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Ecrit par lpbk
Après cette soirée-là, Zoé s’était juré que cette erreur ne se
reproduirait plus. S’il y avait bien une chose que la jeune femme avait du mal
à respecter, c’était bien les promesses. Les serments qu’elle s’imposait
étaient aussi fragiles qu’une branche d’arbre prise dans une bourrasque. Elle
les rompaient aisément. L’erreur dont se morfondait Zoé se produisit chaque
soir depuis que Vincent Héron posa le pied à Paris.
Dès 18 h 30, Zoé répétait le même schéma absurde.
Vincent l’attendait en bas de chez Milagro, puis leur commandait un taxi.
Certaines fois, il l’invitait au restaurant, mais la soirée s’achevait par la
même issue fatale : une chambre d’hôtel que Zoé, les papillons dans le
ventre, quittait aux alentours de 23 h. Elle s’était convaincue qu’elle ne
faisait qu’égayer des nuits bien trop froides depuis sa rupture avec Djibril.
Mais lorsque Vincent lui avoua qu’il ne l’avait jamais oubliée et qu’il n’avait
jamais aimé quelqu’un comme il l’avait aimée, elle devina très vite que ses sentiments,
à elle, venaient s’en mêler. Elle en avait toujours été persuadée, il était
l’homme de sa vie. Comme dans un film romantique après plusieurs histoires, ils
avaient fini par se retrouver ; destinés à être ensemble.
Zoé avait gardé ses envolées nocturnes secrètes. Personne ne
comprendrait qu’on retourne dans les bras de son bourreau, un syndrome de
Stockholm affectueux que seuls ceux qui en étaient atteints entendraient. Faty,
peut-être, serait celle qui la soutiendrait. Son amie avait toujours espéré que
leur couple se reformerait. Mais Adjoua et surtout Bérénice, qui avait été la
plus virulente vis-à-vis de Vincent, ne l’accepteraient pas. À cause de la
douloureuse histoire de ses parents, la jeune femme avait horreur de la
trahison et des mensonges qui l’enrobaient. Alors, quand Zoé reçut le message
de Bébé sa poitrine se serra.
Zoé, il faut qu’on parle.
Pas de smiley ni de nouvelles sur son voyage de noces. Des mots
froids sans saveur. Ce message sonnait comme une injonction. Bébé était-elle au
courant ? Elle tenta d’en savoir plus.
Ça va ? Rien de grave, j’espère.
Non, mais il faut qu’on parle, tu serais dispo demain ?
Ouais
Super, 19 h aux grands boulevards.
Elle avait une sensation étrange.
Le lendemain Zoé rejoignit Bébé sur le quai de la ligne 9.
L’attitude de son amie lui confirma qu’elle était très certainement au courant
de son aventure avec Vincent. Bébé, qui avait toujours un sourire au coin des
lèvres, avait cette fois le visage fermé, les traits durs comme si elle s’était
injecté une dose conséquente d’acide hyaluronique. Même son bronzage tout frais
ne la rendait pas plus aimable.
— T’es sûre que ça va Bébé ? demanda Zoé.
— Ouais, tu viens ? On va se poser dans un bar sympa que je
connais, pas loin.
Elles marchèrent en silence, slalomant entre les Parisiens
pressés. Les terrasses étaient bondées de personnes profitant des derniers
rayons de soleil de l’été indien.
— C’est mort, on ne trouvera aucune place en terrasse. Ce bar, ça
te tente ?
— Ouais tout me va.
Les deux jeunes femmes s’engouffrèrent dans un lieu de fortune
qu’elles avaient trouvé. La devanture paraissait tomber en ruines, mais Bébé
semblait déjà agacée d’avoir perdu dix bonnes minutes à la recherche d’un
endroit où se poser. Son amie ne voulait ni boire ni manger, elle souhaitait
juste parler ou se livrer. Zoé avait du mal à distinguer entre les deux. Tout
ce dont elle était certaine c’était que Bébé suintait le malaise.
