CHAPITRE 1
Ecrit par EdnaYamba
17 ans
plus tôt
Antoine
BOUMI
Ce sont les grandes vacances et comme chaque année il y a
le grand tournoi inter-village, cette année ce sera certainement la dernière
fois que j’y participerai, j’ai obtenu mon baccalauréat et direction Libreville
pour poursuivre mes études. Moi qui aie tant rêvé d’une grande carrière dans
l’administration gabonaise et faire comme ces hommes qui chaque fois viennent
nous blaser au village en apportant dans leurs sachets toutes sortes de choses,
nous montrant à chaque fois leur réussite. L’université sera pour moi une
occasion de pouvoir faire un pas vers l’accomplissement de ce rêve. Mais pour
l’heure je veux profiter de ces vacances au village.
Je rejoins les gars sur le terrain de foot où nous nous
entrainons. C’est des gars avec qui nous jouons depuis des années avec quelques
nouvelles recrues, alors que le grand MOMBO nous donne le top pour le début de
la séance d’entrainements, certaines filles du village sont là, à crier . Chaque
village a ses groupies.
Nous nous échauffons quand Ghislain, un pote à moi, me
tape du coude.
-
Regarde Antoine, elle est encore là, à te
regarder !
Je tourne mon regard.
Effectivement elle est là.
Nos regards se croisent.
Elle me salue de la main, souriante.
Mélanie BOMO.
C’est une des plus belles filles du village, sinon la
plus belle. Sa famille est une des plus influentes de ce village, tout le monde
connait leur réputation. Ce sont des hommes influents d’ailleurs, le chef du
conseil départemental, c’est leur oncle, le directeur de l’école publique c’est
encore l’un d’eux. Il semblerait qu’elle ait jeté son dévolu sur moi. Qu’est-ce
qu’une fille comme elle peut bien trouver à un gars comme moi ? Je me pose
la question depuis qu’elle a fait de Ghislain son émissaire.
Mais si je la trouve belle, et qu’elle l’est
véritablement, elle ne m’attire pas non plus, celle qui fait battre mon cœur
c’est Isabelle MOUKAMA.
Le contraste entre les deux est tellement grand.
Si Mélanie est belle est dotée d’une beauté qui ferait
tomber plus d’un sous son charme et issue d’une des plus grandes familles de
notre département, Isabelle, elle est
beaucoup plus effacée. D’ailleurs, elle n’a pas eu de chance de tomber dans une
famille ‘’bien’’. Sa famille à elle, est connue pour ses frasques, son père
aurait épousée sa mère qui était la femme de son oncle. C’est le grand scandale
de leur famille car l’oncle aurait maudit le neveu à la suite de cette
humiliation.
Ses parents ont vécu une dizaine d’années ensemble avant
le grand malheur, un jour le père de Mélanie a découvert sa mère avec un autre
homme dans la chambre conjugale, il a pris le fusil tué l’amant et tué la femme
avant de se tuer lui-même, laissant leurs enfants orphelins. D’aucuns pensent
que c’est la malédiction de l’oncle qui aurait porté son fruit des années
après.
Isabelle et ses frères ont dû donc aller vivre avec leur
grand-mère maternelle, la seule, qui à
la mémoire de sa fille a bien voulu les accueillir.
Tout le monde dans le village connait cette histoire.
C’est la famille à éviter.
Mais malheureusement c’est aussi là, où est parti mon
cœur.
Si mes parents le savent je n’imagine pas ce qu’ils
diront mais pour l’instant nous faisons tout pour le garder secret. Il n’est
pas question d’informer tout le monde de nos sentiments, au moment opportun
comme un homme je le dirais à mes parents et je me présenterais auprès de ses
frères et de sa grand-mère, pour
demander sa main et l’épouser. Mais avant, il faut d’abord que j’aille en ville
pour saisir les opportunités qui s’offriront à moi.
L’entrainement fini alors que je défaits les lacets de
mes chaussures pour enfiler ma babouche,
j’aperçois la silhouette de Mélanie qui s’avance vers moi.
-
Salut Antoine !
-
Bonjour Mélanie !
-
Tu as été super bon sur le terrain tout à l’heure.
Je n’ai aucun doute qu’avec toi dans l’équipe nous avons une chance de
remporter cette coupe !
-
Merci c’est gentil !
-
Je le pense sérieusement !
insiste-t-elle.
-
Je te crois ! dis-je en me redressant.
Bon ben à plus Mélanie !
Je veux tourner le dos quand elle m’interpelle à nouveau.
-
Je croyais que Ghislain t’avait parlé !
-
Il m’a parlé oui !
-
Tu sais donc ce que je ressens pour toi
Antoine, pourquoi ne me laisses-tu pas une chance ?
Je la regarde, elle a l’air sincère.
