2.
Ecrit par lpbk
Je n’avais aucune envie de rentrer. Je savais qu’une précieuse
perturbation du nom d’Emeraude m’y attendait. J’étais profondément passionnée
par mon métier et le fait d’avoir ma propre agence de création artistique me
faisait explorer des univers qui jusque-là m’étaient inconnus. Quelques fois,
je me sentais submergée par la masse de travail au point de ne plus trop savoir
où donner la tête mais je n’en démordais pas pour autant. En deux ans
d’existence, j’avais su propulser ma petite structure au sommet de ces
entreprises avec lesquelles il fallait dorénavant compter dans la capitale et
ses environs. Même si à cause de mes problèmes de couple je n’avais pas pu
profiter du séjour, il n’en restait pas moins qu’il avait été agréable et fort
intéressant en découvertes régionales. Sortir de Paris m’avait fait du bien
mais aussi prendre du retard sur certains travaux. Ma vie professionnelle était
harassante mais le pire dans tout ça c’était le fait de ne pouvoir me
raccrocher à ma vie sentimentale pour tenir car celle-ci apparaissait comme un
poids destiné à me faire couler vers le fond plutôt comme la bouée qui
m’aiderait à maintenir la tête hors de l’eau. Des fois, je me surprenais même à
penser que ma vie amoureuse était une contrainte que je m’imposais mais dont je
pouvais aussi me débarrasser en un battement de cil. Cela ne durait pas plus
d’une seconde puisque l’instant d’après je me consolais en me rappelant combien
la vie en elle-même n’était pas simple. A ces moments-là, mon amour pour
Héritier me rattrapait ainsi que le désir de devenir son épouse et celui de de
fonder une famille avec lui. Je m’interdisais alors d’abandonner cette vie que
nous nous étions construite.
C’est toute essoufflée que je remontais la ruelle piétonne. Encore une
fois, j’avais enfilé des escarpins que je n’avais même pas pris la peine d’ôter
une fois installée dans le train qui nous ramenait sur Paris. Ils me faisaient
souffrir mais à chaque fois que je repensais à tous ces regards masculins que
j’avais surpris sur moi dans le train et à la gare, je souriais et tirais avec
plus de vigueur sur mon trolley dont les roulettes avaient du mal à fonctionner
à cause des interstices entre les pavés. Alors que je m’apprêtais à pousser la
porte de l’immeuble, j’entendis la voix aiguë d’Ambre.
—
Mais Elsa, c’est comment ?
Myope depuis l’adolescence, j’avais parfois du mal à distinguer les
silhouettes même familières dans la rue. De plus, le non port de mes lunettes,
l’éclairage relativement faible de la rue et les douloureuses morsures du froid
que je subissais n’arrangeaient pas les choses. C’était donc la mort dans l’âme
et dans les jambes que je m’approchais des deux femmes non sans avoir pris le
soin d’abandonner mon bagage à la porte de l’immeuble. Alors qu’Ambre me
gratifiait d’un sourire large et hypocrite, je les saluais. Près d’elle, se
tenait une Emeraude dont le regard
semblait plein de mépris. Je devais sans doute m’agenouiller afin qu’elle
m’excuse de ne lui avoir pas déroulé le tapis rouge à son arrivée.
—
Pardon, mais avec l’obscurité, je ne vous avais pas
reconnues, me justifiais-je.
—
Mais comment aurais-tu pu puisque depuis vos
fiançailles, tu n’as plus jamais remis les pieds à Kin. En tout cas maman dit
que tu manques de considération à l’égard de ta famille.
Je détestais qu’elles parlent de nous comme d’une grande et heureuse
famille dans laquelle les gens s’aimaient malgré les crêpages de chignons et
les coups tordus. Angélique osait parler d’un manque de considération quand ses
filles ne savaient même pas la définition la plus simple de ce mot. D’ailleurs,
celles-ci me manquaient de respect à chaque fois que se présentait l’occasion
et jamais personne n’avait rien dit. Ambre travaillait en plein centre de Paris
mais elle n’avait jamais trouvé le temps de déjeuner avec moi. Quand elle
n’avait pas d’excuse pour décliner une invitation, elle se contentait de ne pas
venir à notre rendez-vous. Je ne sais plus combien de fois je me suis retrouvée
comme une conne à l’attendre dans une brasserie à l’heure du déjeuner. Quant à l’Emeraude,
la jeune femme sans emploi et sans l’once d’une ambition, c’était une toute
autre histoire. Madame avait effectué pas moins d’une douzaine de séjours à
Paris en moins d’un an et évidemment, elle n’avait pas jugé utile de me le
signaler et encore moins de s’organiser pour passer un soir à la maison. Et
pourtant, entre frère et sœurs, ils s’offraient des brunchs dans les
établissements les plus huppés de la capitale. Il n’était pas rare qu’en un
après-midi, Héritier dépense cinq cent euros afin de les satisfaire.
