Zeina
Write by leilaji
The love between us
Chapitre 2
Au coup de sifflet final, Idris se lève d'un bon comme mu par un ressort sous tension. Il me fait signe de me rapprocher de lui. Je n'ai donc pas le temps de trainer sur le terrain avec les autres pour célébrer notre victoire. J'ai les poumons en feu, des fourmis dans les jambes mais je fais comme si de rien n'était. Même si j’ai un corps d’athlète, le manque d’entrainement se fait vite ressentir en 90 minutes. Taper des sprints toutes les quinze minutes ou se faire bousculer par des hommes qui ont les mollets plus durs que du béton, ce n’est pas de la rigolade comparé à de la réparation de voiture.
Idris a toujours détesté le foot et n'a jamais compris le besoin que peut avoir un être humain de courir bêtement derrière un ballon rond pour se sentir vivre. Quant à moi, je transpire comme un porc et suis super ravie d'avoir pu inscrire un but dès la première minute de jeu. Ce qui est du bien plus à la chance qu’a un talent inné pour le ballon rond. En effet, nos adversaires du jour n'ayant découvert que je suis une femme qu'au coup de sifflet lançant le début des hostilités, j'ai filé droit vers le gardien, qui estomaqué par la rapidité de mon tir centré, a plongé trop tard. Bref, je crois qu’il est temps que j’utilise mon corps à bon escient.
Je me rapproche d'Idris à pas lent, embarrassée d'avoir à attendre qu'il daigne enfin me parler du message de sa mère. Ce qu'il se refuse apparemment toujours à faire, une semaine après l'avoir reçu. J'ai jamais été douée avec les secrets sauf quand il s'agit des siens. Alors j'essaie de ne pas me sentir vexée ou frustrée par ses silences. Ça me fait bizarre d’avoir à respecter son intimité car je n’ai jamais eu besoin de le faire auparavant. Et je ne pensais pas qu’un jour, il me tairait une information aussi cruciale. Ca fait une semaine qu'on s'évite inconsciemment. Si j’y pense bien, depuis qu'il a récupéré son téléphone dans mon salon. Et là, il se pointe à mon match alors qu'il déteste ça.
— hé le pom-pom boy ! L'interpelle Pierre, le mec le plus taquin de l'équipe. Elle est où ta jupe ?
L’équipe adverse avachie sur le gazon bouffé par le manque d’entretien éclate de rire en entendant la pique. Pierre travaille à CFAO. C’est un beau gosse un peu trop imbu de sa personne pour remarquer qu’il ne fait pas toujours l’unanimité. Il a boudé comme un enfant quand les autres m'ont acceptée dans l'équipe il y a trois mois. Mais une fois qu'il a compris que je suis vraiment une mordue de foot et pas une femme à la recherche d'attention masculine, il est devenu super sympa avec moi. Mais pour une raison que j'ignore encore, Idris lui tape sur les nerfs. Peut-être parce qu'il ne répond jamais à ses provocations, se contentant bien souvent de le scruter avec insistance avant de lui tourner le dos.
— Dans le placard de ta mère bouffon, a murmuré tout bas Idris avant de me tendre une bouteille d'eau minérale que j'ai du mal à ne pas avaler de travers.
J'adore son sens de l'humour même s'il se refuse à en faire profiter tout le monde.
— Tant que tu ne lui auras pas bien refermé le clapet devant tout le monde il va continuer, pour notre plus grand malheur. Pierre est comme ça. Il n'est pas méchant, juste un peu lourd par moment avec ses blagues idiotes. Il m'en a servi une bonne rasade à mon arrivée dans l'équipe.
— Tu ne m'avais jamais dit ça auparavant, me fait-il remarquer en se rasseyant sur le banc en béton qui borde l’aile gauche du terrain.
— Apparemment on ne se dit pas tout, je réplique malgré moi d'un ton bien plus aigre que je ne l'aurais souhaité.
— Je ne t'ai pas connu tournant autour du pot Nunu. Si t'as quelque chose à dire, dis-le.
— Je pourrai te prodiguer le même conseil.
— C'est des enfantillages ce que t'es en train de faire là. J'ai passé l'âge, me répond-il en éteignant son ordinateur portable. Voilà, tu as toute mon attention, parle.
Je le dévisage longtemps, cherchant à constater ce qui a changé sur son visage. Je passe la main sur sa mâchoire à présent ombrée d'une barbe naissante. Il a des cernes sous les yeux comme s’il n’avait pas pu bénéficier d’une bonne nuit de sommeil depuis un bout de temps. Depuis le message de sa mère ?
Je suis heureuse qu'il soit là, même si son amitié consiste à assister au match, et pas à le regarder entièrement. Il se ramène toujours avec son ordinateur en bandoulière pour ne pas avoir l'impression de perdre son après-midi. C’est un gros bosseur et ça je respecte ça. Je suis heureuse qu'il soit là même si je constate avec horreur qu'il y a quelque chose qui est train de changer en nous.
