83 : Puisque l’amour nous accompagne, un jour on se retrouvera, partie 2
Write by Gioia
***Thierry Henry NDOUO***
Décidément, l’humain est
un éternel capricieux. J’ai fait des années chez mon oncle Firmin sans à
trouver à redire sur mes conditions de logement et maintenant que j’y suis de
retour, je me sens à l’étroit. Pourtant je loge toujours au sous-sol. Bien
évidemment, je ne suis pas assez ingrat pour m’en plaindre de vive voix, mais
si l’on pouvait entendre les pensées des autres, c’est évident que j’allais
couvrir ma tante de honte. L’avantage d’être ici, c’est que je vois ma fille
tous les jours. Et cette dernière se plaît à passer du temps avec sa tante
Lilou et son oncle Rayan. Il faut aussi voir comment ses deux petits se
gonflent d’avoir les gros titres comme ça. L’enfance est chic. Leur proximité
me réjouit mais j’ai hâte de me trouver un nouveau logement, même si la
recherche avance à pas de tortue.
Concernant la rencontre
avec ma famille biologique, je ne me sens pas prêt. Ma mère m’a certes dit
qu’elle ne pouvait pas m’en empêcher si c’était mon désir, mais le ton sur
lequel elle l’a dit ne laissait place à aucune confusion. Elle a peur de me
perdre. Et les interventions régulières de ma tante me confortent dans cette
idée. Elle ne cesse de me rappeler que la famille ce n’est pas uniquement le
sang, que mes parents adoptifs auraient donné leurs vies pour nous, et qu’elle
espère que je ne l’oublierai jamais. Ce que je ne risque jamais de faire tant
que mon cerveau sera fonctionnel. Je….. , c’est Denola qui appelle. Je m’y
attendais depuis peu donc je le prends.
– Allô vieux fou, on
dit quoi ? je lui demande
— Je ne sais pas
Thierry. Pourquoi ma sœur m’a laissé plein de messages, totalement dévastée, parce
que tu as quitté ton appartement ?
— Je sais ce que je
t’ai dit concernant cette relation, mais je ne me vois plus avec elle gars.
Elle a trahi ma confiance
— Et qu’est-ce
qu’elle a fait ?
— Elle ne t’a rien dit
à ce que je vois, tu es assis ?
— Un instant, dit-il
avant de me donner le go pour que je lui explique
Le long silence qui suit
mon explication m’aurait presque fait croire que je l’avais perdu si je n’entendais
pas sa respiration.
— Com… comment tu le
vis ?
— Ces derniers
jours, je considère que je le prends plutôt bien
— Pourquoi tu ne m’en
as pas parlé ? Depuis le temps que tu le
sais, j’aurais pu…, tu étais dans le déni jusqu’à ce que Garcie te mette en
face, conclut-il seul
— Décidément, tu m’effraies
par ta capacité à me comprendre si facilement
— Je ne sais même
pas si je dois te féliciter ou te plaindre
— Pries juste pour moi
bro, pour que je prenne la décision qui blessera le moins le monde parce que j’ai
la sensation de marcher sur des braises ardentes depuis un moment
— La décision honnête
est toujours la meilleure Th… enfin La..
— Thierry reste mon
nom
— OK, je disais donc
que l’honnêteté est toujours mieux que la dissimulation. Si tu as envie de te
rapprocher de ta famille biologique, dis-le simplement à ta mère. Oui, elle
pourra mal réagir au début mais une chose dont on est sûr, c’est que maman Lucie
t’aime mec. Ça prendra probablement du temps mais elle arrivera seule à la
conclusion que c’était nécessaire pour ton bien-être
— Et si elle prenait
de la distance envers moi pour justement éviter de souffrir ? C’est ce qui m’effraie le plus en toute honnêteté
— Oh ça n’arrivera
pas
— Tu ne sais pas ce
que tu dis mec. En tant que papa, je t’assure que je ressens une jalousie inexplicable
à l’idée que ma fille est une autre figure paternelle en dehors moi. Je sais
bien que sa mère sera un jour en couple et veux qu’elle s’entende bien avec le
conjoint de Vita, mais une petite partie de moi espère que je resterai son
papa. Bref je ne sais pas comment rationaliser ça mais…
— Je t’assure,
venant de toi ça ne m’étonne pas. Tu es possessif en tout. Mais j’ai foi en
maman Lucie. C’est une adulte et puis on se connaît, même si elle essaie de
prendre de la distance, tu ne vas pas le permettre, donc essaies de te
distancer de tes craintes et sois juste honnête avec elle comme d’habitude
— Comment tu me
conseilles et dans la même phrase tu m’insultes comme ça ? dis-je amusé et soulagé à la fois de m’être
confié en quelqu’un de confiance
— Ah faut quitter. Je
dois te rappeler qu’au collège, tu m’avais fait la tête pendant deux longues
semaines parce que j’ai demandé à changer de place dans la classe ? Pourtant mon changement de place était justifié
par ma vue trouble ?
