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Ecrit par Lilly Rose AGNOURET

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La vie suit son corps et la grossesse de Pupuce la rend de plus en plus chiante. Elle me donne parfois des envies de meurtre, mais je préfère m'éclipser et la laisser seule. Je dors au salon quand elle me prend la tête. Quand maman en a marre de me voir installer ce petit matelas dans un coin du salon, elle m'invite à dormir dans sa chambre, plutôt.

Le bac, on ne parle que de ça. Tu as envie de sortir un peu faire la folle au Diamant, et ta copine du blaze te sort : "pardon, oh! Le bac-là, je dois l'avoir."

Tu veux juste aller un peu faire la belle en maillot de bain le dimanche à SOGARA et les frangines du quartier te répondent que vraiment, la terminale chauffe la tête. C'est à peine si on respire encore dans ces terminales-là! Entre ceux qui gardent les doigts croisés depuis le 1er jour de classe et ceux qui osent à peine te dire bonjour tellement ils sont stressés, on a l'impression de passer une épreuve du fameux examen chaque jour.

En classe, là-bas, c'est pas la peine. Mr Komba, le professeur de mathématique ne parle que des résultats qu'il attend. Il veut qu'on lui montre le feu à la fin de l'année. Il a déjà sa liste d'élèves dont IL EST sûr. Ces élèves-là, n'ont même pas intérêt à rater le bac!

C'est fort.

Y a que maman pour dire que l'on doit apprendre à respirer et regarder les choses avec détachement. Bref, c'est la folie.

Maintenant, si ce bac on ne l'a pas, on fait quoi???

Moi, je ne me pose même pas la question.

Il faut que je l'ai.

Et je l'aurai.

Hors de question que je rate cet examen.

Je n'ai pas le temps de revenir à Raponda l'an prochain.

Je n'ai pas le temps de rester encore à Pog.

Et surtout, mon rêve doit prendre forme dès le mois d'août, car à force de rêver, je commence à avoir des maux de tête et à maigrir.

Je continue de faire mes économies.

Il me faut de quoi payer mon billet d'avion pour partir du Gabon.

Après, si je n'ai pas d'argent pour vivre à l'étranger, tant pis.

Au moins, je serai parti d'ici et je trouverai bien le moyen d'avoir une bourse d'études.

Je continue d'économiser même les pièces de 5 et 25 francs.

Même si cela fait rire ma sœur Pupuce lorsqu'elle prend son taxi juste devant la maison, alors que je me tape le trajet pour l'école à pieds.

Ce matin, elle se moque de moi en me disant :

"Mais pourquoi tu ne demandes pas au chauffeur de ton chéri de venir te chercher."

Et je lui réponds:

"Mais pourquoi tu ne vas pas en cours à pieds étant donné que ton chéri n'a pas de chauffeur."

Elle s'en va vexée, mais je m'en fous.

 

Il est 14h 30 ce 12 mai. Sharonna Gaëlle et ma combi Jileska sont là, avec moi. Nous nous installons à la table de la terrasse, derrière la maison. C'est un moment intense de bosse dure. Un devoir de mathématique et un autre de science physique à préparé. Maman nous a acheté des boissons et les a rangées dans le réfrigérateur. J'ai fait un gâteau au chocolat pour accueillir mes copines et miss Jileska a pensé aux beignets brochettes de chez Maman pour nous ouvrir l'esprit. Huuuummmm! C'est doux d'être avec les copines!

Avec Sharonna, ça ne blague pas! Elle avalent les mathématique comme d'autre avalent des bouteilles de Castel ou de regab dans les bars. C'est une craque depuis la 6ème. Nous sommes amies depuis là. C'est notre passion pour les mathématiques qui nous a unies. Gaëlle est la meilleure du group en anglais et en français; c'est une matheuse qui lit beaucoup, surtout les romans noirs, épouvante, suspense, policier. Elle a l'esprit d'analyse et de critique très aiguisé. Jileska, elle, se définit comme une rescapée. En fait, elle a atterri en série scientifique par défaut. Elle déteste lire, elle est nulle en langues. Mais la biologie, c'est son truc. La chance qu'elle a, c'est que sa mère s'occupe depuis le premier jour, de son enfant. Ma combi est tombée enceinte quand nous étions en 5ème. La mère n'a pas fait trop de bruit. Elle lui a seulement dit qu'elle devait réussir pour pouvoir dans le futur prendre soin de son enfant.

Nous sommes là, à rigoler en parlant des péripéties en classe, histoires de prendre notre élan avant de nous lancer dans les livres et les cahiers. Quand on commence, parfois, 22 heures, nous trouve là. Alors...

"Monsieur Nguema, mon cher père ingénieur de son état, m'a inscrit à un programme qui me permettra d'avoir une bourse d'excellence si j'ai de bonnes notes au baccalauréat. C'est un truc de l'ambassade du Japon, je crois.", nous lance Sharonna.

"Mais toi, c'est obligé que tu aie une bourse. C'est quand même toi la grande bosseuse.", fait Jileska.

"Là, où vous me voyez là, j'ai même pas envie de devenir ingénieur." continue Sharonna.

"Ah, pardon. Arrête de nous bassiner avec tes mêmes histoires. Intelligente comme tu es, tu vas aller faire le conservatoire??? Qu'est ce qui ne va pas? Là, tu veux seulement que monsieur Nguema, ton cher père, te tue. Il te vois déja grand cadre là-bas à Total, comme lui.", lance Gaëlle.

"ne me dis pas que tu n'as pas abandonné ce rêve, Sharonna! Ton père va te tuer sec quand il va apprendre ce que tu as l'intention de faire.", fais-je.

