mon business. Rachelle est le visage que tout le monde voit. Et cela est très important pour mon image. Je suis un jeune homme issu de l’une des familles les plus huppées de Cotonou, mais également un membre reconnu, actif et incroyablement apprécié sur ma paroisse. Je dirige la chorale des jeunes, je participe à nombre d’activités caritatives. Toutes choses qui ne concordent en rien avec l’autre partie de moi qui n’apparaît qu’au Boulot.

 Je m’y sens dans mon élément. Ici j’oublie tous mes soucis, je suis moi. Sans hypocrisie, ni faux-semblants. Ici, je suis le Padre. Tout a commencé comme une blague à Lomé lorsque je finissais mon master. Avec Rachelle, nous avions organisé l’enterrement de vie de garçon d’un ami. Une soirée réellement déjantée où avec un peu d’alcool et de poudre magique les inhibitions des uns et des autres avaient fondu comme neige au soleil pour laisser place à une soirée de folie. Le lendemain, le petit déjeuner servi en petite tenue par leurs fantasmes en petite tenue avait achevé les gars et m’avait sacré le meilleur fêtard de tout le campus. L’homme de la situation, celui qui maîtrise le boulot, nom de code pour nos cochonneries entre mecs. C’est ainsi qu’est né mon business. Nous organisons les fêtes les plus folles qui peuvent naître dans les esprits les plus… disons originaux.

Au fil des mois, ma réputation avait dépassé le campus. La première fête que j’ai organisée pour une miss, en réalité la maîtresse d’un député avait changé ma vie. Des petites soirées pour étudiants fils à papa, j’étais entré dans un monde dont les maîtres mots étaient vice, discrétion et argent. J’avais dû apprendre à m’effacer totalement tout en étant connu et mystérieux. Mais j’avais mes études à poursuivre, il me fallait un bras droit. C’est ainsi que je m’étais lié à Rachelle. Elle était mon plan cul régulier depuis plusieurs mois déjà. Plus vieille que moi, elle avait déjà fini ses études et travaillait pour une entreprise de construction. Elle avait accepté de me suivre dans ma folie en faisant un prêt pour qu’on fasse de notre rêve une réalité. Raison pour laquelle, je devais régulièrement me rendre à Lomé après mon retour au pays sous prétexte de contrats pour y gérer mes affaires.

Très vite nous avons pu rembourser le prêt et elle avait ainsi démissionné pour se consacrer au Boulot. C’est ainsi que j’ai été en mesure d’apporter les fonds pour mon cabinet d’architecture. Il fallait bien que je me construise une image respectable. Parce que dans ce pays, ils sont nombreux à ne pas pouvoir assumer leurs pulsions. Cols blancs bcbg en journée mais la nuit…le secret professionnel m’oblige à ne pas vous en dire plus. Dans le milieu je suis connu comme le Padre. Peu de gens ont déjà vu mon visage et en dehors de nos tous premiers clients à Lomé, personne ne connait mon vrai nom. Lorsque je dois tester nos filles ou même coucher avec elles, je reste masqué. Ne soyez donc pas si choqués, c’et le boulot qui veut ça. Les affaires courantes sont gérées par Rachelle.

-         Le padre…

 

-         (souriant) La madre

  

-         Si nous étions un couple je répondrais avec plaisir

 

-         Je croyais que tu ne m’en voulais plus d’avoir épousé Philo

 

-         Je ne t’en veux pas. Mais je ne peux m’empêcher d’être contrariée par le fait qu’un jour tu partageras notre petit secret avec elle

  

-         Avec Philo ? tu veux qu’elle me quitte ou quoi ? la Vierge Marie ?

-         Si tu ne peux pas tout lui dire à ton sujet pourquoi l’as-tu épousée ?

-         Rachelle laisse tomber. Mon mariage ne te concerne en rien. Et tu n’es pas non plus un exemple en matière d’honnêteté alors…

-         Parce que tu en connais qui épouserait une femme comme moi sans la traiter de nymphomane ou de pute ?

