Chapitre 12 : Un évènement imprévu
Ecrit par Auby88
Dix ans plus tôt
Mélanie DALI
- Enceinte !
Le résultat positif du test de grossesse m'apparaît comme un choc. J'ai l'impression d'être à une audience avec le mot "Coupable" qui résonne en continu dans mes oreilles.
Je sais que c'était prévisible mais je priais pour que cela ne m'arrive pas. Cela fait deux mois que je n'ai plus mes menstrues. Désespérée, honteuse, abattue, je suis. Que faire ?
Je sais que David m'a promis de m'aider mais je ne tiens pas à l'embêter avec mes problèmes, d'autant plus qu'il m'avait prévenue et que je me suis toute seule jetée dans la gueule du loup. Finalement, je décide d'en parler à Charles, en espérant qu'ensemble on trouvera une solution convenable...
- Enceinte ! De moi ! s'exclame-t-il. Je n'arrive pas à y croire !
Moi, je suis perdue.
- Mais, je n'ai connu aucun autre homme que toi, Charles !
- Je sais que j'ai été le premier, mais je ne peux attester que David, ton fidèle chien, n'a pas aussi goûté à ce que tu sais !
Je suis tellement en colère que j'essaie de le gifler. Il retient ma main.
- Ne t'avise surtout pas, petite sotte ! Je te conseille pour ton bien de te débarrasser de cet avorton, de ce bâtard qui n'est pas le mien. Je peux t'aider si tu veux en t'avançant un peu de sous.
Je retire mon bras du sien.
- Avorter ! Comment peux-tu me suggérer pareille chose ? Je pourrais y laisser ma vie.
- Je connais de bons centres médicaux très qualifiés pour cela.
- Comment peux-tu être autant insensible, Charles ? Comment ai-je pu tomber autant amoureuse de toi. Je te déteste. Tu n'es qu'un salaud !
- Et toi, une pauvre idiote !
Il s'en va, me laissant seule avec ma douleur, mes remords et cette graine de lui en moi. Je me suis encore trompée sur son compte.
Durant deux mois, je m'efforce de paraître normale aux yeux de tous, en particulier de David. Heureusement, mes nausées sont rares et mon ventre ne se montre du tout pas. Charles, quant à lui, me nargue ouvertement. Il a le plaisir de s'afficher devant moi avec ses conquêtes qu'il change fréquemment. Mon coeur saigne. Je m'efforce de rester forte. Mes résultats scolaires chutent quelque peu. A la fin de mon quatrième mois de grossesse, je déserte les classes ainsi que le foyer de jeunes filles. Je n'ai point envie de subir les railleries des filles de ma classe, ni de lire envers moi de la honte sur les yeux des religieuses.
J'erre quelque peu dans les rues puis tombe un soir sur une prostituée, qui touchée par mon histoire, me propose de m'héberger. En contrepartie, je m'occupe du ménage pour elle. Grâce à l'argent qu'elle me donne par moments, j'ai pu faire suivre ma grossesse dans un centre de santé publique. Ma petite Maéva est née quelques mois plus tard par voie naturelle. L'accouchement n'a pas été trop pénible, peut-être en raison de mon jeune âge et du petit poids de mon bébé. Je rends grâce à Dieu pour cette petite merveille. Elle est toute mini, toute mignonne dans mes mains d’adolescente précocement devenue mère. Sentiment étrange. Amalgame de joie et d’amertume. Je lui ai promis de prendre soin d'elle jour après jour, de lui assurer un avenir confortable. Même toute seule.
Vaines promesses. Car malheureusement, je me suis vite rendue compte des dures réalités de la vie de jeune maman. Beaucoup de charges surtout financières m'attendent, alors que je n'ai pas encore de boulot.
Je finis par suivre les conseils de Christelle, ma protectrice. A contrecoeur, je décide d'abandonner ma petite fille qui a cinq jours à peine. Je pense que c'est mieux ainsi pour toutes deux. Le soir même, accompagnée de Christelle, je décide de mettre mon plan à exécution...
- Mélanie ! T’attends quoi au juste ? Ça fait près d’une demi-heure qu’on est ici ! Il n’y a plus personne maintenant !
- Je ne peux pas le faire, Christelle ! C’est criminel !
- Ce qui serait criminel, c’est d’abandonner si près du but !
Christelle me prend les mains et ajoute :
- Crois-moi, il n’y a pas mieux que tu puisses faire.
Je me lève du banc et traverse la rue, tout en jettant des regards furtifs dans chaque direction. L’endroit est bien désert. Même la lampe, là au portail, éclaire trop faiblement pour que quelqu’un me remarque. Je pose mon panier sur le sol et y glisse un papier. Du revers de la main, je m'essuie le visage qui ruisselle de larmes. Je sonne et vais me cacher. Le portail s’ouvre. Une nonne s’empare du panier. Je disparais, le coeur meurtri. Sur la feuille de papier glissée dans le panier, j'ai couché ces mots :
" Elle est mon bien le plus précieux. Je vous prie de bien prendre soin d'elle. Mélanie DALI "
D'habitude quand on se sépare d'un enfant, on le fait dans l'anonymat total. Mais là, je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris de signer mon nom.