Après avoir commandé une pinte pour Bébé et un cocktail pour Zoé,
elles s’installèrent à l’une des dizaines de tables libres.
— Alors, qu’est-ce qui se passe ? s’empressa de demander Zoé qui
s’impatientait.
— Écoute, je suis au courant pour Vincent et toi, lança Bébé d’un
ton grave que Zoé avait très peu entendu.
Les seules fois où son amie avait pris cette voix-là, c’était pour
se confier sur l’histoire de ses parents et sur la mauvaise note d’exposé
qu’elles avaient eu en cours par sa faute.
Elle savait qu’elle aurait droit au sermon de Bébé. Zoé baissa la
tête, telle une condamnée, résignée, en attente de sa sentence.
— Comment t’es au courant ?
— …
— Paul, bien sûr. Écoute, je… je sais déjà ce que tu vas me dire,
mais Bébé, je te jure, j’ai essayé, mais je n’y arrive pas.
— Tssst. Zoé, t’inquiète pas. Je ne suis pas là pour te
juger.
Bébé posa sa main sur la sienne ce qui rassura la jeune femme.
— Il retourne en Chine dans une semaine donc…
— Zoé, t’es heureuse, là ? l’interrompit-elle ? Cette relation te
fait du bien ?
Zoé esquissa un sourire.
— Putain, pas sur ce plan-là ! Tu le sais bien que cette histoire
ne te mènera nulle part.
— Peut-être que si. Il m’a avoué que j’étais la seule qu’il n’ait
jamais aimée. On va peut-être se remettre ensemble. J’en ai le sentiment.
Bébé secoua la tête, puis leva les yeux au ciel, exaspérée par le
discours de Zoé.
— Zoé, tu te fais du mal, il faut vraiment que t’arrêtes.
— Je croyais que tu n’étais pas là pour me juger.
— Je suis ton amie et je ne veux que ton bien.
— Tout va bien donc c’est bon ! Je gère, tu n’as pas à
t’inquiéter.
Elle but une gorgée de son cocktail comme pour appuyer ses dires.
Tout allait bien, sinon elle ne savourerait pas cette tequila sunrise.
— Zoé, ce mec est une ordure.
— Oui, je sais. Il m’a trompée, blablabla. Je suis au courant. Il
regrette.
Zoé entortilla la paille de ses longs doigts fins.
— Il te l’a dit, ça ?
— Il m’a dit que j’étais la seule femme qu’il n’ait jamais
aimée.
— Oui, mais il t’a avoué qu’il regrettait ?
— …
Zoé, qui semblait siroter un cocktail de jouvence, soufflait
bruyamment dans sa paille. Elle ria bêtement à l’entente du son que produisait
ses bulles dans la boisson. Bébé lui arracha alors le verre des mains. Zoé la
fixa de ce même regard que son petit-frère avait quand Bébé lui confisquait sa
console, un regard boviné, qui la seconde d’après, était embué de larmes. Zoé
contrairement à son frère n’avait pas pleuré. Elle s’était contentée de hausser
les épaules comme pour signifier à son amie qu’elle était bien trop heureuse
pour être énervée par un geste si puéril.
— Zoé, écoute-moi un peu. Vincent et toi, ce n’est pas possible.
Il faut que t’arrêtes. Maintenant ! lança-t-elle sur un ton autoritaire.
Si elle ne faisait pas face à la grande brune, Zoé aurait juré
entendre sa mère.
— Tu lui fais confiance ? demanda Bébé radoucie.
— Je n’attends rien de lui…
— C’est faux ça ! Tu ne le rejoindrais pas dans sa chambre d’hôtel
tous les soirs si tu n’attendais rien de lui. Je te le dis, tu te fais du
mal.
— Peut-être… Comment c’était la Tanzanie ?
