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Ecrit par Lilly Rose AGNOURET

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"Mais, jeune homme ! Le SIDA dans tout ça ?"

 

"Ah, monsieur, c'est Dieu qui me garde, oh !"

 

J'ai tout d'un coup l'impression que maman va avoir une attaque. C'est plus qu'elle ne peut entendre. Elle sort de table pour aller se passer de l'eau au visage. Quand elle revient, elle souhaite changer de sujet et demande à Miro :

 

"Tiens, Miro, julien me disait que vous avez une rencontre de football aujourd'hui ?"

 

"J'ai arrêté le foot, madame. Mon beau-frère m'a foutu la honte sur le terrain le week-end dernier. Je dois dire que Julien a pris un sacré plaisir à me ratatiner pendant le match amical mercredi dernier."

 

"C'est bien lui ça ! Je pense que c'était sa manière de te prévenir que tu dois faire très attention et qu'il t'a à l’œil", fait maman.

 

"Oh! Ça, j'ai compris la leçon. C'est un sacré joueur, ce petit."

 

"J'éviterai de l'appeler petit", lui fais-je en riant.

 

Albert, qui n'démord pas, revient à la charge sur Peter. J'ai l'impression qu'il se dit qu'étant donné qu'il l'a devant lui, il doit en profiter.

 

"Dis-moi, jeune homme, ne trouves-tu pas que ta mère est bien trop jeune à 35 ans pour être grand-mère."

 

"Mais monsieur, ma mère ne peut pas avoir 35 ans si elle m'a fait à 15 ans et que j'en ai 25 aujourd'hui. C'est l'âge des papiers, ça !"

 

Là, Albert manque de s'étouffer. Grand-mère Ziza se lève de table pour lui donner une tape très forte dans le dos. Maman me regarde comme pour me dire qu'elle n'en croit pas ses oreilles. Pupuce garde les yeux fixés sur son assiette. Elle est imperturbable. Miro nous sort de notre mutisme et lance en riant :

 

"Tu viens d'une sacrée famille Peter ! En plus d'être un très bon basketteur, tu as beaucoup d'humour."

 

L'autre sourit sans comprendre l'ironie derrière la chose.

 

"Ah ! Je n'ai pas l'habitude de mentir, monsieur. Ma mère m'a rectifié l’âge quand je devais passer le BEPC. Voilà. Elle m'a dit que si elle ne le faisait pas, j'aurais des soucis pour avoir une bourse d'études après le bac."

 

"Ah, ok!" fait Albert qui a retrouvé ses esprits. "Et que comptes-tu suivre comme études après le bac ?"

 

"Sincèrement monsieur, il faut d'abord que j'ai le bac. Une fois que je l'aurai, je vais réfléchir. Parce que j'ai fait tellement de plans dans ma vie làààà! Rien ne s'est réalisé jusqu'à présent."

 

Mama regarde fixement Peter comme s'il s'agissait d'un extraterrestre. Elle lui lance alors :

 

"Nous prions pour que tu décroches ton baccalauréat."

 

"Que Dieu entende vos prières madame. Comme ça au moins, je pourrai me casser de Port-Gentil et aller rejoindre mes frangins qui jouent le basket dans de vraies équipes professionnelles en France. Ce pays de Gabao là, tue trop les rêves des enfants. Quel basket on peut jouer ici ?"

 

Dans tout ce que le type vient de dire, j'ai seulement noté son intention de se tirer de Port-Gentil. Des enfants, il en a déjà. Alors, un de plus ou de moins, il a des projets dans la tête et il les fait en solo, apparemment.

 

"Je compte moi aussi aller en France après le baccalauréat", annonce ma sœur. J'ai passé des tests en ligne pour une école de commerce et ils sont bluffés par mes résultats.

 

Yooo! Depuis quand cette fille a décidé de me rouler et d'aller en France au lieu de me suivre au Ghana ou en Afrique du Sud!!! Finalement, c'est mieux de faire ses plans toute seule !

 

"Enfin, j'irai en France si bien sûr, tantine Bernadette garde le bébé comme elle l'a promis", fait ma sœur en regardant ma mère avec insistance, comme pour l'hypnotiser.

 

"Mangez les enfants, mangez. On parlera du baccalauréat et de l'avenir, lorsque nous aurons le ventre plein", fait Albert.

 

C'est en silence que nous terminons le déjeuner.

 

Alors que je débarrasse avec l'aide de Miro, les adultes discutent dans le salon. Pupuce et son chéri discutent là, derrière la maison. On entend alors quelqu'un entrer et fermer le portail. Un invité surprise: Kaba.

 

Elle est pimpante comme à son habitude. Elle vêtue d'un bel ensemble en bazin rose, avec foulard sur la tête. Elle porte de jolis escarpins, comme si elle avait rendez-vous à la préfecture ou dans une autre administration. Même le dimanche, après-midi, cette femme ne relâche pas ses efforts pour montrer à tous qu'elle a de la classe. Elle arrive et salue tout le monde.

 

Maman me demande alors de lui apporter à boire. Quand Kaba remarque Miro, elle demande à maman de qui il s'agit. Alors, maman lui répond honnêtement :

 

"C'est le petit ami de Tania."

 

"Ah bon !", s'étonne Kaba. "Et que fait-il chez toi ? Il a mangé à ta table ? C'est quoi cette histoire ? Tu encourages maintenant ta fille dans ce genre d'histoire, c'est ça !"

