V
Write by Les petits papiers de M
V-/
Ma
Caro
Je me
réveille en sueur en plein milieu de la nuit. Je n’ai pas besoin de me pincer
pour savoir que c’était un rêve. Ou plutôt un cauchemar. J’en fais constamment
depuis le retour d’Alban à la maison. Pour le moment, ses sœurs semblent avoir
abandonné l’idée d’aller « consulter ». Et il en sera ainsi tant que
leur frère ira mieux. Alors j’use mes genoux à supplier Dieu pour qu’il ait
pitié de moi. Mais ces mauvais rêves où je me vois traînée dans la boue par une
Gisèle hystérique n’arrêtent pas. A mes côtés, Alban dort paisiblement. Par
réflexe, je rapproche mon oreille de sa bouche pour m’assurer qu’il respire
toujours avant de sortir de la chambre. Je ne crois pas que je pourrai me
rendormir. Je vais m’installer devant la télé avec un film.
Domenico
Guérin
Je
souris en achevant la lecture du mail d’Alban. Une fois encore il ne pourra pas
passer nous voir. Il se répand en excuses sur deux longues pages. Et pourtant
il n’en a pas besoin, mais c’est tout Alban.
Nous
nous sommes rencontrés il y a de longues années. Nous étions jeunes,
insouciants et avons partagé de sacrées histoires. Moi jeune artiste qui ne
pouvait s’empêcher de dilapider son argent et lui un jeune étudiant en droit
qui voulait à tout prix entrer au barreau. J’avais trop la flemme pour répondre
à un si long message. J’ai juste lancé l’appel sur messenger.
-
Nico je t’ai déjà dit d’arrêter de m’appeler
sur les réseaux sociaux. Avec la connexion de merde de ce pays je vais devoir
me répéter dix fois pour une seule phrase
-
Tu râles toujours et pourtant tu sais que je ne
peux pas me permettre de t’appeler sur la ligne directe. Et les réseaux sociaux
ne sont pas aussi terribles que tu le dis
-
Parce que tu ne le veux pas
-
Parce que je ne le peux pas. Et tu le sais très
bien. J’ai passé presque toute ma vie à tes crochets. Laisse-moi m’accrocher à
ces petits détails qui me font croire que j’ai un semblant de dignité
-
Tu n’exagères pas un peu là ? tu
travailles pour moi. C’est absolument différent
-
Tu connais beaucoup de concierges qui ont mon
salaire et un luxueux appartement de fonction ?
-
Veillent-ils aussi sur les intérêts de leur
employeur qui en passant n’en est pas vraiment un ?
-
Tu ne t’avoues donc jamais vaincu ? tu as
toujours réponse à tout
-
Il le faut bien avec quelqu’un d’aussi borné
que toi me répond-t-il en riant. Comment tu gères ta nouvelle vie de
père ?
-
Totalement débordé. Tu sais mieux que personne
que je n’ai jamais été un grand responsable durant ma vie. Alors me découvrir
père de deux grands enfants à bientôt soixante ans… le dialogue ne passe pas
très bien. J’aurais bien eu besoin d’un coup de main
-
Je sais. J’espérais que ton récent séjour à
l’hôpital vous aurait rapproché. Lorsque Michelle m’a appelé, elle semblait
réellement soucieuse
-
Peut-être parce qu’elle n’avait pas envie de se
retrouver orpheline pour de bon juste après le décès de sa mère.
-
Je n’arrive toujours pas à croire que Mélanie
t’ait caché un pareil secret. 22 ans c’est toute une vie
-
Je lui en veux tu sais ? je lui en veux
terriblement. Tout aurait été différent si je l’avais su. Il aurait suffi
qu’elle m’envoie une lettre, qu’elle me dise ce qui se passe. Elle ne m’a
jamais fait confiance. Jamais…
Alban
Je
regarde Nico qui passe nerveusement la main dans ses cheveux devenus
grisonnants avec l’âge. Je comprends qu’il lui en veuille mais à la place de
Mélanie, j’aurais fait la même chose. Il ne sert à rien de lui faire la morale
aujourd’hui. Les jeux sont faits. Personne ne saura jamais ce qui aurait pu se
passer si elle lui avait dit qu’elle était enceinte.