—
Ah, Emeraude, toi aussi tu ne peux pas laisser ? Tu
reviens de voyage ?
—
Euh… oui. J’ai dû travailler loin de Paris.
—
Humm… lança, Emeraude en croisant les bras sous sa
poitrine.
—
En tout cas, pour toi est bien oh.
—
Humm…
Face à ces « humm » incessants, je ne savais que penser et
encore moins quelle attitude adopter. Elle avait sûrement beaucoup de raisons
de faire cette tête mais pour l’heure je n’étais pas disposée à les écouter car
j’avais besoin de me reposer.
—
Je vais donc vous laisser terminer votre discussion.
—
C’est mieux !
—
A la prochaine Ambre.
Sans un sourire, je regagnais la porte, la poussais et pénétrais dans
l’immeuble.
D’habitude, lorsque je passais la porte de cet appartement, je me sentais
immédiatement apaisée. Mais la présence d’Emeraude venait perturber cet
équilibre que je m’attelais à renforcer un peu plus chaque jour. D’entrée de
jeu, la jeune femme s’était permise de faire quelques réaménagements. Ca
faisait quoi ? Même pas six heures qu’elle était chez moi que déjà elle avait
trouvé le moyen de remettre en cause ma décoration. Je regardais avec
affliction la console à l’entrée. Le grand miroir qui ornait encore le meuble
il y a quelques heures avait été troqué contre toute une série de cadres
portant des photos de la famille Mwila. Il y en avait des quand ils étaient
enfants, puis adolescents et enfin adultes. Il y avait aussi celles des enfants
d’Ambre, ce qui me valut un pincement au cœur. Emeraude savait appuyer là où ça
fait mal et ne se gênait apparemment pas pour le faire. A peine installée qu’elle
me rappelait mon incapacité à concevoir et le fait qu’elle occupe cette chambre
pour laquelle nous avions tant de projets me donnait l’impression que jamais je
n’y arriverais.
En rejoignant ma chambre, je passais devant celle qui était désormais la
sienne. L’habituelle porte fermée derrière laquelle se trouvait une chambre à
la fois vide et pleine de rêves avait laissé place à une porte grande ouverte.
Tout avait été livré et rangé. Je ne pus m’empêcher de poser mon regard sur ces
valises que je trouvais bien nombreuses puis sur la pile de vêtements
lamentablement échoués sur le lit. Pour combien de temps était-elle là ?
Des semaines ? Des mois ? Comme pour chasser cette sombre et dernière
idée, je secouais vigoureusement la tête puis poursuivis mon chemin.
Depuis la salle de bain, j’entendis la porte d’entrée claquer à s’en
briser. Je m’étais volontairement dépêchée de passer sous la douche pour ne pas
avoir à la croiser, du moins pas tout de suite. Il faut croire que mon esprit
n’était pas tout à fait prêt à la recevoir. En rinçant mon masque au charbon,
je songeais à l’attitude que je devrais adopter avec elle car une chose était
certaine, je n’étais pas du genre à faire des étincelles mais Emeraude avait
cette facilité à vous mettre hors de vous.
Après ma douche, j’enfilais un legging noir, un pull et mes pantoufles.
Je traînais encore un moment dans la chambre, espérant voir la porte s’ouvrir
sur Héritier hélas rien. Je me résignais donc et sortis de ma cachette. Après
tout, le dîner n’allait pas se faire tout seul.
En sortant de ma chambre, je la surpris alors qu’elle était au
téléphone. Lorsque celle-ci remarqua ma présence, elle passa du français au
lingala et ce sans la moindre transition. Sa voix résonnait dans toute la pièce.
Silencieusement, je me dirigeais vers la cuisine regrettant pour une fois
d’avoir abattu le mur qui la séparait du séjour.
