Chapitre 11 : Liaisons dangereuses
Ecrit par pretoryad
Kalé
Je l’avais emmenée
dans ma planque secrète. Personne ne connaissait cet endroit, surtout pas Père.
S’il
découvrait que Nélia était ma prisonnière, il me tuerait sûrement pour oser le défier
encore une fois ! Je repensais à l’incident de
ce matin avec mon oncle Odel. Père n’était pas au
courant de ma visite chez ce dernier. J’avais tout
inventé afin d’avoir
accès à la maison.
Mon seul
objectif était d’atteindre
Dali qui avait réussi jusque-là à m’échapper.
Mais j’avais
tôt fait de le repérer grâce à la lourde aura de crainte qu’il dégageait.
Et pour couronner le tout, il sortait de chez Nélia. Tout était parti du
sentiment de jalousie que j’avais éprouvé
à ce moment-là.
Dali
n’avait-il
pas encore compris que cette fille m’appartenait ?
Sous ma forme animale, je l’avais suivi
jusque chez lui. Par conséquent, lorsque son père avait essayé de me duper en
me faisant croire que son fils était absent alors que je l’avais bel et
bien vu franchir la porte d’entrée, j’avais
complètement déraillé. Pour qui me prenait-il ?
Je ne pouvais
plus faire marche arrière. Cependant, je n’avais pas l’intention de
lui ôter la vie. Je voulais juste qu’il se
soumette. Mais il avait lutté jusqu’à son dernier
souffle, me surpassant dans son habilité à manier ses pouvoirs, comme s’il s’en était
toujours servi. Je regrettais simplement que le combat n’ait pas duré
assez longtemps. Me mesurer à lui m’avait donné
un aperçu de ce qui m’attendait avec
mon alter ego : Père.
Bientôt,
je pourrais m’opposer
à lui. Ce n’était
plus qu’une
question de temps. J’avais l’intention de
le vaincre définitivement, son règne ne pouvait pas s’éterniser. Si seulement
il avait eu l’intention
de me couronner ! Mais au lieu de cela, il préférait encore douter de mes
capacités surnaturelles, comme si je n’avais pas
assez fait mes preuves.
Pour
lui, tout ce que j’accomplissais
n’était
jamais suffisant. Et le pire dans tout ça, c’était qu’il portait un
espoir quelconque sur ce mortel qui se trouvait être mon cousin ! Comment
pouvais-je accepter pareille ignominie ? Pas de mon vivant, pour
sûr ! Je ne pouvais faire confiance à personne, et je devais absolument
obtenir l’immortalité.
C’était
le seul moyen pour moi de destituer Père.
Mon
regard se posa sur le beau visage serein de Nélia qui n’était pas
encore revenue à elle. Le processus de téléportation était toujours
contraignant la première fois. Elle serait endormie pendant un moment, le temps
pour son corps de récupérer. Je l’observai
attentivement, tout en appréciant la pureté de son visage.
Je
pouvais percevoir l’aura de paix
qui émanait de tout son être. Je me laissai envelopper par cette douce
plénitude qui chassa un instant mes préoccupations. Mon regard se glissa sur
ses lèvres généreuses et sensuelles qui ne demandaient qu’à être
choyées par les miennes. Je me retins pour ne pas succomber à la tentation.
Je
devais constamment me rappeler de me contenir en sa présence. L’épisode ratée
de la cérémonie nocturne se trouvait encore inscrit dans les méandres de mes
pensées. J’avais
bien compris ma leçon ! Nélia était la seule à pouvoir briser le sort de
proscription. Elle devait s’offrir à moi
d’elle-même
et d’un
cœur pur. Alors, il me fallait faire preuve de beaucoup de patience.
Je
m’éloignai
du lit à baldaquin sur lequel elle était allongée et me téléportai aussitôt. J’avais une
affaire à régler. J’espérais être
de retour avant son réveil. Au bout de quelques secondes, j’atterris devant la
maison de Belga. Il était 20h30. C’était l’heure à
laquelle elle rentrait de sa réunion avec son cercle d’apprentis
sorciers.
Il fallait
dire qu’elle
était très sérieuse avec cette communauté d’amateurs. Je
devais néanmoins admettre qu’elle avait
fait des progrès depuis ses débuts. Si tant était que je ne pouvais la laisser
évoluer dans ce milieu au risque de devenir une menace, aussi minime fût-elle,
pour ma propre personne.
Elle ouvrit le
petit portail en bois de la propriété. Elle n’était pas
seule, un colosse au crâne rasé la suivait comme un toutou.
–
Merci de m’avoir
accompagnée, Idriss.
– Avec plaisir. Alors, à
demain !
Belga lui tendit la joue pour le
saluer, mais il eut le culot de poser ses lèvres arrogantes sur les siennes.
Belga le repoussa vivement.