— Crois-moi, ce mec est vraiment un connard ! lança une Bébé
imperturbable.
— C’est bon, t’as fini ? s’impatienta Zoé.
— T’es au courant qu’il est en couple avec Hilde.
Zoé éclata de rire.
— Celui qui vit par l’épée mourra par l’épée. Je suis censée me
sentir mal parce qu’il me trompe avec elle ? Cette connasse n’en avait rien à
faire quand j’étais à sa place. Si tu veux savoir, je ne culpabilise même pas
un peu. J’ai juste récupéré mon dû.
— Pitié Zoé ! Qu’est-ce que t’as récupéré ? Des nuits dans un
hôtel parisien ? T’es son bouche-trou, là, sa petite distraction parisienne le
temps des vacances. Dès qu’il rentrera en Chine, il reprendra le cours de sa
vie.
— Non, mais…
— Je suis dure, mais ouvre les yeux. Il se fout de ta gueule.
— Il a vraiment des sentiments pour moi.
Bébé soupira.
— Je ne comptais pas te le dire, mais tu ne me laisses pas le
choix… Hilde est enceinte.
— Quoi ?
— Elle attend un enfant.
— Merci Bébé, je sais ce que veut dire « enceinte », s’agaça Zoé.
— Il va fonder une famille avec elle, Zoé.
— Pfff ! Je n’y crois pas.
— Je suis désolée. Il l’a annoncé à Paul le lendemain du mariage.
— Je suis dégoûtée.
— T’as le droit, ma chérie.
Elle enroula Zoé de ses bras.
— Mais Hilde ne sera pas la première ni la dernière mère
célibataire au monde, lui confia Zoé, la tête posée au creux de son épaule.
Bébé relâcha aussitôt son étreinte. Elle se recula pour mieux observer le
regard de Zoé, comme si elle lui paraissait droguée, possédée, maraboutée. Il
n’y avait que ces hypothèses pour expliquer que son amie débite autant de
bêtises à la minute.
— Tu dérailles complètement, il ne la quittera jamais pour toi.
Mets-toi ça dans le crâne.
— Ça, t’en sais rien.
— Ouvre les yeux ! Ce mec est un vrai connard. Il ne changera
jamais.
— Hilde c’était une erreur. Il a dû se rendre compte que j’étais
celle qu’il aimait.
Bébé enfouit son visage dans ses mains.
— Écoute, il faut que je t’avoue un truc, lança-t-elle.
La jeune femme leva les yeux au ciel et prit une profonde
inspiration.
— Hilde… justement… n’était pas sa seule erreur, Zoé.
La voix de Bérénice tremblait légèrement.
— Comment ça ? S’inquiéta Zoé.
Elle tenta d’aspirer sa boisson, mais de son cocktail, il ne
restait que l’eau des glaçons. Malgré tout, elle continua de s’abreuver. Elle
le sentait. Elle devait boire. Bérénice qui n’avait pas touché à sa bière
depuis le début de la conversation siffla la moitié de sa pinte comme on
engloutirait un shot de tequila. L’une comme l’autre accaparée par leurs verres
n’avait envie d’entamer cette discussion qui mettrait vraisemblablement fin à
leur amitié.
— Zoé, Vincent t’a trompé avec une fille de Sciences Po. Je ne me
souviens plus de son nom. Et… et à New York aussi. Je suis désolée, mais… il ne
changera jamais.
Zoé continua de boire son eau jusqu’à ce qu’elle ait entièrement
vidé son verre. Elle voulait hurler, mais aucune plainte ne sortit de sa
bouche. Les larmes coulèrent sur ses joues, puis elle se mit à renifler
bruyamment, attirant les quelques regards du bar sur leur table. Elle eut la
sensation une fois de plus d’avoir été trahie.
— Tu le sais depuis quand ?
Bébé n’osa pas soutenir son regard. Ses yeux légèrement rougis
étaient tournés vers le comptoir où la barmaid armée d’un chiffon astiquait la
tireuse.