Nico
et moi nous sommes rencontrés à la bibliothèque universitaire lorsqu’après mon
mariage je suis reparti tenter ma chance au barreau de Lyon. J’avais besoin
d’un appartement et lui d’un colocataire car il voyageait énormément. Je
logeais jusque-là avec des compatriotes mais nous étions terriblement à
l’étroit à six dans un deux pièces. Je n’avais cependant pas les moyens de
louer un appartement tout seul. Nico le pouvait même si ce n’était pas le grand
luxe dans son appartement. Il avait cependant le mérite d’être relativement
proche du campus. Campus où il passait
des heures sans être étudiant juste pour conter fleurette à une étudiante en
deuxième année de droit. Lorsqu’elle lui céda enfin, leur idylle prit fin aussi
vite qu’elle avait commencé.
Nico a
pendant longtemps été un rêveur qui vivait au gré du vent. A l’époque il était
un artiste aux multiples talents. Il avait arrêté ses études après le bac, et
avait rejoint un orchestre après diverses formations en musique. Et il était
excellent. Alors pendant ses nombreuses tournées à travers le monde, je
m’occupais de son appartement et de ses chiens. En échange, je payais le tiers
du loyer et cuisinait lorsqu’il était présent. Autrement Nico mangeait toujours
au restaurant. Il menait une vie plus ou moins dissolue mais quand j’essayais
de lui faire la morale, il me répétait sans cesse que cela lui donnait de
l’inspiration et que la vie était courte. Les femmes, l’alcool et plus tard la
drogue lorsque j’étais retourné chez moi étaient devenus son quotidien.
Mais
en dépit de tout cela il restait un ami d’une indéfectible loyauté. Les enfants
étaient dingues de lui et finissaient toujours en larmes lorsqu’on devait le
raccompagner à l’aéroport après ses courts séjours parmi nous. Mais une vie
dissolue a forcément des conséquences. Il a rencontré Mélanie en sortant d’une
clinique de désintoxication où je l’avais expédié contre son gré pendant six
mois. Il venait de perdre sa mère qui était son seul parent et qui lui avait
tout donné. Son monde s’était écroulé. Mélanie était l’infirmière chargée de
son suivi à domicile. J’ignore ce qui s’est passé mais elle avait simplement
disparu un jour de sa vie et n’était jamais revenue. Il avait débarqué ensuite
à Cotonou le cœur en morceaux d’avoir perdu l’amour de sa vie. Sauf que c’est
lui qui avait refusé de s’engager et de l’épouser. Elle ne pouvait juste pas
vivre au jour le jour comme il le lui demandait.
Nous
avons encore discuté une dizaine de minutes avant que je ne raccroche. Repenser
à tout ça me conforte dans mon choix de lui léguer cet immeuble qu’il gère pour
moi. Ou plus précisément aux enfants. Ils lui verseront une rente jusqu’à son
décès. Je doute qu’ils puissent prendre soin d’eux sinon.
Il est
temps que j’aille prendre soin de ma petite femme. Je la sens très stressée par
les évènements de ces derniers mois. Il y a plusieurs semaines déjà que mon
état est stable. Je crois qu’il est temps que nous fassions enfin ce voyage sur
la Suisse pour qu’elle puisse se détendre et que je lui annonce que je prends
ma retraite. Ce qui j’en suis sûr lui fera très plaisir. Je relis une dernière
fois la copie corrigée de mon testament que m’a fait parvenir mon notaire avant
de rejoindre Caro. Je pensais la trouver dans la salle de jeux avec les enfants
de Stéphane que nous gardons depuis hier mais je les retrouve tous seuls en
train de faire la course avec leurs petites voitures téléguidées.
-
Attention à ne pas faire tomber papi les
jeunes !
-
D’accord papi !
-
Tu viens faire la course avec nous ?
-
Pas maintenant mon grand. Où est Ma Caro ?
-
Elle est partie dans votre chambre avec son
téléphone
Je
marche avec précaution pour éviter leurs voitures qui vont à une vitesse folle
dans le couloir. Caro a toujours détesté ce jeu. Elle le trouve dangereux pour
ses vieilles jambes pensai-je en me dirigeant vers notre chambre dont je trouve
la porte entrouverte et Caro de dos qui semble vraiment très énervée.
-
Manuel ne joues pas avec moi tu
comprends ? la vie de mon mari est en danger. Donc débrouilles toi mais
retrouves moi ce vieil homme. Si jamais la saloperie que vous m’avez donné pour
l’empoisonner le tue, considères toi comme mort
Je
sens mes jambes me lâcher. Empoisonner ? Ai-je bien entendu ?
-
Ce n’est pas mon problème. Je dirai que vous
étiez complices. Sinon pourquoi l’antidote ne marche pas ?
J’ignore
comment mais je suis rentré dans la chambre en claquant très fort la porte
derrière moi. Ce qui l’a fait raccrocher précipitamment son téléphone. Je ne
saurais décrire les sentiments qui m’animent en ce moment.