Non loin de nous, mes coéquipiers éclatent de rire en regardant Idris suite à une blague bien graveleuse de Pierre. Idris fait comme s'il n'a rien entendu et que la provocation glisse sur sa peau comme une goutte de pluie sur une vitre propre.
— T'es vraiment un drôle de mec, tu sais. J’en connais d’autres qui auraient pété un plomb depuis.
— Pourquoi ? Tu sais contrairement à ton ami monsieur poilu des oreilles, je n'ai pas raté une des étapes de l'évolution humaine. Je n’ai pas besoin de rabaisser les autres pour me sentir à la hauteur.
De stupeur j'écarquille grand les yeux et manque éclater de rire lorsque je constate que Pierre a réellement des poils qui dépassent de ses oreilles. Mais ce dernier capte mon regard moqueur et fronce les sourcils de mécontentement. Alors, j'enfouie mon visage dans ma serviette de sport et ris en silence. Mais lorsque je lève les yeux, Pierre est posté devant nous. Ça sent les ennuis. Je me lève, prête à lui dire de s'en aller. Après tout, habituellement on se retrouvait tous au bar du coin, pour finir la soirée en beauté même en cas de défaite de l'équipe.
— Qu'est-ce que tu as à murmurer dans mon dos comme une pétasse. Parle, je t'écoute.
— Pierre laisse le tranquille, il n'a rien à te dire.
— Manu je t'aime bien mais c'est un truc d'homme donc ferme là, répond-il en gonflant ses biceps pour impressionner Idris.
En temps normal, je suis sure qu'Idris aurait continué de l'ignorer. Mais parce que notre conversation l'avait déjà mis à cran, il n'a pas pu résister :
— Franchement type, je ne sais pas quel est ton problème. Toi et moi, on ne se connait pas. Cet engouement malsain, cet attachement énergique que tu as pour ma personne va finir par me faire penser que tu as des sentiments refoulés pour moi. Si c'est le cas, va droit au but, exprime ton amour parce que c'est bien ce que j'ai l'intention de faire avec ta petite amie, une fois que tout le monde aura compris à quel point tu es amoureux de moi et qu'en réalité toutes tes insultes sont un moyen enfantin de me déclarer ta flamme.
Il a parlé avec tellement de calme et de sérieux que pendant de brèves secondes, nous nous demandons tous s'il n'a pas raison. Lorsque le feu des regards du groupe commence à bruler son orgueil, Pierre réagit comme tous les hommes ont tendance à réagir lorsque leur fierté est bafouée : avec colère. Il faut que trois de nos coéquipiers l'attrapent pour qu'il ne se jette pas sur Idris comme une bête enragée.
Idris se lève, ramasse nos affaires tandis que j’enfile des vêtements secs sans prendre le soin de me mettre à l’abri des regards. Me mettre en boxeur et brassière devant tout le monde ne me dérange pas plus que ça. Alors que je pensais l’affaire bouclée entre Idris et Pierre, le premier prend la parole une nouvelle fois :
— Tu sais, il parait que sur 10 hommes, le dixième est gay.
Je le sens d’ici, le sourire en coin qu’il retient pour se donner l’air sérieux. Et je n’aime pas ça du tout.
— Et alors ? demande Pierre avec hargne tandis que nos coéquipiers le lâchent enfin puisqu’il semble s’être calmé.
Idris lui sourit. De son sourire carnassier qui révèle ses dents du bonheur. Tout doucement, avec la plus grande application, il se met à compter les hommes présents et fait exprès de faire tomber le numéro 10 sur Pierre.
— Je crois qu’il va falloir que tu en tires les conclusions qui s’imposent. Ajoute-t-il doctement.
Lorsque Pierre comprend ce qu’il insinue, il tente de nouveau de se jeter sur lui alors que les autres le retiennent de force. Je prends la main d’Idris et le tire vers la sortie du stade avant qu’il ne se fasse casser la gueule par un mec fang en colère.
— Hé Pierre, crie Idris avant qu’on ne disparaisse de leur vue, dis à Caro que j’ai adoré la nuit d’hier mais qu’il vaut mieux qu’elle efface mon numéro de son téléphone. J’ai eu ce que je voulais tu peux garder le reste.
Le cri de rage de Pierre me fait tirer plus fort et on s’en va.
*
**
Lorsque je sors de la douche, idris est installé sur mon lit. Son ordinateur allumé à côté de lui diffuse de la bonne musique tandis qu’il sourit en manipulant son téléphone.
— Les fans de la chaine Youtube et du compte Instagram demandent pourquoi je ne poste plus de nouvelle vidéo.
