78 : Il y’a l’homme que l’on aime, l’autre qu’on ne comprend pas
Write by Gioia
***Raymond Ekim***
Mon cœur bondit aux
premières vibrations de mon téléphone sous mon bras. Je regarde avec
appréhension l’écran et l’anxiété descend aussitôt. Ce n’est que Perla, que je
n’attendais pas. Je pensais que le silence des trois jours était un signe
qu’elle avait abandonné mais il semble que non. Je coupe l’appel, comme d’hab.
Qu’est-ce qu’on a à se dire au fond ? Des « je t’aime » ? OK c’est une évidence
à mon niveau. C’est moi qui lui ai dit que je me considérerai comme un homme
libre si elle décidait d’aller de l’avant avec sa décision, et je n’arrive
pourtant pas à me l’ôter de l’esprit. J’ai une de ses photos en fond d’écran
sur mon appareil. Je dors avec sa couette fétiche qu’elle a laissé chez moi à
sa première visite. Quelques vêtements d’elle continuent à dormir dans mon
armoire. Je me suis assoupi un moment dans sur mon bureau, avec en main le
stylo bille classique doré de Montblanc qu’elle m’a offert lorsque j’ai repris
la gestion de la boutique ici. Je ne me voile pas la face non plus. L’oublier
si c’est possible, me prendra autant de temps que je l’ai aimé. On achèverait
presque dix ans de relation, si l’on ne compte pas notre break. Mais il me faut
avancer, parce qu’une relation à sens unique ne convient à personne quel que
soit la quantité d’amour qu’on a, et dans la mienne, j’ai fait la majorité des
compromis. Quand enfin j’avais sincèrement besoin d’elle, elle a choisi de
donner la priorité aux siens. J’ai reçu le message cinq sur cinq.
Je me lève pour me
dégourdir les jambes et donner une pause à mon cerveau sinon je risque de
devenir fou. À ce stade, j’ai la sensation que mon assureur sort des nouvelles
demandes de son chapeau magique pour ralentir notre dossier. Il a reçu une
copie de la plainte, des photos, vidéos de la boutique, déclarations écrites
des transporteurs qui s’étaient fait attaquer, sans oublier tous les reçus et
bons de commande que mon équipe a pris des jours à photocopier, pour qu’on
garde aussi nos preuves. Normalement, l’étape suivante pour eux, c’est de
dépêcher un de leurs agents pour faire leur propre constat. Le pourquoi c’est
nécessaire quand on leur a tout transmis, je l’ignore, mais c’est ce que j’ai
entendu en me renseignant un peu. Mais ils ne se décident toujours pas à
envoyer quelqu’un. Résultat, la seconde boutique est actuellement en piteux
état, et vidée des quelques pièces qu’on y avait déjà entreposées. L’unique
bonne nouvelle, c’est que les transporteurs sont déjà rétablis et chacun de
retour dans sa famille. Je ne sais même pas comment j’aurais vécu ça si
quelqu’un était en plus décédé dans cette histoire. Autant que je me remette à
l’écriture des courriels qu’attend mon conseiller en assurances.
(***)
Le soir, je suis chez mon
père. Une habitude régulière depuis le braquage. Nous nous rencontrons pour une
mise au point. Et encore une fois je n’ai pas du nouveau mais j’essaie de le
rassurer.
– Ray ce n’est pas
bon ça, pas du tout. L’assurance essaie de nous doubler, je le sens,
s’inquiète-t-il
– Ne sois pas
négatif s’il te plaît Andino. Nos prières…
– Ah ça suffit !
aboie-t-il sur sa femme. Tes prières ne pouvaient pas nous prévenir de cette
situation et c’est maintenant que tu veux me rabâcher les oreilles avec ?
– Je ne voulais pas
parler en mal, excuse-moi, dit-elle d’une voix chagrinée avant de se lever et
nous laisser seuls dans le bureau
– Tu n’avais pas
besoin de lui crier dessus non plus
– Elle m’épuise avec
son attitude de bonne sœur, dit-il avec indifférence. De toute façon, ça les
regarde. C’est dans cette maison que j’étais, et ils partaient tous en vacances
pendant que je restais ici. Ma punition parce que j’ai passé la seconde avec
dix de moyenne. Personne ne s’est opposé. Donc je garde ma bouche dans mes
affaires. Continuons sur nos affaires, reprend-il. Les activités ont repris en
force à la boutique quand même ?
– Petit à petit,
mais c’est sûr qu’on atteindra les prévisions
– Tu as demandé un
crédit à la BGFI j’espère. On ne doit pas se retrouver dans une situation où
les chiffres ne permettent pas de couvrir nos charges. Je n’ai jamais déposé
les clés depuis l’ouverture de cette boutique. Si je te l’ai confié c’est parce
que j’avais confiance en toi.
– Je ne compte pas
te décevoir, dis-je sur un ton hyper confiant, sans préciser que le crédit fut
ma première initiative et ce dernier a été tout bonnement décliné à cause de notre
taux d’endettement actuel, selon les explications de notre banquier. J’ai déjà
approché Orabank pour en demander un en mon nom et compte sur lui, ainsi que
l’assurance pour ne pas me retrouver dans la merde. Les clients dont les
commandes ont été dérobées dans le braquage m’ont certes donné du temps, après
que je leur ai expliqué la situation, mais c’est certain qu’ils n’attendront
pas indéfiniment.
Je rentre chez moi le
ventre creux et me réchauffe les bedoumes que j’avais achetées à la sortie du
travail. C’est là que Denola sait qu’il doit m’appeler.
– Ça va frangin ?
– Bien et toi ? Tu
n’as pas des choses à faire à 23 heures ?
– Il est cinq heures
trente ici, je viens de me lever. Une minute hein, il dit, fait du bruit et
deux voix résonnent dans mes oreilles en plus de la sienne, quelques secondes
plus tard. J’ai rajouté Toni et Garcie. Dis-nous, comment ça avance
– Tu penses que s’il
y’avait du nouveau, tu aurais besoin de me demander ? Ou c’est en me demandant
que le nouveau apparaîtra, j’ironise
– Regarde je n’ai
pas veillé pour qu’on me parle avec arrogance, j’ai moi aussi mes choses à
faire, réplique sèchement ma sœur
– Oh court dormir ma
grande, je ne te retiens pas
– Le chat et la
souris là, arrêtez hein, on n’a plus important en jeu maintenant, intervient
Deno
– Il n’y a pas rien
de neuf, soupirai-je comme réponse
– Raymond, moi je ne
comprends pas ce que tu fous encore là hein. Tu ne vois pas qu’on essaie de te
mettre dans un pain sec ? Réfléchis deux secondes. On a regardé le transporteur
et même Jason Statham ne complétait ses missions périlleuses que sur des voies
dégagées généralement. Je dois te rappeler Fast and furious ?