— Tu n’aimes pas
oublier les choses hein le gars ci, je plains ma peti… Ida
— Pfff, tu la plains
parce que je lui dois quelque chose ?
— On sait qu’il y’a
un petit intérêt…
— Négatif. S’il y’en
avait un, elle s’est assurée de le tuer en me bousculant hier à la sortie de la
buanderie, sans se gêner… Attends, tout s’explique. Le commentaire sur les
voleurs d’enfants ?
— Quoi ? Elle a dit ça ? fais-je étonné
— En douce mais je
suis sûr de l’avoir entendu dire, bande de voleurs de gosses
— Tu peux me rendre
un service s’il te plaît ? J’ai été
vache avec elle, tu peux m’obtenir son numéro ?
— Est-ce que je
pourrais en échange obtenir que tu pardonnes à Garcie ? Je sais, je sais, elle a été vache et je ne l’excuse
pas mais elle souffre de ton absence. Elle ne fait que pleurer depuis ton
départ
— Tu ne vas peut-être
pas me croire mais elle me manque aussi. Mais les morceaux ne peuvent plus être
recollés cette fois. Je n’ai plus la volonté d’essayer. Le temps nous aidera à combler
le manque, je lui réponds et il soupire
— OK, si tu le dis. Je
vais essayer de t’obtenir ton numéro le plus tôt possible
— Merci frère, je t’aime
— Ah va là-bas, il
dit et s’empresse de raccrocher, ce qui me laisse amusé. C’est fou comment il n’est
pas à l’aise avec la démonstration de sentiments dès qu’il s’agit de moi. Pourtant
c’est une histoire différente avec sa mère et sa sœur. Je me suis abstenu de lui
dire que sa sœur avait insulté ma mère chez Ida, pour éviter de semer la
discorde en sortant de leur famille. Denola et moi partageons beaucoup de
valeurs dont le respect et la protection de nos familles. Il aurait
difficilement pardonné à sa sœur le fait qu’elle salisse ma mère ailleurs et
franchement à quoi ça me sert de semer la zizanie dans la famille quand j’en
sors ? C’est déjà pour moi une chance
inouïe que j’arrive à garder mon meilleur ami et qu’en plus il ne prenne pas
parti pour sa sœur, malgré qu’elle soit en peine actuellement.
Demain la semaine de
travail reprend, mais pour l’heure je sors rejoindre Vita qui sortira prendre
sa marche journalière avec Lucille dans le quartier. Madame dit qu’elle prend le
sport au sérieux désormais parce qu’elle doit être au top de sa forme pour son
retour à Paris. Ça me saoule quand elle mentionne un quelconque retour dans la
capitale même si je m’y attendais tôt ou tard. En plus de son concours, elle
veut aussi finir son Master ce qui est normal, mais bref je suis égoïste, ce n’est
pas nouveau. Et le sport elle vient le faire en petit cycliste et bandeau comme
haut.
