Chapitre 12 : Maman m'a dit
Ecrit par pretoryad
Nélia
Je m’éveillai
dans une chambre plongée dans une lumière rougeâtre, diffusée par une lampe
tamisée, posée sur la table de nuit. Je jetai un regard circulaire dans la pièce.
Il n’y avait aucune fenêtre, un lit à baldaquin et une table de chevet faisaient
office de décor. Mon corps me paraissait lourd et j’avais l’impression d’avoir
reçu un coup de massue sur la tête.
Je
me levai difficilement du lit pour m’y laisser retomber aussitôt, prise de
vertige. Je ne savais pas ce qui m’arrivait. Je me souvenais que Kalé avait
fait irruption dans ma chambre et m’avait enlevée. D’ailleurs, où
était-il ? Je ne vis aucun signe de sa présence. Alors comme ça, il m’abandonnait
dans cette cellule sans même attendre mon réveil ?
Je soupirai
de rage, et je ramenai mes genoux vers ma poitrine et y posai ma tête en
refermant un instant les yeux. J’avais besoin de réfléchir à la façon de sortir
de cet endroit. Il n’y avait ni porte ni fenêtre. Comment pourrais-je m’évader
?
– Je te déteste Kalé, je te
déteste !!! hurlai-je en tapant du poing sur mes genoux.
–
Ce n’est pas ainsi que tu vas trouver la solution…
Mon
cœur cessa net. Ce n’était pas la voix grave de Kalé. Mais une voix féminine.
Kalé aurait-il eu l’audace d’emmener sa petite amie ici ? Ah, le
salaud ! Je levai promptement la tête, prête à lancer une remarque
cinglante quand mes yeux se posèrent sur un visage semblable au mien. Un visage
que je connaissais par cœur pour l’avoir en portrait dans ma chambre sur ma
table de chevet.
Je
ne pus contenir le cri d’effroi qui sortit de ma gorge, aussi strident qu’une
alarme. Je me cachai le visage avec les mains, le temps de calmer les
tremblements de mon corps et les battements accélérés de mon cœur. Je comptai ensuite
jusqu’à dix avant de libérer mon visage, persuadée que cette apparition
fantasmagorique avait disparu.
Mais non ! Elle était toujours là,
en chair et en os, assise sur le bord du lit et me fixant, un sourire
compatissant sur les lèvres.
– Maman ???
– Bonjour, ma chérie…
Je
secouai vivement la tête, incrédule. D’abord, je me réveillai dans un endroit
assez singulier, et ensuite, je voyais ma défunte mère bien en vie ! Je
laissai échapper un rire nerveux. Alors, c’était ça ma destinée ?
–
Suis-je morte ? C’est pour ça que tu es ici ?
– Absolument pas, je te rassure !
Elle
affichait toujours ce sourire chaleureux, et ses yeux étaient emplis de
compassion, ce qui lui donnait un côté réel. Je soupirai de soulagement. Au moins,
Kalé ne m’avait pas envoyée en enfer !
– Mais alors, comment… ?
–
Tu m’as inconsciemment appelée à l’aide. Alors, me voici.
Elle
pouvait lire dans mes pensées, en plus ? Je réfléchis un instant avant de
répondre. Cette situation était vraiment bizarre. J’avais souvent rêvé de ma
mère, et j’avais plusieurs fois souhaité la voir, ne serait-ce qu’une fois dans
ma vie. Maintenant qu’elle se trouvait juste en face de moi, je me sentais si
intimidée que j’en perdais mes mots.
– Je vois, fis-je d’une voix timide.
Elle
se rapprocha de moi et posa une main frêle et glaciale sur ma jambe. Je
sursautai à son contact et m’écartai légèrement. Il ne fallait pas non plus
pousser le bouchon trop loin ! Je doutais encore de cette apparition
maternelle. Elle était vêtue d’une longue tunique blanche à capuche qui ne
dévoilait rien de son corps ni de ses cheveux.
Je me souvenais des nombreux récits
surnaturels que mon père me racontait dans mon enfance. Je restai donc sur mes
gardes.
– Regarde-toi, tu es devenue une si
belle jeune fille ! Très bientôt, tu auras seize ans.
