CALVAIRE

Ecrit par princesse tia

Par une matinée ensoleillée, aux environs de 9h, Véronique remit pied dans son pays, après quasiment 4ans d'absence. Elle aurait voulu rentrer dans des conditions plus heureuses afin de savourer cette joie de revenir chez soi. Elle l'avait rêvé plusieurs fois ce retour, cependant la réalité était toute autre. Elle était épuisée par le long voyage en bus, elle n'avait pas pu fermer l'oeil parce que Joseph était plus que déchaîné que jamais. Dans le bus il avait maintes fois essayé de se lever et de sortir par les fenêtres, il avait également essayé quelques fois d'agresser des passagers. À tout cela s'ajoutait son inquiétude de savoir comment allaient ses bébés et surtout quel compte elle irait rendre à la famille de Joseph. 

_S'il te plaît ma sœur tu veux bien garder un œil sur mon mari et nos bagages? Je vais chercher un taxi pour nous emmener au village, demanda gentiment Véro à une dame qui avait fait le voyage avec eux. 

_Oui bien sûr tu peux y aller, répondit la dame.

Comme tout le monde dans le bus, elle avait compris que le mari en question était mentalement dérangé et Véronique lui faisait pitié, elle avait l'air épuisée et semblait constamment au bord des larmes. 

Cinq minutes plus tard Véro était de retour avec le taxi qui devait les conduire de Lomé jusqu'au village natal de Joseph. Elle avait jugé bon d'aller le rendre à sa famille avant de continuer jusqu'à son propre village et prévenir sa grand mère de ce qui était arrivé et de son retour. 

_Viens Jo, fit doucement Véro en essayant de faire rentrer Joseph dans la voiture, après que le chauffeur ait rangé leurs bagages dans le coffre. 

_Non, je veux partir, lâches moi, on doit partir, criait Joseph en essayant de la mordre. 

_Oui viens nous sommes entrain de partir, répliqua Véronique qui commençait à perdre patience. 

Après quelques minutes de résistance, il accepta enfin de rentrer dans la voiture. 

_Au revoir ma sœur et merci, dit Véro à la dame qui avait surveillé Joseph pour elle, au moment de rentrer à son tour dans le taxi. 

_Je t'en prie ma chérie. Au revoir et bon courage. 

Elle ne croyait pas si bien dire. Du courage, elle en aura vraiment besoin pour affronter la famille BOUSSOUNOU. À chaque kilomètre qui les rapprochait du village, l'humiliation et les paroles cruelles qu'elle avait essuyé, la dernière fois qu'elle avait mit pieds dans cet endroit, lui revenaient en tête et son stress n'arrêtait pas de s'intensifier. 

Au bout de 45min, le taxi les déposa devant la concession des BOUSSOUNOU. Le chauffeur sortit les bagages du coffre et Véro régla la course, non sans avoir aidé Joseph à sortir de la voiture. 

Comme à l'accoutumée dans ce village, quelques badauds avaient commencé à s'approcher pour voir qui était venu chez les BOUSSOUNOU. Maman Jo qui pilait du fonio dans la cour, arrêta sa besogne pour s'approcher des arrivants. 

_Heeeeeee mon fils ooooh mon fils est rentré, s'écria t elle toute joyeuse lorsqu'elle reconnu son fils. 

Elle courut vers lui pour le prendre dans ses bras en ignorant royalement Véronique. Cependant à sa grande surprise, Joseph la repoussa violemment en criant :

_Lâches moi, lâches moi. 

Et il courut se mettre derrière Véro.

_Eh! Ne la laisses pas me toucher, ne la laisses pas faire. Elle veut m'empêcher de partir.

Maman Jo ouvrit grand les yeux.

_Mais Jo qu'est ce qui se passe ? Qu'est ce que t'arrive? Demanda t elle en essayant à nouveau d'approcher son fils qui la fuyait de plus belle.

_Joseph, chéri c'est ta maman, c'est maman Jo, tu te souviens ta maman, lui rappela calmement Véronique.

_Maman, maman, répéta t il comme un enfant à qui on venait d'apprendre un nouveau mot. Pendant une fraction de secondes il sembla la reconnaître puis brusquement se remit à chuchoter à Véronique :

_Non, elle est parmi eux, elle veut voler mon passeport, elle ne veut pas que je parte mais je partirai, nous devons partir. 

_Oui oui chéri nous allons partir, lui dit Véronique d'une voix lasse. 

Elle avait l'impression qu'elle ne disait que ça ces derniers jours. Maman Jo se tourna vers elle et lui demanda, hostile :

_Hey toi, je peux savoir ce que tout ceci signifie? Qu'est ce qu'il a mon fils ? 

_Bonjour maman, il a juste un petit problème. S'il vous plaît rentrons dans la cour pour en parler, nous ne pouvons pas en discuter dehors ainsi. 

_Petit problème tu dis ? Mon fils ne me reconnait plus, moi sa mère qui l'ai porté dans mon ventre, qui l'ai élevé, il ne me reconnait plus et tu parles de petit problème ? Tu te fous de moi ? 

Elle parlait en faisant de grands gestes. Après avoir dit cela elle retourna dans la cour laissant Véro se débrouiller toute seule avec les bagages et Joseph qui parlait tout seul de gens qui étaient venus le chercher mais qu'il ne laisserait pas faire. Péniblement, Véro fit rentrer les bagages et s'assit, Joseph à ses côtés, sur un banc qu'elle avait trouvé dans la cour.

Maman Jo était rentrée dans l'une des pièces de la concession en criant avec des pleurs :

_Amivi, Ami, ma fille sors ooooh ! Elle est allé ensorcelé ton mari ooooh!