"Les filles, les filles, les filles! Dès que je pose le pied aux USA, monsieur Nguema ne pourra plus rien me faire. Je vais aller à la fac comme prévue, mais à côté, je vais m'inscrire à une école d'arts dramatiques. Je veux devenir actrice et monter sur les planches pour jouer de grands rôles comme celui d'Andromaque, de Phèdre, de Juliette. Vous comprenez au moins. C'est mon rêve.", lance Sharonna.

"La fille-ci, est vraiment particulière! Nous, on se gratte la tête pour savoir où on va trouver l'argent pour payer ne serait-ce que le billet pour voir un jour un pays étranger ! Toi, tu as déja de grands rêves dans la tête!", fait Jileska.

"En fait, je voulais aller en France, cela aurait été plus facile pour moi. Mais comme mes deux grands frères sont déja à Washington, je vais me débrouiller là-bas. Je vous enverrai des photos. Mais il est hors de question que je renonce au théâtre. Qui sait, je deviendrais peut-être une grande actrice. Vous allez me ragarder à la télévision et tout." continue Sharonna.

"Et moi qui pensais que mon rêve était trop grand, je me rends compte que je suis raisonnable," fais-je. "Je veux simplement aller à Accra ou à Pretoria. En tout cas, partir du Gabon quoi. Je ne veux pas rester là et attendre que les autres viennent me raconter!"

"Moi-là, je pense que je vais aller mourir à l'université à Masuku. Qui va me gaspiller le Ghana ou la France. Ma grande sœur Sybille est là en train de moisir à l'UOB. Mon grand-frère Franck a eu la chance d'avoir la bourse pour l'Afram. Et ma grande sœur Pauline est à l'institut de gestion. C'est pas moi qu'on va envoyer à l'étranger, oh! Y a les dô!" nous fait Jileska.

"Moi, je pense aller à Cape town. Je vais rejoindre ma sœur Charline qui est déjà là-bas. C'est déjà décidé." conclut Gaëlle.

 

Nous commençons à travailler quand Jileska me demande :

"Au fait, Tania, que va faire Pupuce après le bac?"

"Elle fait ses plans en secret. J'ai seulement appris au détour d'une conversation qu'elle a l'intention d'aller en France. Papa Jimmy fait des plans pour elle. Il a déja l'argent du billet et son nom est déja sur la table d'un de ses ancien camarade d'université: elle aura la bourse les yeux ouverts. Elle n'a pas les mêmes soucis que nous, Jileska."

"Oh! Mais pourquoi il n'a pas donné ton nom aussi à son collègue. S'il peut faire avoir la bourse à Pupuce, il le peut aussi pour toi, Tania. Ou bien!?"

"Pardon, oh! Ne me pose pas de questions compliquées. Je préfère de loin résoudre des equations à plusieurs inconnues."

"Yooooo!!!! Non, il blague, il va t'aider.", insiste Jileska.

"Mama, laisse l'affaire-là! Le billet de Pupuce est réservé depuis l'année dernière. Il nous a montré la réservation comme ça! Tu comprends. Elle accouche, elle décroche le bac. Et le 3 septembre, elle est dans l'avion pour Toulouse. C'est déjà écrit, même le ciel a acquiesé."

Jileska qui n'en revient toujours pas reste me regarde fixement.

"Yo! Y en a qui ont de la chance!" fait-elle.

"Elle a même beaucoup de chance !", lance Gaëlle. "Elle a la chance que papa Jimmy n'est pas réagi comme Kaba. Sinon, elle allait rester ici pour remplir les rangs de l'UOB."

"Et son type? Ton bof chéri, ce cher Peter?", demande Sharonna.

"Pardon, les filles. Ne me fatiguez pas avec ce type. Je ne m'occupe pas de ses affaires." fais-je.

"Humm, tu devrais, pourtant ! C'est le père de ta nièce à venir. ", me lance Gaëlle,

"Oui, oui, c'est pour ça que je lui dit poliment bonjour. Mais, franchement, je ne suis pas obligée de me taper la conversation avec lui. Je sais qu'il a de grands projets. Il a des frangins basketteurs qui sont déjà là-bas en France et qui jouent dans des clubs. Donc, les types sont en train de lui arranger son affaire."

"Hummm! Il faut vérifier cette histoire ! Quels frangins qui vont lui arranger l'affaire!!!! Pardon, c'est parce que je ne veux pas mettre ma bouche dans les histoires des autres! Dis à Pupuce d'enlever le coeur là. Elle accouche, elle se remet en forme, elle va en France et elle s'attrape un type potable là-bas!", fais Gaëlle.

"Hummmm! La fille de là! Faut nous dire, oh! C'est comment tu te braques comme ça sur l'affaire là! Qu'est-ce que Peter t'a fait. Faut nous dire."

"Laissez, je préfère me taire. C'est dans ma bouche on va manger piment!", lance Gaëlle.

"Mais la go, tu ne peux plus te taire. Tu en as trop dit. Crache le morceau ! Qu'est-ce qui se passe?", lance Jileska.

"Rien, oh! Pardon, faisons les maths seulement.

Tout le monde la regarde sans trop comprendre. Au fond de moi, je n'ai que faire de ce que Peter peut inventer comme coup de baguette magique pour arriver en France. Il dit à tout le monde que le basket peut l'emmener très loin, car il est l'un des meilleurs joueurs gabonais du moment. Mais, avec les parents qui n'ont rien, quelle magie va t-il opéré, lui qui trébuche à l'école et un dossier scolaire qui est triste à lire?

Bref... je préfère me poser les questions auxquelles j'ai des réponses. Voir moins

       
PUPUCE- (tome 1)