Chapitre 11 : Le clash
Ecrit par Auby88
"Ceux qui, sans nous connaître assez, pensent mal de nous, ne nous font pas de tort : ce n'est pas nous qu'ils attaquent, c'est le fantôme de leur imagination.
Jean de La Bruyère, Les Caractères (1696)"
Après un week-end mouvementé, marqué par le cauchemar du samedi, Cica se ramène au studio 8 avec un visage fort défait. Avec une voix presque inaudible, elle salue le groupe d'hommes et part s'asseoir sur une chaise près du vieux. Il la regarde. Il lui demande si tout va bien.
Elle fait oui de la tête. Pourtant, quelques minutes plus tard, elle fait tout de travers. Elle chante faux, sans émotion apparente et intervertit les paroles.
Depuis peu, Richmond sent une ire s'emparer de lui et s'intensifier à chaque fois que Cica commet une erreur. Par la faute de la jeune femme, le groupe a dû multiplier les reprises.
Hors, perdre du temps ne cadre ni avec les objectifs musicaux de Richmond, ni avec ses principes de vie.
- Cica ! Bon sang ! Vous vous êtes assez amusée à nos dépens, finit-il par lancer en haussant le ton.
Vers lui, elle lève des yeux hagards.
- Je suis désolée mais aujourd'hui, je ne me suis pas levée du bon pied.
Il secoue la tête, renfrogne la mine.
- Il ne nous manquait plus que cela ! Vous vous croyez sur une scène de théâtre ou quoi ?
- Richmond ! Baisse d'un ton ! ordonne le vieux.
- Tu devrais arrêter de prendre sa défense à chaque fois, réplique-t-il. Je ne peux plus tolérer son manque de professionnalisme. J'ai fait de grands efforts pour supporter son sourire idiot, mais c'en est fini. Je me suis vraiment trompé en te choisissant, Cica. Tu es encore immature et pas organisée.
Le vieux intervient à nouveau.
- Il n'y a rien d'objectif dans ce que tu dis. Et je parie que Samson et Arsène ne me contrediront pas.
Le batteur et le contrebassiste acquiescent.
Depuis quelques minutes, Cica contient sa colère en maintenant ses poings serrés. Elle trouve Richmond injuste et sans coeur.
- De toute façon, je suis le leader du groupe et les décisions me reviennent ! rappelle Richmond.
- Vous êtes un homme cruel ! riposte-t-elle. Vous ne pensez qu'à vous et à votre fichue tournée. Vous ne savez même pas tout ce par quoi je passe.
Au bord des larmes, elle est. Il le remarque, mais n'est pas attendri.
- N'essayez pas de me prendre par les sentiments, Cica ! Car cela ne marche pas avec moi. Nous avons tous nos problèmes personnels, mais cela ne nous empêche pas de donner le meilleur de nous. C'est à force de sacrifices que nous quatre sommes arrivés jusqu'ici, et non en pleurnichant tout le temps, comme vous le faites !
- Moi aussi, je fais d'importants efforts même si votre aveuglement vous empêche de le voir.
- Je ne vois rien du tout, excepté cette attitude de looser que vous adoptez actuellement. Vous n'irez pas loin en vous comportant ainsi. Vous êtes la pire erreur que j'aie faite. Vous n'avez définitivement pas votre place ici !
Les deux antagonistes, face à face, se querellent, sans tenir compte des interventions extérieures.
- Vous me soulagez d'un grand poids, monsieur je sais tout. Adieu.
- Allez, partez d'ici ! Ouste ! hurle-t-il.
Elle respire profondément, le regarde une dernière fois, prend son sac et sort. Le vieux la suit, malgré la désapprobation de Richmond.
– Tu as été trop rustre avec elle, reconnaît Samson.
- Pourtant tu sais bien que nous avons des délais à respecter ! rappelle Arsène.
- Je sais, mais j'avais grand hâte de me débarrasser d'elle. (Il est plus détendu ). Cette idée me trottait dans la tête depuis des jours. Elle m'a simplifié la tâche. (Il sourit). Ne vous inquiétez pas pour le timing. Nous serons prêts à temps. (Il en est convaincu). Fabrice m'aidera à trouver une professionnelle.
- J'espère que ce sera oeuvre facile !
Le quinquagénaire parvient à rattraper Cica. Elle est assise sur le parterre de fleurs à l'entrée de l'immeuble.
Près d'elle, il s'assoit.
- Tu n'aurais pas dû céder si facilement, Cica !
- J'en avais marre d'être humiliée, rabaissée à chaque fois. Il n'a reconnu aucun de mes efforts.
- Moi je les vois, et toi aussi. C'est tout ce qui compte.
- Comment peut-il être aussi insensible ?
- Il est juste un perfectionniste au travail. Sinon, c'est un gentil garçon.
Elle en doute vraiment.
- Je n'ai plus envie de parler de lui. A présent, je dois réorganiser mes pensées et ma vie. Au moins, j'aurai plus de temps pour l'orphelinat, conclut-elle sans grande conviction.
Elle baisse la tête. Longuement, il la fixe puis ajoute.
- Au final, un peu de recul te fera du bien. Tu étais tellement absente tout à l'heure.
Elle lève des yeux tristes vers lui.
- C'est juste que je vis des moments sombres ces temps-ci. Mais ne vous inquiétez pas pour moi. Je tiens le coup. J'avoue quand même que je suis très touchée par la façon dont vous vous préoccupez de moi. Merci beaucoup !
Elle met une main sur celle du vieux.
- Tu me rappelles beaucoup ma fille, tu sais !
- Vraiment ! s'étonne-t-elle en laissant échapper un sourire morose. Alors, en tant que votre pseudo-fille, vous voudrez bien me faire le plaisir de rejoindre les autres membres du groupe.
- Euh, je… !
- Je vais beaucoup mieux maintenant. Allez, levez-vous !
Elle lui tend une main. Il la saisit. Il rentre à l'intérieur du bâtiment, tandis qu'elle appelle un zémidjan.