Mais une fille qui dévoile ses sentiments en premier à un
homme trop peu pour moi. Je suis de la vieille école, celle où l’homme prend
toutes les initiatives et où la femme se fait désirer afin de montrer sa
valeur.
-
Tu es une belle fille Mélanie mais…
-
Tu ne ressens rien pour moi c’est ça ?
complète-t-elle dépitée, y-a-t-il quelqu’un dans ta vie, au village pourtant
personne ne t’a jamais vu avec une femme !
Ça
c’est parce qu’Isabelle et moi on a toujours tout fait pour être discrets.
Nous n’en avons pas le choix surtout si nous voulons que
cela aboutisse.
Tous les couples du village sont connus.
Un tel sort avec un tel.
Tel autre avec tel autre.
A chaque génération, c’est la même chose.
Il y a même des promesses de mariages entre certains.
D’autres qui aboutiront d’autres pas.
Mais dans la majorité des cas, il n’y a pas de menace de
malédiction comme sur la famille d’Isabelle. Les hommes de chez eux n’ont pas
vraiment de problème mais pour Isabelle et sa sœur tout le monde dit qu’elles
seront comme leur mère et nos mamans nous interdisent à nous de poser nos yeux
sur elles.
-
Il n’y a personne Mélanie mais pour l’instant
mon objectif c’est mon avenir après bac. Les femmes je verrais plus tard. Bon
la nuit va tomber il faut que rejoigne ma mère j’ai promis l’aider ! au
revoir.
Je la laisse là. J’emprunte le chemin de la maison non
pas sans faire un détour par la piste derrière le rocher ; c’est notre
lieu de rendez-vous avec Isabelle. Quand j’arrive elle est là. Avec ses tresses
africaines sur la tête, son seau d’eau à côté, c’est son excuse pour pouvoir
sortir car sa grand-mère veille de près sur elles. Mon cœur bat toujours aussi
vite que la première fois où j’ai posé mes yeux sur elle en m’apercevant que
c’était devenu une femme. Celle que je voyais souvent au loin passer avec sa grand-mère
et sa petite sœur, le pagne déchiré, sale, était devenue une femme. Une très
belle femme.
J’ai essayé de me
convaincre que ce n’était pas une bonne idée de m’en approcher en me rappelant ce
que ma mère et ses sœurs nous disaient souvent. Mais y a-t-il une raison plus
forte que le cœur ? Aucune.
Un jour alors que je rentrais en weekend au village, parce
que j’apprenais désormais à LEBAMBA, sur
le chemin, je l’ai vue.
Son pagne noué autour de sa poitrine, une bassine sur la tête
et un seau à la main, j’aurais dû me contenter de la saluer et de poursuivre
mon chemin mais non je me suis proposé de l’aider. Et sur le chemin je suis
tombé éperdument amoureux d’elle, je ne saurais dire comment.
L’adage le dit bien : l’amour est un je ne sais
quoi, qui nait je ne sais comment ?
Peut- être que ma maman avait raison, elles rendaient les
hommes fous d’amour….la preuve j’en étais complètement fou.
Son sourire m’accueille.
-
Comment était l’entrainement ? me
demande-t-elle
-
Très bien ; lui dis-je, le championnat
commence après-demain tu crois que tu pourras assister ?
-
Ça dépendra de si ma grand-mère m’en donne la
permission !
-
J’espère que tu pourras être là pour me voir
jouer
-
Toutes les filles ne parlent que de toi BOUMI.
BOUMI est un bon joueur, oh avec lui on va gagner, vous avez vu le physique de
BOUMI ? il est tellement beau, fait-elle en les imitant.
Je la regarde amusé, je ne
savais pas que j’étais devenu les sujet de conversation de ces demoiselles.
C’est assez flatteur quand même.
-
il parait que tu es la star de l’équipe.
Poursuit-elle
-
Qui a dit ça ?
-
A la rivière tout à l’heure des filles en
parlaient, elles ont assisté à vos entrainements !
-
Je suis sûr qu’elles abusent un peu.
Souris-je, modeste.
-
Je me suis retenue de leur dire d’arrêter de
parler autant de mon gars ! j’étais tellement jalouse…
J’éclate de rire.
Elle me jette un regard noir qui m’oblige à m’arrêter aussitôt. Je ne
suis certainement pas venu chercher la bagarre avec elle. Je sais bien que
c’est elle qui gagnera.
-
Il n’y a pas de raison. Tu sais bien que tu
es la seule Isabelle. S’il n’y avait pas tout ça tu sais bien que je
n’hésiterais pas à dire à tout le monde que je t’aime…
-
Je sais …fait-elle pensive. Cette histoire
nous suivra toujours. Mireille va aller à Mouila, une cousine de ma grand-mère
a accepté de la prendre. Au moins là-bas, personne ne connait notre histoire
donc pas de risque qu’on l’embête.