L'interpellée sortît de la chambre. Tout comme Véro, elle avait mûrit physiquement, ses quatre années la faisaient paraître plus femme. Elle avait également prit du poids et son postérieur avait prit des proportions étonnantes. 

_Jo, mon chéri, mon homme. Eh! Tu es rentré, s'écria t elle en s'approchant de Joseph. 

Ce dernier se baissa, prit une poignée de sable par terre et la lui balança à la figure. 

_Aaaaaah! Dieu mes yeux, maman aides moi s'il te plaît, je n'y vois plus rien, criait Amivi qui avait les yeux pleins de sables. 

Joseph s'apprêtait à lui en lancer une autre poignée lorsque Véro l'arrêta. 

_Arrêtes Joseph, arrêtes. 

Elle dû se débattre avec lui pour le faire laisser tomber le sable qu'il tenait fermement dans la main. 

Pendant ce temps maman Jo avait puisé une calebasse d'eau et aidait Amivi à se laver le sable qu'elle avait sur le visage et dans les yeux. Après quoi elle lui demanda :

_Où est Julie ? 

_Elle doit traîner dans une des concessions voisines.

_Vas la chercher et envoies la quérir son grand père au champ, qu'elle lui dise que c'est très grave et qu'il faut qu'il rentre immédiatement. 

_D'accord maman j'ai compris, acquiesca Amivi en sortant pour aller chercher Julie. 

Cinq minutes plus tard elle était de retour et tournait en rond dans la cour avec maman Jo. Cette dernière qui n'arrêtait pas de crier et de pleurer. 

_Eh! Joseph, Joseph mon fils ooooh eh! Huuuum ! 

_Maman calmes toi, calmes toi s'il te plaît.

_Ami mais comment je peux me calmer ? Dis moi ma fille comment je peux me calmer ? As tu vu dans quel état elle a mit mon fils cette sorcière? Tu as vu ce en quoi elle a transformé mon fils? 

_Elle ne s'en sortira pas comme ça maman rassures toi. 

Elles étaient là lorsque Julie arriva en courant.  Véronique fut étonnée de voir comme Angela lui ressemblait, on aurait dit des jumelles, d'autant plus qu'elles avaient seulement six mois de différence d'âge toutes les deux. 

_Maman, j'ai appelé grand papa il est en route il arrive, dit elle à sa mère.

Elle s'apprêtait à repartir jouer lorsque sa maman la rappela.

_Reviens ici Julie, viens saluer ton papa, lui dit elle en la poussant doucement par l'épaule.

Timidement la petite fille s'avança vers cet homme dont elle ne se rappelait pas. Lorsqu'elle lui dit bonjour, Joseph l'observa longuement puis s'écria :

_Angela, petite Angela.

Il sourit joyeusement. 

_Maman, pourquoi il m'appele Angela ? Demanda Julie à sa mère.

_Huuum! Tu ne peux pas comprendre ma fille, retournes jouer avec tes copines, répondit Amivi.

Comme l'avait annoncé Julie, le père BOUSSOUNOU arriva dans la cour, tout essoufflé par la marche rapide qu'il avait effectué depuis le champ. Il tomba sur Joseph assis à même le sol, qui se débattait encore une fois avec Véronique parce qu'elle voulait l'empêcher d'ôter ses vêtements. 

_Que se passe t il ici ? Demanda t il de sa voix bourrue. Maman Jo, pourquoi m'as tu fais venir ? Joseph tu fais quoi par terre ainsi? Mais enfin il se passe quoi ici?

_Papa Jo huuuum ! Notre fils est rentré fou, voilà ce qui se passe. Regardes le, est ce comme cela que ton fils était quand il partait ? Voilà la personne qui l'a ramené, je crois qu'elle nous doit des explications. 

Le vieux monsieur resta figé les mains sur les hanches à regarder son fils se rouler au sol en riant et parlant tout seul.  Véronique lasse de se débattre avec lui, le laissait faire.

_Huuum! Il faut une réunion pour discuter de tout ceci, je veux savoir ce qui est arrivé à mon enfant.

Là dessus, il envoya de jeunes gens dire aux oncles paternels et maternels de Joseph, qu'une réunion urgente se tiendrait dans sa cour, l'après midi et qu'il fallait qu'ils rentrent des champs, plus tôt qu'à l'accoutumée. Après quoi, ces mêmes jeunes gens, l'aiderent à attraper son fils, et le firent rentrer dans une chambre où ils l'enfermèrent parce qu'il essayait de fuir la cour. Ce ne fut pas du tout facile. Il se débattit farouchement et essaya même de mordre certains d'entre eux. Véronique resta toute seule sur le banc, épuisée. Ayant retenu sa première leçon dans cette cour, elle avait acheté quelques aliments à grignoter en route et n'avait pas oublié l'eau non plus. Cela lui fut salutaire car personne ne daigna lui proposer ni de l'eau, ni aucune nourriture.

Elle s'était assoupie sur le banc lorsqu'aux environs de 16h, Amivi vient la réveiller. 

_Eeh toi là, réveilles toi vite. Viens répondre de tes actes. Tu te reposes tranquillement, tu crois que les sorcières ont droit au repos ? 

Véronique se redressa en soupirant. Elle se frotta les yeux et vit qu'une foule avait rempli la cour des BOUSSOUNOU. Il y'avait les familles maternelles et paternelles de Joseph, quelques parents d'Amivi et d'autres amis de la famille qui étaient assis en cercle au milieu de la cour. À eux seuls ils formaient une vingtaine d'individus.  Cependant ce n'était rien comparé à la foule de spectateurs qui étaient attroupée un peu plus loin. On eût dit que tout le village s'était donné rendez vous chez les BOUSSOUNOU. Certains même étaient venus de chez eux avec des tabourets pour profiter du spectacle encore plus confortablement.