— Et que réponds-tu ?
— Que c’est la folie dans ma vie en ce moment mais que je reviendrai plus tard.
— Et c’est vrai ?
— Quoi ? que je reviendrai plus tard ?
— Non que c’est la folie dans ta vie en ce moment.
— Oui, un peu.
Je ne lui demande plus rien d’autre parce que je sais à présent que lorsque les choses seront claires dans sa tête, il m’en parlera.
— T’étais vraiment obligé de répondre aussi sauvagement à Pierre ? Et puis comment ca se fait que tu connaisses Caro ? T’as vraiment couché avec elle ?
— Je ne la connais même pas, m’avoue –t-il en rigolant comme un enfant. Ton pote a parlé d’elle quand il bavardait avec les autres et crois-moi c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.
— T’es un salaud, j’ai vraiment cru que t’avais couché avec elle.
Il hausse les épaules et continue de répondre à ses messages. Je m’habille et prends place à ses côtés. Il pause son téléphone et tourne la tête vers moi. Alors je ferme les yeux, prête à piquer un petit roupillon.
— C’est dingue hein ! souffle-t-il
— Quoi ? je demande sans ouvrir les yeux.
— Comment tout est parti de toi. Et aujourd’hui j’ai 20 000 abonnés sur youtube et 10 000 sur Instagram.
— Tout est parti de ton talent.
— Nahhh. Je n’avais aucun talent à la base.
— Alors tout est parti de ton travail acharné.
Pour poursuivre la conversation, je me suis tournée vers lui sans pour autant ouvrir les yeux. Il méritait largement ses abonnés et toute la considération qu’il gagnait au fil du temps. Moi je sais ce qu’avoir un talent signifie. J’ai beaucoup appris sur le tas mais il faut bien que j’avoue que j’avais de bonnes prédispositions pour la mécanique. Idris lui a fait des études de gestion de crois et il travaille pour une femme d’affaires puissante de la place. Il vit sous stress en permanence parce qu’il a pleinement conscience que la moindre erreur se chiffrerait en centaine de millions. Et pourtant il reste fidèle à cette femme qui le paie en monnaie de singe. Pourquoi ? Parce qu’elle lui a donné sa chance à lui, l’étranger alors que dans d’autres sociétés avaient refusé de l’engager à cause de cela.
Et c’est pour pouvoir se déconnecter de ce quotidien stressant qu’un jour je lui ai proposé de me faire à bouffer parce que j’étais trop fauché pour commander ma bouffe et me la faire livrer. Il s’est proposé comme chef cuisto. Avec mon téléphone, j’ai filmé les feux heures qu’il a passé à foutre le bordel dans ma cuisine. Pour lui faire honte, j’ai posté le tout sur une chaine que je lui ai créé le soir même. Contre toute attente, les femmes ont aimé qu’il se décarcasse pour celle qu’elles ont pris pour sa femme, c’est-à-dire moi. On ne me voyait pas sur la vidéo mais on entendait nos échanges, nos fous rires, nos blagues à deux balles et cela a suffi pour plaire. Au fur et à mesure ses recettes se sont améliorées et nos vidéos aussi. Idris is in the kitchen a commencé à devenir une chaine branchée african-food populaire.
— Hé…
J’ouvre les yeux bien malgré moi, je tombe de sommeil.
— Hé…
— J’ai besoin de m’évader…
— Demande à tes potes… je ne sens plus mes jambes Driss.
Il enfouie son visage dans mon cou et je sais déjà que je vais craquer et dire oui à ce qu’il demande.
— J’ai besoin de m’évader avec toi. Je t’aurai bien proposé une vidéo mais je n’ai pas de nouvelles recettes à proposer aux abonnées. Allons au club.
— Ça fait un bail qu’on n’y est pas allé…
— Raison de plus. Si tu dis oui, je te prépare deux jours de bouffe.
— Non, une semaine.
— N’abuse pas hein madame la paresseuse.
— Hé quand la voiture de ta patronne tombe en panne et que je la répare, là tu la ramènes moins hein.
— Quand tu parles mal à tes clientes désagréables et que je rattrape le coup en les draguant pour qu’elles ne partent pas sans te payer, là tu la ramènes moins aussi.
— Bon on dit match nul ?
— Ok pour trois jours de bouffe alors.
Qu’est-ce que je n’accepterai pas pour manger la bouffe d’Idriss ?
Quelques heures plus tard, je le dépose devant le club tandis que je contourne la boite pour trouver une place de parking. Aujourd’hui c’est soirée kizomba alors l’endroit est full de voiture garées. Si on m’avait dit il y a trois ans que j’allais danser un truc aussi sensuel en boite j’aurai bien ri au nez de tout le monde. Mais c’est le second dada d’Idris après la bouffe alors il m’a entrainée dedans et depuis, je me débrouille pas mal.
