31-
Ecrit par lpbk
Je n’ai pas arrêté de penser à toi.
Ce simple message avait décoché à Zoé un sourire radieux. Elle se
mordit les lèvres et répondit aussitôt.
OK
Elle se trouvait ridicule, le portable coincé contre son menton à attendre
qu’il daigne lui répondre. Quelques instants des fragments de souvenirs la
ramenaient à la dure réalité. Il l’avait trompée. Il était le seul être sur
Terre à avoir mis son cœur en mille morceaux. Elle l’imaginait retirer la robe
de cette naïade allemande, puis couvrir de baisers son corps nu et ferme. Elle
entendait Hilde gémir le nom de son ancien amour. Oui, elle se trouvait
ridicule de retourner dans les bras affûtés de Vincent.
Comment as-tu eu mon numéro ?
Zoé, je ne l’ai jamais effacé parce que j’ai toujours espéré que
toi et moi ça reparte comme avant. Je descends ce soir à Lyon, et toi ? Si tu
veux, on peut se voir.
Zoé regarda l’heure, son train pour Paris était dans deux heures.
Même si elle le désirait, elle ne prendrait pas le risque de le rater.
Désolée, pas le temps, et ça ne m’intéresse pas de toute
façon.
Elle n’aurait jamais pu lui répondre avec tant d’aplomb face à
lui. Le SMS confère ce pouvoir de cacher des sentiments, de taire une voix
frémissante.
Pourquoi t’es si froide ?
Je regrette ce qui s’est passé entre nous.
C’est pas l’impression que tu m’as donnée hier soir. Je ne vois
pas pourquoi tu regrettes quelque chose dont tu mourais d’envie.
Génial, c’est ce que tu te disais quand tu m’as trompée avec
Hildeuh ? Ça t’aide à moins culpabiliser.
C’est horrible, mais ouais.
Bien Vincent.
Mais c’est également ce que j’ai pensé quand on s’est embrassés.
J’en avais envie depuis que je t’ai vu courir sur le parvis de l’église.
Ses lèvres s’étirèrent, laissant découvrir toutes ses dents. Elle
secoua la tête ; hors de question qu’il devine qu’il avait ravivé des
sentiments longtemps enfouis.
Oui, et ?
Et je te veux Zoé. Je passe trois jours à Lyon et je remonte à
Paris jeudi matin et j’y reste trois semaines. Et ces trois semaines, je veux
les passer avec toi.
Hors de question.
Tu vas le regretter.
Non.
Si je te le dis, je te connais par cœur Zoé Sia.
Non, et moi je bosse, donc tes trois semaines tu vas les passer
solo.
Tu résistes parce que t’es derrière ton portable. Tu me
supplierais de recommencer si j’étais face à toi.
Peut-être, mais t’es pas là et je prends le train tout à l’heure
donc… bonne continuation Vincent.
On verra. À jeudi !
Sa présomption agaçait Zoé, mais la flattait également. Elle ne
doutait pas que face à lui et à ses deux perles noisette braqués sur elle, elle
fondrait littéralement. Dieu merci, elle n’aurait plus jamais à le revoir. Ce
baiser avait été un aveu de faiblesse et il s’en servirait pour l’attirer de
nouveau dans ses bras. Elle le garderait en tête comme l’excipit de leur
romance passée. Un livre qu’elle pourrait définitivement refermer.
Le silence de Zoé intrigua ses compagnons de route. Adjoua
scrutait du coin de l’œil le regard vide de son amie.
– Ouh Ouh ! Adjoua remua les mains devant Zoé.
— Ouais, marmonna la jeune fille sortant de sa rêverie.
— Ça va ?
— Ba besoin de plus d’explications, ça t’a bouleversé de
revoir Vincent.
Zoé releva la tête et exhiba le même regard que celui d’un enfant
dont on aurait découvert la bêtise. Faty reposa le bout de gâteau qu’elle avait
entamé.
— Non, Zoé, non tu n’as pas fait ça, scanda Adjoua. Ce mec
est un gros connard.