Véronique suivit Amivi en traversant la foule qui murmurait à son passage et alla s'asseoir sur un le tabouret qui lui avait été réservé au milieu du cercle, face au banc sur lequel étaient assis Amivi et les parents de Joseph. Cet dernier quand à lui n'était visible nulle part.  Véronique avait l'impression d'être à un procès. Elle scruta l'assemblée mais tous les visages lui étaient étrangers exceptés ceux de Amivi et des parents de Jo. Tous les yeux étaient fixés sur elle et elle tremblait presque. 

_Bien, maintenant que tout le monde est là, nous pouvons commencer, dit un vieux monsieur aux cheveux blancs. 

Se tournant vers papa Jo il continua :

_Logossou mon frère, tu nous as tous réunis ici en urgence pour soit disant régler un problème très grave, vrai?

_Vrai, Fofo (grand frère en Ewe), répondit l'intéressé. 

_Bien. Cependant, avant de régler un problème, il faut déjà savoir de quel problème il s'agit alors je te prierai de bien vouloir nous exposer le problème pour lequel tu nous as fait appel. 

_Merci Fofo. Huuuum ! Si je vous ai fait appel aujourd'hui c'est parce que mon cœur est chaud, mon cœur brûle de douleur, dit papa Jo. 

Et à son épouse de renchérir :

_Huuum! Une grande douleur, eh ! Huuuum ! 

_Vous étiez tous là lorsque mon fils Joseph, votre fils à vous aussi, partait à Bidjan là bas, continua papa Jo. 

_Papa c'est Abidjan, corrigea doucement Amivi. 

_Ah! D'accord, Abidjan. Il était allé faire une formation pendant un an, ensuite on lui a proposé un poste là bas et il est revenu passer un peu de temps avec nous, avant de repartir travailler. 

À ces mots, le cœur de Véronique semblat se décrocher de sa poitrine. Elle comprit alors que Joseph avait eut le poste dans la clinique bien avant de revenir la chercher avec les enfants. Son départ avec lui avait donc été un coup bien planifié. Encore une fois, une énième fois, elle venait de découvrir que Joseph lui avait menti sur toute la ligne. N'y tenant plus, elle se mit à pleurer silencieusement, la tête baissée. 

Papa Jo continuait.

_Nous étions tous contents et c'était programmé qu'il fasse partir sa femme Amivi et leur fille Julie, peu de temps après mais cela n'arriva jamais et aujourd'hui je comprends pourquoi. Cette fille que voici, que nous ne connaissons de nulle part, se trouvait être là bas avec lui. Et aujourd'hui, elle me ramène mon fils, totalement détruit mentalement, mon fils est devenu fou, vous l'avez constaté à votre arrivée, je vous l'ai montré. Je voudrais bien qu'elle m'explique ce qu'elle a fait à mon fils et le plus important qu'elle lui rende sa santé mentale. 

_Qu'elle la lui rende ooooh ! Je veux mon fils comme il était avant de partir, pleura maman Jo.

_J'en ai fini Fofo, termina papa Jo. 

Son grand frère reprit la parole. 

_Mon frère nous t'avons tous écouté, calmes toi nous allons trouver une solution à tout ceci. 

Se tournant vers Véro il ajouta. 

_Jeune fille, nous t'écoutons maintenant. Nous ne te connaissons pas. C'est toi qui nous a ramené notre enfant dans l'état où il est. Il n'est pas parti dans cet état là, qu'est ce qui s'est passé ? Nous voulons savoir. 

Véronique garda le silence pendant une dizaine de minutes puis dit enfin :

_Merci papa. Je m'appelle Véronique, je suis la femme de Joseph. Nous avons deux enfants ensemble. Angela, qui a 7ans maintenant et Luc qui aura bientôt 5ans. Je suis native du village voisin, à une heure de route d'ici. Joseph était venu  nous chercher les enfants et moi, après sa formation. En ce moment je ne savais pas encore qu'il avait eu un poste là bas. Je viens même de le découvrir.

_Huuuuum! Menteuse, cria Amivi. 

_Je ne le savais pas. Ce n'est qu'après de longs mois qu'il me l'a annoncé. J'ai voulu rentrer après ça mais il a menacé de me prendre les enfants alors je suis restée. 

_Et c'est pour ça que tu l'as rendu fou? Pour pouvoir rentrer ? Demanda un oncle maternel de Joseph. 

_Je n'ai pas rendu Joseph fou. Je ne sais même pas ce qu'il a. Il a juste commencé à se comporter bizzaremment depuis quelques mois et il ya quelques jours, c'était devenu pire. C'est pourquoi je l'ai ramené très vite, pour qu'on trouve une solution. 

_C'est elle qui l'a rendu fou hein! Je l'ai vue dans mes rêves il y deux mois, je l'ai vue entrain d'attacher l'âme de Joseph dans une calebasse. J'ai fait le même rêve plusieurs fois, s'écria Amivi en se levant. 

_Tu es sûre de ce que tu avances là Ami? Demanda l'oncle de Jo qui présidait la séance. 

_Très sûre papa, je le jure, affirma Amivi. 

Véronique pleura de plus belle.

_Mais je n'ai rien fait, je vous le jure. Je n'ai absolument rien fait à Joseph, je vous......

_Tais toi sorcière, si tu n'avais rien fait, Amivi n'aurait pas rêvé de ça, l'arrêta maman Jo. 

L'oncle leur demanda de se calmer et s'adressa à Véronique en ces termes:

_Tu dis que tu n'as rien fait à notre fils mais comment pouvons nous te croire ? Quand tu partais avec lui jusqu'au loin là bas, est ce que sa famille était au courant ? Est ce que nous t'avions même reconnue comme sa femme ? Tu as passé quatre années pratiquement là bas avec lui et maintenant tu nous le ramène fou et tu veux nous faire croire que c'est arrivé juste comme ça ? Non mais c'est trop facile ça. Tu vas nous rendre la santé mentale de notre fils. 

