7
Ecrit par anomandaris
L’explosion qui accompagna l’apparition de la faucheuse fit sursauter Yvan et Morgan, et avant même qu’elle n’atterrisse de l’autre côté de la route, Cyrus vit son grand manteau noir, si noir qu’il semblait dévorer le pan de ciel qu’il cachait pendant sa lente descente. Il vit ce manteau de ténèbres, et il comprit que ses pans dévoreraient des mètres entiers de la chaussée.
— C’est la mort, souffla Morgan.
Il venait de lire dans les pensées de Cyrus. Seul, même avec sa fougue, un roquet ne pouvait vaincre un puma. Cyrus se sentait roquet, à présent. Son instinct de survie prenait le dessus sur son héroïsme, maintenant qu’il devait jouer aux héros solitaires.
— Il va s’en prendre à l’âme de votre fille, dit Yvan d’une voix calme. Vu la quantité d’âme qu’il a déjà dévorée, je doute fort que moi et mon acolyte soyons à la hauteur pour l’en empêcher. Je ne voulais même pas venir ici. Je la croyais condamnée. Trop de temps s’était écoulé pour que je puisse faire quelque chose. Et j’ai une gouvernante magnifique, à qui je fais la cour, et ces petits soucis de mes voisins la ravissent quand je les lui raconte. J’ai frôlé la mort assez de fois pour savoir que mourir en héros n’a de sens que pour celui qui a quelque chose à protéger. En cela, je ne suis plus un héros depuis trois ans.
— Van, dit Cyrus. Tu n’as échoué qu’une fois. Ne te flagelle pas autant pour une seule erreur.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, petit. Ceci (il désigna la faucheuse) n’est pas notre combat. Plus maintenant.
— Pourquoi vous êtes donc venus ici ? Dit Morgan.
— Je suis venu accompagner un futur héros, qui vient de découvrir les limites de son courage. Je suis venu voir si un véritable héros était resté par hasard dans les parages d’une jeune femme en danger, après qu’il ait essayé de raisonner, sans armes, un junkie, qui lui répondit par une balle dans le crâne. Je suis venu savoir qui était la personne assez vilaine pour ôter la vie d’une façon aussi ignoble à une jeune femme. Si jamais Mélanie rappelle la faucheuse maintenant — à supposer que j’aille la convaincre je ne sais comment de le faire —, c’est elle qui se verra tuée par la créature. Elle doit le savoir déjà. La convaincre sera donc impossible. De toutes les façons, une femme aussi rancunière ne peut être raisonnée. Je ne vois qu’une solution.
— Laquelle ? Demanda Morgan.
— Une âme pour une âme, dit Cyrus.
Il venait de comprendre la seule solution.
La faucheuse asservie traversait le portail de la maison, glissant plus qu’elle ne marchait.
— Une part de vous sait depuis le début comment toute cette histoire va se terminer, dit Yvan. Je voudrais vous promettre que moi et Cyrus sortirons vainqueurs de ce combat, mais même si je le faisais, la part d’âme volée de votre fille rejoindrait le néant, puisque je ne conjurerais pas la créature. Je la détruirai. Et Hilary deviendrait à coup sûr un fantôme après sa mort. Un fantôme de la pire espèce. Sans compter Mélanie qui pourrait, elle aussi, se voir tuer si jamais elle n’avait pas pris des précautions particulières pour se protéger de ce contrecoup. Des précautions impliquant le sang d’un autre être cher. Votre seconde fille, sans doute. Voilà pourquoi seuls deux choix s’imposent à nous. Nous laissons la faucheuse terminer son travail. Ou nous lui proposons l’âme d’une autre personne proche de sa cible à emporter, en échange de la rétrocession de la part d’âme volée jusque-là sur Hilary.
Morgan Dunley baissa la tête, et Cyrus sentit son cœur cogner fort dans sa poitrine, à la pensée que la vie d’Hilary se jouait dans cette réflexion silencieuse qui paralysait un époux. Un père. Un héros. Déjà, le lent glissement de la faucheuse l’avait emmenée à quelques mètres du perron. Cyrus se retenait à grand peine de ne pas bondir pour aller ralentir la créature. Maintenant qu’il comprenait les enjeux pour l’âme d’Hilary, il comprenait l’apparente indifférence au sort d’Hilary qu’avait montré Yvan depuis le matin. Elle était condamnée pour Yvan, quel que soit ce qu’il ferait. Laisser la faucheuse tuer Hilary devait paraître miséricordieux pour lui, puisqu’elle s’en irait vers l’au-delà ensuite. Cyrus avait mal jugé son mentor.
Après un temps qui parut infini à Cyrus, Morgan Dunley leva la tête :
— Très bien. Pour Hilary. Pour ma fille.
— D’accord, dit Cyrus.
— Allons-nous en, dit Yvan en prenant son élan pour un nouveau saut ralenti.