– Toni le moment est
sérieux, lui reproche Deno
– Parce que je
rigole là ? Comment on braque un poids lourd en pleine journée et personne
ne l’a retrouvé depuis là ? On boucle le mois là je précise. Il n’y a que le
transporteur et les gars de fast and furious pour réaliser cet exploit, ouuuu,
ce sont des ennemis de papa qui se sont entendus pour faire le coup, tout en
corrompant les transporteurs
– Je me disais bien
que les ballons que tu as reçus en pleine face dans l’adolescence allaient
laisser des séquelles mais par sur ton cerveau, lui dit Garcie
– Tu es encore là
toi ? Je croyais que tu allais dormir
– Mouf, c’est toi
qui as appelé ?
– J’ai dit
d’arrêter, sinon je vous sors de la conversation pour continuer seul avec Ray,
avertit Deno. Ce que tu dis serait plausible Toni si on était dans un film,
seulement les transporteurs ont été victimes d’agression aussi.
– Ça se voit que tu
n’as pas regardé « l’ombre d’Emily » toi. Sans te spoiler, sache juste qu’une
fille dedans avait simulé sa mort en se….
– On est là pour
écouter la connaissance cinématographique de Toni ou avoir des nouvelles de Ray ?
l’interrompt Garcie
– Bref, je vous ai
dit qu’il n’y a rien de neuf. Je remplis de la paperasse et lance des promos en
désordre pour inciter les clients à multiplier leurs achats. Lorsque le temps
me le permet, je campe devant la maison de tonton Gervais (le major qui est
s’occupe de la plainte pour lui) afin qu’il ne m’oublie pas
– Tonton Gervais là
qui t’aime comme un enfant aime la nivaquine ? se moque Toni
– Je vais te sortir
de l’appel à la prochaine récidive Toni, le prévient Deno
– Qui ignore que ce
vieux chnoque et sa femme, la reine du Danemark dans sa tête, ont toujours
reproché à Ray d’être malpoli et ingrat envers maman ? C’est lui qui va
brusquement aider ?
– Pourquoi tu parles
du passé maintenant ? Les choses là datent, lui dit Garcie
– Bref Ray, la chose
à faire, c’est de quitter le pays, le temps que tout se calme. Rejoins-moi à
Kinshasa par exemple. Les filles sont…
– Attends, tu fous
quoi là ? Tu ne travailles plus en France ? le questionne un Deno étonné
– J’y suis pour les
affaires et le travail
– C’est toujours toi
qui te promènes pour les affaires. J’espère pour ta gueule que tu ne vends pas
la drogue en douce. Le nom des Ekim n’a pas été propre pendant si longtemps
pour que tu viennes le ternir
– Si je vendais la
drogue, c’est vers toi que j’allais me tourner pour ma première vente. On s’est
que tu aimes consommer du bizarre ma chérie, laissons les faux-semblants, se
moque Toni. En tout cas, rejoins-moi Ray. Il fait bon vivre ici et les filles,
je ne te dis pas, il y’a du choix en qualité
– Dégage avec tes
plans de sabotage, lui répond Deno
– Ah mais ce n’est
pas un homme libre selon les nouvelles ?
– Va loin avec tes
propositions tendancieuses, c’est ce que j’ai dit
– En tout cas, je
suis là pour deux mois Ray, si jamais tu changes d’avis. Bon le puritain je te
rends le courant
– Bref, le but de
l’appel groupé, c’était aussi pour t’encourager et te dire qu’on te fera un
virement d’ici…
– Je ne veux pas
voir un rond de vous dans mon compte, répliquai-je agacé
– Ce sont les
activités de cette boutique qui m’ont envoyé en Australie donc jette-moi ton
ego mal placé ailleurs et utilise cet argent pour faire quelque chose en
attendant
– Pour qu’après on
entende ailleurs que Raymond l’incapable a gâché l’affaire qu’Andino a pris des
années à construire et il a fallu que les autres enfants se pressent pour le
secourir ?
– Toi aussi gué, tu
ne vas pas oublier les petites taquineries d’antan là ? dit Garcie
– Je vais raccrocher
Denola. Si c’est pour avoir une évolution de l’affaire, je t’informerai par
message, mais qu’aucun de vous ne m’appelle encore si c’est pour m’offrir de
l’argent. Je ne suis pas à vos bottes, je leur dis et coupe
Cet appel bien
qu’emmerdant au début, avait commencé à m’amuser au milieu et ils devaient me
rappeler la réalité. La seule chose qui pourrait me faire évader actuellement
serait la voix de ma fe…, de Perla. À défaut de craquer et l’appeler, je vais
me conforter avec des vidéos de nous.
***Macy Wiyao***
Tandis que les parents
rentraient à Lomé, j’ai préféré continuer à Nairobi avec ma sœur, ainsi que
Mally. Ces deux au passage sont tellement étranges. Ils ne se disent pas en
couple et pourtant Mally dort systématiquement dans le lit de Snam depuis notre
arrivée, c’est-à-dire, trois jours plus tôt. Depuis que ma sœur m’a montré la
grande baignoire super moderne qu’elle avait dans sa salle de bain, mon cœur
s’est gonflé d’envie et ma tête de rêves dans lesquels, je vivais ma vie de
propriétaire de manoir qui prenait deux heures juste pour se préparer. Et bien
sûr, c’est le premier endroit où j’ai filé dès notre arrivée. J’y ai jeté mes
bombes de bain faites maison avec une forte concentration d’huile de
pamplemousse et siroté le pimm’s cup que ma sœur nous a préparé. Je n’ai pas
capté le pourquoi je l’ai retrouvé une heure plus tard, collée à Mally dans le
lit, et les deux fixaient l’écran de sa télé au point que leurs yeux faisaient
les mêmes mouvements. Bon Dara était couchée à leurs pieds mais la chose à
retenir c’est qu’une plume même ne pouvait pas s’insinuer entre les deux
collés. Le temps qu’on finisse le film, les deux dormaient déjà, donc j’ai
rejoint Dara dans son lit, qui dort mieux que ma sœur d’ailleurs. Le deuxième
soir, ils étaient en cuillère devant l’ordi de Mally et se parlaient dans un
langage qui sonnait comme un code à mes oreilles. La seule chose que j’ai
retenue c’est qu’ils parlaient du stage pour lequel Mally a postulé à Dublin.
Et aussi, que c’est ma sœur qui jouait la grande cuillère dans leur position.