Sa sœur Mireille a connu quelques difficultés à l’école
avec les autres enfants du village qui ne cessent de l’embêter. Elle n’y allait
plus, pour le plus grand désespoir d’Isabelle qui quelques années plus tôt,
alors que leur grand-mère perdait de plus en plus ses forces, s’était sacrifiée
en restant à la maison afin que Mireille apprenne. C’était Isabelle qui gardait
désormais leur grand-mère.
-
D’abord mes frères maintenant Mireille.
Elle soupire.
-
Ça me peine de me séparer de ma petite sœur
mais nous n’avons pas le choix ! continue-t-elle, le regard dans le vide.
Je n’avais jamais mesuré avant de vraiment la connaitre
la souffrance interne qu’elle pouvait ressentir. Cette charge est trop lourde
pour elle. C’est révoltant qu’au lieu de les soutenir, nous les tenons plutôt à
l’écart.
-
Mais bon, dit-elle en reprenant le sourire,
je suis sure que les choses rentreront dans l’ordre.
C’est ce que je leur souhaite, qu’enfin la vie puisse les
sourire.
-
Tu comptes reprendre tes cours bientôt ?
-
Pour l’instant je ne peux pas, je dois garder
ma grand-mère !
-
Isabelle quand penseras-tu à toi ? lui
dis-je alors qu’une fois de plus je vois qu’elle s’oublie.
Ça me révolte que ce soit elle qui porte cette charge, il
y a des adultes dans cette famille bon sang !
-
Ce n’est pas comme si j’avais le choix
Antoine ! ma grand-mère est seule, personne ne veut s’en occuper ce n’est
pas à toi que je vais expliquer tout ce qu’on lui doit à elle…
-
Je comprends !
Je comprends que ce serait égoïste de sa part
d’abandonner celle qui a été leur seul soutien
Ce n’est pas facile de vivre un tel drame enfant ;
de subir les regards des gens du village suspicieux à votre égard, le rejet de
votre famille paternelle, et de tout le village entier, essuyer les critiques
et toutes les paroles sur vos parents alors que vous les avez perdus. Et la
seule personne qui vous donne de l’amour, qui vous ouvre les bras, est tellement
vieille qu’elle s’affaiblit elle aussi. Je comprends même si je dois avouer que
ça me fait mal de la voir s’effacer, s’oublier….
-
Un jour je te promets tout ira bien, lui
dis-je
C’est sur cette promesse que nous nous quittons.
J’arrive à la maison en passant par le corps de garde où
sont mon père et mes oncles à fumer leurs pipes. Je salue tout le monde, mon,
père me demande de m’asseoir un moment. Ils me prodiguent des conseils lui ses
frères et ses beaux-frères tous présents, des conseils servant à faire de moi
un homme. Je les écoute sagement.
Maudis-soit
l’enfant qui rejette l’instruction et la sagesse me répétait sans cesse mon
défunt grand-père.
Isabelle
Quand j’arrive à la maison, ma grand-mère est encore allongée
sur son lit ; ses douleurs sont de plus en plus vives et lui font atrocement mal. Ça me fait mal de la
voir ainsi. Qu’importe qu’on dise que je mets ma vie de côté, je le fais pour
elle. C’est la seule qui nous a offert un foyer quand tout le monde nous a tournés
le dos après la mort de nos parents. Comment peut-on faire porter les erreurs
des parents aux enfants que nous sommes. Les parents de papa n’ont rien voulu
savoir de nous, les parents de maman non plus, d’ailleurs quels parents même,
sa sœur aussi était morte en suivant un blanc forestier à KoulaMoutou
abandonnant son foyer ; la légende dit que les femmes de notre famille
sont maudites. Grand-mère nous a souvent dit de ne pas y prêter attention que
nous ne serons jamais comme ses filles qui ont fait de mauvais choix.
Mireille a déjà allumé le feu, il ne me reste plus qu’à
verser l’eau dans la grande marmite.
Elle me fait appel.
-
Tu étais où ?
-
Puiser de l’eau mamie
-
C’est toujours à la même heure que tu pars et
à la même heure que tu reviens ! réplique-t-elle suspicieuse
-
C’est parce que à cette heure je ne risque
pas de trouver les autres filles du village tu sais combien, elles m’embêtent
et tu as dit tu ne voulais pas me voir me battre.
-
Isabelle je t’ai déjà dit pas un garçon de ce
village ! pas avec toutes les humiliations qu’on a dû subir !
-
Bien sûr mamie, lui dis-je le cœur serré en
pensant qu’il était déjà trop tard pour me le répéter quand le cœur s’attache
qui peut le dénouer ?