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Ecrit par lpbk

Zoé s’évertuait à mettre le plan de Bébé en action. Au détour d’une conversation sur la religion, elle avait fait part de ses doutes à Djibril sur leur relation, sur le mal-être qu’elle ressentait par rapport à ses croyances. Il avoua également partager ses doutes. Mais il avait sciemment choisi de les ignorer pour conserver « sa santé mentale ». Il lui proposa alors de terminer cette discussion chez lui. Elle le suivit se moquant des nombreuses injonctions que sa conscience lui hurlait. Premier échec cuisant ! 

Zoé réfléchit et se dit qu’après tout ce n’était pas l’abstinence qui convaincrait Djibril de l’épouser. Elle enfreint le premier commandement non sans plaisir et s’abandonna dans ses draps autant de fois que ça lui chantait. Bien sûr, elle n’en dit pas un mot à Bébé lorsqu’elle la débriefait sur l’avancée de leur plan machiavélique. Elle soutenait avoir cessé tous rapports avec Djibril. 

Zoé devait donc se rattraper sur les deux derniers points. Elle s’empressa alors de chercher une alliée. 

Alors que Zoé et Djibril se baladaient sur les quais, la jeune femme parla longuement d’Elsa, de ses parents et de l’importance qu’elle accordait à la famille. Bien que Djibril sente venir le piège, il acquiesça et confirma que ses proches tenaient également une grande place dans sa vie. La brèche ouverte, Zoé s’y faufila. 

— Je me dis que ça fait plus d’un an qu’on est ensemble et pourtant on ne sait rien de nos familles. 

— Tu blagues ou quoi ? Tu me parles constamment d’Elsa et moi de mes petits neveux et nièces. 

—  Ouais mais par exemple, Elsa tu ne l’as jamais vue et moi je n’ai jamais rencontré un seul membre de ta famille. 

—  T’y tiens vraiment ? 

— Un peu quand même. Tu me parles souvent d’Astou, j’aimerais bien la voir un jour. 

—  Ok mais j’ai peur qu’en lui présentant quelqu’un, elle s’emballe. 

—  Qu’elle s’emballe ? 

—  Bah oui qu’elle s’imagine que…

Il s’interrompit s’apercevant que la suite de sa phrase allait certainement déclencher une énième dispute. 

— Qu’est-ce qu’elle pourrait bien s’imaginer Djibril ? Insista Zoé. 

—  Bah tu sais…que c’est vraiment sérieux quoi. 

— Ah parce que ça ne l’est pas pour toi ? Cool. C’est bon à savoir.  

—  Putain Zoé ! Tu vois très bien ce que je veux dire. Bien sûr que c’est sérieux nous deux mais pas… 

—  Pas sérieux au point de se marier…T’inquiète pas le message est très bien passé. 

Elle pressa le pas pour le distancer. 

—  Zoé! 

Djibril marcha à vive allure pour la rattraper. 

— Ok ! Ok ! Tu sais quoi ? Je vais te la présenter Astou puisque tu insistes tant. Reviens maintenant !  

Zoé esquissa un petit sourire qu’elle se hâta de dissimuler lorsque Djibril arriva à sa hauteur. 

Le soir même, elle se félicita auprès de Bébé d’avoir fait flancher Djibril. Il ne lui restait plus qu’à transformer l’essai. 

— Ma petite Zoé c’est simple ! Première chose : complimente-la ! Pas de fou non plus sinon tu passeras pour une grosse hypocrite. Il faut que tu le fasses avec modération. Ça peut être sur sa tenue, son maquillage… 

— Ok mais tu me connais je ne sais pas mentir. 

— Tu la veux ta bague non ? Ba alors fais un effort. 

Zoé émit une légère plainte. 

— Ensuite, tu montres que tu es attentionnée. Je ne te parle pas de lui offrir des cadeaux, là aussi tu passerais pour une faux-cul. Non il faut juste que tu l’écoutes et que tu retiennes le moindre détail à son sujet. Par exemple, la mère de Paul souhaitait avoir une consommation plus saine. Du coup, je lui partageais plein de trucs sur le bio etcetera en lui disant « tiens j’ai pensé à toi pour ce truc en question » ou genre « ah j’ai trouvé cette boutique sympa qui vend pas mal de produits éthiques, ça devrait te plaire ». Bah je peux te dire que sa mère, elle m’aime plus que son propre fils.  