La cuisine était sens dessus dessous. Dans l’évier je retrouvais des
légumes mais aussi de la viande et du poisson. Sur la paillasse, étaient posés
des pots de yaourts encore fermés. Après avoir ouvert le frigo qui coulait du
fait qu’il était mal fermé je compris qu’elle avait dû le vider un peu afin
d’avoir de la place pour ranger toutes les provisions qu’elle avait apportées.
Evidemment, elle n’avait pas pris la peine de les ranger convenablement. Je
soupirais devant ce bazar avant d’attraper des boites de conservation, des
sachets de congélation puis une éponge et un chiffon. Je passais donc un moment
à reconditionner certains aliments puis à les ranger au frais. Pour le repas,
j’optais pour de la truite grillée accompagnée de patates douces et de
roquette. En plus d’être délicieux et rapide, ce plat avait l’avantage d’être
d’une simplicité enfantine. Je venais de passer du temps à faire le ménage
alors je n’allais pas m’épuiser plus que ça. Lorsque tout fut prêt, je dressais
la table puis rejoignais Emeraude afin de la prévenir.
—
Je vais attendre mon frère, me répondit-elle en
manipulant son téléphone.
Ses mots étaient froids. Elle les avait prononcés sans daigner me porter
un regard. J’avais l’impression d’être de trop dans mon propre séjour. Sans
rien ajouter, je me levais et retournais vers la table que j’avais apprêtée
avec grand soin. Je me saisis de la bouteille de vin que j’avais sortie et la
débouchais. Je me servis un verre puis m’installais sur le comptoir qui
séparait la cuisine du séjour, devant mon ordinateur. Alors que je tentais
désespérément de noyer ma solitude et ma tristesse dans mon travail, je reçu un
message de Maeva.
—
Hey bébé, qu’est-ce que tu fais ?
Dans ma famille, tout le monde m’appelait bébé. A l’adolescente, je
trouvais ce surnom d’une absurdité intersidérale puis avec le temps, j’avais
fini par m’y habituer. Je crois qu’en lui, je trouvais une sorte de réconfort. C’était
un peu comme un chocolat chaud par une nuit d’hiver.
—
Rien de spécial, et toi ?
—
Pareil ! Et sinon, Kim K ?
—
Rhoo… mais ne l’appelle pas ainsi, Mae. Et pour
répondre à ta question, elle est dans le canapé, les jambes posée sur ma table
Roche Bobois. Elle attend « son frère » pour diner.
—
Quoi ?! Il n’est pas encore rentré ?
—
Il travaille beaucoup, Mae. Et puis, il vient
d’arriver. Je dois te laisser. Bisous, ma belle.
Tout de suite, je rabattais l’écran de mon Mac mettant fin à cette
discussion et perdant par la même occasion ma progression puisque je n’avais
pas pris le temps de la sauvegarder. Je venais de mentir à ma sœur. Et pour
cause, je n’avais pas envie qu’elle me rappelle que je passais ma vie à attendre
mon fiancé. Elle avait pleinement raison, mais c’était ma vie. Celle-ci n’était
pas parfaite mais en toute sincérité, qui pouvait se vanter d’avoir une vie
parfaite ? Et puis, même si tout n’était pas toujours rose, au moins j’avais
un fiancé, j’étais sur le point de me marier. Je portais mon verre de vin à mes
lèvres et avalais péniblement histoire de faire passer le nœud que je sentais
tout au fond de ma gorge.
—
Ya Diamant va encore mettre long ? m’interrogea
Emeraude en me regardant, cette fois.
—
Ca dépend. Mais nous ne sommes pas obligées de
l’attendre.
D’un bon, elle se mit sur ses jambes puis s’étira de tout son long. Je
me permis de l’observer et même si elle faisait plus que son âge, je me devais
d’admettre qu’elle était une très belle jeune femme. Le pas nonchalant, elle se
rendit à la cuisine et lorsqu’elle découvrit ce qui constituerait le dîner de
ce soir, elle fit une petite grimace avant d’ouvrir le frigo.
—
Ah vraiment, vos trucs de blancs là… mieux je vais
d’abord nous sortir un peu d’oseille et du manioc. De toutes les façons,
j’aurai le temps d’en manger.
