4.
Ecrit par lpbk
La soirée commençait mal. Héritier et moi nous étions disputés par deux
fois. Je n’avais pas aperçu Emeraude mais je savais pertinemment qu’elle nous
avait entendus, de toutes les façons elle ne se serait pas gêner de le faire.
J’aimais Héritier mais il me rendait malade. Cette vie me rendait folle.
L’interphone sonna et Héritier se précipita pour aller ouvrir. Anita fit
son apparition dans une robe vraiment près du corps. Ses chaussures à
plateforme lui donnaient un air vulgaire mais cela semblait plaire à Jules.
Apparemment, ils s’étaient retrouvés tous les deux à l’entrée de l’immeuble
avant de s’apercevoir qu’ils se rendaient au même appartement. J’évitais avec
précaution le regard d’Héritier de peur d’être déçue par ce que je découvrirais
dans ses yeux. C’était certes grotesque mais les choses étaient ainsi.
C’est en retenant un rire que je me rendis compte que je venais de
descendre une bouteille de vin à moi toute seule alors que nous n’avions même
pas entamé le plat principal. Mon père était œnologue. Il m’avait transmis l’amour
et le goût du bon vin. Et lorsque j’avais un gros chagrin, je pensais à lui et
courais me réfugier auprès d’une belle bouteille. Plus d’une fois, je m’étais
retenue de leur balancer une réflexion acerbe. Le repas se déroulait dans une
ambiance plutôt étrange alors avoir cet échappatoire me convenais bien. Je me
sentais détendue et prête à vivre deux ou trois diners de ce genre. De temps en
temps, j’observais les couples autour de moi en me trouvait ridicule. Face à
cette pensée, je partis dans un fou rire coupant Anita dans sa tirade auprès
d’Héritier.
—
On peut savoir ce qui te fait rire, Elsa ? me
demande Anita de sa voix que je trouvais insupportable.
—
Rien, je suis juste en train de penser que j’aurais peut-être
dû me fiancer à une bouteille de rouge plutôt qu’à Héritier, répondis-je d’une
voix expressément snobinarde.
Héritier se leva brusquement et m’attrapa le bras avec force. Je me
dégageais violemment. Ce qui nous surpris tous les deux.
—
Lâche-moi, lui criais-je. J’en ai ma claque de tout
ça. Et toi, Anita dis-je en me tournant vers elle, ne remets plus jamais les
pieds chez moi. Je veux bien que tu dragues mon fiancé mais aies au moins la
pudeur et la décence de ne pas le faire sous mon toit ou encore en ma présence.
Ça t’apporterait peut-être un semblant de dignité.
Sur ces mots, je me dirigeais vers la chambre où je récupérais mon sac
et un manteau. Je traversais le séjour sous leurs regards ahuris et claquais la
porte ignorant volontairement l’appel d’Héritier. A toute vitesse, je dévalais
l’escalier pour me retrouver dehors. Il faisait frais et j’étais triste
pourtant je n’avais aucunement envie de retourner à l’intérieur. Je venais de
péter les plombs et mon corps tout entier trahissait la profondeur de ma
souffrance. J’avais envoyé bouler mon fiancé, sa sœur et leurs invités sans
vraiment réfléchir. Jusqu’à présent, je m’étais toujours laissée marcher
dessus. J’avais toujours sacrifié mon orgueil pour la survie de mon couple.
J’en devenais malheureuse mais rien d’autre n’avait d’importance à mes yeux si
ce n’était Héritier.
Je marchais dans les rues du quartier en pensant à la pluie et au beau
temps et lorsque je me sentais fatiguée, j’hélais un taxi pour le 9ème.