-
Donc tout ce temps c’était toi qui
m’empoisonnais ? qui essayait de me tuer ? Caro ?
Romain
Je
jette un rapide coup d’œil à ma montre en me garant devant ‘’Le Boulot’’. Je
dois me dépêcher pour rentrer assez tôt chez moi. Depuis que Philo est
enceinte, je m’efforce d’être présent et d’être un mari encore plus
attentionné. Je suis surexcité à l’idée d’être père. A tel point que je ne sais
même pas si je veux une fille ou un garçon.
Le
Boulot, c’est la partie visible du business que je gère avec Rachelle. Aucun
membre de ma famille, pas même mes frères ne savent que c’est mon business.
Rachelle est le visage que tout le monde voit. Et cela est très important pour
mon image. Je suis un jeune homme issu de l’une des familles les plus huppées
de Cotonou, mais également un membre reconnu, actif et incroyablement apprécié
sur ma paroisse. Je dirige la chorale des jeunes, je participe à nombre
d’activités caritatives. Toutes choses qui ne concordent en rien avec l’autre
partie de moi qui n’apparaît qu’au Boulot.
Je m’y sens dans mon élément. Ici j’oublie
tous mes soucis, je suis moi. Sans hypocrisie, ni faux-semblants. Ici, je suis
le Padre. Tout a commencé comme une blague à Lomé lorsque je finissais mon
master. Avec Rachelle, nous avions organisé l’enterrement de vie de garçon d’un
ami. Une soirée réellement déjantée où avec un peu d’alcool et de poudre
magique les inhibitions des uns et des autres avaient fondu comme neige au
soleil pour laisser place à une soirée de folie. Le lendemain, le petit
déjeuner servi en petite tenue par leurs fantasmes en petite tenue avait achevé
les gars et m’avait sacré le meilleur fêtard de tout le campus. L’homme de la
situation, celui qui maîtrise le boulot, nom de code pour nos cochonneries
entre mecs. C’est ainsi qu’est né mon business. Nous organisons les fêtes les
plus folles qui peuvent naître dans les esprits les plus… disons originaux.
Au
fil des mois, ma réputation avait dépassé le campus. La première fête que j’ai
organisée pour une miss, en réalité la maîtresse d’un député avait changé ma
vie. Des petites soirées pour étudiants fils à papa, j’étais entré dans un
monde dont les maîtres mots étaient vice, discrétion et argent. J’avais dû
apprendre à m’effacer totalement tout en étant connu et mystérieux. Mais
j’avais mes études à poursuivre, il me fallait un bras droit. C’est ainsi que
je m’étais lié à Rachelle. Elle était mon plan cul régulier depuis plusieurs
mois déjà. Plus vieille que moi, elle avait déjà fini ses études et travaillait
pour une entreprise de construction. Elle avait accepté de me suivre dans ma
folie en faisant un prêt pour qu’on fasse de notre rêve une réalité. Raison
pour laquelle, je devais régulièrement me rendre à Lomé après mon retour au
pays sous prétexte de contrats pour y gérer mes affaires.
Très
vite nous avons pu rembourser le prêt et elle avait ainsi démissionné pour se
consacrer au Boulot. C’est ainsi que j’ai été en mesure d’apporter les fonds
pour mon cabinet d’architecture. Il fallait bien que je me construise une image
respectable. Parce que dans ce pays, ils sont nombreux à ne pas pouvoir assumer
leurs pulsions. Cols blancs bcbg en journée mais la nuit…le secret
professionnel m’oblige à ne pas vous en dire plus. Dans le milieu je suis connu
comme le Padre. Peu de gens ont déjà vu mon visage et en dehors de nos tous premiers
clients à Lomé, personne ne connait mon vrai nom. Lorsque je dois tester nos
filles ou même coucher avec elles, je reste masqué. Ne soyez donc pas si
choqués, c’et le boulot qui veut ça. Les affaires courantes sont gérées par
Rachelle.
-
Le
padre…
-
(souriant)
La madre
-
Si
nous étions un couple je répondrais avec plaisir
-
Je
croyais que tu ne m’en voulais plus d’avoir épousé Philo
-
Je
ne t’en veux pas. Mais je ne peux m’empêcher d’être contrariée par le fait
qu’un jour tu partageras notre petit secret avec elle
-
Avec Philo ? tu veux qu’elle me quitte ou
quoi ? la Vierge Marie ?
-
Si tu ne peux pas tout lui dire à ton sujet
pourquoi l’as-tu épousée ?
