Chapitre 13 : Les feux de l'amour
Ecrit par pretoryad
Masala
– Le Seigneur
est ton refuge et ta forteresse. Tu ne craindras aucune chose redoutable
pendant la nuit, ni la flèche qui vole durant le jour, ni la peste qui marche
dans l’obscurité, ni la destruction qui pille en plein midi. Aucun malheur ne
t’arrivera, nulle plaie ne s’approchera de ta tente...
Sœur
Pemba avait presque lu tout le livre des Psaumes. Elle en était arrivée au
chapitre quatre-vingt-onze. Attablée dans la salle à manger en compagnie de ma
grand-mère et deux sœurs de l’Église, sœur Pemba et sœur Kely, je devais me
soumettre depuis près de deux heures à une veillée de prière orchestrée par ma
grand-mère, horrifiée par ce que je lui avais annoncé concernant l’épisode de
ma vengeance aux deux visages.
Persuadée
que j’avais été possédée par le démon, qui n’était autre que Kalé, elle avait
contacté d’urgence ses plus fidèles amies et sœurs en Christ afin de
m’exorciser. Depuis lors, je n’avais pas eu le droit de sortir de la maison ni
même d’utiliser mon téléphone portable. Je m’en voulais terriblement de ne
pouvoir prévenir Nélia de la menace de Kalé.
Après
la séance de désenvoûtement par le bain de plantes avait suivi la séance de
prière des lamentations. Nous avions ensuite entamé la séance de lecture de la
parole de bénédiction, pour clôturer — enfin, je l’espérais — par la séance de
détente spirituelle. J’enviais mes frères et mon grand-père qui pouvaient aller
et venir dans la maison comme des esprits libres.
Qu’est-ce
qui m’avait pris de me confesser ? Mon excès de zèle allait coûter la vie
à ma meilleure amie ! Et j’étais spirituellement lessivée, je n’arrivais
même plus à lire clairement ma bible. La sonnerie retentissante de la porte fut
le coup de grâce que j’attendais.
Les
trois femmes se regardèrent sans rien dire, puis ma grand-mère se dirigea vers
la porte. Méfiante, elle jeta un coup d’œil dans le judas et, le regard
perplexe, elle se décida à ouvrir. Ma’Darsille et Nassir firent leur entrée.
Après les salutations d’usage, Ma’Darsille fut la première à parler.
– Le moment est venu, Tabita.
–
Très bien, nous sommes prêtes.
Elles
échangèrent un regard complice. J’étais curieuse de savoir ce qu’elles
complotaient. Ma’Darsille et ma grand-mère ne se voyaient que pour des
situations spirituelles complexes.
–
Où est Nélia ? m’adressai-je à Nassir.
Son regard parut évasif. Je le sentis
réticent à me donner la nouvelle que je redoutais.
– Nélia est portée… disparue…
bredouilla-t-il.
Je laissai échapper un hoquet
d’horreur.
–
Oh non, Kalé a mis sa menace à exécution ! Je t’avais prévenue, grand-mère
! Maintenant, elle est en danger avec lui. Oh mon Dieu, je m’en veux !
C’est à cause de moi tout ça.
Je
sanglotai comme une hystérique. Sœur Kely fut la première à me consoler tandis
que les autres cherchaient une parole apaisante qui tardait à venir.
–
Tu n’as rien à te reprocher, ma chérie, me consola Ma’Darsille. Nous sommes ici
pour essayer de la retrouver. Tout ce que tu nous diras à ce sujet nous sera
très utile.
–
Ok ! Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ?
Je
m’étais complètement remise sur pied. J’avais une chance de réparer mon
erreur.
–
Merci, Masala. C’est possible d’avoir la pièce ? demanda la prêtresse à ma
grand-mère.
– Bien sûr, on libère la pièce de
suite.
Elle
enjoignit ses amies à sortir de la salle à manger pendant que Ma’Darsille et
Nassir s’installaient en face de moi.
–
Ok, Masala, tout ce que tu as à faire, c’est te détendre et te laisser guider
par la magie.
Ma’Darsille
posa la main sur la table, et m’invita ensuite à placer ma main sur la sienne.
J’inspirai profondément et attendis la suite.
– Maintenant, ferme les yeux et laisse
tes souvenirs te parler.
