Chapitre 1 : Ombrés
Ecrit par Moktar91
Chapitre 1 : Ombrés
Cella se laissa évanouir sur le carreau glissant de la morgue du Centre National Hospitalier Hubert Koutoukou Maga de Cotonou. Amos était etendu à même un brancard au milieu d'un ramassis d'autres cadavres.
Son homme autrefois si élégant ne ressemblait aujourd'hui à rien. Il était couvert d'un drap de couleur blanche et griffé des initiales de la morgue. Son visage, si élégant, était maintenant marqué pas des griffures, comme celle d'un chat ou un animal à griffe. Cella fut marquée par ce détail. Elle jeta un regard à Jaël et Naimath qui, eux, était bien distance raisonnable. Le regard de Jaël lui confirma qu'il en avait fait la remarque. Lentement, elle s'avança plus vers le corps de son homme. Ses jambes étaient complètement broyés jusqu'au rein. Seul, restait plus ou moins intact son tronc avec quelques intestins qui pendaient de ça et là, signe de la violence du choc.
En se réveillant une quarantaine de minutes plus tard, Cella s'était vu sous perfusion. Le choc était tellement violent qu'elle avait succombé à une crise. Elle regarda rapidement autour d'elle. Naimath se leva et vint vers elle.
Elle lui prit les mains, voulant lui parler, la réconforter mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle ne pouvait comprendre que son frère soit parti si tôt, laissant sa femme et ses enfants.
-<<Je suis désolée princesse mais tu dois être forte...>>
À ces mots, Cella fondit en larmes. Toutes la douleur et la rage qu'elle avait accumulé depuis quelques heures déjà refit surface comme par enchantement. Elle pleura abondamment à n'en point finir. Naimath la prit dans ses bras, et au rythme endiablée de la terre qui venait de frapper de son malheur ces familles une fois de plus, Naimath se laissa aller à des larmes que jamais, elle n'oserait imaginer couler...
Il sonnait 4h25 quand Jaël fit son entrée dans la chambre. Après avoir ausculté une Cella endormie et affaiblie, il tira vers lui sa femme, hors de la chambre.
Jaël se perdit dans le bleu profond de cette belle femme qu'il aimait si tant. Médecin il est, et plusieurs fois, il lui était arrivé d'annoncer de mauvaises nouvelles mais là, il lui fallait assumer avec diplomatie ce rôle, car il venait de perdre un ami alors que sa femme perdait son frère. Il se passa une main au visage en se disant que la vie ne pouvait être plus vache avec lui. Comment pouvait-elle être aussi cruelle?
Naimath croisa ses bras au dessus de sa poitrine, attendant que son mari ne lui dise de quoi il était question. Dans le hall, les bruits des diverses interventions masquaient les atroces douleurs des familles et des médecins.
-<<Ton frère, sa mort n'est pas naturelle...>>
Jaël connaissait sa femme. En disant cela, il attendit, espérant voir s'il ne se trompait pas dans sa théorie. Mais Naimath demeurait impassible. Si elle avait fait le rapprochement de cette soudaine mort avec les bribes de rêves qu'elle avait, elle paraissait plus intriguée encore par les traces de griffures qui scisallait le cadavre de son défunt frère. Elle n'était pas médecin pour avancer un avis médical, aussi attendait-elle que son homme lui en dise plus. Elle se mua dans un silence de cathédrale. Jaël se vit obligé de continuer...
-<<En fait, je n'ai pas tenu à informer tout de suite Cella car elle est encore sous le choc mais pour ce que j'ai pu lire de la déposition du chauffeur, il disait avoir perdu le contrôle de son frein dans un premier temps mais qu'il réussit à la maîtriser à distance raisonnable jusqu'au moment où il sentit comme une force invisible appuyée sur l'accélérateur et guider machinalement le volant avec précision vers la voiture de Amos. Alors que son camion serait entrain de limer la voiture de Amos, il crut voir un animal mi homme mo humain aux yeux chatoyants se glisser hors de la voiture et de fondre dans la nature après avoir griffé Amos qui était déjà mort. Je puis te certifier que les policiers ont mis cette déclaration sous le coup de démence. Mais j'ai été informé tout à l'heure que le Président de la République en personne viendra voir la veuve pour signer le cahier de condoléances. Ton frère était quand même le vice président de l'Assemblée Nationale.>>
Jaël ponctua son discours par un signe de croix, qu'il reproduisit avec précision aussi chez sa femme. Naimath scruta le vide longuement avant de s'adresser à son homme.
-<<Ces griffures, ce sont les signes d'une évidence. Le combat va reprendre.>>
Jaël en frissona à ces mots. Il était là lors de la dernière aventure. Il avait vu combien de fois le diable pouvait être tenace et pugnace. Mais au delà de tout, il avait vu la force et la puissance du Seigneur. Il savait en son forr intérieur que sa femme avait pleinement raison mais il se voulait aussi rassurant en espérant que pour une première fois, elle se soit trompée dans ses prémonitions. Mais c'était quasi impossible.
Il signa au petit matin le bon de sortie de Cella avant de raccompagner tout le cortège à son domicile.
Trois jours plus tard.
Cotonou
Quartier Jak, Akpakpa
Cella revint s'asseoir sur la natte qui était sienne. Cette natte qu'elle devrait squatter tous les jours au réveil jusqu'au couché du soleil. C'était sur cette natte qu'elle devrait recevoir les invités.