-
Rachelle laisse tomber. Mon mariage ne te
concerne en rien. Et tu n’es pas non plus un exemple en matière d’honnêteté
alors…
-
Parce que tu en connais qui épouserait une
femme comme moi sans la traiter de nymphomane ou de pute ?
-
S’ils sont intelligents, oui. Tu as une
sexualité épanouie que tu assumes et revendiques. Pourquoi tu te martyrises
avec ce que pensent les autres ?
-
Je ne me martyrise pas. Je dis juste que je ne
peux pas espérer me marier dans les conditions actuelles. Je veux bien croire
qu’un homme accepte ma libido débordante et mes envies particulières. Je dirais
même qu’il adorerait cela. Mais penses-tu sincèrement que je puisse lui dire le
travail que nous faisons ? Lui parler du boulot ? si tu n’arrives pas
à le dire à ta femme, c’est à un homme que je pourrais faire accepter
cela ?
-
Si vous vous rencontrez dans nos murs, pourquoi
pas ?
-
Hum… mieux on laisse tomber cette discussion.
Tu fais exprès de ne pas écouter ce que je te dis. On reçoit de nouvelles
filles ce soir. Et il y a une drôle de surprise dans le lot
-
Laquelle ?
-
La fille de mr DANDJI
-
Quoi ???
Je
manque d’avaler de travers le vin que je sirotais. Lina viendrait foutre quoi
au Boulot ?
-
Elle a postulé pour quelle partie ?
-
A ton avis vu que je t’en parle
-
C’est non
-
Hahaha… avec le CV de cette petite ? A 20
ans elle a déjà fait deux sur les 3 clubs du genre les plus fermés. Je ne doute
pas qu’elle fasse du bon boulot
-
Putain, le pays est foutu. La fille du
président du conseil paroissial chez moi ? tu veux couler mon business ou
quoi ?
-
Pourquoi devrait-il couler ? ce n’est pas
comme si c’est toi qui l’initiais. Elle a commencé depuis qu’elle était dans
son collège pour filles de riches. Je ne peux même pas te raconter ce qu’elle
faisait à l’époque. Et pourtant ce ne sont pas les moyens qui manquent à ses
parents. Ce boulot, elle veut le faire par passion. C’est la différence entre
elles et les autres qui le font par nécessité.
-
Des attaches ?
-
Aucune serieuse. Juste quelques vieux qu’elle
se tape pour le fun pour reprendre ses propres mots
-
Quand je pense que cette petite est l’exemple
même de la sainte sur la paroisse. Elle est si dévouée et réservée
-
Exactement comme toi. Qu’est ce qui te choque à
la fin ?
-
Tu ne peux pas comprendre
Je
n’arrêtais pas de secouer la tête en lui répétant qu’elle ne pouvait
comprendre. Il est vrai qu’à quelques détails près elle fait exactement comme
moi. Mais je suis un homme. Et j’admets que j’ai toujours aimé les femmes et
été un peu vicieux sur les bords. Raison pour laquelle je me sens si bien à
gagner de l’argent avec quelque chose qui au final n’est qu’un hobby pour moi.
Mais une fille si jeune qui veut mener cette vie par choix, c’est la première
fois que je vois ça et c’est la raison de ma perplexité. Toutes celles que nous
recrutons le font soit par nécessité, soit par curiosité. Les dernières se
lassent très vite. Les premières prennent goût au luxe et à l’argent et restent
souvent même après avoir trouvé un travail régulier. Le monde de la nuit est
décidément plein de surprises…
-
Alors ? on la garde ou je la vire
immédiatement ?
-
On la garde. En priant que son père n’en sache
jamais rien
-
Hum… ce ne sera pas pire que Philo
-
Arrête…
-
Tu dines avec nous ?
-
Je n’ai pas le temps ce soir
-
Je ne parle pas de ce à quoi tu penses. Mets-le
Elle
me jette mon masque et juste après que je l’ai mis l’une des filles nous
rejoint dans mon bureau. Rachelle me prend par la main pour me conduire dans le
coin de mon bureau aménagé en petite chambre. Rien qu’à voir la façon dont elle
se déhanche devant moi, je n’ai aucun doute sur la suite de la soirée. Je pense
vaguement à la promesse faite à Philo de rentrer tôt ce soir. Mais à l’ instant
où Virginie et Rachelle commencent à se frotter l’une contre l’autre sous mes
yeux, j’oublie tout.
Pourrai-je
jamais dire la vérité à Philo ? Quand nous serons vieux… peut-être.