Je
m’exécutai, et immédiatement, je sentis un picotement me parcourir les doigts
et se propager tout au long de mon corps. Je fus prise d’une vague de bien-être
qui enveloppa mon esprit. Puis une succession de souvenirs se présenta à moi.
Je me revis dans la chambre de Belga qui récitait l’incantation pour le sortilège.
Les images défilèrent précipitamment dans mon esprit.
Je
me revis ensuite en compagnie de Kalé. Je fus prise d’une panique
incontrôlable. Ma’Darsille me rasséréna d’une douce pression de la main, puis les
images continuèrent leur défilé, me ramenant dans la chambre de Belga, et pour
finir chez moi. Enfin, l’obscurité m’enveloppa et mes paupières s’ouvrirent.
– Comment te sens-tu ? voulut
savoir Ma’Darsille.
– Ça va...
–
Très bien. J’ai pu avoir accès à des détails de ta mémoire. Je sais maintenant
où trouver Nélia.
Elle se tourna vers Nassir et lui
tendit sa main libre.
– Ça va bientôt être à toi, Nassir.
Souviens-toi du plan.
Nassir
acquiesça de la tête tout en posant sa main sur la sienne, le visage déterminé.
J’avais toujours la main sur celle de Ma’Darsille, attendant la suite.
– Ok, tous les deux, je vais vous
emmener en voyage astral. Nassir, tu connais déjà le principe, quant à toi,
Masala, tu l’as déjà expérimenté. On va se rendre à l’endroit où Kalé retient
Nélia prisonnière. Masala, je vais utiliser ton apparence afin de la faire
sortir de là. Alors, on ne panique pas. On se laisse guider par mon esprit.
C’est bien compris ?
Nous
acquiesçâmes, et les yeux fermés, Nassir et moi, nous laissâmes guider par
Ma’Darsille qui nous tenait par la main de part et d’autre. Encore ce
picotement traversant mon corps, qui m’engourdit. Mon esprit fut ensuite plongé
dans le noir complet l’espace de quelques secondes. Lorsque mes yeux
s’ouvrirent à nouveau, je me retrouvai dans une pièce obscure avec une simple
lampe de chevet qui diffusait une lumière tamisée.
Il
n’y avait aucune fenêtre ni aucune porte d’ailleurs. Mon regard circula dans la
pièce et s’arrêta sur un grand lit à baldaquin. Il y avait une forme allongée
dessus. Je me rapprochai pour mieux distinguer la silhouette. C’était Nélia qui
dormait paisiblement, le sourire aux lèvres. Elle ne donnait pas l’impression
d’avoir été kidnappée.
Elle
était seule sur le lit. Je m’assis près d’elle et la secouai doucement afin de
la réveiller. Elle ne bougea pas tout de suite. J’insistai donc jusqu’à ce
qu’elle daigne faire un mouvement, mais elle garda les yeux fermés.
– Nélia, réveille-toi !
–
Humm… Kalé, je voudrais pouvoir finir ce rêve, s’il te plaît !
Elle
se couvrit la tête avec le drap pour poursuivre sa chimère, comme si de rien
n’était. Cette fois, je retirai le drap sans ménagement. Elle soupira puis
ouvrit enfin les yeux, agacée.
–
Kalé !
Ses yeux ensommeillés se posèrent sur
les miens embués de larmes. Je les sentais qui menaçaient de ravager mon
visage.
–
Masala ? Mais... qu’est-ce que tu fais ici ?
Elle
se redressa subitement, plus que surprise par ma présence. Ses yeux me
scrutèrent, cherchant à se convaincre que c’était bien moi.
–
Mass ? Tu pleures ? Qu’est-ce qui se passe ?
Mes larmes avaient commencé leur
descente interminable. Nélia semblait soudain bien éveillée, inquiète à mon
sujet.
–
C’est Nassir, pleurai-je, incapable de soutenir son regard.
Je
sentis la panique la gagner. Elle m’agrippa brusquement par le bras. Je pouvais
sentir la pression de ses doigts dans ma chair.
– Quoi Nassir ? Quoi Nassir ?
Dis-moi ce qui ne va pas avec lui !
–
On a tout essayé, mais ça n’a rien donné !