Se tournant vers papa Jo, il ajouta :

_Logossou, nous allons confier Jo à notre couvent du fétiche DJIKÉZO, cette fille va rester avec lui et faire toutes les cérémonies avec lui jusqu'à ce qu'il guérisse. Voilà ce que moi je te propose. 

Un murmure traversa la foule et Véronique cru qu'elle allait arrêter de respirer. Depuis son village, lorsqu'elle était enfant, elle avait eu des échos de ce terrible couvent de DJIKÉZO. C'était le couvent de la terreur et on y faisait des cérémonies horribles à ce qu'il paraît. 

_Non pas ça je vous en prie, pas ça, supplia t elle en se mettant à genoux. 

_Tais toi, tu n'as que ce que tu mérites, lui dit Amivi plus cruelle que jamais. 

Les parents de Joseph se concertèrent pendant quelques minutes et papa Jo dit :

_D'accord Fofo, je suis d'accord avec toi. Je suis sûre que notre grand fétiche DJIKÉZO est le seul qui pourra nous résoudre ce problème. 

_Bien. Ce soir nous enverrons un messager au grand féticheur pour l'informer de notre arrivée et demain matin très tôt nous irons les accompagner là bas. J'en ai fini. Quelqu'un a t'il quelque chose à ajouter ?

_Je vous en supplie laissez moi au moins aller avertir ma famille et revenir suivre Joseph où vous voulez, suppliait Véro toujours à genoux. 

Mais tout le monde fit la sourde oreille à ses supplications.

_Personne n'a rien à ajouter ? La séance est donc levée, clôtura l'oncle de Joseph. 

Les spectateurs se dispersent par petit groupe en causant entre eux. Les oncles de Joseph se rassemblèrent dans un coin avec son père pour parler, Dieu seul savait de quoi. À un moment, l'un d'entre eux ordonna à Amivi de conduire Véro dans la pièce où était enfermé Joseph et de veiller à ce qu'elle y reste. 

_Lèves toi et vient, lui dit Amivi d'une voix méchante. 

Véronique n'eut d'autre choix que de se lever.

_Laisses moi prendre mes affaires, dit elle en allant prendre ses sacs sous l'arbre où elle les avait laissé depuis le matin. 

Arrivées dans la pièce, Joseph qui était assis à parler tout seul sur le lit, se mit à rire aux éclats et à applaudir à la vue de Véro.

_Véro tu es là, on va partir, lui dit il. 

_Huuuum! Tu ne crois pas si bien dire toi, murmura celle ci. 

Le mensonge de Joseph qu'elle avait découvert au cours de la réunion lui faisait toujours très mal et elle était en colère contre lui. Elle le rendait responsable du pétrin dans lequel elle se trouvait. Mais le pire c'est qu'elle ne pouvait même pas lui faire grand chose, vu l'état dans lequel il se trouvait. Elle aurait aimé qu'il soit lucide pour déverser sur lui toute la rage qu'elle ressentait en ce moment. 

Au moment de partir, Amivi dit à Véro, avec l'air le plus méchant qu'elle ait jamais vu :

_Si je ne te haïssais pas autant, tu me ferais pitié Véronique. Tu sais c'est moi qui ai fait tout ça. 

Véro cru ne pas avoir bien entendu.

_Hein?

_Oui oui moi. Ça m'a fait énormément mal lorsque j'ai appris que toi et tes enfants étiez partis avec lui. C'était ma place là bas. La mienne et celle de Julie. J'ai eu très mal. Pendant toutes ces années j'ai attendu qu'il rentre pour je vous enlève de son esprit mais il n'est plus jamais revenu. J'ai essayé de le faire depuis ici, mais mon féticheur m'a dit qu'il fallait sa présence alors il fallait que je l'oblige à rentrer et voilà j'ai atteint mon objectif.

Véro se demanda si elle ne rêvait pas.

_Quoi? Ami c'est toi qui l'a mis dans cet état ? J'ai bien compris ? 

_Oui c'est moi et crois moi dès qu'il sera guéri je m'assurerai qu'il ne se souvienne plus jamais, ni de toi ni de tes saletés de gosses, annonça t elle avec un éclat de rire de psychopathe en sortant de la pièce. 

Véronique s'assit à côté de Joseph sur le lit et se prit la tête entre les mains. Dans quoi s'était elle donc fourrée ? Comment allait se finir toute cette histoire ? 

Pendant un moment elle pensa à ses enfants et se félicita de les avoir laissé à l'abri loin de tout ceci. Sinon Dieu seul savait ce que ces gens sans cœur leur auraient fait subir. 

On la laissa dans cette pièce toute la nuit avec Joseph. Amivi leur apporta à manger et à boire à un moment mais Véronique ne pouvait rien avaler. Elle essaya d'utiliser le téléphone de Joseph pour joindre Koudjo afin qu'il informe sa grand mère de la situation, avant de se rendre compte que la carte sim était toujours celle de la Côte d'Ivoire et qu'elle ne pouvait l'utiliser au Togo. Elle ne pût fermer l'oeil de la nuit et pleura toutes les larmes de son corps devant cette injustice de la vie. Cependant au petit matin, épuisée, elle finit par se résigner à son sort.

À 4h, Amivi vint toquer à leur porte pour lui annoncer que c'était l'heure de partir. Elle la laissa sortir pour faire sa toilette et ensuite la laissa se préparer. 

_Je reviens dans cinq minutes, dépêches toi et ne prends rien comme bagages surtout. 

_Mais je.....

_Il n'ya pas de mais qui tienne, tu n'auras pas besoin de bagages là bas. 