Je les ai laissés le temps d’aller discuter un peu avec Dara et directement au
retour, ils roupillaient dans cette position. Le troisième soir, il avait la
tête sur son ventre, et madame disait lui faire des locks. Nous sommes allées
nager avec Dara et Hilda, puis au retour la coiffeuse ainsi que le coiffé
s’étaient assoupis. Le coiffé n’avait qu’une mèche « locksée » et dormait sur
la poitrine de sa coiffeuse.
Aujourd’hui, nous faisons
une sortie de groupe. Marley, qui leur sert un peu de chaperon ici, s’est libéré
un peu de temps, pour me faire sortir. Je dis « je » parce que Mally n’en est
pas à sa première sortie. Il paraît qu’en trois ans, il est venu ici trois
fois.
– Je peux entrer ou
vous êtes nus ? m’enquis-je en ouvrant légèrement la porte de Snam
– C’est pas drôle
connasse, dit ma sœur après m’avoir lancé un coussin sur la face
– Le jour où je
serais nu avec elle, l’immeuble nous entendra à coup sûr, il répond avec un
petit air d’arrogance
– HOO fermez là !
s’indigne Snam tandis que Mally sort de la chambre tout en se marrant
– Tu fais semblant
pourtant on sait que ton cœur et un autre endroit sont entrain de fondre
actuellement
– Une vraie
connasse, c’est ce que tu es, rigole-t-elle avant de me sauter dessus
– Bouge de mon dos,
petite, on a une chaude soirée devant nous
Elle traîne son mince
corps de mannequin pour se placer devant sa penderie, sort les vêtements et se
met à danser avec tout en me demandant ce que je pense des différents choix.
– Tu vas me faire
mon make-up aussi oh donc faut te presser
– Regarde-moi
quelqu’un, c’est comme ça qu’on demande ? je réplique amusée et elle me tire la
langue avant de venir s’asseoir sur son tapis puis me tendre sa face pour que
je fasse mon travail. Je tire ses joues avant de m’y mettre
– Léger s’il te
plaît et ne couvre pas…
– Je sais, tu ne
couvres pas la partie blanche. C’est ça qui excite Mally
– Tu as de vrais
problèmes mentaux mon cher, fait-elle la bouche ouverte
– Mets-moi plutôt à
jour, c’est comment l’amour a commencé et je ne suis pas informée ?
– Mama quel amour ?
Tu lui as envoyé une flèche pour moi ?
– Quel amour comment ?
Vous dormiez ensemble ou pas ? demandai-je après avoir vaporisé son visage avec
la lotion à base de concombre et hamamélis préparée par mes soins
– Dormir tu as bien
dit, ce qui n’est pas la première fois. Hormis les fois où il s’endort en
jouant avec Dara, il trouve toujours un moyen de se faufiler dans mon pieu
– Et tu ne lui en as
pas parlé ?
– Bah je l’ai chassé
mais tu sais qu’il est têtu, dit-elle puis ferme sa bouche pour que j’applique
l’anticernes sur le haut de sa lèvre supérieure
– Hum ma puce, tu
sais bien que je ne fais pas mention de ce « parler », mais le fameux « on fait
quoi au juste »
– Mais c’est lui qui
est venu dans mon lit, pourquoi me déranger ?
– Parce que
l’expression « have your cake and eat it too » nous apprend que certains aiment
le statuquo où ils profitent sans toutefois s’impliquer réellement. Bien sûr je
ne dis pas que Mally rentre dans cette catégorie, mais on sait que tu ressens
des choses pour lui qui dépasse le stade d’une amourette de vacances. Il ne
faudrait pas que tu te retrouves dans la situation où il te donne envie de plus
alors qu’il ne veut pas vraiment ce que tu as en tête
– T’inquiètes, dans
ma tête, il n’y a que mes cours. Ce qu’il fait le regarde. Je sais me préserver
et comme je t’ai dit, il n’a rien essayé en dehors de me câliner
– D’accord,
ton makeup est fini Miss King
– Merci mon sujet
favori. Attends seulement que je devienne riche, on va mal manger dans ce pays
– C’est toi que
j’attends depuis pour vivre ma vie de riche femme retraitée à 23 ans, nous
rigolons pendant qu’elle sort de la chambre à la recherche de son chargeur.
Propose aux filles si elles veulent aussi se maquiller, je lui lance quand elle
est déjà au loin
Elle revient avec son
chargeur, ainsi qu’un jus organique de 200 ml pour moi.
– Dara est en train
de parler avec le responsable du camp de vacances où elle va travailler. Tu
peux aller proposer à Hilda ou demandes à Mally de lui dire, je l’évite
– Eh, pourquoi ?
– J’ai découvert que
je n’aime pas les gens qui sont sur le dos des autres. Spécialement quand les
autres ne font rien de mal.
– Les paraboles sont
de retour
Elle hausse les épaules
et s’en va se coiffer. Une autre raison pour laquelle papa a surnommé sa
dernière fille King, c’est parce que depuis petit, Snam ne me dénonçait aux
parents que si j’avais commis une faute grave, ce qui n’est en réalité arrivé qu’une
ou deux fois. Lorsqu’on avait des différends, elle venait m’en parler
directement et quand les parents nous questionnaient sur comment on est déjà
réconcilié, elle disait souvent, c’est fini, tandis que je racontais tout. Elle
a gardé ce trait donc je sais qu’elle ne me donnera pas plus de détails sur ce
qu’a fait Hilda. Je suppose que c’est sur le dos de Dara qu’Hilda se tient,
chose étrange parce que les deux s’entendent plutôt bien je trouve. Je ne
connais Hilda que depuis quatre jours et la trouve sympa quand même. Bref je
suis là pour douze jours de toute façon donc j’aurais le temps d’en découvrir
davantage, et j’ai un make-up à finir.
Une heure plus tard, je
me sens moi-même. Certains pourraient trouver ça bizarre ou malsain, mais pour
moi c’est devenu au fil du temps un hobby même si au départ j’avoue que je m’en
servais pour masquer l’apparence de mes boutons enflammés. Je suis heureuse de
rapporter qu’après huit ans à batailler contre l’acné hormonale, mon visage est
enfin sorti de cette phase. Il me reste encore des marques qui ont affecté ma
texture mais je me sens bien. Et surtout je me sens encore mieux quand je
change mon apparence selon mes tenues ou mes humeurs. Comme certains sont
excités à l’idée d’un tattoo, pour moi c’est mettre l’accent sur mes yeux ou
des fois orner ma bouche par un rouge à lèvres. Ce soir j’ai opté pour du nude
avec du gloss par-dessus. Un look approprié pour une petite robe blanche, du
moins selon moi.