— Je dis tu es née
avant la honte ? dis-je agacé
tout en ôtant ma chemise pour la mettre sur ses épaules
— Ça dépend pour
quoi
— Quand on a une poitrine
comme ça, on laisse les bandeaux pour la maison au lieu de l’extérieur où n’importe
qui peut voir et venir gratter pour un numéro
— Lol mais j’ai une
bouche ou pas ? Je peux
juste refuser de le passer mon num
— C’est ça ! Bref désormais je marcherai avec toi tous les
soirs
— Roh là, ce que tu
peux être lourd quand tu t’y mets
— Mets là en veilleuse
Henrietta, tant que ma fille sera collée à toi, tu seras une chasse gardée
— Et c’est moi qui
suis née avant la honte ? ironise-t-elle.
Dis-moi plutôt comment avance la recherche de logement
Oui elle sait, disons que
nous sommes devenus, amis ? Je ne sais
même pas quel qualificatif lui attribuer avec ses minces fesses, on dirait deux
escalopes de poulet.
— Toujours rien, à
ce stade je ne fais que du copier-coller quand je remplis les annonces
— J’ai pensé à une
option…
J’ai une petite minute d’absence
quand elle le dit. Auparavant, je lui aurais probablement sorti « pour une fois que tu te décides à penser » mais j’ai grandi désormais. Je ne fais plus dans
les jeux brutaux. En plus son cœur est plus gros que le mien dans ce genre de
jeux ; c’est moi qui commence et je
suis le premier à gonfler quand elle se met dedans.
— Alors, tu m’écoutes
ou pas ?
— Tu as dit quoi
pour que j’écoute ?
— Ça te dit de
prendre ma chambre ?
— HEIN ? fais-je m’arrêtant en plein passage piéton
Ce sont les klaxons qui
me font courir derrière eux et Lucille trouve ça drôle.
— En y pensant, je
me suis dit que partir avec Lucille à Paris ne serait pas l’idéal parce que Paï
avait raison. Elle a plus d’espace ici à Douai, et habituée à Mae et on lui a
déjà trouvé une crèche. Du coup elle pourrait rester avec toi, si tu t’en sens
capable, et vous occuperiez ma chambre. C’est un environnement connu pour elle,
et je l’ai déjà sevré donc pas de souci pour sa nourriture. On s’est déjà entendu
avec Mae qu’elle commencera à l’habituer au pot dès qu’elle fera ses premiers
pas donc sur ce coup, tu n’as pas à t’en faire
— Attend…, fais-je
toujours estomaqué qu’elle ait non seulement pensé à cette option mais en plus
conçu tout un plan déjà. Je ne peux quand même pas vivre avec ta daronne,
continuai-je
— Oh elle n’y voit
pas d’inconvénient sérieux, tant que tu es propre, et supporte le bruit les
vendredis soir, tu n’auras pas trop de soucis avec elle
— Donc elle comme
ça, est d’accord qu’un inconnu vienne habiter avec elle, et tout ça dans la
chambre de sa fille ? dis-je
incrédule
— Tu participeras un
peu aux factures, rien de grand, disons cent à deux cents euros le mois. Elle
ne refuse jamais une opportunité
— Euh…, je peux y
penser ?
— Ben oui, je ne pars
que le mois prochain de toute façon
Si c’était une autre
meuf, j’aurais suspecté qu’elle tente un rapprochement vu qu’elle me sait
célibataire mais celle-ci s’en fout tellement de moi que dans mes pires
cauchemars, je me vois décéder et elle pleurer au trop une semaine tout en se
goinfrant de gâteaux, avant de poursuivre sa vie dans l’insouciance qui la
caractérise. C’est vrai que chez elle, c’est bien plus grand que la maison de
mon oncle Firmin. En plus sa mère est seule, comparée aux quatre résidents avec
qui je partage le gîte actuellement. Je resterai assez proche des oncles Lilou
et Rayan pour le bonheur de tous, puis les économies de loyer me permettront de
m’acheter une nouvelle voiture, vu que je compte cesser le virement mensuel que
je fais à Garcie pour notre actuelle. Pourquoi le plan semble si adéquat ? Les choses de Vita franchement. C’est comme ça
qu’elle sait toujours comment me tenter.