Véro se prépara donc comme on le lui avait demandé et au moment de finir, elle eut l'idée de prendre tout l'argent qu'elle avait dans son sac et le cacha dans la  poche avant zippée du mini short qu'elle portait sous sa robe. 

_On ne sait jamais, se dit elle intérieurement. 

_C'est bon? Demanda Amivi en rentrant au même moment. 

Véro hocha la tête sortit avec Joseph, qui était plutôt calme ce matin là. Amivi les conduisit jusqu'à la cour où se tenaient huit  oncles de Joseph et ses parents. Maman Jo pleurait silencieusement tandis que son époux avait un air lugubre. 

_Bien, on se met en route, décréta le plus vieux des hommes, sombrement. 

Ils se mirent donc en file indienne, Véro et Joseph au milieu et prirent la route du couvent, laissant Amivi consolant maman Jo, effondrée.

Le couvent du redoutable fétiche DJIKÉZO se trouvait dans une vaste et sombre forêt à l'orée du village. Le petit cortège mit environ 45 minutes à pieds avant d'y arriver. Lorsqu'ils arrivèrent devant le couvent, Véro frissonna devant la gigantesque statue représentative du fétiche qui trônait à l'entrée. La statue était recouverte de sang, d'huile de palme et de farine de maïs, signe que les rituels ne manquaient pas en ce lieu. Les oncles de Joseph ordonnèrent à Véro d'ôter ses sandales avant d'entrer et ils firent de même. 

_Agoooo(Excusez en Ewe), fit le vieil oncle de Jo lorsqu'ils pénétrèrent dans la cour. 

_Seigneur Jésus, pensa tout haut Véronique devant le spectacle qui s'offrait à ses yeux. 

Des statues de diverses tailles pullulaient dans la large cour du couvent. Plusieurs femmes et quelques jeunes au visage sombres et renfermés deambulaient, drapées de pagnes blancs immaculés. Tout dans l'endroit, semblait triste et froid. Le pire c'était cette odeur persistante de pourriture que sentait Véronique sans savoir d'où elle provenait. Cela lui donnait la nausée, ce lieu lui donnait la nausée. 

_Seigneur Dieu aides moi s'il te plaît, pria t elle silencieusement.

 grand féticheur accueillit personnellement les arrivants et après avoir exposé ce qui les avait amenés jusqu'à lui, les oncles et le père de Joseph partirent en laissant Véro et Joseph au couvent. Celle ci ne savait pas combien de temps ils allaient y passer et cela l'inquiétait. Le féticheur avait ordonné à l'une des femmes du couvent de les installer . La dame les conduisit jusqu'à l'arrière cour où étaient alignées une vingtaine de cases. Plusieurs personnes s'y trouvaient. 


_Qui sont tous ces gens ? Demanda Véro à la dénommée Houéssi, qui était chargée de les installer. 


_Des malades et leurs accompagnants. Certains physiquement, d'autres mentalement. Ils sont ici pour être guéris, répondit la dame, d'un ton indifférent. 


C'était une femme d'âge mûr, elle devait avoir la cinquantaine. À la voir on devinait qu'elle avait été sûrement très belle dans sa prime jeunesse et que si elle prenait plus soin d'elle, elle serait encore belle à cet âge. Elle affichait une indifférence permanente. On eût dit qu'elle était enfermée dans son propre monde et que tout ce qui se passait à l'extérieur ne la touchait aucunement. 


_Vous vivrez ici, tout le temps que vous serez ici. Vous n'avez pas le droit de sortir de la case le matin avant qu'on ne vienne vous le dire et au cours de la journée dès qu'on vous ordonne d'y retourner, vous devez obtempérer, peu importe l'heure qu'il est. Et que ce soit clair, ici tu es responsable des actes de ton homme, dit elle à Véro en les faisant entrer dans l'une des cases. 


La case comportait uniquement une natte. 


Après les avoir installé Houéssi s'en alla et Véronique ne la vit plus de toute la journée. Une jeune fille se chargea de leur apporter de la nourriture le soir. 


Le lendemain matin à l'aube, Houéssi vint réveiller Véro et l'amena sans un mot derrière la case. Là se trouvaient deux vieilles femmes toutes ridées dont l'une tenait une grande calebasse contenant un liquide légèrement sombre. Leurs airs firent frissonner Véro. Elle ne su pourquoi mais elles lui firent penser à des sorcières. Sans un mot elles lui ôterèrent ses vêtements. Véro voulu résister mais la tape sèche et douloureuse que lui donna l'une des vieilles dans le dos, l'en dissuada. Contrairement à Houéssi, ces dames avaient l'air vraiment sévère, voir méchant. Elles lavèrent Véronique et lui donnèrent après, un pagne rouge immaculé à porter, avant de la conduire dans une case sombre où les attendait le grand féticheur. 


Les 3 trois dames firent agenouiller Véro devant lui et se mirent elles mêmes dans un coin, la tête basse. 


_Jeune femme, puisque tu es la cause de ce qui arrive à ton homme, tu vas faire ta pénitence dans ce couvent, jusqu'à ce qu'il soit rétabli et qu'il retrouve sa santé mentale. Je vais faire appel à toute ma science et aux dieux pour le guérir mais toi pendant ce temps, tu vas faire pénitence pour calmer les dieux. Oui parce qu'ils sont très en colère pour ce que tu as fait à leurs fils, DJIKÉZO est en colère parce que tu as touché à un de ses fils, débita le féticheur d'une traite, avec une voix froide, glaciale qui faisait presque trembler Véronique. 


_Mais je n'ai rien fait à Joseph, je ne suis pas celle qui l'a rendu comme cela, croyez moi je vous en supplie. 