–
Mais qu’est-ce
que… ?
Sentant
la rage irradier le long de mon corps, je ne laissai pas le temps à Belga de
finir sa phrase. J’apparus subitement,
les yeux flamboyants de fureur. D’un geste vif
de la main, j’envoyai
valser l’insolent
dans les airs. Sa destination ne m’importait
guère, encore moins son état physique.
Belga se
tourna vers moi, les yeux écarquillés. Elle savait qu’elle allait
passer un sale quart d’heure. Elle
était habituée à mes crises de jalousie. Aussi immobile qu’une statue, elle
soutint mon regard meurtrier.
–
Kalé, ce n’est
pas ce que tu crois !
Faisant
fi de ses protestations, j’empoignai
fermement ses cheveux. Elle se mit à hurler de douleur, se cramponnant à mon
bras, le visage suppliant.
–
C’est
donc ce que tu fais derrière mon dos ?
–
Non, tu te trompes ! plaida-t-elle, le regard larmoyant.
–
Alors, pourquoi l’as-tu laissé
toucher à ce qui m’appartient ?
Je
la secouai sans ménagement, comme si j’allais lui
arracher les cheveux du crâne.
– Tu me fais mal, lâche-moi !
Elle
leva la main en ma direction, tout en prononçant une incantation en langue
Wata. Je fus soudain propulsé en arrière, la libérant au passage. Elle en
profita pour se relever, et courut à toute vitesse vers la maison et s’y
engouffra. Quelque peu sonné, je me remis doucement du coup qu’elle m’avait porté.
Je
me relevai lentement puis je suivis ses traces. J’étais en
colère. C’était
la première fois qu’elle
utilisait la magie sur moi. Et ce n’était pas des
moindres. Décidément, elle s’améliorait de
plus en plus ! Je ne me doutais pas que sa mère fût impliquée. M’approchant de
la porte, je sentis des picotements douloureux dans ma tête.
Plus
je m’approchais,
plus la douleur s’intensifiait. Je reculai vivement, comprenant que Belga m’avait banni
de sa maison en jetant un sort de proscription. De mieux en mieux ! Il me
restait encore un dernier recours : les liens amoureux qui nous unissaient,
elle et moi. Tant qu’elle n’aurait pas
brisé ces liens, je pourrais toujours pénétrer chez elle.
Je
me téléportai donc dans sa chambre, c’était la
seule pièce de la maison que je pouvais accéder, à cause du sortilège. Je la
retrouvai recroquevillée contre la porte, pleurant à chaudes larmes. Quelque
peu ému, ma colère se dissipa.
– Je te demande pardon.
Elle releva timidement la tête, le
regard meurtri et le visage rougi par les larmes.
–
Je ne sais pas ce qui m’a pris. Tu
veux bien me pardonner ?
Le
regard empreint de remords, je lui tendis la main pour l’aider à se
relever. Elle hésita un instant avant d’accepter ma
main. Elle se hissa debout puis je l’attirai
contre moi et l’enlaçai
tendrement. Je pouvais sentir son cœur battre à l’unisson du
mien. Je rapprochai mon visage du sien pour prendre possession de ses lèvres
gonflées par l’émotion.
Elle
ouvrit aussitôt la bouche, comme une fleur s’offrant au soleil. Je sentis le
désir monter rapidement en moi, et je me perdis dans son étreinte, savourant le
goût de sa langue, m’imprégnant de
son odeur envoûtante. Je devais avouer qu’elle m’avait
péniblement manqué. Sans cesser de l’embrasser, je
la pilotai vers le lit et l’invitai à s’y allonger.
Je
libérai enfin ses lèvres, le temps de lui ôter sa robe et d’explorer la
délicatesse des courbes de son corps et l’équilibre de ses formes. Je dus me
contenir pour ne pas la posséder d’emblée. Je devais d’abord la délier de mon
astre afin de lui permettre de trouver quelqu’un d’autre après moi. J’avais
l’intention de la quitter, j’en avais fini avec elle.
Chez
les Mystes, pour dissuader un rival de convoiter sa petite amie, on utilisait
un sort de liage. C’était une garantie contre l’infidélité. En brisant nos
liens amoureux, Belga pourrait enfin succomber au charme de ses nombreux
prétendants.
Enfin, je
m’apprêtais à la faire mienne quand j’entendis un cri strident qui me martela
le crâne. Je reconnus immédiatement le cri mortel des sirènes Watas. Elles l’utilisaient
pour neutraliser un ennemi. Je laissai échapper un cri de douleur, portant mes
mains aux oreilles pour empêcher mes tympans d’exploser.
–
Kalé ? Qu’est-ce
qui t’arrive ?
Dis-moi ce qui ne va pas !