Snam est au volant de la
Honda Pilot. Je suis à côté. Nous attendons encore Hilda. Mally et Dara sont à
l’arrière. La dernière porte une longue robe rose au col roulé, ainsi que son piercing
au nez. Inattendu, oui je sais. Je l’ai découvert en descendant de l’aéroport à
Libreville. Snam lui demande justement d’appeler Marley, parce qu’elle ne se
rappelle plus du lieu du rendez-vous.
– Tu n’as pas son
numéro toi ? je l’interroge tout en prenant son téléphone pour justement lancer
l’appel pour elle
– Si mais il répond
rapidement quand sa chérie…
– Chui pas sa
chérieaaaahh ! bougonne Dara pendant qu’elle s’exécute
– Quand on se défend
comme ça, c’est qu’il y’a une petite part de vérité en général, Mally rajoute
sur la moquerie
– Ta gueuye, elle
lui répond pince-sans-rire, ce qui nous amuse
– J’ai raté quoi ?
– Quitte, tu aimes
trop t’affairer, me chahute ma sœur
– Ayo ? on entend de
Dara
– Je note que tu
m’as coupé la viande en bouche aujourd’hui hein. Demain on verra quand tu
viendras me demander des infos croustillantes sur les parents
– Yeee c’est quelle
menace ça ? On se fait ça en famille ? nous continuons à nous taquiner
– L’adressuh, On va
quitter la maijon, poursuit Dara avec un petit air renfrogné qui augmente ma
curiosité
La portière s’ouvre,
laissant entrer une Hilda pimpante et l’énergie conviviale s’envole aussitôt
chez ma sœur. Hilda s’excuse de son retard et durant les dix-quinze minutes que
dure le trajet, Snam n’a pas adressé une seule fois Hilda bien qu’on papotait en
groupe. Marley qui habitait proche du Sky bar à Westlands, avait déjà réservé
une table donc nous sommes montés directement au toit de l’hôtel pour le
retrouver. Il était en compagnie d’un fort bel homme, qui ne semblait pas ravi
d’être là, vu sa face fermée pendant les salutations. Ou peut-être c’est moi
qui souris trop ?
– Tout le monde,
voici mon ami Cédric que j’ai traîné par le gros orteil pour qu’il accepte de
sortir, donc donnez-lui du temps, sa face va se dégeler bientôt. Cédric, voici
mes petits, Snam, Mally, Hilda, et Dara ma p’tite chérie
***Hilda Tountian***
Quelqu’un peut
m’expliquer pourquoi les blancs aiment la familiarité comme ça ? On te dit
de jeter un coup d’œil sur nous de temps en temps et c’est fini, le gars
commence à prendre ses aises avec nous au point d’appeler la fille des gens « ma
petite chérie ». On les connaît. Comme leurs femmes sont des planches, ils
viennent chez nous pour abuser de nos sœurs et il a vu en ma Dara la proie
parfaite. Joli visage, seins inexistants mais les hanches sont là, avec les
cuisses et le popotin qui va avec. Et le plus important, son handicap la rend
très timide donc il se joue le gentil mentor pour qu’elle tombe dans le piège.
Son long nez aurait pu
appeler la fille « ma petite chérie » si elle vivait encore sous l’autorité de
ses parents ? Heureusement, comme je l’avais dit, je suis dans les parages.
J’attends seulement qu’il tente quelque chose et il verra comment je frappe mal.
Surtout que c’est lui qui rapporte mon copain à son frère. Parlant du grand
frère, lui aussi hein. À part hocher la tête en guise de salutations lorsque
Marley faisait les introductions, il ouvre très peu la bouche pourtant la table
cause bien. Peut-être a-t-il mauvaise haleine et il essaie de la contenir ? Au
lieu qu’elles lui collent la paix, les filles de Madame Ciara affichent leur
manque de retenue. La grande encore je ne la connaissais pas donc je ne peux
pas vraiment parler mais ce que j’ai découvert sur Snam en vivant avec elle,
dépasse le mot déception. Celle qui se jouait la sérieuse, s’est révélée être
une vraie gâtée ici. Le sexe coule seulement de sa bouche. Ses parents se tuent
au pays pour financer ses études, et au lieu de leur faire honneur, elle se
laisse coucher en désordre par Mally dans la maison où nous vivons. Ce même
Mally qui me reluque quand je passe vu que la planche qu’est Snam ne lui suffit
pas. La dignité a foutu le camp chez cette fille. Et les deux voulaient emmener
Dara dans leur débauche mais j’ai vite tué leur tentative, en la signalant à sa
mère quand elle est revenue avec ce vilain piercing au nez. Depuis elle se
tient à carreau et Snam garde sa mauvaise éducation pour elle.
Environ une heure et
demie plus tard, Snam doit encore se faire remarquer. Au lieu qu’on rentre
après cette soirée, la meuf demande si nous pouvions faire un tour au côté-bar
sur le toit pour danser. Donc nous voilà dans le bruit et la sœur de Snam se
lève, tout en prenant la main de ma petite.
– Pardon tu l’emmènes
où ?
– Euh… danser ? elle
réplique d’une voix hésitante
– Non merci, on va
rester là, dis-je en lui reprenant la main de Dara qui nous regardait tour à
tour
– Che veux danser
Hilda
– Ah non, il y’a
beaucoup de soulards sur la piste qui vont nous pousser et toucher. C’est mieux
qu’on reste ensemble, en plus je n’en ai pas envie du tout
Je croise le regard
électrique de Snam qui fixe Mally qui à son tour lui retourne un haussement
d’épaules que je ne comprends pas mais ils n’ont qu’à dégager. On reste ici.
***Snam Wiyao***
C’est dans le bruit que
Macy sait questionner les gens, pourtant je l’ignore pour qu’elle capte le
message.
– Je dis oh c’est
toujours comme ça ? elle finit par se retourner vers Mally et lui demande
– Tu n’as encore
rien vu, c’est ta sœur qui a les vrais dossiers, le con rétorque avec ironie
Ce n’est pas la première
fois que Hilda profite de la docilité de Dara pour s’imposer sur elle. Mally
avait dit qu’il n’interviendrait pas parce que c’était à sa sœur de s’émanciper
seule ce coup-ci. Sauf que ça fait trois ans qu’on vit ensemble et depuis un
an, que Hilda est devenue invivable. Le FBI même ne surveille pas les présumés
pédophiles comme ça. Dara ne peut pas boire plus d’un verre quand on sort, ne
peut pas recevoir ses camarades de classe à la maison, déjà qu’elle a déjà eu
du mal à s’en faire. Hilda devait être constamment présente, au point où
certains se sont fatigués et ont arrêté de venir. Si Hilda rentre et ne trouve
pas Dara à la maison, c’est limite la crise. Les suspicions n’en finissent
plus. Soit on l’a volé, soit quelqu’un l’a trompé et profite sexuellement
d’elle là. Une fois elle a même appelé la police, alors que Dara était juste
allée à Farmers Market. Il ne faut pas que j’aborde alors le petit ton de
mépris sur lequel elle s’adresse à Marley depuis un moment. Tout ça pourquoi ?
