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Ecrit par lpbk
Alors ?
Zoé était couchée dans son lit lorsqu’elle reçut un premier texto
de Bébé qui désirait le retour de son amie sur son dîner avec Astou.
La cata, je te raconterai.
Genre ?
Genre grosse connasse de belle-sœur. Une peste.
Ah merde ! À ce point ?
Ouais une sorcière. Je crois que ma tête ne lui revenait pas. À
peine arrivée, elle m’a trop mal regardée. Bref, elle ne me veut clairement pas
dans la vie de son frère.
Merde ! Ça me fait chier pour toi ! Il y a peut-être moyen de te rattraper
non ?
Hmm non trop d’hostilité en elle. Je pense que c’est mort !
J’avais dit pas de cadeau mais peut-être que ça arrangerait les
choses.
Bébé vu son caractère un cadeau, je suis sûre que ça empirerait
les choses.
J’avoue. En soi, tant que t’as deux points OK sur trois, ça peut
encore le faire. Il faut juste garder tes cuisses fermées. Ahah ! Bon
chance.
Elle ne répondit pas au dernier SMS de Bébé par crainte de
paraître suspecte même via un échange de textos.
Il ne lui restait plus qu’un seul angle d’attaque sur lequel agir.
Quelques minutes sur les réseaux sociaux suffirent à Zoé pour inonder son
profil de vidéos de demandes en mariage, d’inspiration déco pour la table des
mariées, de photos alléchantes de wedding cake. Elle s’était inscrite sur
plusieurs groupes, laissant des commentaires et aidant les membres à résoudre
leurs tracas de location de salle, de traiteur et de DJ. Elle parvint bien à
attirer l’attention, pas celle de Djibril comme elle le souhaitait, mais des
autres filles de la famille Sia dont les appels téléphoniques ne tardèrent pas
à pleuvoir quand elles pensèrent que Zoé avait une bonne nouvelle à leur
annoncer. Elle prétexta alors que c’était pour l’organisation du mariage
d’Edna. Djibril avait justement mis tous ces posts dégoulinants d’amour et de
niaiseries qu’il avait en horreur sur le compte de la petite sœur de Zoé.
Aussi, il considéra qu’il n’y avait pas de quoi s’alarmer.
Aucune des longues perches de Zoé et de ses lourdes insistances ne
trouvaient refuge dans l’oreille de Djibril. Il ne parvenait ou ne voulait
déchiffrer aucun message subliminal.
Un énième soir, où elle se trouvait chez lui alors qu’elle n’était
pas censée y être, Djibril lui confia avoir une surprise pour elle. Il se hissa
hors du lit et se mit à fouiller dans son sac. Zoé retint son souffle. Elle
s’immobilisa un instant. Si effectivement, il envisageait de faire sa demande
là maintenant, un simple caleçon sur les fesses, en lui balançant la bague et
quelques banalités, elle le tuerait. Puis, elle se ravisa. Elle serait quand
même fiancée. Tant pis pour la demande hollywoodienne. Elle n’en avait jamais
rêvé de toute façon. Djibril cherchait frénétiquement l’objet qui semblait être
perdu. Il le trouva enfin puis le cacha derrière son dos. Toute excitée, Zoé se
redressa. Djibril s’approcha d’elle, se tenant en équilibre, les deux genoux
sur le lit.
— Je sais que ces derniers mois n’ont pas été faciles entre nous
deux. Mais faut que tu saches que je suis super bien avec toi. On est
bien ensemble et je ne veux pas que ça s’arrête. Ça me tue de te laisser partir
chaque soir et de ne pas te retrouver dans mes bras chaque matin.
Les yeux de Zoé s’embuèrent et son cœur tenu en haleine manquait
de lâcher à tout instant. Elle ne rêvait pas. Il était bien en train de lui
faire sa demande. Avec des mots simples, certes, mais une demande quand
même.
— Pour toutes ses raisons…poursuivit-il.
Zoé s’apprêta alors à hurler un « oui » si fort qu’on
l’entendrait jusqu’aux confins de la galaxie. Il sortit enfin l’objet dissimulé
derrière son dos. Zoé ferma les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, Djibril tenait
d’une main ferme une brosse à dents.
— Zoé, je veux que tu viennes vivre avec moi ici. Je veux me
réveiller chaque matin à tes côtés, partager mon petit-déjeuner avec toi, faire
des grasses matinées dans tes bras et même faire les courses avec toi. J’ai
rangé mon dressing, la salle de bain pour que tu aies ton côté ! Tu pourras
même modifier la déco si tu veux.
Zoé venait de faire une chute libre du trentième étage dans
l’ascenseur émotionnel. La bouche grande ouverte, son regard alterna entre le
sourire idiot de Djibril et les poils souples de l’objet. Elle loucha sur la
brosse à dents et se mit à rire nerveusement. Il avait osé prendre une marque
distributeur en plus, elle qui ne jurait que par les Signal.
— Chérie !