***Denola EKIM***
Garcelle me fait pitié
mine de rien. Deux jours maintenant que TH m’a dit qu’il ne voulait plus retourner
en arrière en ce qui concerne leur relation. Je pensais l’aider à l’accepter en
le lui annonçant mais elle a carrément évoqué le mot suicide. Du coup j’ai dû
avertir les parents pour qu’ils interviennent par crainte qu’elle déconne. Sa
peine ne m’encourage pas à aller chercher le numéro d’Ida pour Thierry parce que
j’ai l’impression de prendre parti, mais bon mon impression n’est pas fondée,
je le sais. Puis j’ai déjà donné ma parole, et revenir dessus, n’est pas
quelque chose que j’aime faire.
Me voilà donc cognant à
la porte de cette Ida après une journée éreintante au travail. Après quatre coups
d’affilée, je pensais qu’elle n’était pas là, mais elle se décide à me
répondre. Depuis l’intérieur. Porte fermée toujours. On peut être aussi dramatique ?
— Tu peux glisser le
chèque sous la porte, me répond-elle
— Quel chèque ? fais-je perdu
— Comment ça quel
chèque ? La caméra que tu as brisée ! Tu penses qu’elle va se rembourser toute seule
— On peut être vindicative
à ce point Adama
— Mon nom c’est
Adamou ! elle ouvre la porte pour bien
me gronder ça au visage. Au moins je ne me suis pas trompé. Aussi susceptible
que son frère
— Salut Adamou, mes
poches sont vides, mais je viens avec un message de Thier…
— Quoi ! Mais tu
ne pouvais pas l’annoncer plutôt, elle dit et me saute limite dessus
J’ai un bref mouvement de
recul, pour éviter de recevoir le coup de sa poitrine généreuse. Elle ne me
laisse pas le temps de répondre avant de me tirer par la main et me voilà dans son
antre à l’aspect surprenant. Les murs sont peints en corail, la table à manger
est blanche et les chaises sont en vert menthe, tout comme sa causeuse. Quelques
tableaux pop-art décorent ses murs mais celui qui retient mon attention et me
fait siffler d’admiration est un cliché de voiture.
— C’est une Rolls-Royce
de 1927 ça ?
— Yup, celle de Fred
Astaire qui avait la malle de Louis Vuitton à l’arrière, qui fut d’ailleurs le
prototype des coffres de nos voitures modernes
— C’est toi la
passionnée de vieilles voitures ou tu as engagé une bonne décoratrice ?
— En plus de me
devoir de l’argent tu oses me minimiser hein. Je te ferais savoir que si la
machine à remonter le temps existait, je serais en tête de file pour une visite
du monde des années 20 jusqu’à la fin des 70. Pour primo admirer la
naissance de la culture dont nous avons hérité puis pour choquer les sexistes
et racistes en leur montrant des vidéos de femmes noires de notre époque qui
ont du pouvoir
— La partie où tu
veux choquer ne m’étonne pas du tout étrangement, blaguai-je
— Ah c’est l’habitude
la maison hein, réplique-t-elle satisfaite
— Tu es une fille
bien surprenante Ida Adam
— Donc le ou te
dépasse quoi ?
— Être dur d’oreille
c’est l’habitude de ma maison. Ton frère m’envoie prendre ton numéro
— Sérieusement ? fait-elle avec un air si excité que je la trouve
presque mignonne. Presque.
— Oui, il le…
Elle me le débite comme
un rappeur sans me laisser le temps de finir cette phrase et je le transmets
aussitôt à Thierry.
***Ida ADAMOU***
Il y’a des gens qui maitrisent
l’art de la finesse et je ne fais pas partie de cette catégorie. L’ami de mon
frère fermait à peine ma porte que je lançais l’appel vers son numéro, vu que
je l’ai toujours eu. Il décroche et c’est pile à ce moment que je pense au décalage
horaire.
— Je vais rappeler
sorry ! m’empressai-je de dire et j’allais
raccrocher en plus mais il est plus rapide
— Tu appelles les
gens en plein quatorze heures pour dire ça ?
— Ne te fâche pas, je
n’ai juste pas réfléchi
— Je ne suis pas
fâché. En fait…, c’est plutôt à toi de me pardonner, enfin j’espère que tu
pourras me pardonner d’avoir été violent avec toi
— Oh c’est oublié ! Tu es tout pardonné La…
— Thierry c’est mon
nom, dit-il sur un ton peu sec
— Euh…, OK, dis-je
avec un petit flottement par la suite. Est-ce que j’ai bien fait de me précipiter
là ?