– Mais quoi, Masala ?
Elle
avait haussé la voix, le visage crispé par l’appréhension.
–
Je suis désolée de te l’apprendre, mais Nassir est mort…
Je
pleurnichai à ne plus vouloir m’arrêter. Nélia en resta bouche-bée. Pendant un
long moment, elle ne prononça aucun mot, les yeux dans le vide. Quand elle
sembla enfin sortir de sa léthargie, je vis la colère flamboyer dans ses
prunelles.
–
Espèce de menteuse ! Tu n’es qu’une sale menteuse sans cœur !
Elle
hurlait comme une possédée, les griffes dehors, prête à me sauter dessus. Je
m’écartai vivement d’elle.
– Puisque tu ne me crois pas, je ne
vais pas perdre une minute de plus ici à me faire insulter par celle qui a
lâché sa famille depuis un mois !
– Quoi ? Comment ça, un
mois ? Ça ne fait pas longtemps que je suis ici.
–
Ah oui ? Alors, dis-moi quel jour nous sommes aujourd’hui ?
–
Nous sommes..., elle fronça les sourcils, … aujourd’hui, c’est…
La réflexion s’avéra difficile. Elle semblait
perdue.
–
C’est bien ce que je pensais ! Je m’en vais consoler ton père et tes
frères qui, eux au moins, apprécient mon soutien.
Je fis mine de partir, mais elle me
retint fermement par le bras. Elle paraissait beaucoup plus conciliante.
– Attends ! Je veux savoir de quoi
il est mort.
–
Si tu veux le savoir, tu n’as qu’à me suivre.
Je
luis tendis la main, mais elle hésita un instant avant de l’accepter, le regard
suspicieux.
– Ne te fous surtout pas de moi, Mass !
J’agrippai
fortement sa main, au cas où elle décidait de changer d’avis. Je n’attendis pas
longtemps avant d’être enveloppée dans un brouillard épais. Lorsque je repris
conscience, je ne fus pas surprise de me retrouver dans ma salle à manger,
assise autour de la table en face de Ma’Darsille et Nassir qui m’observaient
attentivement.
– Bien joué, Masala ! Regarde…
Je
suivis le regard de la prêtresse et aperçus Nélia assise à mes côtés, sa main
toujours dans la mienne. Elle n’était pas encore revenue à elle. Je retins un
cri de joie. Nous avions réussi à la faire sortir de sa prison.
–
Ok, il faut faire vite avant qu’elle ne revienne à elle ! Va prévenir ta
grand-mère et les sœurs !
Je ne perdis aucune seconde. Je libérai
délicatement ma main de celle de Nélia, puis je me précipitai hors de la pièce.
Je retrouvai ces dernières dans le salon, anxieuses.
– Grand-mère ! Grand-mère !
Il faut que vous veniez tout de suite !
Elles
n’hésitèrent pas à me suivre. De retour dans la salle à manger, un spectacle
étrange nous accueillit. La table avait été déplacée au fond de la pièce, cinq
chaises installées au centre en forme de cercle, et dans celui-ci se trouvait
Nélia assise sur son siège, toujours inconsciente. Nassir se tenait debout dans
un coin de la salle.
Ma’Darsille
nous indiqua où nous installer. J’étais à sa droite, ma grand-mère en face
d’elle, et les deux sœurs l’une en face de l’autre.
–
C’est bientôt le moment, tenez-vous prêtes, nous avertit-elle.
À peine eut-elle prononcé ces
mots que Nélia se mit à bouger doucement, reprenant peu à peu ses esprits.
– Hum…
–
Maintenant ! lâcha Ma’Darsille.
Ma grand-mère et les deux sœurs se
mirent soudain à réciter trois fois cette incantation :
Par cette prière, je brise ces chaînes
Qui entravent son cœur
Contre cet amour interdit
Puisse son esprit être vainqueur
Pendant
que Nélia essayait de comprendre ce qui se passait autour d’elle, une lumière
jaune apparut comme par enchantement, et se mit à tournoyer vivement autour
d’elle, laissant échapper un léger courant d’air chaud. Il y eut un lourd
silence dans la salle. Tous les regards étaient braqués sur Nélia. Au bout de
quelques secondes, elle se retrouva à genoux sans s’être aperçue qu’elle avait
bougé.