C’est dingue comme un mec qui croit en toi, connait la moindre de tes faiblesses, de tes doutes, peut rendre chacun de tes mouvements sensuels. La plupart du temps, les danseuses de kizomba sortent du même moule façon hanche de Shakira et seins de Kim Kardashian. Mais moi, je détonne dans le lot. Et ça, ça me fait vachement plaisir.
Vu que je suis allergique aux talons hauts, je porte des chaussures de sport de ville, ultra flexibles qui me permettent de me mettre sur la pointe des pieds très facilement. Le jean moulant taille basse et le tee-shirt blanc noué au-dessus du nombril, complètent mon look spécial danse. J’ai passé une bombe colorante sur mes cheveux qui scintillent de mille feux et me donnent un air de super héroïne venue de l’espace. Je ne sais pas bien me maquiller mais j’ai quand même mis un trait d’eye liner blanc pour donner du peps à mon regard. C’est largement suffisant. J’ai le temps d’aller rapidement manger une pizza à coté avant de dépenser toute mon énergie à tourner les hanches sur une piste de danse. Je mange toute seule et règle la note.
L’heure étant déjà bien avancée, lorsque je rentre dans la boite, ceux qui tiennent encore debout cuvent leur vin au calme. C’est l’heure que préfère Idris. Lorsque les agités du ciboulots ont quitté les lieux et que restent les couples de la soirée qui ne veulent qu’une chose, profiter des derniers instants de la nuit. Sur le bord de la piste trainent quelques danseurs mais le milieu est vide. Idris fait signe au DJ qui lance une de ses chansons favorites vesrion kizomba. Je lui souris et il me fait signe d’approcher.
Je fais celle qui n’est pas intéressée et préfère danser toute seule. Quelques pas sur le côté et les soulards dessoulent sur le champ en se rendant compte que malgré mon accoutrement et mes hanches droites, je peux bouger sensuellement. Idris s’approche et me prend dans ses bras pour nous faire tourner tout doucement. Mes épaules et mon buste restent droit mais mes jambes et mes hanches suivent le rythme. Sa main est leste sur le bas de mon dos mais il me guide avec maitrise. La musique, les pas, je n’ai pas besoin de réfléchir quand je suis dans ses bras, on improvise comme si on avait fait ça toute notre vie. Il passe une jambe entre les miennes et se penche en avant me faisant danser sur place de brèves secondes sous les acclamations des derniers clubeurs. Il me lâche, je m’éloigne sans que ses yeux ne me quittent alors je me tourne et il place juste derrière moi pour quelques déhanchements voluptueux avant de me faire tourner sur moi-même plusieurs fois.
Et on danse ainsi jusqu’à ce que le jour se lève.
Lorsque nous quittons la boite, il me propose de prendre le petit déjeuner à Paul, une pâtisserie située dans le quartier batterie IV. Je lui fais comprendre que je dois ouvrir le garage au plus tard à 9 heures et qu’il ne faudra pas trop qu’on traine. Il ne discute pas, l’esprit à présent ailleurs. On trouve une place de parking puis on se gare et il avance. Une fois devant la porte vitrée, il s’arrête et se tourne vers moi.
— Je ne pouvais pas la voir sans toi.
— Quoi ?
— Je sais que tu as lu dans mon téléphone et que tu sais.
Il me prend tellement de court que je ne sais pas quoi lui dire. Mais j’estime en qu’en tant qu’amie ce que je dois faire c’est lui apporter mon soutien alors je ne prononce pas tous les noms d’oiseau qui me passent par la tête.
— On a rendez-vous elle et moi. Ici, explique-t-il.
— Maintenant ?
— Oui maintenant.
— Et tu m’emmènes ?
— Ca va tout changer entre nous tu ne crois pas ?
— Et alors. Peut-être que c’est le moment que tout change justement.
— Et si je n’en ai pas envie. Si j’ai envie que tout reste pareil.
Un client s’arrête devant nous. Idris le laisse entrer puis bloque de nouveau la porte.
— Et si ton bonheur, c’était avec elle ? juste parce que tu ne veux pas que les choses changent tu vas rater ça ?
— Est-ce que tu te souviens de ta vie d’avant ?
— Quoi ?
— Ta vie d’avant moi ? Avant de me connaitre. Moi tu vois j’ai du mal à m’en souvenir.
Je n’ai pas le temps de lui répondre que la porte s’ouvre mais cette fois ci de l’intérieur. Je vois une femme voilée, belle comme un putain de mannequin qui sourit candidement à Idris.
Et pour la première fois moi aussi je ressens cette peur étrange et complètement incompréhensible qui me fait réaliser qu’aucun homme censé ne peut rencontrer une telle beauté et la laisser de côté pour moi.