Parce que le gars appelle Dara sa petite chérie ? Un gars qui est de la même
famille notre ancienne maitresse.
Le gars a d’ailleurs dit
que c’est parce que madame Hélo appelle Dara ainsi qu’il a gardé l’habitude. Et
même s’il voulait plus, en quoi ça nous regarde ? Nos bouches vont aller
chercher quoi dans les histoires d’un mec de 26 ans et une go de 23 ans ?
Mais quand les bouteilles d’eau finissent là, elle sait l’appeler et parler
avec une voix mielleuse hein, vu qu’il est ingénieur mécanique dans une usine
d’épuration d’eau, il bénéficie de rabais pour l’achat de certaines marques. Et
bien sûr, il transporte les gros cartons jusque dans notre appart, ce qui lui
évite de devoir le faire. Notre deuxième clash fut d’ailleurs sur ce sujet.
J’étais rentrée des cours pour la trouver calée dans notre fauteuil tandis que
l’enfant des gens faisait les va-et-vient du bas avec les cartons. Un jour où
notre ascenseur était en panne de surcroît. Il se tapait tranquillement huit
escaliers pour de l’eau qu’il ne va même pas boire. Et la seule réponse de
madame quand je lui ai demandé ce que ses fesses foutaient sur le sofa, c’est
que Marley n’est pas là pour ça mah ? Le premier clash c’était sur les mecs.
Elle m’a aussi précisé que se faire coucher en désordre n’était pas synonyme de
qualifications, donc Dara pourra me prêter attention quand j’aurais réussi à me
trouver un COPAIN. Si tu dis maintenant, Dara te rappellera qu’on a abusé
d’elle, raison pour laquelle, elle voit le mal chez les hommes donc nous devons
être patientes. Pourtant c’est elle qui a un gars, bref, mieux je m’arrête
parce que j’ai l’impression d’être une asshole quand je pense ainsi.
Je me tourne sur le côté
en dansant et tombe justement sur le loup dont je viens de parler. Le copain de
Hilda collé contre les fesses d’une blanche et…
– Seb ? dit ma sœur
à mes côtés
Le temps que je capte ce
qui se passe, Macy s’est déjà lancée. Et vu la face surprise de son gars, il ne
l’attendait mais pas alors du tout. D’où elle est sortie, je l’ignore, mais
Hilda aussi s’est matérialisée en quelques instants à côté de son mec. Mally le
curieux de la mort, me tire sans me questionner pour qu’on les rejoigne.
-Godson ? C’est bien
toi gars ? il demande sur un ton surpris
– Heeeyyy
Mally ? what’s up man ? Tu as
atterri ici comment ? le gars répond à l’accolade de Mally
– Godson ! j’ai fini
avec toi d’abord ? Hilda fulmine
– Baby c’est mon
ancien coloc de…
– C’est ton ancien
coloc qui m’explique le pourquoi tu es dans ce bar quand tu m’as dit il y a
quelques heures que le rhume te dérangeait donc tu allais dormir ? elle lui
répond sèchement
-I was
asleep when you called me, was I not Elsie? Il questionne la blanche qui était saucissonnée entre lui et le mec de Macy
qui reçoit aussi sa part mais en douce
(je tombais de sommeil quand
tu m’as appelé, ou pas Elsie ?)
-Yeah, We
had to drag him outta bed because the guys wanted to hit the town. Hi Hilda, long time no see
(oui, on a dû le tirer
hors du lit parce que les gars voulaient faire un tour. Salut Hilda, ça fait un
bail)
– Hum,
maugrée-t-elle
-Shiiiiitttt, Yafeu fout
quoi ici ? il s’affole subitement et je me retourne également
C’est l’intéressé qui se
rapproche de nous, l’air hermétique, penche sa bouche vers l’oreille de Godson
puis les deux s’en vont quelques minutes plus tard. Godson a carrément oublié
de nous dire au revoir, mais pas Yafeu, que je suppose être son frère vu la
petite ressemblance. Il ne s’est contenté qu’un hochement de tête pour les au
revoir en revanche. La même façon qu’il nous avait salués. Un homme de peu de
mots, j’aime.
***Seb Lavigne***
Macy ne pouvait pas
débarquer au pire moment. Après des mois de cour assidue depuis la fois où je
l’ai rencontré à Lomé, j’allais enfin sauter Elsie comme son corps de déesse
mérite. Au lieu de ça, je suis dans ma chambre d’hôtel avec Macy qui joue à
l’investigatrice. Je dose sur les câlins pour la distraire mais rien n’y fait.
– Tu comptes refuser
mes baisers encore longtemps ?
– Explique-moi
d’abord ce que ton corps faisait agglutiné à celui d’une autre ?
– Mon canari des
îles, je ne faisais que danser comme les autres
– Tu devais être
collé comme ça ?
– C’est elle qui me
collait, tu sais comment sont certaines filles quand elles sont ivres.
Réfléchis une seconde. Tu sais combien je suis jaloux, tu me vois danser avec
une meuf qui se frotte simultanément à un autre et vouloir me la faire ? En
plus quand j’ai un trésor comme toi ? Une fille intelligente, classe et complète ?
Mon amour, je lui glisse dans le creux de l’oreille
– Je n’ai quand même
pas aimé ce que j’ai vu, soupire-t-elle
– Compris, dis-je et
enfin je peux embrasser ses lèvres douces. Tu ne m’as pas encore expliqué ce
que tu fais ici toi
– Je t’avais
pourtant dit que j’allais au mariage de ma cousine ou pas ? elle répond entre
nos baisers
– Au Gabon non ?
Hum, tu es trop habillée
– Seb…, elle murmure
quand ma s’insinue dans son soutien-gorge à la recherche d’un téton à titiller
Je grogne en réponse et
promène ma bouche dans son cou, une fois que ma main l’a trouvé. Elle essaie de
me freiner, et continue à m’expliquer les raisons de sa présence ici.
– C’est… toi
qui disais… avoir be…soin de moi à tes côtés durant tes présentations, donc je
comptais te faire signe demain… oh, tu me déconcentres
– C’est toi qui est
concentrée ailleurs, je murmure avec la tête à la naissance de son décolleté et
commence à lui donner de gros coups de langue
Autant la déconcentrer à
fond maintenant pour qu’elle soit plus disposée pour la nouvelle que j’ai pour
elle bientôt.