J’acquiesçai,
un sourire de satisfaction étirant mes lèvres. Penser à mon anniversaire si
proche me permettait de détourner mon esprit de cette situation singulière dans
laquelle je me trouvais. J’avais hâte d’être au jour J, car je m’envolerais
enfin vers l’indépendance ! J’enviais Masala qui avait eu seize ans, trois
mois plus tôt. D’ailleurs, elle avait promis m’organiser un événement
inoubliable.
–
Je suis fière de ce que tu as accompli jusqu’ici. Cependant, je souhaiterais te
faire part d’un sujet très important.
Son visage
devint anxieux tout d’un coup.
–
Ok, j’écoute…
–
As-tu déjà entendu parler de la prêtresse Mamissi et ses filles de l’eau ?
–
Bien sûr, tout le monde dans la ville connaît ces récits. Je me suis toujours
demandée si c’était vraiment réel ou une simple légende urbaine.
–
C’est on ne peut plus réel, ma chérie ! D’ailleurs, ma propre mère était
une Fidlo, ce qui fait de toi une fille de l’eau à cent pour cent.
Elle
fit une pause pour me laisser le temps d’assimiler ce qu’elle venait de dire.
Je l’observai bouche-bée, ne sachant pas vraiment quoi dire. C’était tellement
insensé ! Je connaissais bien les histoires sur les Fidlos, en particulier
la légende de Mamissi, la prêtresse sirène aux pouvoirs suprêmes, qui avait une
armée de guerrières protégeant les mortels de l’invasion de sorciers.
–
Moi, une Fidlo ? J’ai vraiment du mal à le croire !
–
Pourtant, tu devrais, ça fait partie de tes origines. Tu viens d’une lignée de
filles de l’océan.
–
Si c’était le cas, je l’aurais su ! Papa ne m’a jamais rien dit à ce sujet.
–
Et c’est tout à fait normal. Il n’était pas autorisé à te le dire avant ton
quinzième anniversaire. Je suppose qu’il ne t’a rien dit jusqu’ici par simple
oubli, ou encore par crainte de ta réaction. C’est un sujet très complexe pour
un mortel qui ne maîtrise pas ce genre de chose.
– Certainement. Si grand-mère était une
Fidlo, alors toi aussi, tu en étais une ?
Elle secoua tristement la tête, une
lueur mélancolique dans le regard.
–
J’ai perdu cette chance pour avoir perdu ma virginité avant mon seizième
anniversaire. Ma mère m’avait pourtant prévenue, mais je n’en ai fait qu’à ma
tête. Mamissi ne m’a pas trouvée digne de faire partie de son cercle de femmes
de pouvoir. Être une guerrière Mamissi était ce que ma mère souhaitait pour
moi, elle-même n’ayant pas eu ce privilège. C’est le sommet pour toutes les
Fidlos. Avec ce titre, non seulement on possède des pouvoirs incommensurables,
mais en plus, on obtient l’immortalité ! Je regrette amèrement d’être passée à
côté de cette chance ! C’est pourquoi, je ne voudrais pas que tu commettes
la même erreur que moi.
Elle
me lança un regard plein d’espoir puis poursuivit :
–
C’est à toi que reviennent les pouvoirs de ta grand-mère. Tu as une chance de
devenir une fille privilégiée.
–
J’aurais bien aimé hériter de ses pouvoirs dans l’immédiat afin de sortir de
cette prison ! lançai-je sur un ton désespéré.
Elle
me sourit d’indulgence.
– Malheureusement, ça ne marche pas
ainsi. Ton don ne se manifestera pas avant ton seizième anniversaire. Et si tu
perds ta virginité avant, non seulement tu perdras une partie de tes pouvoirs
de Fidlo, mais en plus, tu perdras définitivement l’opportunité de devenir
guerrière Mamissi.
– En attendant, je fais quoi ? Je
suis si désespérée que je suis prête à tout pour sortir de ce trou !
J’avais
épuisé mes réserves. Cette conversation m’agaçait au plus haut point. À quoi cela me servait-il de
venir d’une lignée de femmes de pouvoir si je ne pouvais sortir de cette prison ?