_Tais toi. Amivi t'a vue en rêve et je ne sais pas si tu le sais, Amivi est jumelle. Son second est décédé lorsqu'ils avaient 8ans. On ne blague pas avec les rêves de jumeaux, encore moins ceux dont les seconds ne sont plus. Alors si Amivi t'a vu en rêve c'est que c'est vrai. 


Au ton de sa voix, Véronique comprit que quoi qu'elle dise, on ne la croira jamais. 


_Fais juste tout ce qu'on te dira de faire ici. Plus tu seras docile et coopérante, plus vite il guérira et vous vous en irez. Et si tu essaies de t'enfuir, tu deviendras folle pour le restant de tes jours, menaça le féticheur. 


Ensuite il ordonna à Houéssi et ses compagnes de l'emmener. 


Véro se demanda intérieurement où donc allaient elle l'emmener encore. Elle fut bien vite fixée. 


On l'emmena devant un énorme tas d'ordures, qui se trouvait dans une partie du couvent. Elle comprit aussitôt que c'est de là que provenait l'odeur de pourriture qui l'avait frappée dès leur arrivée dans ce lieu. Cependant cette odeur n'était rien comparée à celle qu'elle sentait actuellement. Elle avait envie de vomir. 


_Assieds toi là, ordonna l'une des vieilles. 


_Quoi? Où ça ? Demanda Véro d'une voix étranglée. 


Les deux vieilles se regardèrent en ricanant, tandis que Houéssi affichait toujours son air indifférent . 


_Assieds toi là j'ai dis, répéta la vieille en la poussant sévèrement sur le tas d'ordures.


Véronique tomba sur son derrière, ne comprenant pas ceki lui arrivait. 


_Tu resteras assise là, jusqu'à ce qu'on revienne te chercher. 


Avant qu'elle ait pu placer un mot, elles s'en étaient déjà allé toutes les trois. 


Véronique resta là, en pleurs. De temps en temps quelques gens habitants du couvent passaient mais personne ne lui adressait la parole et ils se contentaient de jetter leurs ordures ou leurs eaux usées et repartaient. 


À midi, sous le soleil brûlant, n'en pouvant plus elle se mit à prier de douleurs :


_Seigneur sors moi d'ici je t'en supplie, mon Dieu pourquoi moi? Si je t'ai offensé pardonnes moi je t'en supplie mais ne me laisses pas dans cette souffrance s'il te plaît mon Dieu.


Elle resta sur le dépotoir jusque tard dans la nuit. Enfin, le féticheur vint faire tuer une poule dont il lui versa le sang dessus, en prononçant de longues incantations. Après son départ, Houéssi vient l'amener dans la case qu'elle partageait avec Joseph. Véronique ne tenait pratiquement plus sur ses pieds, elle était épuisée et affamée. 


_Je voudrais me doucher, demanda t_elle d'une voix faible à Houéssi. 


_Tu le fera dans quelques heures, là tu n'as pas le droit, répondit celle ci calmement. 


_Je vous en supplie, je ne pourrai pas dormir dans cet état, implora t elle. 


Elle se sentait tellement sale avec l'odeur du dépotoir collé à elle, la sueur et le sang de ce poulet.


_Je vous en supplie, je veux juste verser un peu d'eau sur moi, je vous en supplie. 


Son regard était tellement implorant et pendant une fraction de secondes elle cru voir quelque chose dans les yeux de Houéssi qui ressemblait à de la pitié mais celle ci détourna très vite le regard et retrouva son air indifférent d'habitude. 


_Je ne peux pas te le permettre. Toute la cérémonie reviendrait à zéro, trancha t elle. 


Arrivée dans la case, Véro demanda :


_Puis je avoir au moins un peu d'eau à boire ? Juste quelques gorgées. 


_D'accord. 


Houéssi s'en alla et revient quelques minutes plus tard avec une calebasse d'eau que Véro bu d'une traite. Elle n'avait rien bu, ni mangé de toute la journée et cette eau la revigora un peu. Lorsque Houéssi fut parti, Véro s'assit dans un coin de la case et observa Joseph qui dormait paisiblement. 


_Tu dors pendant que je souffre. Je maudis le jour où je t'ai rencontré Joseph BOUSSOUNOU, oh oui je maudis ce jour, murmura t elle. 



La cérémonie de ce jour se répéta deux fois chaque semaine et à chaque fois Véronique avait l'impression que c'était encore plus horrible que la fois précédente. D'autres rituels faisaient également parti de son quotidien, parmi lesquels, celui de la flagellation. Pendant ce rituel, on l'obligeait à s'agenouiller et les vieilles du couvent la fouettaient avec des feuilles de palmier, pendant que le féticheur, dans une sorte de transe l'aspergeait d'un liquide mystérieux en proférant des incantations. Cependant, le pire calvaire de Véronique était lorsque certaines nuits, Joseph la forçait à coucher avec lui. Elle ne ressentait plus aucun désir pour lui, il la dégoûtait et elle le détestait du plus profond de son cœur. Elle avait essayé plusieurs fois au début de se débattre mais il avait été plus fort et essoufflée elle se laissait finalement faire. Elle ne pouvait pas crier, sachant pertinemment que personne ne viendrait à son secours. Finalement, elle ne se débattait plus, elle le laissait faire ce qu'il voulait. 


Un soir, Houéssi la surprit entrain de pleurer à chaudes larmes derrière les cases, assise à même le sol. 


_Pourquoi pleures tu? Demanda t elle doucement en s'asseyant près d'elle. 


Véronique ne lui connaissait pas cette douce voix là et elle s'étonna un peu. 


_Mes enfants me manquent, je n'ai aucune nouvelle d'eux depuis presqu'un mois maintenant et je souffre ici, je suis accusée injustement et je paie pour un crime que je n'ai pas commis, je suis innocente, répondit Véronique en pleurant de plus belle. 