Son
visage se tordit de douleur. Elle ouvrit la bouche pour crier, mais aucun son
ne put franchir ses lèvres. Son corps se mit soudain à trembler. Et une espèce
d’entité noire sortit de sa gorge et fut aussitôt absorbée, comme engloutie,
par la lumière jaune. Puis, celle-ci disparut comme elle était apparue. Nélia
se laissa ensuite retomber sur le sol, épuisée par cette manifestation magique.
Elle
se couvrit le visage et se mit à sangloter. Mon cœur fut saisi de peine de la
voir ainsi vulnérable. J’aurais voulu la prendre dans mes bras et faire cesser
le calvaire qu’elle subissait sans vraiment en comprendre la signification.
Mais je n’osai pas bouger, je me contentai de suivre les ordres de la
prêtresse.
–
À
ton tour ! lança-t-elle à Nassir.
Celui-ci se dirigea aussitôt vers sa
sœur qui restait assise à pleurer. Derrière son visage impassible, je pouvais
lire de la compassion dans son regard.
– Nélia ? lui souffla-t-il
Elle
releva machinalement la tête vers lui et lorsqu’elle l’aperçut, son visage
s’illumina un instant d’un sourire radieux. Elle posa les mains sur le visage
de son frère.
–
Oh Nassir, c’est bien toi ?
–
Oui c’est moi, grande sœur…
Nassir dut se retenir pour ne pas se
laisser attendrir par les larmes de sa sœur qui coulaient à flot sur son
visage.
–
S’il te plaît, dis-moi que tu es bien vivant ! l’implora-t-elle.
– Aussi vivant que toi ! la
rassura-t-il, les lèvres étirées par un sourire.
Elle
l’enlaça fermement, comme si elle voulait s’assurer qu’il était vraiment réel.
Je ne pouvais rester insensible à cette scène. Mes yeux s’embuèrent et des
larmes chaudes se mirent à couler doucement sur mes joues. Je vis ma grand-mère
et les sœurs réagir de la même façon que moi. La tension dans la pièce s’était
quelque peu relâchée.
Enfin,
nous allions pouvoir faire une pause, nous l’avions tous bien méritée. Mais
c’était sans compter les événements mystérieux qui aimaient nous jouer des
tours ! Peu de temps après, une violente secousse se mit à faire trembler
la salle, nous faisant tous perdre l’équilibre de nos chaises. Les vitres
volèrent en éclats et un vent brutal pénétra à l’intérieur, nous prenant tous
en otage par l’intensité de sa force. Puis un rire démoniaque s’éleva dans les
airs, nous donnant des frissons.
–
Très touchant. Merci à vous, Prêtresse, de l’avoir libérée de mon fils. Je
savais bien qu’il tramait quelque chose derrière mon dos, mais je ne pensais
pas qu’il trouverait l’Élixir de Jouvence. Maintenant, je peux enfin réclamer
ce que vous m’aviez refusé à mon couronnement. Cette fille m’appartient. Grâce
à elle, j’obtiendrai enfin l’immortalité. N’essayez surtout rien pour m’en
empêcher, Prêtresse, sinon vous serez responsable de la mort de toutes les
personnes dans cette demeure !
Tremblante
de peur, j’entendis ma grand-mère et les sœurs murmurer des passages de la
bible, comme pour se protéger de cette attaque démoniaque. Nassir maintenait fermement
sa sœur, persuadé qu’il pouvait la sauver de cette présence maléfique.
Ma’Darsille gardait, quant à elle, un visage vide et impénétrable.
Le
vent se fit plus agressif, raflant tout sur son passage, sauf nos âmes. Nélia
fut la seule cible digne de sa convoitise. Il s’empara d’elle sans aucun
préavis tandis qu’elle s’agrippait à la chemise de son frère, comme à une bouée
de sauvetage. Nassir tenta de la retenir de toute la force de ses bras, mais en
vain. Elle se mit à léviter dans les airs jusqu’à sa sortie par l’énorme trou
qui faisait désormais office de fenêtre.
Suppliant
à l’aide, Nélia disparut en même temps que la tempête et la voix caverneuse
d’Odong Dagary qui n’avait pas daigné se mesurer à nous de sa présence.