–
Ce n’est pourtant pas le désespoir que je lis dans tes yeux, ma fille.
–
Ah oui, qu’est-ce que c’est alors ?
Je
ne supportais plus ce regard d’inspection qu’elle dardait sur moi, comme si
elle cherchait à lire mes pensées les plus secrètes. Si elle n’était pas
capable de trouver une solution pour mon cas, elle pouvait aussi bien repartir
d’où elle venait ! Je pourrais très bien me débrouiller toute seule !
– Une flamme qui ne trompe pas :
tu aimes ce jeune homme.
Je
fus saisie par la véracité de sa parole. Je sentis comme un léger
tressaillement agiter mon cœur. Elle avait visé juste. Toutefois, ma raison ne
pouvait me laisser l’admettre devant elle. Après tout, je ne savais même pas
quel esprit se cachait derrière cette apparition maternelle. J’ouvris la bouche
pour rétorquer, mais aucun son ne put en sortir. Je soupirai, résignée.
–
Hélas, ton cœur ne t’appartient déjà plus, ma pauvre enfant ! Alors, mon
seul conseil pour toi, c’est de ne jamais le lui avouer, peu importe la
décision que tu prendras ! C’est le seul moyen pour toi de garder ton âme
intacte, car l’amour entre une Fidlo et un Myste est interdit.
– Mais pourquoi ?
Une
violente secousse fit soudain trembler le lit. Lâchant un hoquet de panique, je
me hissai hors du lit, abandonnant presque ma mère. Je m’en rendis compte trop
tard, car elle avait disparu comme elle était apparue. À ce moment-là, je vis Kalé,
sorti de nulle part, s’effondrer lourdement sur le sol. Je n’hésitai pas un
instant à lui venir en aide.
–
Kalé ? Oh mon Dieu !
J’étais
horrifiée. Il était dans un état lamentable, comme s’il sortait d’une bagarre.
Il était à l’agonie. J’eus du mal à le reconnaître, et j’en eus des larmes aux
yeux. Je m’agenouillai près de lui, l’inspectant du regard. Il semblait avoir
mal partout, sa respiration était haletante, et ses yeux à peine ouverts. Il allait
certainement mourir si personne ne le soignait dans l’immédiat ! Qu’avait-il
bien pu faire ?
–
Kalé, regarde-moi ! Ne t’endors
surtout pas, tu m’entends ?
Je
caressai doucement son visage ensanglanté, en espérant calmer ses douleurs. Je
m’efforçai de tempérer le tumulte qui s’était emparé de mon cœur. De le voir
ainsi souffrir me donnait des frissons glacés dans le dos. Il fallait que je
réfléchisse au meilleur moyen de l’aider à sortir de cette passe funèbre. Son
corps fut soudain secoué de violents spasmes. Il luttait difficilement pour
rester en vie.
– Oh non, tu ne peux pas me faire
ça ! Tu ne peux pas me laisser ici, Kalé !
Je
me relevai vivement et me dirigeai vers le lit, le regard braqué sur les grands
coussins. Je m’emparai promptement de l’un d’eux, puis je retournai aux soins
de Kalé. Je me penchai sur lui et soulevai doucement sa tête pour placer le
coussin en-dessous.
– Là, tu seras plus confortable…
Il
laissa échapper un léger soupir d’entre ses lèvres tremblantes. Je le sentis se
détendre peu à peu, réagissant à toute forme de soin que je pouvais lui
apporter. Il soutint mon regard, malgré la difficulté qu’il avait à maintenir
ses yeux ouverts. Je restai penchée sur lui, la main tendrement posée sur sa
poitrine.
–
Je ne sais pas ce qui t’est arrivé,
mais je sais une chose : tu dois t’en
sortir ! Je ne peux pas rester ici éternellement. Ma famille doit être
morte d’inquiétude
à mon sujet. Et elle me manque beaucoup…
L’intensité
des émotions que je ressentais me dévasta de l’intérieur. Mon cœur et ma raison
étaient en déséquilibre total. Mon visage se rembrunit, des larmes chaudes et
brûlantes coulèrent le long de mes joues, comme un rappel au choix que j’allais
faire. La conversation avec ma mère me taraudait l’esprit, mais de voir Kalé à
l’article de la mort me nouait douloureusement l’estomac. Je ne doutais pas que
la douleur l’emporterait sur la raison.