Belga
ne semblait pas être affectée par cette onde sonore écrasante. Mes oreilles
bourdonnaient inlassablement. La souffrance se propagea rapidement dans tout
mon corps. Le bouquet final fut la douleur brûlante que je ressentis dans ma
poitrine. C’était
comme des aiguilles qu’on insérait
dans mon cœur sans aucun répit.
–
Maman, ça suffit, arrête ! Tu vas le tuer ! Arrête !!!
Belga
hurlait de rage et pleurait de désespoir. Elle tenta de me prendre dans ses bras,
mais elle en fut aussitôt empêchée par une force invisible. Elle ne pouvait
plus me toucher. Mon corps était fébrile, ma respiration haletante, comme si le
seul fait de respirer me demandait un effort surhumain.
Il fallait
que je sorte de cette maison avant de me laisser emporter par ce charme
puissant. Je tentai de rassembler mes idées malgré la douleur. Une image frôla
ma conscience. Je me concentrai sur celle-ci puis je me téléportai enfin. Le
voyage fut long à cause de mon état. Je mis plusieurs minutes au lieu de
quelques secondes nécessaires pour atteindre ma destination. J’atterris
violemment par terre, et dans un piteux état.
Toutefois,
je n’entendais
plus ce cri destructeur. Mes oreilles saignaient à ne plus vouloir s’arrêter. J’avais besoin
d’un
guérisseur dans l’immédiat, car
je ne tiendrais pas le coup. Je manquai d’air, ma
poitrine était compressée, mes paupières me paraissaient si lourdes que je fus
tenté de les laisser retomber définitivement.
La
voix horrifiée de Nélia m’obligea à
garder les yeux ouverts. Elle s’agenouilla près
de moi et me regarda avec de grands yeux affolés. Son visage m’apparut à
travers un voile de sang. Je fis un effort pour ne pas refermer mes yeux qui
brûlaient. Mais c’était
difficile. J’essayais
de m’accrocher
à sa voix, mais ça aussi c’était
difficile.
–
Kalé, regarde-moi ! Ne t’endors
surtout pas, tu m’entends ?
Je
sentis à peine ses caresses sur mon visage. La douleur les effaçait aussi vite
qu’elles
arrivaient. C’en
était trop ! Je ne pouvais en supporter davantage. Mon corps fut soudain secoué
de violents spasmes. La vie m’abandonnait
peu à peu.
– Oh non, tu ne peux pas me faire
ça ! Tu ne peux pas me laisser ici, Kalé !
Elle disparut un instant pour revenir
au bout de quelques secondes, tenant un coussin dans les mains. Elle reprit sa
place à mes côtés, se pencha sur moi et souleva doucement ma tête pour placer
le coussin en-dessous. Je la laissai faire, incapable de bouger.
– Là, tu seras plus confortable…
Un
soupir s’échappa
d’entre
mes lèvres tremblantes. J’acceptais
toute forme de soulagement qu’elle pouvait
m’apporter.
M’abandonnant
à ses soins, mon corps commença à se détendre, et la douleur devint plus
supportable. Je m’accrochai à
son regard, l’assimilant à une dose de morphine. Elle était toujours penchée
sur moi, la main tendrement posée sur ma poitrine.
–
Je ne sais pas ce qui t’est arrivé,
mais je sais une chose : tu dois t’en
sortir ! Je ne peux pas rester ici éternellement. Ma famille doit être
morte d’inquiétude
à mon sujet. Et elle me manque beaucoup…
Son
visage se rembrunit, ses yeux s’emplirent de
larmes qui coulèrent sans aucune retenue le long de ses joues puis achevèrent
leur descente sur mon t-shirt. Je l’observais
sans pouvoir réagir. C’était frustrant.
–
… Alors, je vais t’accorder ce
que tu désires tant, poursuivit-elle.
Elle
rapprocha son visage du mien puis posa délicatement ses lèvres humides sur les
miennes. Elle m’embrassa avec une telle tendresse que je fus baigné dans une
vague de douceur et de sérénité. C’était une
sensation extraordinaire. Je me sentis envahi par une force étrange mais
merveilleuse. Malheureusement, cela fut de courte durée.
Je
commençais seulement à apprécier ce bien-être lorsque je sentis une pointe de chaleur
intense qui électrifia mon corps. Je me contractai comme si j’avais été
frappé par la foudre. Je sentis ensuite mon cœur lâcher. La panique m’envahit.
Nélia avait toujours les lèvres sur les miennes. Était-elle responsable de ce
qui m’arrivait ?
Était-ce ce maudit sort de proscription ?
Mes
membres étaient comme paralysés, et mon souffle s’amenuisait.
Cette fois, mes forces m’abandonnèrent
complètement, et je ne pus plus lutter pour sauver ma propre vie. Ma
respiration se ralentit et mes yeux se refermèrent. Mon esprit fut ainsi emprisonné
dans le vide funèbre.