***Elikem Akueson***
C’est à la course que je
me suis ruée sur mon téléphone dès que j’ai entendu la première sonnerie. Et la
morsure de la déception fut vive quand j’ai vu le nom de ma sœur affiché sur
l’écran au lieu de celui que j’espérais. Je me donne une petite seconde pour me
reprendre avant de répondre.
– Allô petite, tu ne
dors pas à cette heure ?
– Nan, je chuis chur
mon bayecon. Toi tchu fais quoi ?
– La routine,
j’étudiais
– Ech que c’est
mieux d’appeyer après ?
– Non non, tu veux
me dire quoi ?
– Rian, je vouyais
savoir chi tu étais pas trop trisse, dit-elle candidement ce qui me prend par
surprise. En général c’est moi qui viens aux nouvelles
– Si, j’avoue sans
honte et d’une voix lourde
– Ech que l’amour
fait toujours comme ça ?
– Pas toujours, mais
ça peut arriver que celui que tu aimes t’énerve tellement que tu commences à te
questionner
– Ech que je peux
aider ?
– Oui, raconte-moi
ce qui se passe de beau chez toi
– J’ai accepté
aujoud’hui une place de monitrice dans un camp de vacac… holidays
– Non, tu dis vrai ?
répliquai-je étonnée, et elle se marre
– Yep. J’ai demandjé
et on m’a accepté. Chai funny han ? Le monchieur a dit qu’il a aimé ma
motchivation. Tchu dis pas à maman han ?
– Compte sur moi.
Mais tu es sûr que tu pourras travailler avec des enfants ma puce ? Je n’essaie
pas de te décourager mais…
– De vrais
monchtres, je chais, et ils cheront un bon encraînement pour que je pratchique
mon parler et l’attention, comme chui pas encore confiante. Enfin, je pense ?
– Expliqué comme ça,
tu as raison. Je suis fière de ton initiative
– Merci. Je pense
que je peux achurer là-bas
– C’est l’esprit à
avoir. Garde-le, dis-je avec une pointe de fierté dans la voix
– Tchu peux
m’appeler si tu es trisse tu sais. J’ai pas de copain mais j’avais beaucoup lu
sur les copains
– But il paraît que…
– rrooo pahait
riann, elle réplique et je ris aux éclats. En pluche les blancs sont pas
circonchis, it’s weird and repulsive parce qu’ils che lavent pas bian
– Comment tu sais
que c’est bizarre et repoussant toi ?
– Hilda m’a djit
– Ah…, je croyais
que son copain était ghanéen
– Oui et t’avais
promis de pas djire à maman han, remember ?
– Oui bien sûr. Si
son copain est ghanéen, elle a vu les pénis non circoncis où ?
– Elle a vécu
beaucoup de choses you know
– OK, mais ce n’est que
son opinion dans ce cas. Et je la trouve fausse, si tu veux mon avis
– Come on, on a vu à
la télé. Les blancs n’aiment pas che laver réguy… as much as nous
– OK mais je vis
entre eux et même si ce stéréotype est confirmé, il y’a une raison derrière.
Leur climat changeant ne leur exige pas de le faire. Et pour des gens à qui on
colle facilement l’étiquette de la saleté, j’ai rarement senti les mauvaises
odeurs venant d’eux. Si le sujet de l’incirconcision t’intéresse, fais une
petite recherche google et tu seras surprise des résultats plutôt
encourageants. Tout n’est pas blanc noir dans la vie Aïdara
– Mais ça reste un
peu weird, non ? Je chuis pas miss monde, ça je sais, mais… euh… j’ai l’air
judgy hein ? elle finit par dire comme si elle vient de s’en rendre compte
– Kinda, je dis avec
humour. Mais on est tous un peu judgy au départ, et dès que l’amour te frappe,
tu commences à philosopher en désordre. Que « l’apparence ce n’est pas tout
dans la vie, nous ne sommes que des passagers sur terre, c’est aussi une
créature de Dieu, il prend soin de moi » au lieu de juste admettre qu’on est
tombé sous le charme de celui qu’on avait critiqué
– Tchu avais fait ça ?
elle demande entre plusieurs rires
– J’ai juré que
l’amour ce n’était pas pour moi et je traitais Romelio d’Alien quand il me
décrivait sa vie de rêve, dans laquelle Océane et lui auraient cinq enfants,
espacés au trop de seize mois, qui leur tomberaient tous dessus chaque matin
avec des sourires angéliques comme s’ils n’avaient pas refait la déco de maman
avec des sharpies jaunes et brisés la télécommande juste avant. C’est
finalement moi qui suis tombée sans trébucher sous le charme d’un vendeur de
glaces, sans même qu’il m’ait dragué. Et juste pour le reluquer, je suis
retournée plusieurs fois dans sa boutique au point que Romelio me choppe mais
j’avais trop honte de l’avouer
– Lol phonyyyy, se
moque-t-elle
– Au moins j’admets
que j’ai été hypocrite hein, rigolai-je. On est là. J’attends ton tour, tu me donneras
des nouvelles
Elle a commencé à
m’amuser par ses remarques au point où j’ai presque réussi à oublier ma situation
actuelle. Mais en raccrochant, ma première pensée était pour Ray. Et une petite
colère a pris forme en moi. Je comprends qu’il soit dans tous ses états, mais c’est
trop demander qu’il me réponde simplement qu’il vit ? Ne serait-ce que pour me tenir
au courant de sa situation ? Hier j’ai même écrit un long message dans lequel
je le suppliais. J’en suis arrivé là. Supplier d’avoir des nouvelles. Mais je n’ai
pas eu le courage de l’envoyer. Quelque chose m’a arrêté. Je ne me vois pas à
ce niveau mais mentalement j’ai la sensation d’y être.
***Mireille Sani***
Les hommes ont-ils été
créés comme nous ? Si oui comment peuvent-ils afficher autant d’insensibilité ?
J’ai sacrifié ma vie pour celle de Martin, lavé son corps de malade, nourri pendant
qu’il bavait à son grand âge et ma récompense c’est de découvrir qu’il me
trompe. D’autres auraient déserté le foyer mais je suis restée avec lui. Sans
mon entêtement face aux médecins, il ne serait d’ailleurs plus de ce monde.
Mais il se permet de faire entrer une femme dans ma maison. Pas une, ni deux, mais
quatre fois en l’espace de deux semaines. C’est ce que j’ai découvert depuis
que j’ai croisé Jeanne avec le mari de cette Yasmine.