Je me retrouvais dans un bar lounge que je connaissais bien. Lorsqu’on y
pénétrait, on se sentait tout de suite absorber par l’atmosphère magique du
lieu. On avait l’impression de faire un saut dans le temps et pour cause, la
décoration avait repris tous les codes de l’esthétisme des maisons closes du
Second Empire. Elle était chargée, dépaysante et décalé. C’était là le lieu
idéal pour donner de petits rendez-vous
secrets. Tous les cocktails portaient les noms de courtisanes ou de cocottes de
l’époque. Avec la lumière tamisée, on avait du mal à distinguer les personnes
autour de nous mais qui venait ici pour être reconnu ? Avec Maeva et
Lenny, c’était en quelque sorte notre quartier général mais j’y venais souvent
quand j’avais besoin de m’isoler.
Je m’installais à une table un peu reculée des autres et commandais à
Bastien une « Castiglione » et une assiette de tempuras. Bastien
était un jeune serveur qui semblait m’apprécier un peu trop. Il était toujours
plein de petites attentions envers moi. Si à l’accoutumée cela m’agaçaient, ce
soir, je les trouvais gentilles et flatteuses. Entre deux services ou commandes,
il me retrouvait et plusieurs fois, je surpris son regard courir le long de mes
cuisses, là où la robe était fendue.
Je passais la soirée à boire, à rire de ses anecdotes, à observer les
gens autour de moi en essayant d’imaginer le style de vie qu’ils avaient.
J’étais détendue. Lorsque je regardais la montre accrochée à mon poignet, je
fus surprise de l’heure tardive qu’il faisait déjà. Je me dépêchais de jeter un
coup d’œil à mon portable. J’avais six appels manqués d’Héritier.
—
Il faut déjà que vous rentriez, je suppose.
—
Oui, répondis-je à Bastien en faisant la moue. Seulement,
je suis complètement ivre. Héritier va me tuer si je rentre dans cet état.
Je n’avais aucun regret mais je savais aussi qu’Héritier aurait raison
d’être en colère. Après l’avoir humilié devant ses amis et sa sœur, j’avais
disparu des heures durant pour me mettre à l’écart du reste du monde.
—
Vous voulez que j’appelle l’une de vos sœurs ?
Je hochais timidement la tête avant de lui passer mon téléphone avec le
numéro de Maeva à l’écran. J’avais besoin de douceur mais aussi de calme et qui
mieux que ce bout de femme était en mesure de me l’accorder ? J’aurais pu
lui demander d’appeler Lenny. Celle-ci n’aurait pas hésité une seule seconde à
venir mais qu’est-ce qu’elle m’aurait rabâché les oreilles une fois que nous
aurions mis les pieds à l’extérieur.
Je sortais de la salle de bain quand Maeva pénétra dans la chambre. Le
sourire léger qu’elle afficha sur ses lèvres quand elle me vit avait quelque
chose de hautement réconfortant. Elle s’avança vers le dressing et en récupéra
un drap et une couverture.
—
Je suis désolée Mae, articulais-je difficilement en
m’asseyant sur le bord du lit.
—
Mais qu’est-ce que tu racontes, bébé ?
Par ma faute, Lucas, le petit-ami de ma sœur allait devoir passer la
nuit dans le canapé. Lucas était un jeune homme charmant et adorable sur lequel
ma sœur pouvait compter. Il s’était toujours montré serviable et disponible
envers chacune de nous. Lucas se comportait en quelque sorte comme un fils pour
maman et tante Solène et comme un petit-frère envers Lenny et moi.
Lorsque Maeva traversa la porte de la chambre, je m’allongeais sur le
lit en position fœtale. L’éclairage me brulait les yeux mais je n’avais même
plus la force d’étirer mon bras pour l’arrêter. J’avais aussi mal au crâne. On
aurait dit qu’un pic vert creusait dans mon crâne à la recherche de je sais
quoi. J’avais demandé un cachet pour calmer la douleur mais Lucas m’en avais
dissuadé. Il parait que pour assimiler le cachet, j’allais faire appel à mon
foie qui malheureusement était déjà bien occupé à éliminer tout l'alcool que
j’avais ingéré. Il avait donc recommandé que j’attende le plus longtemps
possible avant de prendre du paracétamol ou de l’ibuprofène. Je remontais donc
la couverture jusqu’au-dessus de ma tête et fermait les yeux. Je repensais à
mon pétage de plombs et aux explications que je pourrais donner à Héritier.