Zoé a ri de plus bel. Elle se rassit sur le lit, hilare. Elle ne
parvenait plus à réfréner ce rire nerveux qui lui sciait les côtes. Elle en
avait les larmes aux yeux. Des larmes probablement empreintes de fausse joie et
de tristesse. Djibril, inquiet et conscient que la surprise n’eût pas l’effet
escompté ne sut quoi faire.
— Une brosse à dents, s’esclaffa Zoé.
Elle passa une main sur son visage.
— Tu te fous de ma gueule Djibril ?
— Attends je suis perdu là. T’es pas contente ?
Elle arracha alors la brosse à dents de la main de son
copain.
— Je devrais être contente de ça ? Une brosse à dents !
Zoé brandit l’objet de la discorde.
— Attends, t’arrête pas de te plaindre de ta mère, de chez
toi. Tu me dis que ça te saoule et que t’as envie de te casser. Tu ne peux même
pas rester avec moi le soir parce qu’il faut que tu rentres avant minuit. Et
puis je pensais que tu voulais un signe d’engagement fort. La brosse à dents,
c’est juste pour le délire.
— Mais c’est pas cette brosse à dents de merde le problème !
Vociféra-t-elle balançant l’objet à travers la pièce.
— Putain, tu veux quoi à la fin ? Tous tes grands discours
c’était pour que je m’engage non ? Venir vivre avec moi c’est pas assez ?
Il essaya de la prendre dans ses bras. Elle le repoussa.
— Je veux que tu m’épouses bordel ! C’est si dur à comprendre
?
Djibril baissa la tête. Il pensait avoir enterré cette histoire
absurde de mariage.
— Écoute Zoé, je peux pas.
— Tu ne peux pas ? Pourquoi ?
— Putain, on n’en a déjà parlé n fois, je ne peux pas c’est
tout.
— Dis plutôt que tu ne veux pas.
— Oui je ne veux pas ! Et quoi ? Tu vas me forcer ? Je ne
comprends pas ce délire que t’as avec le mariage. On est bien tous les deux,
pourquoi tu veux compliquer des choses simples ?
— Et toi pourquoi tu continues à faire comme si tu ne comprenais
pas ce qui compte réellement ? Est-ce que tu penses sincèrement que je vais
quitter la maison de mes parents pour venir vivre avec toi ?
Ils se regardèrent tous les deux, ne se comprenant plus. L’un
dévisageait l’autre comme si le temps passé ensemble les avait transformés. Ils
ne se reconnaissaient plus.
— Si c’est vraiment ce que tu veux, alors il vaut mieux qu’on en
reste là.
— Djibril…
— Je suis désolé mais je peux pas.
— …
— Ce que tu cherches, je ne peux pas te le donner Zoé.
Djibril traversa la chambre. Zoé ne le quitta pas des yeux,
abasourdie par ce qu’il venait de lui annoncer. Djibril ramassa la brosse à
dents et la jeta, d’un geste las, à la poubelle.
— Est-ce que tu veux que je te raccompagne quand même ? Lui
proposa-t-il.
—….
— Zoé, si t’as besoin que je te raccompagne…je peux…je peux le
faire hein.
— Non…je me débrouillerais, répondit Zoé la gorge nouée par les
sanglots qu’elle étouffait.
— Ok, je sors. Je reviens dans une heure. À mon retour, je veux
que tu sois partie.
La froideur de ces dernières paroles lui glaça le sang. Elle avait
alors ramassé en dix minutes toutes ses affaires. Zoé s’effondra dans le uber
qui la ramena chez elle. Elle fut prise de quelques sanglots, persuadée qu’au
bout de quelques jours, il s’excuserait et que tout redeviendrait comme
avant.
Elle avait attendu un premier jour, puis un deuxième. Une semaine
s’écoula et elle n’eût toujours pas de nouvelles de Djibril. Elle mit alors sa
fierté de côté et tenta de le joindre. Sans succès. Il ne répondait ni à ses
messages d’excuses, ni à ses proses enflammées ni même à ses messages vocaux
pleins de sensualité. Au bout de trois semaines, Zoé comprit qu’elle l’avait
définitivement perdu. Du jour au lendemain, il l’avait rayée de sa vie. Il ne
lui avait suffi que de cliquer que sur un seul bouton pour faire disparaître
l’existence de Zoé Sia.
Au départ, Zoé eut très mal. Djibril planait comme un spectre
au-dessus de sa vie. Que faisait-il ? Avec qui était-il ? Avait-il refait sa
vie ? Elle avait chaque jour une pensée pour lui. Puis, le temps fut son
meilleur allié et lui permit de panser ses blessures. Un matin, elle se leva et
s’aperçut que cela faisait trois jours qu’elle n’avait pas pensé à lui, que la
seule évocation de son nom ne lui provoquait plus de spasmes.
Il aura fallu un an. Un an avant qu’il n’envoie ce fameux texto
égoïste « besoin de te parler ».