— Ouais je vois le truc, sur ce point ça devrait le faire ! 

— Troisième et dernier point, je sais que c’est dur pour toi mais il faut vraiment que tu affiches un big smile et que tu sois un petit peu drôle. 

— Hey je suis drôle et souriante. 

— Euh…non ! T’es aussi froide qu’un iceberg et t’es drôle de temps en temps. Il t’arrive de faire des énormes bides parfois et c’est ultra gênant. Je préfère te prévenir. 

— Ok merci… 

— Oh désolée fallait que ça sorte. Bon il faut que je te laisse. Mon wedding planner est littéralement en train de me HAR-CE-LER !  Et stresse pas Zoé tu vas gérer. 

La semaine suivante, Djibril convia sa sœur à dîner chez lui. Il s’était démené pour concocter le poulet yassa. Tout au long de la semaine, il s’était vanté de reproduire à la perfection la recette de sa mère. Zoé n’avait que de vagues souvenirs de ce plat typique du Sénégal mais la sauce couleur cuivre qui mijotait dans la casserole lui parut suspecte. Djibril la chassa de la cuisine à coups de chiffon après qu’elle a éclaté de rire en zieutant la sauce. 

Zoé partit alors s’allonger sur le canapé du salon. Elle entendit un tintement de clés, un cliquetis suivit quelques secondes après d’un claquement de porte. Quelqu’un venait d’entrer dans l’appartement. Zoé se précipita hors du canapé et s’engouffra dans le couloir. Une silhouette informe, chargée de sacs, se tenait en face de la jeune femme. Chacune fut surprise de la présence de l’autre. Astou pensait dîner avec son petit frère et Zoé pensait vraisemblablement que sa future belle-sœur viendrait bien plus tard. La belle-sœur toisa du regard Cynthia qui, mal à l’aise et vexée par cet accueil, tenta tant bien que mal de sortir toutes ses dents. Malheureusement, son plus beau sourire ne désamorça pas la situation. 

— Chéri ! Je crois que ta sœur est là, hurla Zoé en direction de la cuisine. 

« Chéri » le mot fit bondir Astou. Tout dans son expression semblait indiquer qu’elle n’appréciait pas que cette femme dont elle ignorait tout se permette d’appeler son petit frère « chéri ». Sa mère lui avait donné un prénom et il serait préférable que Zoé s’en serve. 

— Hey Astou ! T’es rentrée avec le double des clés ? 

— Oui, répondit machinalement la belle-sœur sans quitter du regard Zoé. 

Djibril s’avançait vers sa sœur et tenta de l’étreindre. Le choc de découvrir une femme dans l’appartement de son frère, qui semble être sa copine, lui coupa toute envie de le prendre dans ses bras. Elle se contenta d’un simple « salut » crispé. Djibril comprit alors son erreur. Il aurait dû la prévenir. Embarrassé par la situation, il fit rapidement les présentations. Zoé quant à elle, voyait ses rêves de demande en mariage s’envoler au fur et à mesure qu’Astou la dévisageait. Elle essaya de se rattraper et pensa aux précieux conseils de Bébé. « Il faut que je la complimente » se répétait-elle. La tâche se révéla ardue. Zoé n’aimait strictement rien dans le look de sa belle-sœur. Astou était naturellement une très belle femme mais d’apparence très négligée. Quelques sombres boutons déparaient la beauté de son teint. Ses branches de lunettes avaient été rafistolées et étaient dépareillées. Des petites mèches qui paraissaient aussi vieilles que Cynthia se battaient en duel au sommet de son crâne dévoilant des boucles d’oreilles vertes, horribles certes, mais qui soulignaient tout de même un effort de coquetterie. À peine plus ronde que Cynthia, Astou se dissimulait derrière un t-shirt over size d’un kaki délavé qui portait les stigmates d’une guerre alimentaire. Elle noyait dans un bas de survêtement et chaussait des petites baskets en toile qui devaient être blanches à l’origine et que la course contre le temps d’une mère de famille épuisée avait grisées. Zoé fut affligée du spectacle. Djibril lui avait à maintes reprises confié qu’Astou se négligeait mais elle était loin d’imaginer que s’en était à ce point critique. Tout était devenu pratique chez elle depuis l’arrivée de ses petits. Ses vêtements devaient être confortables, fonctionnels et prêts à subir les moindres assauts infantiles : du vomi de nourrisson au catapultage de purée de tomates. Chaque jour, les vêtements qu’elle portait avaient été les plus rapides à se présenter à elle quand elle fouillait dans ses placards. Zoé l’observa désolée et vit en elle, l’exemple parfait de ce à quoi elle ne voulait absolument pas ressembler dans cinq ans. Astou s’était enfermée dans la caricature de l’épouse et mère dévouée à son mari et ses enfants, enterrant la femme qu’elle était avant sa vie de famille. Marie et elles se seraient adorées pensa Zoé. Puis son regard se posa de nouveau sur les baskets d’Astou et elle changea d’avis. Marie qui mettait un point d’honneur à être une wonder woman n’aurait jamais toléré d’avoir dans son cercle d’amies une fille aussi mal fagotée qu’Astou. Pire encore, elle aurait affirmé que dans de telles circonstances, il aurait été normal que son mari aille voir ailleurs. Comme si du rouge à lèvres et une paire d’escarpins avaient sagement gardé un homme à la maison. Zoé désespérait de n’avoir rien à lui dire, ni sur sa tenue, ni sur son maquillage inexistant, rien de rien. Bébé ne l’avait pas préparée à cette éventualité. Il lui resta une dernière carte à jouer : le sac à main. Aussi, elle se lança :   

