27. Conscience

Ecrit par Samensa

NANCY

J’ouvre les yeux difficilement. Fatiguée et courbaturée, je m’étire comme un chaton avant de me tourner vers l’objet de mes désirs, le seul homme qui arrive à éveiller mes sens ces temps-ci.

Couché sur le dos, la bouche légèrement ouverte et le bras sur les yeux, il dort encore, ronflant légèrement. Je me mets en boule contre lui pour profiter de sa chaleur. Il doit avoir le sommeil léger puisque dès que j’entre en contact avec lui, il ouvre les yeux. Son regard part de la couverture sur lui à moi. Il parait confus puis désolé comme s’il regrettait quelque chose. Et j’espère au fond de moi que ce n’est pas cette nuit.

Sans un mot, il me pousse doucement sur le côté, se lève et part s’enfermer dans la salle de bain. Cela a le don de me refroidir sur le coup. Moi qui m’attendais à un réveil avec des câlins, eh bien c’est raté.

J’attends patiemment, assise sur le lit qu’Eric sorte de sa cachette.

-Il faut que je rentre maintenant. Dit-il une fois sorti, ramassant ses vêtements au sol.

-Eric, tu ne peux pas fuir. Pas après ça.

-Je ne fuis pas.

Il continue de s’habiller tout en évitant mon regard.

Je vais lui prendre les mains pour le faire assoir près de moi.

-Je sais que tu ne m’aimes pas. Du moins comme je le souhaite.

-Nancy…

-Non, laisse-moi parler. Eric, je suis consciente du fait que tu as été marié pendant longtemps. Je sais que tu as rencontré ta femme alors que tu étais très jeune… Tu ne peux donc pas l’oublier juste en claquant les doigts.

Je prends son visage en coupe.

-Eric, je t’aime. Je veux que tu le saches et que tu n’en doutes jamais. Je n’en peux plus de te voir triste et malheureux pour cette …

Je retiens mes mots devant son regard dur.

-Excuse-moi. Eric ?... Réponds-moi.

-Je t’écoute.

-Donne-moi une chance de te rendre heureux. Je me fiche pas mal que maintenant tu ne sois pas amoureux de moi. Ce n’est pas important. Je veux seulement prendre soin de toi et être près de toi comme tu l’as été quand j’en avais besoin.

-Je ne veux pas profiter de toi Nancy. Ce serait égoïste de ma part d’être dans une relation à sens unique, d’en profiter alors que toi non.

-Ne t’inquiète pas. Je souris. Le simple fait de t’avoir avec moi est un cadeau. Accepte mon offre.

Il sourit franchement.

-Je ne pourrai jamais dire que tu manques d’audace, toi !

-Qui ne risque rien n’a rien, n’est-ce pas ?

-Effectivement.

-Alors, veux-tu être mon petit ami ?

Il m’attire contre lui en riant.

-On va essayer. Je suis d’accord pour nous laisser une chance.

Pour ne pas brusquer les choses, je le prends dans mes bras au lieu de l’embrasser comme j’en meurs d’envie. Il vient de passer un pied par la porte, à moi de le tirer vers l’intérieur.

 

Environ 2 semaines plus tard

 

ELA

Après maintes discussions avec ma famille, j’ai pu réussir à me faire inviter officiellement au mariage. La seule condition : ne pas ramener David. Au début réticente, ce dernier m’a poussé à accepter. Après tout, il n’était pas si proche d’Api.

Deux jours avant le mariage, une réception est organisée par ma famille pour réunir les amis proches et la famille des mariés. Le diner a lieu dans un restaurant chic d’Abidjan, entièrement réservé pour accueillir une trentaine de personnes. L’ambiance bonne enfant me permet de souffler un peu. J’en avais marre des chuchotements et des regards interrogateurs à mon passage.

Je suis en train de finir ma salade d’avocat quand il entre dans le restaurant. Mon cœur se met à battre à un rythme anormal aussitôt qu’il reconnait le son de sa voix.

Eric est radieux. Depuis la dernière fois que je l’ai vu, il a pris du poids et a laissé sa barbe pousser d’environ un demi-centimètre, ce qui en rajoute à sa virilité. Il est très relaxe dans son t-shirt blanc qui laisse deviner ses muscles et son bermuda noir. Après avoir salué tout le monde, il vient s’assoir près de moi, le sourire aux lèvres et à la surprise de tous.

Son parfum me submerge et je remarque qu’il l’a changé.

-Bonsoir Ela. Ça va ?

-Je vais bien. Toi, pas besoin de demander. Tu es rayonnant !

-Merci. Il rit. Tout le monde me le dit ces temps-ci. Toi aussi, tu es magnifique comme toujours même si je te trouve amaigrie.

-Oh oui, juste moins 5 kilos.

-Tu es malade ?

-Non non. Juste un peu de régime pour garder la forme. Mentis-je.

-Tu es belle comme tu es Ela.

Ces mots agrémentés de son sourire me font chaud au cœur.

Le reste de la soirée s’écoule trop rapidement à mon gout. Je constate qu’Eric a toujours le don de capter l’attention. Il fait rire l’assistance par ses blagues et ses anecdotes. Je suis littéralement choquée par l’indélicatesse des femmes présentes qui lui tournent autour, sachant qu’il est célibataire.

Lorsque vient le temps de partir, les répartitions sont telles que je me retrouve à rentrer seule avec Eric. Il accepte volontiers de me déposer avant de rentrer chez lui.

Dans la voiture, la banquette arrière est occupée par des jouets d’enfants de toute sorte et des paquets de course emplis de boites de lait et de compotes pour bébé. Pas besoin de milles dessins pour deviner qu’ils appartiennent à Elie. Et donc Nancy.