La tradition veut d'elle qu'elle fasse un veuvage de 90 jours. Cette cérémonie était destinée autrefois à vérifier de la santé de la femme et surtout à vérifier si elle n'était pas enceinte du défunt. Aujourd'hui, elle est plus un signe destinée à obliger la veuve à ne point intervenir dans le conseil de famille... Mais sur ce point, Cella n'avait pas à s'inquiéter. Naimath se chargera de faire le nécessaire pour que son homme soit enterré dignement et que ses enfants ne souffrent de rien.
Son chapelet en main, alors que le journal venait de commencer, le journaliste revint une fois de plus sur les circonstances du décès de Amos avant de parler de la visite du président de la République et de celui du président de l'Assemblée. Cella voulut pleurer une fois de plus, mais aucune larme ne sortait. Elle n'avait fait que ça depuis trois jours. Aujourd'hui, éléments n'avait plus la force de pleurer.
Comment pouvait-elle même pleurer quand sa maison était aussi bondée d'un monde fou? Nombres de personnes allaient et venaient.
Aujourd'hui, elle découvre toute l'horreur des familles Africaines. Les tantes, les oncles, les ramifications étranges et les cousins et cousines sans oublier les nièces et neveux de toute cette grande famille des Zinsou dans laquelle Amos avait été élevée étaient présents. Cella regardait impuissante sa cuisine devenir le four tour où chacun y allait de son bon vouloir avec des ordres qu'elle ne pouvait contester.
Elle se rappela comment le matin, plus tôt, sa porcelaine de mariage, cadeau de sa belle tante Naimath avait volé en éclats. Un cadeau d'une rare beauté qui datait de dix sept ans. Elle voulut crier mais le regard froid que lui avait lancée la vieille dame édentés au cheveux blancs lui fit froid dans le dos. Elle, c'était la grande sœur au père de Amos. Elle avait élu ses quartiers chez eux depuis la tragique nouvelle. Naimath vint la prendre ce matin-là dans ses bras et la réconforter.
-<<Rassure-toi, je ne laisserai personne détruire l'héritage de tes enfants. Pour l'instant, laisse les en faire à leur guise.>>
Cella fut rassurée par ses propos.
Mais, actuellement, alors que le journal télévisé de 13h passait et qu'elle récitait son chapelet sur sa natte, elle crut saisir des bribes de conversations entre la grande tante, la vielle dame édentés et Germain, le cousin à son mari. Il était question de forcer Cella à remettre les clés des appartements et les numéros des coffres. Elle en frissona de rage et de désespoirs. Elle en tremblait presque. Mais de sa position, elle ne pouvait reagir.
Quand ils remarquèrent sa présence, il lui envoyèrent un long juron avant de disparaitre du salon.
Cella fut presque intriguée par la réaction de ce cousin à son mari, ce Germain. Elle l'avait toujours trouvé faux. Depuis le premier jour où il était venu quémander un emploi jusqu'à ce jour où il était devenu le chef d'une des agences de son homme. Il était un lèche-bottes. Elle l'avait tout le temps répété à son homme mais il ne l'avait jamais écouté...
Aujourd'hui, elle se retrouve coincée dans ce merdier qui est la sienne. Elle repensa au grand cœur de son homme et se dit, comme pour se rassurer que les bonnes personnes ne duraient jamais. Elle prit son portable et composa le numéro de Naimath. Elle devrait venir au plus vite pour dissuader cette famille rapace qui voulait mettre la main sur les biens de son homme. Elle pensa un moment à ses enfants, elle se rassura de savoir qu'ils n'étaient pas ici et ne pouvaient vivre ce cauchemar qui est la sienne. Naimath s'en occupait et avec Jaël, ils faisaient de leurs mieux pour leur faire oublier leur père...
Il sonnait 17h46 quand le portail s'ouvrit sur Naimath qui fit son entrée. À ses côtés, le notaire de son feu frère.
Alors que le notaire prenait siège dans le fauteuil du grand salon et que Naimath vint s'asseoir près de Cella sur la natte, un bruit sourd qui semblait étouffé attira l'attention et aiguisa les sens.
Cella se leva et alla vers la porte d'entrée suivit de Naimath et du notaire.
Dehors, sur la cour, une jeune dame, la trentaine presque révolue, elle tenait la main de deux enfants en bas âges. Cella les observa à tout de rôle. Ils devraient avoir au plus 8 ans. La dame portait un pagne de couleur blanche habituellement appelé kanvo*. Elle s'était recouverte la tête d'un tissu noir et avait les yeux bouffis par les larmes. Elle était svelte, presque clair avec une peau rappelant celle des peulhs.
-<<Mes enfants aussi sont de la famille. Ils sont de notre mari.>> Dit-elle de but en blanc à une Cella qui n'y comprenait rien.
Au même instant, Imela fit son entrée dans la maison. Elle remarqua le tableau et fronça les sourcils.
Cella regarda sa fille. Elle se devrait d'être forte pour elle, pour ses frères.
Non... Pas Amos. Pas lui, il ne pouvait le faire...
Sans un mot, elle se retourna et rentra dans sa chambre.
Son veuvage, elle en mettait fin.
Maintenant elle prends son destin en main...