Aussitôt dit, aussitôt fait. De nouveau, le plan de travail se
retrouvait encombré de boites et de sachets. Elle attrapa une casserole dans
laquelle elle vida le contenu d’un des sachets avant d’y ajouter un peu d’eau
pour la mettre à chauffer.
—
Héritier nous avait dit que tu as maintenant ta propre
entreprise.
—
En effet.
—
Oh ! C’est tout ?
—
Comment ça ? fis-je en la regardant d’un air
interrogateur.
Que voulait-elle que j’ajoute ? En y repensant, c’était quand même fou
qu’en deux ans, aucun membre de la famille Mwila n’ait trouvé un instant afin
de me féliciter. Héritier savait pourtant à quel point j’avais dû travailler pour
parvenir à ce résultat. Il savait combien mon travail était important pour mon
épanouissement.
—
En fait, je veux savoir si ça te plait, comment tu te
sens maintenant que tu es à ton compte ? Est-ce que ça t’occupe
beaucoup ? Bref, ce genre de truc.
J’avais toujours les yeux brillants lorsque je devais parler de mon
métier. Alors sans trop la faire languir, je me lançais dans de longues
explications.
—
A la création, ce n’étais pas trop ça. J’avais du mal
à trouver des clients puisque j’étais encore une inconnue aux yeux de beaucoup.
La première année a été extrêmement difficile, n’eut été ma mère, je crois que
j’aurai abandonnée. Mais j’avoue, avec mes récentes collaborations avec Etam et
Zara, je me suis faite un petit nom à Paris du coup, je suis de plus en plus
consultée. Du coup, pour répondre à ta question, je dirais que oui, c’est
fatiguant voire même épuisant mais à comparer, je préfère être à mon compte
plutôt que de travailler pour quelqu’un.
—
Et sinon, tu fais quoi exactement ?
Elle remuait le contenu de la casserole à l’aide d’une louche qu’elle
déposa directement sur le plan de travail ce qui me coupa le souffle. Emeraude
comme sa sœur et sa mère ne m’appréciait pas mais en ce moment, j’avais
l’impression qu’elle s’intéressait à moi et que peut-être voulait-elle enterrer
la hache de guerre qu’elles brandissaient toute à la simple évocation de mon
nom.
—
Je suis consultante auprès de différentes marques et
sociétés issues du monde de la mode, du luxe et de l’univers corporatif. En
fait, je crée des logos ou si tu préfères une identité visuelle. Je mets en
scène avec virtuosité des produits, une vitrine, son agencement pour attirer de
nouveaux clients et déclencher leurs envies d’achat. Je mets en lumière la
personnalité, le caractère d’un dossier de presse ou d’un catalogue… Voici
l’étincelle qui m’enchante et m’anime depuis toujours. Tu vois ?
Elle acquiesça et me tourna le dos pour sortir du frigo de la pâte de
manioc emballé dans des feuilles. Je connaissais quelques mets congolais car à
nos débuts, Héritier et moi fréquentions assez souvent ses amis d’origine
congolaise. J’avais d’ailleurs pu remarquer qu’ils avaient beau vivre en France
qu’ils restaient très proches de leur pays, de leur culture culinaire,
linguistique et parfois même vestimentaire. Quelques fois, j’avais même
l’impression qu’ils étaient perdus. Ils semblaient des fois entre deux mondes
et cela, je n’arrivais pas trop à me l’expliquer. Par exemple, les femmes
congolaises étaient de grandes adeptes de produits blanchissants et de techniques
dépigmentantes. La plupart s’éclaircissaient la peau, dépensaient des sommes
folles en extensions capillaires et en articles de marque. Était-ce une façon
pour elles de se fondre dans la masse afin de faciliter leur insertion dans la
communauté blanche ? Je trouvais leur mode de vie paradoxal puisqu’une
fois loin de leur milieu professionnel, la plupart ne choisissait leur amis que
dans la communauté congolaise ou africaine et consommaient essentiellement des
plats de chez eux. Il faut dire que j’avais plusieurs fois entendu dire que la
cuisine française était fade.
—
Grâce à mon travail, j’ai acquis avec mes différents
clients le goût de l’échange, la transmission d’un savoir-faire, d’une passion.