 

"Ah, la ferme !», lui intime la Grand-mère. "Où sont passées tes bonnes manières !"

 

"Oh ! C'est comme ça maintenant ! Je dois la fermer parce que les enfants ont maintenant le droit de tout faire, c'est ça !"

 

"Hummmm! Agnès Mbeng, tais-toi un peu ! Depuis quand as-tu perdu tout sens de la répartie ? Tu n'as pas à parler à ta grande sœur de la sorte.", s'insurge Albert.

 

"Faites comme si je n'ai rien dit. De toute manière, je ne fais que passer.", répond Kaba.

 

"Et qu'est-ce qui t'emmène par ici ?", demande maman.

 

"C'est Mbeng qui n'arrête pas de me faire le bruit à la maison. Il me fatigue les oreilles en répétant que je dois venir chercher sa "fille" parce qu'il ne l'a pas mise à la porte. Je viens donc la chercher. Enfin...en fait, non. Je n'ai pas envie de l'avoir chez moi. Je m'en vais."

 

"Mais tu n'es pas obligée de t'en aller maintenant. Reste discuter avec nous."

 

"Non, je risque de commettre un crime si je vois cette imbécile qui a eu le culot d'aller se faire sauter sans capote à quelques mois du bac. Qu'elle aille au diable!  Mbeng la veut à la maison, qu'il vienne la chercher lui-même."

 

Dès que j'entends cela, je vais rapidement derrière la maison, histoire de mettre en garde, Pupuce et Peter. Manque de pot, ils ont contourné la maison et sont à la terrasse, devant. Et merde et merde et merde. J'entends crier comme si la mort frappait à la porte :

 

"ON PEUT SAVOIR CE QUI SE PASSE ICI?

 

C'est fort. La tension est montée d'un coup. Deuxième gifle. Kaba est folle de rage. Ma sœur ne sait plus où se mettre. J'entends seulement Peter qui menace la mère de sa copine :

 

"Tu la touches encore et je te rends les baffes que tu lui donnes !"Tu la touches encore et je te rends les baffes que tu lui donnes !"

 

Yooooo!

 

"Agnès, Agnès", s'écrie maman. "Qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi tu gifles l'enfant ?"

 

"Quoi, pourquoi je la gifle ! Donc c'est ça que tu trames chez toi ??? Ne serait-ce pas ici par hasard qu'elle est venue se faire baiser bêtement ? Une fille brillante qui n'a jamais eu besoin de cours de soutien pour avoir des tableaux d'honneur à l'école. Il faut bien qu'elle ait été influencée par TA fille, Bernadette. Ton andouille de Tania, ce canard boiteux qu'il a fallu pousser comme une brouette à l'école."

 

Yoooo! Qu'est-ce que je viens faire dans cette histoire ? Mamooooo!!!!

 

"Agnès, fous le camp d'ici s'énerve grand-mère. "Une femme incapable de parler correctement aux autres n'a rien à faire en face de moi. Fous le camp avant que je m'énerve."

 

"Je m'en vais. De toute manière, ça toujours été comme ça. Tu as toujours cautionné les bêtises de Bernadette, maman. Ça ne m'étonne pas ! Reste à faire vos magouilles ici. Vous pouvez la donner en mariage cadeau, c'est pas mon problème."

 

Sur ce, elle s'en va comme elle est venue. Et personne ne la retient. Je suis quand même sonnée. Comment cette femme qui m'a mise au monde peut ainsi me rabaisser ? Elle l'a systématiquement fait depuis que je suis enfant. Si j'avais vécu avec elle et mr Mbeng je crois que je n'aurais plus de dents tant elle m'aurait cogné, vu qu'elle m'a toujours trouvé bête. Il faut vraiment que je décroche ce baccalauréat à la fin de l'année. Cela lui clouera le bec.

 

Miro s'est rapproché. Il me sert dans ses bras et me murmure à l’oreille : "Je t'aime."

 

Heureusement qu'il est là, parce qu'à cet instant, j'ai juste envie d'aller m'enfermer dans ma chambre et ne plus en sortir jusqu'à demain.

 

"Repartons au salon," nous intime Albert.

 

Assis là, dans le canapé, il s'adresse à Miro :

 

"Que font tes parents dans la vie, jeune homme ?"

 

"Mon père est Directeur Général d'une boîte pétrolière et ma mère est femme au foyer."

 

"Yo, mec. Ton père peut me trouver un petit taf quelque part ! Glisse lui deux mots, pour moi s'il te plaît."

 

Vraiment, le type qu'on appelle Peter...

 

"Tu cherches quoi comme p'tit boulot?", lui demande Miro.

 

"Je sais pas, moi. Ma mère dit que je dois me débrouiller pour payer les layettes pour les deux enfants à venir. Il faut que je fasse quelque chose histoire qu'elle arrête de me prendre la tête."

 

Albert, qui suit la conversation avec un intérêt particulier, lance alors à Peter :

 

"Jeune homme, le travail, il faut le prendre avec sérieux, d'accord. Il ne s'agit pas d'y aller simplement avec l'intention de gagner de l'argent vite fait. Il faut le faire consciencieusement."

 

"Ah, je vais encore faire comment ? Je vais m'appliquer. Et si ça casse, ça casse. Je ne vais pas forcer."

 

Albert est obligé de se tenir la tête entre les deux mains tellement il est dépassé par l’imbécillité de Peter !

             
PUPUCE- (tome 1)