-         S’ils sont intelligents, oui. Tu as une sexualité épanouie que tu assumes et revendiques. Pourquoi tu te martyrises avec ce que pensent les autres ?

-         Je ne me martyrise pas. Je dis juste que je ne peux pas espérer me marier dans les conditions actuelles. Je veux bien croire qu’un homme accepte ma libido débordante et mes envies particulières. Je dirais même qu’il adorerait cela. Mais penses-tu sincèrement que je puisse lui dire le travail que nous faisons ? Lui parler du boulot ? si tu n’arrives pas à le dire à ta femme, c’est à un homme que je pourrais faire accepter cela ?

-         Si vous vous rencontrez dans nos murs, pourquoi pas ?

-         Hum… mieux on laisse tomber cette discussion. Tu fais exprès de ne pas écouter ce que je te dis. On reçoit de nouvelles filles ce soir. Et il y a une drôle de surprise dans le lot

-         Laquelle ?

-         La fille de mr DANDJI

-         Quoi ???

Je manque d’avaler de travers le vin que je sirotais. Lina viendrait foutre quoi au Boulot ?

-         Elle a postulé pour quelle partie ?

-         A ton avis vu que je t’en parle

-         C’est non

-         Hahaha… avec le CV de cette petite ? A 20 ans elle a déjà fait deux sur les 3 clubs du genre les plus fermés. Je ne doute pas qu’elle fasse du bon boulot

-         Putain, le pays est foutu. La fille du président du conseil paroissial chez moi ? tu veux couler mon business ou quoi ?

-         Pourquoi devrait-il couler ? ce n’est pas comme si c’est toi qui l’initiais. Elle a commencé depuis qu’elle était dans son collège pour filles de riches. Je ne peux même pas te raconter ce qu’elle faisait à l’époque. Et pourtant ce ne sont pas les moyens qui manquent à ses parents. Ce boulot, elle veut le faire par passion. C’est la différence entre elles et les autres qui le font par nécessité.

-         Des attaches ?

-         Aucune serieuse. Juste quelques vieux qu’elle se tape pour le fun pour reprendre ses propres mots

-         Quand je pense que cette petite est l’exemple même de la sainte sur la paroisse. Elle est si dévouée et réservée

-         Exactement comme toi. Qu’est ce qui te choque à la fin ?

-         Tu ne peux pas comprendre

Je n’arrêtais pas de secouer la tête en lui répétant qu’elle ne pouvait comprendre. Il est vrai qu’à quelques détails près elle fait exactement comme moi. Mais je suis un homme. Et j’admets que j’ai toujours aimé les femmes et été un peu vicieux sur les bords. Raison pour laquelle je me sens si bien à gagner de l’argent avec quelque chose qui au final n’est qu’un hobby pour moi. Mais une fille si jeune qui veut mener cette vie par choix, c’est la première fois que je vois ça et c’est la raison de ma perplexité. Toutes celles que nous recrutons le font soit par nécessité, soit par curiosité. Les dernières se lassent très vite. Les premières prennent goût au luxe et à l’argent et restent souvent même après avoir trouvé un travail régulier. Le monde de la nuit est décidément plein de surprises…

-         Alors ? on la garde ou je la vire immédiatement ?

-         On la garde. En priant que son père n’en sache jamais rien

-         Hum… ce ne sera pas pire que Philo

-         Arrête…

-         Tu dines avec nous ?

-         Je n’ai pas le temps ce soir

-         Je ne parle pas de ce à quoi tu penses. Mets-le

Elle me jette mon masque et juste après que je l’ai mis l’une des filles nous rejoint dans mon bureau. Rachelle me prend par la main pour me conduire dans le coin de mon bureau aménagé en petite chambre. Rien qu’à voir la façon dont elle se déhanche devant moi, je n’ai aucun doute sur la suite de la soirée. Je pense vaguement à la promesse faite à Philo de rentrer tôt ce soir. Mais à l’ instant où Virginie et Rachelle commencent à se frotter l’une contre l’autre sous mes yeux, j’oublie tout.

Pourrai-je jamais dire la vérité à Philo ? Quand nous serons vieux… peut-être.

 

 

Histoires de famille