J’ai tout bonnement continué
à sortir de la maison, sans toutefois quitter le quartier. Dire qu’initialement
j’avais pensé me confier à Martin le jour où j’ai surpris cette boniche, puis
je me suis ravisée, car je trouvais qu’il en avait déjà assez sur la tête. J’avais
même suspecté qu’Axel comme complice de Jeanne. Malgré l’âge, mon deuxième fils
est resté naïf, timide donc facilement corruptible par une femme. Leur petite
proximité n’était pas passée inaperçue à mes yeux et j’avais réitéré à Axel qu’il
devait se tenir à carreau avec cette petite. Hors de question qu’un de mes
enfants termine avec une fille à peine instruite, aussi naïf qu’il soit. Et encore
moins Axel, qui semble toujours intéresser la fille de la ministre. La semaine
dernière, elle était chez nous, quand je prétendais être de sortie. Je l’ai observé
elle et mon fils depuis ma cachette. C’est depuis ma cachette aussi que j’ai vu
cette femme, ainsi que le mari de Yasmine se présenter en pleine journée chez
nous. J’ai vu Jeanne leur ouvrir et Martin, sur des béquilles les raccompagner.
Des béquilles, je dis bien, alors que ses fils continuent à le soulever pour la
douche, et nous tirons toujours son fauteuil roulant. Il arrive à se déplacer sur
des béquilles !
Et il a embrassé cette
femme sur la bouche, devant notre maison. Celle où j’ai mis ma sueur et mes
efforts pour construire notre vie. J’ai mis bout à bout les informations que j’ai
trouvées, et j’en suis arrivée à cette conclusion. Gaëtan est celui qui m’a emmené
cette petite Jeanne et il a toujours été l’acolyte de mon mari. Si cette petite
fait entrer des inconnus dans ma maison, c’est que Gaëtan et Martin sont de mèche
avec elle. Et ce dernier veut visiblement me quitter pour cette vieille peau,
sinon pourquoi me cacher que son état s’améliore ? Je suppose que le mari de
George doit être parenté à cette vieille, quoique je n’ai pas osé questionner
Yasmine ni confronter Gaëtan, par crainte que Martin soit informé. Vu qu’il s’est
inventé un jeu dans lequel il se plaît, nous allons jouer ensemble. J’ai reçu
mes cartes désormais, j’attends juste le moment opportun pour les abattre.
***Seb Lavigne***
Après une nuit torride, j’ai
enchaîné avec un petit déjeuner, et attendu qu’elle descende ses trois mimosas
avant d’annoncer à Macy que j’ai engagé Elsie dans notre équipe.
— Et c’est qui cette
Elsie ?
— Tu vois la fille
avec qui je dansais hier, en fait…
— Aha, elle rigole
de dérision, marque un stop et m’observe comme si j’avais deux têtes. Ces foutus
mimosas sont supposés faire leur effet quand ?
— Tu sais que je ne
maîtrise pas l’anglais et…
— Et Norman n’est
pas là pour ça ? me coupe-t-elle
— Elle a une grande
expérience en lancement de produits bébé, et c’est une blanche. Quoiqu’on dise,
on les prend plus au sérieux que nous
— Nous ? Tu me
parles de quoi ? Tu es métisse
— Oui, mais tu sais que
beaucoup nous voient comme des noirs malgré tout. La preuve, des dix
entreprises à qui on a fait nos présentations, lesquelles ont accepté d’acheter
Halo ? Le résultat aurait été différent si j’avais une femme comme Elsie à mes
côtés. En plus d’être blanche, elle a de l’expérience, et elle est américaine.
Elle aligne tous les privilèges possibles. C’est l’atout ultime pour nous
— Je n’aime pas
cette mentalité ! C’est une équipe composée de noirs à 95 % qui a bossé
sur la conception de ce programme jusqu’ici. C’est moi qui aie décroché la
majorité de nos présentations et en plus, depuis quand tu engages quelqu’un
sans m’en parler ?
— Macy ! Je l’interpelle
sur un ton ferme. Cette mentalité comme tu dis, c’est une solution concrète, ou
dois-je te rappeler que nous ne faisons toujours pas de bénéfices bien que le
programme soit enfin prêt à être commercialiser ?
— Nous ne faisons
pas de bénéfice parce que tu ne veux pas revoir à la baisse le prix de lancement.
Aucune PME ne peut fixer un prix pareil si elle espère percer dans un domaine largement
dominé par Microsoft, Trello, Oracle, en Afrique de surcroît, un continent où
la majorité est résistante au changement parce qu’ils sont sceptiques à la
nouveauté
— Est-ce que c’est Macy
ma copine qui parle ou Macy ma partenaire professionnelle ?
— Quoi ?
demande-t-elle comme si je venais de la prendre de court
— Tu m’as entendu.
Parce que ta réaction est totalement exagérée. Ce n’est pas à toi de me dire
combien je dois vendre mon programme. Tu as certes travaillé sur sa conception et
je t’ai rémunérée. Halo reste mien. Je compose l’équipe et si je veux Elsie
dedans, elle y sera. Vas-tu rester professionnelle avec elle, ou dois-je me
trouver une autre analyste ?
***Macy Wiyao***
Il m’a laissé sans mots. J’ai
payé de ma poche ce billet juste pour venir l’assister et c’est une douche
froide qu’il me donne comme récompense. Je sens du Norman dans le coup. Il était
aussi au bar et je l’ai vu bien rigoler avec cette fille. Lui et moi c’est
comme l’huile et l’eau. On ne se mélange pas. Dégoûtée par l’attitude de Seb, j’ai
quitté l’hôtel Ibis pour retourner chez ma sœur à Hurlingham, et je n’ai revu Seb
qu’au jour de notre présentation. Et ce jour encore, je viens dans la paix,
mais Seb me prend sur le côté pour me briser.
— Je t’ai parlé du look
de la compagnie Macy et tu penses que c’est le moment de te ramener avec un
rouge à lèvres digne de Karaba la sorcière ?
— Mon rouge à lèvres
a quel rapport avec mon travail ? répliquai-je piquée au vif
— Nous allons
rencontrer une entreprise dirigée par des Chinois. Un style formel c’était trop
demandé ? Maintenant tu m’obliges à faire la présentation avec Elsie
— Sébastien, tu dépasses
les bornes ! Nous allons rencontrer ses Chinois en Chine ou ici à Nairobi où
ils se sont installés ?
— Parce qu’ils sont
venus à Nairobi, c’est ton excuse pour te ramener avec le gros pagne noué à la
tête comme une vieille qui s’en va faire une veillée de prière ? Ton look
ne convient pas à l’image de la compagnie. Bref, Elsie, let’s go, il dit sans
me donner le temps de réagir
J’ai passé une sale nuit
avec des crampes parce que mes règles se sont pointées ce matin et pourtant je
révisais chacun de mes points, pour assurer ce matin. C’est pour me donner du
peps que je me suis habillée ainsi parce que c’est le look dans lequel je me
sens mieux. Mais qu’on me dise qu’aujourd’hui je ne suis plus conforme à l’image
d’une compagnie, c’est pire qu’une insulte. C’est comme s’il m’avait craché en
face, quand en plus il l’a dit non loin d’Elsie, à la face à peine maquillée et
lèvres rosées tandis que Norman me regardait avec un air moqueur. Seb connaît
mes problèmes d’apparence. Il sait le pourquoi je me suis tournée vers le
maquillage en premier lieu et qu’avec le temps, c’est devenu presque une identité.
