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Ecrit par Lilly Rose AGNOURET
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Dans le silence, nous avançons
dans les chemins de sable de Ntchenguè badamier. Je n'en reviens pas d'être
aussi loin. Que serais-je venue chercher ici???
Julien marche derrière nous.
Il est toujours vert de colère. Moi, je n'ai même pas envie de parler. Mon
ventre chante tellement j'ai fin. J'ai simplement envie d'aller manger ce plat
de feuilles de manioc aux crevettes qui m'attend à la maison. Maintenant, si ma
soeur veut revenir ici demain, faire le ménage, ce ne sera plus mon problème.
Qu'est-ce qui lui passe par la
tête en ce moment! Tu vas quitter si loin de chez toi pour venir te terrer dans
un lieu pareil, par amour??? On aura tout vu. Je m'attendais à tout de sa part.
Mais là...
Quand on arrive en route,
Julien hèle un taxi. On mise de nouveau 2 mille cfa pour qu'il nous dépose
devant la maison.
Dans le taxi, silence. Je
regarde par la vitre. Pupuce, regarde ses chaussures.
En arrivant à la maison, on
trouve la grand-mère Ziza et maman qui nous attendent à la terrasse.
"Akendengue Marjorie, où
étais-tu", lui demande la grand-mère en omiènè.
Elle ne répond pas. Alors,
maman insiste.
"D’où viens-tu
Pupuce?"
"Je...je.."
Elle se met à pleurer.
"Mademoiselle lavait les
caleçons de son gars et elle faisait la cuisine. Tu comprends maman, elle
faisait la cuisine."
"Ah! Pupuce, tu sais
laver le linge à la main! Ce n'est pas dimanche que je t'ai vu soulever une
valise de linge sale pour aller le laisser chez le blanchisseur!"
"Ne parle pas trop,
Bernadette! Laisse-la.", fait grand-mère Ziza.
Pupuce en profite pour aller
se réfugier dans la chambre. Julien prends alors la parole et s'adresse à maman
:
"Madame ma mère, tu vas
dire à Pupuce que je passe mon BEPC à la fin de l'année. Si elle compte aller
tous les jours du côté de Ntchenguè, ne comptez pas sur moi pour aller la
chercher. Qu'est ce qui ne va pas dans la tête de cette fille? Elle est la
première de sa classe depuis des années et là, elle va laver les slips d'un
type qui triple toutes les classes, tellement il est occupé à coucher avec
toutes les filles!"
"Te fâche pas comme ça,
mon chéri!", lui fait la grand-mère. "Il faut lui parler calmement.
Les femmes enceintes, c'est délicat."
"Ah, mamie, je veux bien
comprendre. Mais je t'assure que si elle continue d'aller là-bas, je vais
oublier qu'elle est enceinte."
"Oh, mon chéri! Un homme
doit se contrôler." surenchérit grand-mère Ziza.
"Je dis, hein mme Ziza,
comment peux-tu concevoir que ta petite fille, au lieu de se concentrer sur ses
cahiers, préfère aller laver le linge d'un homme. Et je dois me taire. Jamais.
Elle y met encore les pieds et vous ne me reconnaîtrez pas. Et si ce rigolo
qu'elle va suivre pense qu'il peut s'amuser avec ma soeur comme ça, il me
trouvera devant lui."
Sur ce, Julien va manger. Ma
mère me regarde alors et me demande :
"Qu'est-ce qui ne va pas?
Que faisait-elle là bas?"
"Ah, qu'est ce que je
vais te dire, maman. Elle lavait toute une bassine de linge sale. Et elle
faisait cuire une marmite de riz."
"Depuis quand sait-elle cuisiner?"
s'étonne grand-mère Ziza.
"Depuis que l'amour donne
des ailes.", c'est tout ce que je trouve à répondre.
"Je crois qu'il faut
qu'on convoque la famille de ce jeune homme."
"Et que vont-ils te dire
maman? Qu'ils ont la place chez eux pour une nouvelle bouche à nourrir???"
"Ne sois pas cynique,
Tania. Il faut que je discute au moins avec une personne de là-bas."
"Bonne chance maman. Moi,
je vais manger."
Les jours suivant, julien
accompagne systématiquement Pupuce jusqu'à sa salle de classe. À la récréation,
il vient s'assurer qu'elle est bien là. À la sortie des cours, il l'attend
devant le portail. Je me demande jusqu'à quand cette surveillance rapprochée va
continuer, mais au moins, on est rassuré de savoir que notre sœur va bien en
classe.
Quand arrive la fin du
trimestre, mlle est deuxième de sa classe. Moi, j'obtiens à peine la moyenne.
Je suis en terminale D. Je veux devenir ingénieur. Je serai ingénieur. Je vais
épouser Miro. Lui aussi sera ingénieur. Je vais faire mes études à l'étranger. Et
quand je vais rentrer, je vais acheter une voiture à ma mère.