Mon ouverture sur le monde, la palette des cultures, l’esprit de la rue, me
permettent d’avoir toujours un œil ouvert et pétillant sur ce qui m’entoure, de
savoir capter ces petits détails qui feront rebondir ma réflexion créative. Et
en tant que directrice artistique et graphiste free-lance, j’ai la liberté de
travailler depuis la maison. Mais ma petite entreprise a aussi des locaux et à
l’occasion, je me ferais un plaisir de te faire visiter.
Elle ne répondit pas. Je commençais à me demander ce qui m’avait pris de
lui parler ainsi de mon métier, de ma passion. Le pire c’est que je n’avais
même pas su dissimiler mon enthousiasme. Elle devait me trouver bien
orgueilleuse en ce moment.
—
Et sinon, tu as quel âge déjà, Elsa ?
Je la regardais, surprise par sa question et surtout je cherchais dans
ma tête le rapport avec mon discours.
—
Vingt-huit. Bientôt vingt-neuf, pourquoi ?
Elle se retourna et me fixa un moment, ce qui me mit mal à l’aise. A
quoi pouvait-elle penser ?
—
Trente ans et grosse… bientôt la ménopause enfin si ce
n’est pas déjà arrivé. Quand je t’entends parler, j’ai l’impression que ton
travail est ce qui fait ta vie. Tu sais, chez nous les africains, pour une
femme, il n’y a rien de plus important que la famille et qui dit famille parle
d’enfants. A ton âge, je crois que ya Ambre en avait déjà deux. Ya Diamant est
mon seul frère et le premier né de maman donc vraiment de savoir qu’à presque
trente-cinq ans il n’a encore aucun enfant est un supplice pour chacun de nous.
Moi encore ça va mais maman. Hmmm…
Elle n’avait pas tort cette chipie. Mon crétin de médecin passait sa vie
à me rappeler mon état de personne « grosse ». Il avait toujours cet
air fortement préoccupé lorsqu’il m’auscultait, attitude qu’il ne prenait pas
quand il s’agissait de Maeva ou de tout autre membre de la famille. A chacun de
nos rendez-vous, je lui parlais de mon désir de fonder une famille mais
monsieur n’en faisait pas cas puisqu’il se focalisait uniquement sur mon poids
et mon indice de masse corporelle.
—
Quand je t’entends parler ainsi, avec beaucoup de
fierté je ne peux que me demander si tu sais ce que c’est que de partager la
vie d’un homme.
—
Mais…
D’un geste de la main, elle m’imposa le silence car semble-t-il, elle
n’avait pas fini de s’exprimer sur cette souffrance que j’infligeais à leur
famille. Il est vrai que la plupart des amis d’Héritier étaient déjà parents.
Certains étaient en couple et d’autres pas néanmoins, ces derniers restaient
fiers devant les sourires et les exclamations des uns et des autres à chaque
fois qu’ils brandissaient photos et gribouillages.
—
Esprit de famille, zéro ! Relation, zéro ! Même
avec moi, rien ! L’enfant, zéro ! La cuisine… En tout cas,
ajouta-t-elle en s’essuyant les mains à l’aide d’un torchon, tout ça, c’est ya
Diamant sinon, lui-même il sait qu’il y a beaucoup de jeunes filles à Kinshasa
qui ont fait des études et qui sont capables de lui donner des enfants.
Je restais choquée tout le temps de son petit discours. Je la trouvais
injuste et même méchante mais aucun son ne parvenait à s’échapper de ma bouche
pour le lui faire comprendre. Mon moi profond était blessé. Mon corps tremblait
et mes yeux commençaient à picoter. En moins de cinq minutes, elle avait abordé
les deux aspects de ma vie qui me causaient le plus de souffrances en faisant
usage de mots savamment bien choisi, brisant ainsi les remparts que j’avais
érigés tout autour de moi. Combien d’euros mes parents avaient dépensé chez le
psychologue pour qu’à défaut de me sentir bien dans ma peau, je puisse accepter
ce physique ingrat ?
C’est seulement à ce moment qu’Héritier arriva. Le ton léger, il nous
salua puis déposa sa mallette et se débarrassa des vêtements superflus qu’il
avait sur le dos avant de passer derrière le comptoir afin d’embrasser sa sœur.
Lorsqu’il s’approcha enfin de moi, Emeraude lui demanda sans détour la raison
de ce retour tardif. Il fallait bien qu’elle lui montre à quel point elle
s’était languie de sa présence ou peut-être voulait-elle lui rappeler combien
j’étais de mauvaise compagnie.