— Vu qu’on est sur
le sujet du nom, sache que ma mère n’est pas une pute. Je ne veux plus jamais
entendre ça. Elle ne m’a pas non plus enlevée. Bien au contraire, c’est elle
qui m’a récupéré après que mon ravisseur m’ait déposé au Ghana
— Oh je l’ignorais,
je suis vraiment navrée. J’ai cru que…
— Je comprends, je
me suis fourvoyé sur vous aussi, donc disons qu’on laisse ça derrière nous ?
— J’accepte la trêve,
dis-je grandement soulagée. Je… umm, y’ô ne mvëghè ? tentai-je timidement, et il fut pris d’un fou
rire entrecoupé par des toussotements
— Tu as dit quoi ? fait-il quand sa respiration se stabilise un peu
— Ce n’est pas fun
de te foutre de moi, je me suis tapée plein de tutos YouTube pour apprendre à
bien prononcer ça
— Loooll, ma grande
je suis Obamba hein. Ce que tu viens de me dire ressemble à du fang
— Oh…, répondis-je
me sentant conne maintenant. J’ai cru que comme c’était la plus grosse ethnie tout
le monde comprendrait la langue comme au Togo
— Vous parlez une
langue commune là-bas ?
— La majorité, et
ceux qui ne le parlent pas, le comprennent au moins
— Eh bien. Vous avez
de la chance. C’est une langue compliquée à parler ?
— Je dirai que oui,
je la trouve plus compliquée que le hausa en tout cas
— Ah c’est parce qu’il
est hausa ça que… euh ton père a la grosse barbe alors ?
— Hehehe, non il l’a
laissé pousser pour faire chier papi et mamie quand ils ont indirectement
poussé maman à le quitter
— Ils se sont même
séparés ? fait-il étonné
— Yep, maman a eu
une vie super traumatisante et pour s’enfuir de la maison où elle travaillait
comme servante, elle a piégé papa, l’accusant de viol. Mais je t’arrête tout de
suite, tu ne la juges pas. Elle m’a toujours répété qu’elle n’en est pas fière,
mais c’était ça où continuer à se faire molester par la famille de son père
— Carrément ! son père ?
— Ouais, dingue hein ? Son père l’a ramené chez lui et laissé en
servitude à sa femme. Maman n’a su que bien plus tard qu’elle était la fille du
patron
— Euh… on pourrait
continuer la conversation plus tard ? Je suis au
travail en fait
— Oui, bien sûr, fais
juste signe quand tu auras du temps Lai… Thierry
— On fait comme ça
petite, à toute, il dit puis raccroche. Je porte un sourire grand comme une
banane, au petit surnom affectueux de « petite » qu’il vient de me donner. Et il me retrouve avec
ce sourire quand il m’écrit environ cinq heures plus tard. Bien sûr je me
presse de l’appeler
— Mais tu ne dors
pas ? Il est deux heures du matin
chez vous non
— Je préfère dormir en
journée. Tu es déjà rentré ?
— Et douché aussi.
Je t’aurais fait signe plutôt mais il me fallait passer à mon ancien appart pour
prendre des affaires. Tu dors en journée et quand vas-tu travailler ? Ou étudier ?
— Bah je dors dès
que le soleil se pointe et me lève à temps pour aller en cours. J’ai bouclé mon
Bachelor en sciences visuelles cette année et en automne, dans moins d’un mois
en fait je commence ma maitrise en optométrie, du coup j’ai du temps pour
pioncer en masse d’ici la reprise des cours
— Ah ouais, rien que
ça, dit-il sur un ton de fierté. En tout cas je l’ai entendu comme de la fierté
moi. Je sais où me faire mes examens de la vue quand le moment viendra
— Yep et avec
Aurore, nous allons lancer notre chaîne de verres d’optique. Afflelou n’aura qu’à
bien se tenir lol
— Aurore c’est qui
ça ?
— Mais oui je suis bête.