Il sait que ça m’a pris du temps pour m’aimer et m’a d’ailleurs aidé à m’accepter
et découvrir mon côté sensuel. Comment un homme qui a été si aimant peut m’attaquer
délibérément aujourd’hui ?
Peut-être c’est la jalousie
qui parle, mais c’en est trop pour moi. Je prends mes clics et quitte la compagnie.
Les Chinois ne sont pas les seuls qui refusent de s’assimiler. Je ne le ferais
pas non plus parce que Halo est désormais trop bien pour le pagne noué à la tête
et un rouge à lèvres prune ! Pas noir, mais prune !
***Hadeya Wanke***
Axel est soit naïf ou il fait
exprès de ne pas me remarquer pourtant je ne manque pas de le visiter toutes
les fois où je rentre à Lomé. J’ai un peu honte, mais il faut bien prendre le
taureau par les cornes donc j’ai décidé de lui écrire une lettre pour me
confesser. J’y ai mis mes plus belles paroles et pour finir, je me suis
faufilée dans la chambre des parents pour piquer un parfum de maman afin de
rajouter quelques notes sophistiquées sur ma note, mais elle m’a prise en flagrant
délit. Elle a râlé et m’a poursuivi tandis que je m’enfuyais avec la bouteille.
Résultat, j’ai percuté une de nos domestiques qui m’apportait mon téléphone qui
sonnait. Et Maman m’a pris par l’oreille.
— Aïeuuhhh papa a
dit de ne pas me faire ça, je me plains tandis qu’elle continue à la tirer
— Mon mari n’est pas
le père d’une petite voleuse, redonne vite ma chose, dit-elle en me retirant
son parfum
— Pourquoi tu es
pingre comme ça la vieille ? Tu as les parfums au point de remplir ta chambre.
C’est me donner un qui allait te tuer ? je réplique en massant mon oreille tout
en débloquant mon téléphone pour lire les messages qui ont fait sonner mon
téléphone. Maman bien sûr continue à me traiter de tous les noms, mais je l’ai
déjà oublié face aux mignonnes photos que Vita m’a envoyées d’elle et bouba
quand elles étaient au Gabon. Regarde la vieille, elle n’est pas à croquer ?
– C’est qui ? elle
me questionne tout en regardant les images
— Tu ne reconnais
plus mon amie avec qui je suis rentrée ici ? Hum la vieillesse ce n’est pas
bon. C’est un signe que je dois te rendre grand-mère au plutôt ça
— Tu as intérêt à fermer
tes jambes et…..
Elle écarquille brusquement
les yeux après avoir rapproché l’appareil de sa face, comme si elle venait de
voir un revenant.
— C’est quelle
blague Hadeya ? crie-t-elle pourtant je suis juste à côté
– Euh…, fais-je
confuse
— Ton amie sort d’où ?
Tu l’as connu comment ? elle continue à me questionner avec ce ton affolé et
continue à fixer l’écran
— Je l’ai connu à Lille,
dis-je faiblement parce qu’elle n’a pas aimé le temps que j’ai fait là-bas. Elle
m’a d’ailleurs sorti de là pour m’envoyer aux États-Unis parce que mon frère m’a
vendu que je fréquentais un Arabe
Elle répète des
lamentations en Haussa, avant d’agripper mon bras et me placer le téléphone en
face.
— Lui là, tu l’as
connu à Lille ?
— Non lui, c’est le
papa de bouba, la fille de Vita
— Appelle-moi cette Vita
sur le champ. Je veux lui parler
— Qu’est-ce qui se
passe maman ? Tu me fais peur à crier et trembler comme ça
— J’ai dit de l’appeler !
elle me crie en retour
Je lance l’appel fébrilement,
priant que ce n’est pas pour me punir qu’elle demande ça. Je n’ai rien fait de
mal aux dernières nouvelles, mais avec quand il s’agit de maman, on ne sait
jamais.
— Vita, ça… rhooo
maman, me plains-je quand elle m’arrache l’appareil
— Bonjour
Vita. C’est madame Wanke. Comment vas-tu ?
…
— Parfait je vais
bien. J’aimerais rencontrer le père de ta fille. Quand seriez-vous disponible ?
…
— Il est parenté à une
connaissance, et j’aimerais vérifier certaines choses avec lui
Han ? Parenté à quelle
connaissance ? me demandai-je après cette révélation.
***Thierry Henry Ndouo***
La dernière chose que je
veux c’est me déplacer. Maman me jure qu’elle va bien, mais Vieira m’a dit qu’elle
perd ses couleurs. Pour mon petit frère, la raison c’est son départ imminent à
Kinshasa. Il n’a pas encore reçu l’admission à l’Institut Supérieur des
Techniques appliquées, mais nous avons confiance que bientôt il sera parmi les
étudiants de cette école. Donc il croit que maman déprime parce qu’elle va se
retrouver seule. Mais je sais que la peur qu’il s’éloigne et peut-être ses
géniteurs le retrouvent y est pour beaucoup. Elle me demande régulièrement, si les
gens là ont essayé de rentrer en contact avec moi. Je la rassure, mais loin
comme je suis, mes mots ne l’atteignent pas. Je ne sais pas comment la mettre
en confiance, que je n’accepterai aucun parent en dehors d’elle. Une partie sorcière
de moi essaie quand le sommeil me fuit, de se demander à quoi ressemblent ses
gens qui m’ont laissé. J’ai bien dit une partie sorcière, mais je m’emploie à
la tuer régulièrement. On ne m’a pas enseigné l’ingratitude donc hors de question
que je commence à l’être en passant derrière ma mère pour me rapprocher de quelqu’un
d’autre.
Je n’avais pas forcément
envie de me déplacer aujourd’hui, mais Garcelle veut absolument qu’on fasse ensemble
les visites d’appartement parce qu’elle a obtenu le poste à Marseille, donc en
tant que copain qui soutient sa copine, j’ai dû ravaler mon ressenti et bouger
avec elle.
***Gioia***
Prochainement, dans « D’amour,
d’amitié », Game over. Je m’excuse pour les commentaires auxquels je n’ai pas répondu
sur les chapitres précédents. J’ai eu beaucoup à faire ici et là et je tombe de
sommeil actuellement mais dès que je vais me réveiller, je viendrai répondre,
promis.