_Je sais....je le sais que tu es innocente. 


_Ah bon comment ? 


Houéssi sourit amèrement et lui dit :


_Parce que je le sais c'est tout. Ça fait quand même vingt cinq ans que je suis dans ce couvent et je sais maintenant reconnaître les coupables des innocents. 


Véronique cessa de pleurer et ouvrit grand les yeux.


_Bon Dieu, tant d'années que ça? Et vous n'êtes pas devenu folle? Moi chaque jour ici j'ai l'impression que je ne supporterai pas le jour suivant. 


_Ah! Mon enfant, on finit par s'y résigner, on s'enferme dans son monde et on ne se laisse toucher par rien venant de l'extérieur. Bref on fait la morte pour ne pas mourir quoi ! 


Véro oublia immédiatement son chagrin. Cette femme vivait ici depuis tellement d'années et elle n'imaginait pas ce qu'elle avait enduré et endurait encore. 


_Mais dites s'il vous plaît, comment êtes vous arrivé ici? 


Houéssi garda le silence pendant un bon moment et dit:


_Je suis née et ai grandit dans ce village. Mon père est mort avant ma naissance et ma mère est morte quand j'avais douze ans. J'ai été élevée par ma grand mère maternelle qui elle, est morte à mes dix sept ans. À part elle je n'avais aucune famille. J'ai dû apprendre à me débrouiller toute seule. Lorsque j'ai eu dix neuf ans, j'ai retrouvé un ami d'enfance, John. Nous avions grandit ensemble mais contrairement à moi, il avait des parents très riches et ils l'ont envoyé étudier à l'extérieur. Après ses études il a eut un bon travail à Lomé et il revenait souvent voir ses parents. C'est lors d'une de ces visites que nous nous sommes retrouvés. Nous avons commencé à sortir ensemble quelques mois plus tard, il m'aidait beaucoup financièrement et il était vraiment adorable, John c'était l'homme parfait. Il m'a finalement épousée, contre l'avis de ses parents et il m'a emmené avec lui à Lomé. Nous vivions une vie parfaite, à part les moments où ses parents venaient lui rendre visite et me faisait toutes les misères du monde, surtout quand John était au boulot. Nous avons eut des jumelles, Léa et Rachel, un an après le mariage. Elles étaient littéralement les photocopies de John.


Elle marqua une pose et sourit tristement à l'évocation de ses filles avant de continuer. 


_Elles avaient 3ans lorsque leur père a été tué dans un mystérieux accident de voiture. Après sa mort, tout s'est tellement vite passé. Nous sommes revenus ici pour l'enterrement et sa mère a raconté à tout le monde dans le village que j'étais la sorcière qui avait tué son fils. On ne m'a même pas laissé lui dire au revoir une dernière fois. Je n'ai même pas eu le droit d'aller au cimetière et jusqu'aujourd'hui je ne sais pas où mon John a été enterré. Selon sa famille, ils auraient fait une cérémonie avant de l'enterrer et le défunt m'aurait désigné comme sa meurtrière. Ainsi je devais être envoyée ici pour faire mon veuvage pendant trois mois et faire pénitence pour que son âme repose en paix. Huuuum si seulement je savais...... Ce n'est qu'après ces trois, après des rituels que je ne peux pas te raconter qu'on m'a annoncé que le fétiche DJIKÉZO avait décidé que je devais lui être sacrifiée pour expier mon crime et que si je refusais, la conséquence était que mes filles deviendraient des handicapées mentales. Je n'avais pas de choix alors je suis restée ici. On m'a séparé de mes enfants, chaque nuit depuis vingt cinq ans, je revois en rêve leurs pleurs lorsqu'on m'emmenait ici. Leur grand mère a eu leur garde et s'est installée dans notre maison à Lomé. Elles doivent être devenues de superbes jeunes femmes maintenant.........


_Mon Dieu......c'est horrible, murmura Véronique. 


_Huuuum! Soupira profondément Houéssi.


_Mais je ne peux pas les laisser me faire ça à moi, je ne peux pas rester ici indéfiniment. Joseph n'a pas l'air de vouloir guérir et peut être que même s'il guérit ils me laisseront pas partir. Mon Dieu mes enfants, Angela et Luc, mes bébés, pleura Véronique. 


Houéssi lui dit :


_Tu peux essayer de t'enfuir. 


_Mais non, on m'a menacé de folie si j'essayais Houéssi et tu le sais bien. Si je deviens folle, je ne servirai plus à rien pour mes enfants.


_Regardes moi mon enfant, dit sévèrement Houéssi. Ce qui m'est arrivé, je peux empêcher que ça arrive à quelqu'un d'autre. Je sais que tu es innocente. Moi je ne peux pas m'échapper mais toi tu peux essayer. Fais moi confiance, tu ne deviendras pas folle.


_Tu crois? 


_Oui. Il ya un secret que beaucoup ne savent pas et que le peu qui savent ne te diront jamais. Moi je vais te le livrer ce secret, ce sera ta clé de sortie. Tu vois, moi par exemple, je suis native de ce village, cette terre est ma terre, ce fétiche DJIKÉZO est mon fétiche et peu importe que je l'adore ou que j'y crois ou pas, toute malédiction ou bénédiction qu'on proferera sur cette terre et en son nom, m'atteindra forcément, c'est également le cas de mes filles. Nous sommes filles à part entière de cette terre. C'est pourquoi moi je suis pieds et poings liés. Toi par contre , tu n'es pas d'ici, tu n'as aucun lien avec cette terre, avec ce village, si ce n'est que tu as fait des enfants à un fils d'ici. Mais encore, les grands parents des BOUSSOUNOU ne sont pas à part entière originaires d'ici mais ça c'est une autre histoire. Bref tout ce que j'essaie de te dire c'est que cette menace de folie que tu crois peser sur toi n'en est pas une. Mais comme tu ne le sais pas, ils pourront te retenir ici tout le temps qu'ils veulent, parce que tu as peur. Je n'étais pas censée te le dire, mais quand tu as parlé de tes enfants tu m'as rappelé ma propre histoire alors je vais t'aider. 