— Si… on s’est embrassés.
— Ah ! Soupirèrent en cœur les deux amies.
— C’est rien ça ! Tant que t’es pas passée à la casserole,
poursuivit Adjoua.
— Bon de toute façon, j’compends pas pourquoi tu te tracasses
avec ça. Il vit en Chine donc…
— Ouais, il retourne en Chine dans un mois et il veut qu’on
se voie.
— Et toi t’en as envie ? demanda Faty. J’ai toujours espéré
que vous vous remettiez ensemble. Vous étiez trop mignons.
— Pardon ?! Euh… il l’a trompée, s’indigna Adjoua. Elle n’a
pas intérêt à repartir avec sinon je la tue.
— Il a fait une erreur. Et puis tous les mecs sont infidèles
un jour ou l’autre.
— Donc Faty, tu fais partie de cette team-là ? Tu pars du
principe que l’homme avec qui tu es mariée va aller voir ailleurs.
— Franchement je ne me fais pas d’illusions au moins quand ça
arrivera, je serais préparée.
— C’est horrible ce que tu dis…
— Faty, crois-moi t’es jamais préparée à ça, jamais…, dit
Cynthia en baissant la tête.
— Tu veux le revoir ? demanda une dernière fois Adjoua qui
espérait une réponse négative.
— Putain non ! Il m’a brisé le cœur ce connard.
— Oui, ça, c’est ma copine, se réjouit Adjoua en prenant Zoé
dans ses bras. Elle tira la langue par la même occasion à Faty qui regardait le
spectacle, altérée.
— Mais le problème c’est que depuis hier soir je n’arrête pas
de penser à lui, c’est ouf, je n’en ai pas dormi cette nuit.
— C’est normal, ça t’a perturbé de te retrouver face à lui,
mais ça te passera vite.
— Sincèrement, si t’as envie de le voir fais-le !
— C’est le conseil le plus nul que tu pouvais donner
Faty.
— Si ce n’est que pour de la chaleur humaine, pour moi aucun
souci. Depuis qu’elle a rompu avec Djibril, elle n’est sortie avec
personne.
— C’est pas une raison pour retourner avec cet ex-là, c’est
mort elle n’arrivera jamais à se détacher de lui sinon. C’est hyper
malsain.
— Les filles, je ne compte pas le revoir. Le débat est clos,
conclut Zoé.
— Mais si tu…
— Chut ! Débat clos elle a dit.
Zoé rabattit le caquet de ses amies et de sa conscience. Trois
semaines, juste trois semaines avant qu’il ne quitte le pays. Trois semaines
avant qu’il ne quitte définitivement sa vie. Elle s’en croyait capable.
La première pensée de Zoé le jeudi matin fut pour le déjeuner
gourmand qu’elle envisageait de se préparer. Puis le baiser langoureux de
Vincent se glissa entre deux visions de crêpes au Nutella. Il serait à Paris
aujourd’hui. Il l’avait avertie la veille d’un simple SMS « demain je suis tout
à toi » auquel elle n’avait pas répondu. Ce silence ne le dissuada pas pour
autant. Vers l’heure du déjeuner, il l’avait prévenue de son arrivée à Paris.
Il s’amusait à lui décrire les différentes étapes de sa journée. Vincent et ses
messages occupaient tant son esprit qu’elle s’en était rongé les ongles tout
l’après-midi.
Cela faisait quelques heures que Vincent ne lui avait pas envoyé
de textos. Elle était déçue. Elle attendait le récit de ses aventures comme on
attendait le prochain épisode d’une série. Mais elle ne reçut aucune nouvelle,
son absence comme sa présence la perturbaient. La journée avait été
improductive, brouillée par les assauts intempestifs de Vincent dans sa tête.
Elle regarda sa montre. Plus que quelques minutes et elle pourrait fuir cet
open space morose et rentrer chez elle. Elle visionnerait des clips devant
lesquels elle danserait pour éviter de penser à lui.