Tu as combien de temps là pour qu’on cause ? Je ne veux
pas te retenir
— Ce sont les gens
qui retiennent beaucoup là qui utilisent cette phrase donc lance-toi seulement
petite. Si ça chauffe, je vais ronfler dans tes oreilles
— Bon, dis-je après
un rire…….,
— Si je te dis que j’ai
retenu un nom en dehors du tien et Asad, je t’ai menti, répond-il après mon
monologue de quinze minutes
— Ce n’est pas
grave, tu as de la chance que j’aime particulièrement me répéter donc tu
entendras encore ses noms
— Lol le bavardage
épuise vite Deno hein
— Deno ? Ton ami ? Et alors ?
— Il paraît pourtant
que vous êtes de bons amis, dit-il sur un ton que je trouve taquin
— Fadaises, je n’ai
que deux amis, Marley et Arthur même si ce dernier est en punition parce qu’il
n’a pas voulu écouter mes conseils. En plus je ne fais pas ami ami avec les
gens qui détruisent les biens des autres
— Haha, pourtant mon
petit doigt me dit que vous deviendrez de bons amis bientôt
— Je vais dire à
Lucille de te le mordre ton petit doigt
— Pardon, je subis
déjà assez dans la main de cette petite espiègle qui me prend pour sa montagne
dès que je me couche
— Elle est
trooooooppp mignonne ta fille. Je n’arrive pas à croire que je suis tante
— C’est son trop
mignon qui lui monte à la tête et elle se permet de s’asseoir sur ma poitrine
et me péter dessus sans manières, il me dit et je pouffe de rire
— Je t’envie, j’aimerais
trop avoir une famille aussi
— Aka, tu as quel âge
pour chercher la famille ?
-23 ans ce n’est pas
si jeune
— Qui t’a dit ça ? Déjà que je me trouve jeune pour être papa à 26 ans.
Dis aux gens qui te mettent la pression d’aller respectueusement se pendre
— Lol personne ne
met la pression Thierry. Nos cousines qui vivent ici sont déjà mariées ou
fiancées. Si j’avais eu de la chance dans ma recherche de conjoint, je serais
probablement déjà maman
— Jusqu’à tu
recherches ? Ce n’est pas parce que ton
entourage est casé que tu dois l’être. À chacun son timing, en plus je trouve
que la vingtaine est faite pour se découvrir, faire des rencontres, expériences
et erreurs
— Bah faire des
expériences c’est pour finir par coucher avec un mec ou une meuf non donc
pourquoi ne pas faire tout ça avec mon mari ? Je préfère découvrir tout ça avec lui et ça nous fera de belles histoires
à raconter à nos enfants, comme maman et papa. Bon quoiqu’eux ils ont trop
souffert…
— Ah tu vois non, c’est
le risque quand tu te maries jeune, tu as plus de temps à brûler donc vivre des
mauvaises expériences
— Inh, tu ne vas pas
me décourager oh. D’ici l’année prochaine, j’ai confiance que je rencontrerai
mon futur mari
— Lol si c’est ce
que tu veux petite têtue, on verra
— Tu peux me rendre
un service dit ?
— Tant que ce n’est
pas te trouver un mari…
— Non zouave, j’aimerais…
enfin si ce n’est pas trop exigeant…, que tu appelles aussi les parents ? Tu sais papa n’a pas été doté de patience et il a
du mal avec l’idée de ne pas te voir. Maman comme d’habitude, essaie de le
canaliser et pendant ce temps, elle tait ses sentiments bien qu’elle souffre. Je
n’ai pas hérité de cette habitude qu’elle a de minimiser ce qu’elle ressent
pour mettre en avant le bien-être des autres. Si tu pouvais juste les appeler
pour leur souhaiter une bonne nuit, un de ses quatre, papa pourrait patienter
un peu plus et tu refermerais le gros trou que maman a à la place du cœur
depuis…, bref… je sais que…
— Je le ferai
— Oh merci, un grand
merci T…
— Ne me remercie pas
comme ça, c’est gênant. Et ne dis pas désolée non plus, c’est pire
— Est-ce que je peux
te dire alors que je t’aime ? J’ai souvent
imaginé comment tu serais. Je veux dire, des fois je me disais que c’était un
pur délire, mais tu sais comment c’est l’humain, on aime rêver et je…. J’ai l’impression
d’avoir gagné au loto, malgré notre départ un peu houleux. J’ai l’impression qu’on
n’était finalement pas si cons de continuer à prier et croire, désolée pour le
discours sirupeux et le « désolée » gênant, confessai-je la voix enrouée et le
visage baigné de larmes
— Je ne veux pas
être gauche, est-ce qu’un « j’ai été
content de te parler », est
suffisant ?