Parce que oui, il faudrait que je justifie mon attitude.
Alors que j’étais dans mes pensées, j’entendis la porte s’ouvrir puis se
refermer tout en douceur. Sur la pointe des pieds, Maeva se rendit dans la
salle de bain avant de me rejoindre dans le lit. Elle se calla près de moi et
me serra fort dans ses bras. Face à ce contact plein d’amour et de
bienveillance, je ne pu me retenir plus longtemps. J’avais besoin de parler. De
mettre des mots sur ma souffrance. D’exprimer la douleur qui serrait mon cœur
et m’empêchait de respirer.
—
Tu as raison, Mae. Je passe mon temps à l’attendre. Je
m’étais faite une raison mais là, c’est pire. Il rentre de plus en plus tard et
moi, je m’imagine des choses horribles.
Je lui racontais pour ce soir. Le diner qui m’avait été imposé, la
présence d’Emeraude et d’Anita. Les sourires et les œillades de cette dernière.
A aucun moment, elle ne me coupa et cela m’encouragea à continuer. Je lui
expliquais qu’Héritier avait tendance à ne pas accorder d’importance à ce que
je pensais ou ressentais.
—
Nous nous sommes disputés ce soir, à plusieurs
reprises. J’ai été monstrueuse, je l’ai traité d’égoïste. Je lui ai aussi
reproché d’être trop souvent absent. En fait, je crois que j’ai fait du
n’importe quoi ce soir. Hum… soufflais-je. Je ne sais plus du tout où nous en
sommes. Je ne sais plus ce qu’il en est de nous et de nos projets.
—
Je suis désolée, bébé, murmura-t-elle.
Nous sommes restées ainsi, silencieuses. Toutes mes pensées tournaient
autour d’Héritier et de cet enfant que nous espérions tant. La présence de ma
sœur à mes côtés me faisait du bien.
A mon réveil le lendemain, je sentais ma tête lourde et ma bouche
pâteuse. J’enfilais le peignoir de Lucas que l’on m’avait prêté la veille et
sortais de la chambre. J’étais seule dans l’appartement et cela m’arrangeais.
Bien qu’appréciant énormément Lucas, j’aurais été gênée devant son regard
désolé. Il faut dire qu’il m’avait quand même vu saoule et que j’avais vomis
sur la banquette arrière de sa voiture. Je me rendis dans la cuisine à la
recherche d’un verre d’eau pour avaler mon comprimé et découvris sur la petite
table à manger un plateau avec ce qui semblait être mon petit-déjeuner. Il y
avait aussi une note que je pris le temps de lire avant de m’attabler. Lucas
était parti pour l’hôpital dans lequel il faisait sa spécialisation et Maeva
avait un rendez-vous à pôle emploi. A vingt-quatre ans, ma sœur était titulaire
d’une maitrise en ressources humaines. Elle aspirait à une carrière de chargé
de recrutement dans un grand groupe seulement avec la crise elle éprouvait
quelques difficultés à décrocher un contrat. En attendant, elle enchainait les stages
dans de petites structures ce qui lui permettait d’acquérir de l’expérience et
surtout lui évitait de ne pas rester à ne rien faire.
Je picorais mon repas devant la télévision. J’avais besoin de ça pour ne
pas trop penser, pour ne pas me sentir plus mal que je ne l’étais déjà. Lorsque
Lucas et Maeva m’avaient récupérée devant le lounge, j’avais éteint mon
téléphone et depuis, je n’avais eu ni l’envie ni la force de le rallumer. Vers
dix heures, je me rendis dans la salle de bain. Je devais rencontrer Mélody
Ayité et son frère à l’heure du déjeuner. J’avais envie de faire reporter ce
rendez-vous mais cela aurait pu passer aux yeux de ces nouveaux clients comme
un manque de professionnalisme. Je me fis donc violence et m’apprêtais.
J’enfilais ma robe de la veille que Maeva dans son infini bonté avait pris le
soin de passer en machine et de repasser.