Zoé sortit du bâtiment et réfléchissait aux chorégraphies qu’elle
reproduirait. Elle constituait sa playlist d’afrobeat quand elle vit Vincent
adossé contre la grille d’entrée. Il était de dos, mais elle le reconnut
aussitôt. Son cœur s’emballa. Elle voulait rebrousser chemin, mais c’était le
seul accès à la gare. Elle aurait pu retourner au bureau si elle n’avait pas en
horreur l’open space. Elle marcha donc d’un pas ferme, décidée à l’affronter.
« Non » se répétait-elle. Elle avança lentement. Par chance, il en aurait
peut-être marre de l’attendre et il s’éclipserait avant qu’elle n’atteigne la
grille. Encore trois, deux puis un mètres. Elle s’immobilisa. Elle était plus
fébrile que sous le perron. Il n’en ferait qu’une bouchée. Vincent enfouit ses
mains dans ses poches et se retourna. Ses fossettes se creusèrent et ses yeux
s’illuminèrent quand il l’aperçut. Il s’avança vers elle et la prit dans ses
bras.
— Tu m’as manquée, dit-il.
Zoé était abasourdie.
— J’ai quelque chose pour toi.
Ses doigts renfermaient un petit écrin qu’il tendit à Zoé.
— À quoi tu joues Vincent ? demanda Zoé en dégageant de sa
main droite la boîte.
— C’est juste un cadeau pour toi. Prends-le.
— J’en veux pas.
— OK, t’es pas obligée d’accepter. Mais c’est dommage, c’est
de l’ambre comme tu aimes.
— Qu’est-ce que tu veux Vincent ?
— Je te l’ai déjà dit ce que je voulais. Passer les trois
semaines qu’il me reste à Paris avec toi.
Il avait considérablement réduit l’espace entre son visage et le
sien. Elle pouvait sentir son souffle se rompre. Il approchait dangereusement
sa bouche et elle avait une furieuse envie de s’en saisir. Elle tenta de se
dégager de cet espace étouffant. Il lui agrippa le bras et l’entraîna vers lui.
Il posa son front contre le sien. Elle était bien trop fiévreuse pour lui
résister. Ils en avaient conscience tous les deux. Zoé se hissa alors sur la
pointe des pieds et l’embrassa. Vincent attrapa sa taille et pressa un peu plus
son corps contre le sien. Ils restèrent une dizaine de minutes à entremêler
leurs lèvres. Zoé sentit un désir ardent grimper en elle. La main que glissa
Vincent sous sa blouse déclencha un florilège de sensations. Elle en avait
presque oublié qu’ils se bécotaient à l’entrée de son boulot. Soudain, elle
reprit ses esprits.
— On… on doit partir ! Des collègues pourraient me
voir.
— Tu veux qu’on aille chez toi ?
— Chez moi ?
Elle éclata de rire.
— Je vis toujours chez ma mère, la tête qu’elle ferait si je
débarquais avec toi.
— Je voulais pas te proposer ma chambre d’hôtel parce
que…
— Parce que ça fait pute.
— Ce n’est pas moi qui l’ai dit.
— Mais tu l’as pensé si fort que je l’ai entendu. De toute
façon, je ne viens…
Il l’embrassa de nouveau.
— Je… je…
— Suis-moi.
Il avait refermé ses doigts sur les siens. Elle s’imprégna de la
chaleur que dégageait sa paume. Elle avait quelque chose de réconfortant et de
familier. Son instinct lui hurlait de fuir, mais son cœur la ramenait
constamment à lui. Elle songea à déguerpir à maintes reprises. La première fois
fut quand il l’entraîna avec lui. Puis, quand elle partagea la banquette
arrière du taxi avec lui, une autre fois, lorsqu’il glissa sa main sous sa
blouse dans l’ascenseur de l’hôtel, enfin, quand elle se dirigea vers sa
chambre dans les couloirs faiblement éclairés de cet hôtel. À de nombreuses occasions,
elle avait été rappelée à l’ordre, mais ses jambes refusaient d’obéir.