— Oui, reniflai-je
bien que ça soit un mensonge. Si c’est tout ce qu’il a à offrir pour le moment,
je vais m’en contenter. C’est nettement mieux que de vivre sous la torture des
années précédentes. Nous nous séparons sur cette phrase et vu que le soleil n’est
pas encore debout, je vais m’occuper l’esprit pour ne pas flancher et retourner
à mes habitudes… sales.
***Tao Adamou***
Faire une virée nocturne
entre hommes à mon âge n’était pas judicieux, mais c’était l’unique option pour
sortir de ce froid sibérien qui règne dans ma maison. Ma femme dit agir par bon
sens mais qu’est-ce que j’en ai à foutre de ce bon sens quand il me prive de
mon fils ? Elle s’est permis de mettre
fin aux services du détective que j’avais demandé à Parker d’engager pour me
retrouver mon Laith. Et elle dit l’avoir fait parce qu’on n’a pas le droit d’entrer
dans sa vie, sans qu’il fasse le premier pas vers nous.
J’aimerais qu’on m’explique
le pourquoi je dois considérer les droits de quelqu’un quand personne n’a pensé
aux nôtres des années plus tôt. Magnim a essayé de rétablir la communication
entre nous mais j’étais trop furieux pour écouter Farida. Je lis et relis ce message
que m’a envoyé Laith, et l’unique envie qui me vient c’est de lancer mon téléphone
contre le mur. Il prendra contact avec nous quand il sera prêt. Quand… parce que
je dois faire la courbette maintenant. Supplier pour que mon propre enfant m’accepte.
Le plus énervant c’est que j’ai son numéro. Je peux techniquement l’appeler
mais comme un con, j’ai peur d’être rejeté et j’espérais que le détective
pourrait me renseigner sur sa vie, sans que je sois confronté à un possible
refus. Mon cœur ne pourrait le supporter.
La maison est couchée. Je
suis assis dans le noir, caressant le médaillon qui porte le nom de mes trois
enfants. Je reste dans cette position jusqu’au matin, sans avoir fermé les yeux.
J’ai même manqué la prière matinale. Je n’avais aucune volonté de me lever. C’est
Asad qui vient par ses questions me pousser à me bouger. Des petites vibrations
sur ma cuisse me stoppent quand je me rendais à la salle de bain. Je sors mon portable
de ma poche et le laisse tomber en voyant le numéro sur l’écran.
— Qu’est-ce qui se
passe ? me questionne Farida
— C’est… c’est Laith
qui appelle
— Q…uoi ? Tu l’as appelé ? me demande-t-elle fébrilement
— N… onn
— T.. Ta..o, décro… che
s’il te plaît
Je m’abaisse comme une tortue
se déplaçant dans le sable et réponds de la même manière.
— Euh… allô, il y’a
quelqu’un ? dit-il de sa voix riche et rauque
— Je… suis là… mon
gar..çon
— Euh… bon..Bonjour,
vous allez..bien ?
— Je… mervei.. merveilleusement
bien, dis-je tout en m’efforçant de garder une voix normale
— Je voulais.., en
fait vous… sal… uer, et umm.. prendre de vos nouvelles
— Je.. ahem… on fait
aller. Tu peux me tutoyer si tu le souhaites bien sûr
— OK, dit-il puis
une pause inconfortable qui me chagrine s’installe. N’a-t-on réellement rien à
se dire ? Tu fais quoi au.. jourd’hui ? tentai-je
— Je vais travailler
comme d’habitude
— Ah et tu travailles
dans quel domaine ?