Pourquoi tout ça ? La question me brule les lèvres mais je n’ose rien dire. D’ailleurs, qui suis-je pour le demander ?

Nous nous disons au revoir et je l’observe partir dans sa voiture en sachant qu’il court dans ses bras. Je le ressens.

 

Le jour J est enfin arrivé. La maison est réveillée au son de musiques festives sur le thème du mariage telles que « Ada Ada » de Flavour, « no one like you » de P-square.

Ma sœur est anxieuse. Nous sommes obligés de la forcer à manger à cause de son état avant de l’habiller. Une fois prête, maman nous réunit avec mes tantes dans la chambre de la future mariée, comme elle l’avait fait pour moi, pour prier et bénir sa fille.

Api demande ensuite à tout le monde de nous laisser seules : maman, elle et moi.

-Je me marie et je veux que cela soit un jour heureux. Malheureusement, je ne suis pas totalement comblée car quand je vous vois toutes les deux, j’ai mal. Maman, j’ai pardonné à ma sœur. J’aimerais que tu en fasses de même.

Ma mère hausse les épaules avant de se tourner vers la porte. Je cours immédiatement me jeter à ses pieds en pleurant à chaudes larmes. Je l’implore de me pardonner.

Son cœur de mère ne peut tenir. Elle fond aussi en larmes puis se met à genoux près de moi pour me serrer contre elle. Sans un mot, nous nous comprenons. Sans un mot, je sens toute la déception de ma mère mais aussi tout l’amour qu’elle a pour moi.

 

Je n’ai pas pu assister à la cérémonie de mariage car occupée à la maison pour la confection de plats africains. C’est donc aux alentours de 17 heures que j’arrive au Sofitel Hôtel Ivoire. La fête a déjà commencé. La piste de dance est pleine de monde. Aussi, me mêle-je à la foule pour témoigner mon bonheur pour ma sœur. C’est toute essoufflée que je rejoins ma table pour le début du repas. J’y suis rejointe par d’autres personnes mais aussi Eric flanqué de Nancy bien évidemment.

Elle jubile quand elle me voit, trop heureuse de s’afficher au bras du plus bel homme de la salle. Eric me salue chaleureusement tandis qu’elle me toise toujours en souriant.

C’est un calvaire d’être assise en face d’eux. Elle ne manque aucune occasion pour le toucher ou encore lui chuchoter à l’oreille. Et le comble, il semble apprécier.

L’ouverture de bal est une réussite. Les couples rejoignent peu à peu la piste de danse. Sur un coup de tête, je propose une danse à mon ex-mari.

C’est main dans la main que nous rejoignons la piste de danse. Et le DJ, cet imbécile de DJ choisit ce moment pour mettre « J’ai déposé les clés » de Jocelyne Labille. Non mais ?!? On est à un mariage pas à un divorce. La gêne s’empare immédiatement de moi. Par contre Éric affiche un sourire en coin.

« J'ai déposé les clés, adieu mon bien-aimé

Quelqu'un d'autre m'attire m'éloigne de toi

J'ai déposé les clés après toutes ces années

J'ai préféré partir pardonnes-moi

On ne peut pas changer les saisons de l'année

On ne peut empêcher ce qui doit arriver

Maudits-moi chaque jour si ça peut soulager

Je prierai en retour que tu sois libéré

Ne me demandes pas pourquoi lui et pas toi

Oh mon cœur si déchire de remords

L'amour ne choisit pas on aime et c'est comme ça

J’ai besoin de son corps tout contre moi

Quand je suis avec toi, allongée dans tes bras

J’pense à lui tellement fort le soir quand on s'endort

Serrée contre toi je pleure sous les draps

Tu ne le sais pas je pleure sous les draps

Serrée contre toi je pleure sous les draps

ha l'amour fait quoi, ha l'amour fait quoi »

Au fur et à mesure que la musique s’écoule et que les paroles se font entendre, c’est pire.

Juste après, c’est autour de Fanny J de se faire entendre dans la salle avec son titre « Je l’aime ». Vraiment, c’est ma soirée. Nous  dansons jusqu’à la fin avant que Nancy vienne me le « prendre ». Et bien entendu, c’est à cet instant précis que « A jamais » de Medhy Custo commence. Foutu DJ !

- Excuse-moi, j’aimerais danser avec lui. Me dit-elle en lui prenant les mains.

-Bien sûr, je vais…

Je n’ai pas fini de parler qu’elle se met à l’embrasser langoureusement. Je suis hébétée devant la scène comme la majorité des invités au point de ne plus pouvoir bouger. Je ne sais pas combien de secondes, ni combien de minutes passent avant que je ne sente ma sœur m’attirer à elle pour danser. Elle me fait « non » de la tête lorsque mes larmes commencent à affluer. Discrètement, elle me fait poser la tête contre son épaule et avec l’aide de son mouchoir, je m’essuie les yeux.

Jamais je n’aurais cru avoir si mal en le voyant avec une autre. J’aime David alors pourquoi je me sens si mal ?

« La trahison n’est pas une partie de plaisir » me jette ma petite voix intérieure.

Je ne peux m’empêcher de les regarder de loin. Elle a l’air de le rendre heureux. « Ce que tu n’as pu faire. Tu as été ingrate. » Il la couvre de ses bras puissants en la faisant tanguer doucement et elle, elle rit comme une petite fille, la petite fille la plus heureuse de la terre. « Ça fait mal hein ? » Oui, je me réponds à moi-même. « Et pourquoi tu as mal ? Tu as David, n’est-ce pas ? Laisse-le être heureux ! »

Eprouvée et les émotions sens dessus dessous, je m’excuse auprès de ma sœur et rentre chez moi, retrouver celui pour qui mon cœur, tout entier, bat. Enfin … normalement.

 

 

INDECISE