—
Vingt-deux heures, ya Diamant ? Et pas le moindre
message ?
Diamant était le second prénom d’Héritier. Oui, tous portaient des noms
de pierres précieuses. D’ailleurs, Angélique se vantait d’avoir mise au monde
des joyaux. Je trouvais cela un tantinet ridicule et absurde mais qui étais-je
pour juger les prénoms d’autrui. Et puis, peut-être que sous d’autres cieux,
Elsa était le prénom d’un goblin ou d’un troll.
J’étais encore bouleversée mais j’attendais impatiemment de savoir
l’excuse qu’il lui sortirait.
—
Désolée, Emeraude mais j’ai pris un verre avec Jules.
—
Oh, Jules ! Le joli garçon, teint clair qui avait
apporté les paquets à maman ? C’est lui ou je me trompe ?
—
Oui, c’est lui. Il a eu un souci avec sa voiture et
son assurance n’a pas voulu le couvrir du coup, il s’est dit qu’il était
peut-être temps de changer de compagnie. On a profité pour prendre un verre et
on n’a pas vu le temps passer.
—
Ok. En tout cas j’espère que tu as faim car je nous ai
sorti le chikwangue avec l’oseille. On va accompagner ça avec le poisson de
Elsa. Avant que j’oublie, j’ai eu Anita au téléphone et comme elle doit venir
chercher ses provisions, je lui ai proposée de diner avec nous vendredi sur
prochain.
Mais de quel bois était-elle faite cette petite pour se permettre
d’inviter l’ex-copine de son frère chez nous sans même nous consulter. Je
trouvais déjà qu’elle manquait de respect à notre relation en la mentionnant
alors de l’inviter chez nous… De toutes les façons, je n’avais pas à m’en faire
puisque son frère allait sûrement lui expliquer que ce dîner ne pourrait tout
simplement pas avoir lieu.
La vérité est que je détestais Anita. Je la détestais elle et cette
façon qu’elle avait de minauder en présence de mon fiancé, faisant fi de ma
présence et de cet engagement qu’il avait pris envers moi. Comme si le simple
fait qu’elle et lui soient restés amis, il se trouve aussi que mademoiselle
travaillait à une rue du lieu de service d’Héritier et qu’ils aient les mêmes
fréquentations. Tout cela me rendait malade. J’avais confiance en mon fiancé
mais aucunement en elle. Il fallait être aveugle pour ne pas se rendre compte
qu’elle avait encore des sentiments pour lui.
—
Pourquoi pas ?
—
Super ! dit-elle d’un air jubilatoire en servant
le repas qu’elle avait réchauffé.
Je me renfrognais. Il savait ce que je pensais de cette femme à la
plastique tout aussi gracieuse que magnifique. Il savait comment je me sentais
en sa présence et sans aucune forme de protestation, il cédait aux caprices de
sa sœur. A croire que moi, je ne comptais pas.
—
Qu’est-ce que tu as ? chuchota-t-il à mon oreille
après avoir baisé chacune de mes joues.
Cette fois-ci, s’en était plus que je ne pouvais supporter. J’avais
l’impression d’être une intruse dans ma propre maison et ça ne me plaisait
guère. Héritier savait l’animosité que j’éprouvais vis-à-vis de son ex mais il
se permettait de m’imposer un diner chez moi avec elle comme invitée
principale.
—
Rien ! Je suis fatiguée, je vais me coucher.
Je quittais la chaise haute sur laquelle j’étais perchée et m’en allais
en direction de la chambre.
Malgré le confort de mon lit, j’avais du mal à trouver le sommeil.
Comment aurais-je pu quand mon esprit était troublé par leurs éclats de rire et
les différentes réflexions et angoisses qui me hantaient ? Maeva avait
raison, je passais ma vie à l’attendre, à me taire, à faire passer ses envies
avant les miennes. Le dialogue entre nous était absent ce qui
ne facilitait pas les choses et pourtant, j’avais besoin de lui dire le mal
qu’il me faisait et d’extérioriser cette rage que je sentais monter en moi. Les
années passaient et l’amertume au fond de ma gorge devenait de plus en plus
insupportable. En fin de compte elles disaient la vérité lorsque qu’elles me
rappelaient à quel point cette relation m’avait transformée.
C’est sur ce constat que je finis par fermer les yeux.