— Oh j’aime beaucoup ton sac à main ! Tu l’as acheté où ? 

Intriguée, Astou regarda Zoé l’air de dire « tu te fous de ma gueule ? Ou t’as vraiment des goûts de merde ma pauvre ». Quelle que fût sa réelle pensée c’était un zéro pointé pour Zoé. 

— Ce sac-là ? C’est un cadeau de ma belle-mère. Il m’arrive de le prendre de temps en temps.  

Pas même un petit « merci », la situation était plus tendue que prévu. 

Djibril les invita à se mettre à table. Zoé manqua de s’étouffer devant le regard catastrophé d’Astou quand Djibril souleva le couvercle de la sauce. Elle savait bien que le yassa n’était pas rouge.  

— C’est toi qui as cuisiné ? Demanda aussitôt Astou en se tournant vers Zoé.

 C’était la première fois qu’elle s’adressait directement à elle, un léger sourire en coin. 

— Non, se défendit Zoé qui redoutait que ce désastre culinaire soit associé à son nom.

— Non c’est moi, j’ai repris la recette de maman pourtant.  

Le visage d’Astou se renfrogna. 

— Et toi tu ne cuisines pas Zoé ? Faut pas croire que mon frère fera tous les jours à manger hein. 

—  Oui ça m’arrive.  

—  Mais quel mytho à part mettre la boule d’attiéké au four à micro-ondes. Elle ne sait rien faire d’autre ! Pouffa Djibril. 

— Ça ne m’étonne pas. Les filles d’aujourd’hui ne savent plus s’occuper d’un foyer. 

Zoé eut une furieuse envie de la remettre à sa place mais elle se retint. Une réflexion de travers et elle pouvait dire adieu à ses ambitions maritales. Elle se résigna à lancer un regard noir à Djibril. 

— Putain mais t’es vraiment un ingrat Djibril, s’emporta-t-elle. 

—  C’est bon t’excite pas ! Je rigolais. On sait tous que tu cuisines bien.

Zoé fut silencieuse le reste de la soirée. Les deux Meite papotèrent, se remémorèrent des souvenirs d’enfance. Astou avait soigneusement sélectionné ces discussions pour évincer Zoé de leur petit moment à deux. À la fin du repas, ce fut officiel les deux jeunes femmes ne se supportaient pas. Elles n’eurent pas besoin de se le dire. Chacune savait pertinemment ce que l’autre pensait. Seul, Djibril paraissait satisfait de cette soirée. Après le départ d’Astou, il avoua à Zoé qu’il appréhendait la rencontre avec sa sœur. Elle pouvait être « compliquée » parfois. « Sans blague » pensa très fort Zoé. 

Ravi de sa soirée, Djibril se dit prêt à renouveler l’expérience une fois par mois. 

« Pitié non ! » supplia Zoé au seigneur.

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