— J’ai étudié en biotech
et je bosse dans une boîte qui fait de la fabrication de boissons alcooliques
— Je suis fier de
toi. J’espère que tu aimes ce que tu fais
— Pour le moment,
mais j’aimerais éventuellement intégrer l’industrie pharmaceutique juste que je
n’ai pas encore la motivation pour reprendre les études
— Tu as une idée de
pourquoi la motivation te fait défaut ?
— Je me suis habitué
à bosser et gagner de l’argent donc je me vois mal quitter ça pour un retour
aux études
— Tu pourrais passer
à temps partiel au travail et simultanément reprendre tes études ? C’est un compromis faisable ? Enfin je pense, dis-je devant l’air inquiet de
Farida qui je suppose essayait de me dire de ne pas trop m’avancer
— J’ai une fille
dont je dois m’occuper donc la réduction salariale n’est pas top pour l’heure
— Oh ce n’est pas un
problème. Nous avons un hérit..
— Je ne veux rien de
vous monsieur, réplique-t-il sans tarder. La phrase tombe comme un couperet sur
mon cœur et le saigne dans tous les sens
— OK, je lui réponds,
la gorge trop serrée pour rajouter autre chose
— Ce n’est pas que
je veux vous offusquer monsieur, mais je ne vous ai pas donné cette information
pour que vous essayiez de me sauver
— Je comprends, dis-je
par principe, pardonne ma présomption, je t’ai écouté et automatiquement j’ai
voulu t’aider
— Je comprends et j’apprécie.
J’aurais eu la même réaction si ma fille m’avait mentionné un problème. Je… umm…
est-ce que votre femme est disponible ? Je voulais
juste lui dire bonjour
Je donne l’appareil à
Farida qui le prend les mains tremblantes et le porte à son oreille.
***Farida ADAMOU***
Entendre sa voix est
comme un baume appliqué sur ma plaie. Je pensais m’être préparée à rester
sereine mais tout mon entraînement s’effondre dès qu’il me dit bonjour. Les larmes
roulent silencieusement pendant que je lui réponds et porte simultanément une
main sur la joue de mon Tao pour le réconforter.
— Est-ce que vous
allez bien ? me demande mon fils
— Je vais bien
Thierry. Je suis heureuse de t’entendre
— Moi de même,
dit-il puis un petit flottement s’en suit.
— Si tu n’as rien d’autre
à me dire, nous pouvons raccrocher, je ne t’en voudrai pas
— Vous allez bien c’est
sûr hein ?
— Oui ne t’en fais
pas pour moi, je suis une grande femme
— D’accord, je vais
donc me préparer pour ma journée. Umm prenez-soin de vous dans ce cas, et
bonjour à Asad
— Merci, à très bientôt,
dis-je avant de couper
Tao nettoie la dernière larme
qui roule sur ma joue et m’embrasse tendrement sur les lèvres avant de me
serrer contre lui
— C’est l’amour
divin qui a permis à nos chemins de se recroiser chéri. Crois en cet amour divin
qui existe encore. Il nous le ramènera, quel que soit le temps que ça prendra. Je
sais que c’est dur et ça te paraît injuste mais restons patients et soudés, je
t’en prie
— Je t’aime tellement,
il me dit après avoir hoché la tête
Et ce soir là, comme si
je l’avais prédit, nous avons reçu des photos de notre grand garçon. Et en
message, il nous demandait aussi les nôtres si ça ne nous dérangeait pas. Tao lui
en a envoyé une centaine en moins de dix minutes. Mais en plus, il est
actuellement assis sur une chaise tandis que Magnim s’affaire sur sa tête et
Asad cire ses chaussures. Il ne fait que me presser, me demandant d’aller
porter ma plus belle tenue parce que nous devons montrer à Laith que ses
parents ne sont pas n’importe qui. Je ferme les yeux pour quelques minutes et
savoure l’excitation qui transpire des conversations des garçons. Entendre mon
Tao si enthousiaste, j’en ai rêvé mais jamais je n’ai pu me mettre une date sur
ce rêve. Je me lève pour me préparer et marche avec la foi qu’un jour nous
prendrons des portraits de famille, tous les cinq, et plein d’autres avec nos
amis.