–
… Alors, je vais t’accorder ce
que tu désires tant…
Je
rapprochai mon visage, ravagé par les larmes, du sien pour effleurer ses lèvres
gercées par le peu de vie qui restait en lui. Puis je goûtai à sa bouche avec
une tendresse insoupçonnée, en me laissant entièrement guider par mes émotions.
Tout ce qui trônait dans mon esprit était la guérison de ce dernier. Il devait
vivre.
Alors, j’utilisai
mes lèvres humides de désespoir comme une source de vie. Je n’avais peut-être
pas encore mes pouvoirs, mais j’étais sûre d’une chose, l’amour que j’éprouvais
pour ce jeune homme aurait le pouvoir de le guérir. Il survivrait. Je l’embrassais
toujours lorsque je sentis son corps se contracter subitement. Sous la panique,
je tentai de me détacher de lui, mais mes lèvres restaient collées aux siennes,
comme scellées pour toujours.
J’essayais de les bouger, en vain. J’en fus terrorisée. Qu’est-ce qui se passait ? Tout
d’un coup, je sentis une boule d’une chaleur intense monter de ma gorge jusqu’à
ma bouche, puis pénétrer entre les lèvres de Kalé. Et par la suite, ma bouche
se détacha enfin. J’étais perplexe. Était-ce de la magie ?
J’observais attentivement Kalé. Il paraissait profondément endormi, presque mort. Je me
retins pour ne pas pleurer. Mais tout à coup, son corps fut entièrement couvert
d’une lumière éblouissante, qui dura à peine quelques secondes. La pièce fut
éblouie pendant un court instant avant d’être plongée à nouveau dans cette
obscurité rougeâtre.
– Nélia ?
C’était
la voix grave et claire de Kalé. Mon cœur déborda de joie lorsque mes yeux se
posèrent sur les siens emplis de vitalité.
– Tu es revenu à toi ! Oh mon
Dieu, merci, merci !!!
Je
me penchai sur lui et le couvris de petits baisers chaleureux. Il me laissa
faire, son visage illuminé par un large sourire.
– Merci à toi, Nélia !
Je
me calmai un instant et le fixai d’un air grave. Son état physique s’était
amélioré. Il ne ressemblait en rien au jeune homme entre la vie et la mort qui
s’était effondré par terre, il y avait de cela quelques minutes. Son visage
était aussi beau et aussi propre que je l’avais toujours connu. À cet instant, je sus
exactement ce que je désirais plus que tout au monde.
–
Tu auras ce que tu veux de moi, Kalé ! Je veux te l’offrir.
Il
soutint mon regard, son visage exprimant une série d’émotions : de la
satisfaction, suivie par de l’admiration et enfin du désir. Il posa une main
sur ma nuque et attira mes lèvres vers les siennes avant de m’embrasser avec
une passion qui me coupa le souffle. Je fus possédée par une spirale de désir
intense que seul Kalé pouvait assouvir. Son corps était chaud et réconfortant
contre le mien.
Sans
aucune hésitation, je l’invitai à explorer ma bouche. Nos langues s’emmêlèrent
avec une telle avidité que j’en eus le tournis. La passion qui nous consumait
était si fusionnelle que ni lui ni moi n’eûmes le contrôle sur nos corps. Je m’enfonçai
dans un terrain inconnu et dangereux, ne sachant pas comment arrêter mes
pulsions.
Ce
fut Kalé qui, au prix d’une grande maîtrise mentale, se détacha de moi et
libéra enfin mes lèvres. Il posa tendrement la main sur ma joue et plongea un
regard complice dans le mien.
–
Je sais que c’est la première fois pour toi. C’est pourquoi, je veux que ce
moment soit spécial pour nous deux. Demain, je te ferai mienne pour l’éternité.
Il
m’embrassa ensuite chastement avant de poser ma tête sur son torse et caresser tendrement
mes cheveux. Je me laissai bercer par les battements réguliers de son cœur jusqu’à ce que le sommeil m’emporte dans une totale sérénité.