Véronique n'en revenait pas.


_Mon Dieu, c'est vrai ? Tu peux m'aider à sortir d'ici ? Mais et Joseph, je vais devoir l'abandonner ici? 


_Tu veux sortir d'ici oui ou non? Lui demanda sévèrement Houéssi. 


Joseph est chez lui, dans son village, il a sa famille ici et il n'a rien à craindre. 


_D'accord tu as raison. Mais on fait comment ?


_Laisses moi préparer le plan et je te reviendrai. D'ici là continue d'être docile, fais tout ce qu'on te demande. 


_D'accord, merci beaucoup. 


_Maintenant retournes vite à ta case. 


Véronique se dépêcha d'obtempérer en priant silencieusement :


_Aides moi seigneur, je t'en supplie. Pour mes enfants s'il te plaît seigneur. 


Trois jours plus tard, Houéssi vint la trouver tard dans la nuit alors que tout le monde dormait. 


_Mon enfant, sois prête, demain sera le jour. Une fois par mois, à la pleine lune, le grand féticheur s'éloigne sur le Mont Togan avec les aînées, pour des rituels. 


_Les vieilles harpies tu veux dire, ricana Véro.


_Tais toi et laisses moi parler, la stoppa Houéssi en essayant de garder un visage sévère. Comme je ne suis pas autorisée à aller hors de la forêt sacrée, j'ai la charge de garder le couvent lors de leurs retraites mensuelles. Alors je te ferai sortir, je t'escorterai jusqu'à l'orée de la forêt, de là je te montrerai la route et je te laisserai te débrouiller. Demain c'est la pleine lune, ils partiront au crépuscule. À minuit, lorsque tout le monde sera couché et que la voie sera libre, je viendrai te chercher. Restes à l'écoute c'est clair ?  


_Oui c'est bien clair. Merci. S'il te plaît puis je avoir les vêtements que j'avais en venant ici? 


_Désolée ma fille mais ces trucs ont été brûlés et ce n'est pas le plus important. Je te trouverai de quoi te chausser mais c'est tout ce que je peux faire. Je dois partir maintenant. Je te dis à demain. 


_A demain Houéssi et merci. 


Toute la journée du lendemain, Véronique attendit fébrilement la nuit. Elle avait un peu de peine à abandonner Joseph mais elle se dit qu'il l'avait mérité et seuls ses enfants lui importaient maintenant. 


Comme prévu, Houéssi vint la chercher à minuit. Elle lui avait apporté des sandales et un pagne. Véro mit les sandales, enroula le pagne autour de son cou. 


_C'est bon, tu es prête ? Demanda Houéssi.


_Non attends j'ai quelque chose à faire, répondit Véronique en allant sur la pointe des pieds, chercher l'argent qu'elle avait prit soin de cacher à son arrivée ici. 


_Au revoir Joseph, chuchota t elle en regardant pensivement Joseph qui dormait paisiblement. 


_Allons y ma fille, le temps est compté, la pressa Houéssi. 


Sur la pointe des pieds, elles sortirent du couvent et se retrouvèrent dans la forêt. La lune éclairait leur chemin et elles marchèrent pendant plus d'une demi heure qui sembla une éternité à Véro. Houéssi marchait rapidement, le visage grave et Véro courait presque pour pouvoir être à son niveau. 


_C'est ici que nos chemins se séparent ma fille, je ne peux aller plus loin, dit Houéssi lorsqu'elles arrivèrent enfin à la sortie de la forêt. Lorsque tu seras sortie de la forêt, ne prend pas directement la route de chez toi, tu seras obligée de traverser le village à pieds et quelqu'un pourrait te reconnaître. Retournes donc en arrière comme si tu retournais à Lomé. Tu trouveras sur la route un lieu où des camionneurs chargent les marchandises pour le Nord du pays, ils prennent la route souvent vers 2h du matin, je me suis renseignée. Vas voir l'un d'entre eux, proposes lui de l'argent et demande lui de te déposer dans le village de ta grand mère. Vous repasserez forcément par ici mais tu seras en voiture alors personne ne te verra. Fais tout pour que le jour ne se lève pas sur toi dans ce village sinon tu seras perdue à jamais. Et ne remets plus jamais, tu m'entends, jamais les pieds dans ce village. Si tu peux même, quitte ton propre village, il est trop proche d'ici, et vas refaire ta vie ailleurs avec tes enfants. 


_Tu es sûre que tu ne peux pas venir avec moi? 


_Non ma fille. Ma présence ici garanti la sécurité de mes filles je te l'ai dit. Vas t'en maintenant. 


_J'ai peur Houéssi, dit Véronique au bord des larmes.


Houéssi la serra très fort dans ses bras et lui chuchota à l'oreille :


_Penses très fort à tes enfants, ça te donnera la force. Vas maintenant et bonne chance. 


Véronique ne put retenir ses larmes plus longtemps. 


_Merci Houéssi, merci pour tout. Je sais que tu auras des problèmes pour m'avoir aidé et j'en suis désolée. 


_Ne t'en fais pas pour moi, je vais gérer. Vas t'en.


_Merci beaucoup, je ne t'oublierai jamais, promit elle en s'éloignant.


Elle suivit à la lettre les instructions de Houéssi, le cœur battant la chamade. Et lorsque vers 4h du matin elle vit par la vitre du camion qui la conduisait, le village de sa grand mère qui pointait à l'horizon, elle sut qu'elle était sauvée.

Véronique ou une vie...