— Tu le sais depuis quand ? insista-t-elle.
— Je l’ai appris dès sa première incartade à Sciences Po. Il en
avait parlé à Paul qui m’a tout raconté. Je suis allée voir Vincent et il m’a
supplié de ne pas le balancer. Ce n’était qu’une erreur. Il était trop bourré,
il n’a pas réfléchi. Il m’a juré qu’il ne recommencerait plus et je l’ai cru
comme une conne. J’ai passé l’éponge pour ne pas te blesser. T’étais tellement
folle de lui.
— Ah ! Maintenant ça va être de ma faute.
— Non, je n’ai pas dit ça Zoé, c’est juste que je ne voulais pas
te faire de mal.
— …
— Quand j’ai appris qu’il t’avait trompée plusieurs fois à New
York, j’étais prise au piège parce que j’avais fermé les yeux sur sa première
infidélité. Je lui ai dit de tout arrêter. Une fois de plus, il m’a manipulée.
Il a prétendu que ce n’était qu’une histoire de cul et qu’un an sans sexe
c’était insurmontable. Zoé, je suis tellement désolée, je m’en veux tellement.
Pardonne-moi.
Bébé, prise de sanglots, attira les regards vers elle. Elle avait
marmonné quelque chose. Zoé avait cessé de pleurer. Le dégoût tordait sa
bouche. Malgré sa détresse, elle était incapable de ressentir la moindre
compassion pour Bébé.
— Que Paul ne m’ait rien dit, OK. Mais, alors toi, Bébé.
Toi… t’étais censée être mon amie. Comment t’as pu me laisser rester des années
avec ce mec alors qu’il se foutait littéralement de ma gueule ?
— Si ça peut te consoler, je pense qu’il t’aimait vraiment, mais
qu’il n’arrivait juste pas à garder son pantalon.
— On s’en fout de lui… lui c’est un putain de connard. Mais toi
t’es pas mieux que lui.
— Je croyais te protéger, j’ai fait une erreur. Pardonne-moi.
— Tu me dégoûtes. Adjoua, Faty et moi, on ne t’aurait jamais fait
un coup pareil. T’aimes bien faire la sainte avec tes grands airs, tes grands
discours sur la loyauté, la fidélité, etc., mais t’es une putain d’hypocrite.
Tu parles de ta mère, mais tu ne vaux pas mieux qu’elle.
— C’est bas, Zoé, je peux…
— C’est bas ? Et toi, ce que tu m’as caché pendant des années tu
le situes où ?
— Je…
— Je veux plus t’entendre.
Zoé se leva brusquement et alla payer l’addition avant de quitter
le bar. Elle ressentait une rage immense envers Bébé, une rage si grande
qu’elle se sentait incapable de lui pardonner un jour sa trahison. Apprendre
que Vincent était un multirécidiviste se tapant tout ce qui bougeait et
l’hypocrisie de son amie Bébé l’avaient achevée. Elle perdit foi en l’humanité.
Quelques heures auparavant, elle était persuadée de finir sa vie avec lui et à
présent elle découvrait son véritable visage. Elle n’aurait jamais pensé faire
partie de la ligue des copines naïves, incapables de déceler l’infidélité
chronique de leurs mecs. Quelle conne ! Il l’avait tellement manipulée. Elle ne
vivait que pour lui. Elle ne s’estimait qu’à travers ses yeux. Tout ce que sa
langue prononçait était parole d’évangile. Elle se remémora alors toutes ces
décisions idiotes qu’elle avait prises pour lui, pour le séduire, pour le
suivre, pour être à sa hauteur. Seul le mot stupide tournait en boucle dans sa
tête.
Son portable vibra, la tirant de ses pensées.
Tu m’as manqué ce soir
Elle tapa de rage sur son téléphone.
Je n’existe plus. Oublie-moi !