Dans mes pensées, chaque jour, chaque nuit, ma petite fille demeure. Je prie pour elle, implorant Dieu de la protéger, de faire en sorte qu'on prenne toujours bien soin d'elle.
Un mois plus tard, par une nuit, je suis sur le trottoir au milieu d'autres filles dont Christelle. Dans l’univers infect de la prostitution, je me retrouve à cause de Christelle qui est fatiguée de s’occuper de moi ; bien que le bébé ne constitue plus une bouche supplémentaire à nourrir.
J'avais beau consacré mon temps à faire presque gratis le ménage pour Christelle ; celle-ci n’en était jamais satisfaite. Christelle, c’est le genre de femme qui en veut toujours plus. Plus d’argent, plus de sexe, plus de mecs… Elle aime passer ses journées à se contempler devant la glace, se vernir et limer ses faux ongles, se maquiller avec outrance, essayer ses vêtements si dégoûtants qui, selon elle, révèlent son sex-appeal, sa féminité. Elle disait que les clients adoraient les filles habillées ainsi et qu’il n’y avait pas mieux pour les attirer vers soi.
Une myriade de lumières illuminent la rue cette nuit-là et des musiques s’échappent des bars aux alentours. A maintes reprises, j'ai dû tirer vers le bas la mini jupe que je porte. Je la trouve trop courte pour mes longues jambes. Pourtant, Christelle me répète qu’elle est trop classe et que la concurrence qui règne ici ne permet pas de négliger quelque détail que ce soit. La concurrence, ce sont ces corps décharnés sur le trottoir et mis à nus dans ces accoutrements grotesques. Il y a même des filles plus jeunes que moi.
Un 4x4 s’arrête à ma hauteur. La vitre descend et découvre un visage d’homme. Il me sourit.
- Ça te dit de faire un tour avec moi ?
Je ne dis mot. Christelle intervint.
- Hé, mon chou, pas si vite ! C’est d’abord avec moi que tu dois négocier la passe. La gonzesse, elle est nouvelle ici !
Aussitôt, une des portières s’ouvre. Christelle monte à bord de la voiture, y reste quelques minutes avant d’en descendre.
- Mélanie, suis ce monsieur. Si tu es gentille avec lui, tu auras beaucoup d’argent.
- Christelle, je ne…
- Arrête de faire la mauviette ! Ce n’est quand même pas ta première fois ! Rappelle-toi que tu as besoin d’argent !
La porte de la chambre de passage, pas loin de là, s’est à peine refermée sur nous que déjà l’homme me déshabille du regard.
Il me scrute avec avidité, comme tous ces hommes affamés de sexe et de chair fraîche. Je suis debout près de la porte, observant cet inconnu qui me répugne. Il doit avoir l'âge de mon père, ce vieux porc ! Avait-il une fille pour se comporter de la sorte, pour être disposé à satisfaire sa libido avec une adolescente ?
- Dis, ma belle, t’attends quoi pour me montrer ce que t’as ? Tu veux que je refroidisse ou quoi ? C’est ta première fois ?
Je secoue juste la tête, toutes les questions m'étant égales.
- Alors, déshabille-toi ! Je n'ai pas que ça à faire, moi ! Ou bien, tu veux que je t’aide ?
Il avance vers moi. Je me revois sous Charles, souffrant terriblement pendant qu'il prenait son pied en moi. Je n'ai pas envie de revivre cela. De ce qui arrive ensuite, je ne me souviens plus vraiment, si ce n’est que j'ai pris la fuite et que j'ai couru loin de cet enfer. La prostitution, ce n’est pas pour moi. Cette même nuit-là, je me suis jurée de ne plus jamais laisser un homme profiter de mon corps, de mon cœur, de moi...
Je longe la rue, remontée contre moi, contre Charles, contre le monde entier. Je tire autant que je peux la jupe-mini vers le bas. Je n'ai pas trop envie d'être remarquée. Intérieurement, je prie. Je finis par atterrir derrière ce qui semble être un marché. Des gens sont assis le long de la clôture. Je me trouve une place et m'assois aussi. J'y passe la nuit, les yeux éveillés…
Au petit matin, deux femmes portant des tee-shirts d'une association caritative s'amènent au marché. L'une s'approche de moi et me parle de cette association qui offre un toit et un avenir aux adolescentes dans le besoin. J'accepte de la suivre et me retrouve à vivre deux ans auprès de religieuses aux coeurs en or. J'ai l'opportunité de reprendre ma première dans un collège publique puis d'obtenir mon baccalauréat avec une très bonne mention. Le bac en poche, l'association m'aide à continuer mes études universitaires en droit sur le campus d'Abomey-Calavi et à louer une chambre dans la résidence universitaire. Quelques années plus tard, j'obtiens mon diplôme de droit avec brio. Il faut dire que je m'y suis donnée corps et âme, sans autre distraction que mes études. J'ai tout de suite pu intégrer un cabinet de renom où j'ai fait mes preuves en tant que maître Margareth IDOSSOU. Par la suite, avec Franck BOSSOU, un brillant avocat avec plus d'expérience que moi, nous avons décidé de monter notre propre cabinet.
Margareth IDOSSOU, c'est la nouvelle identité que j'ai choisi d'avoir pour rompre avec mon passé. J'avais entamé les démarches légales au début de mon cursus universitaire.
Le prénom Margareth fait référence à Margareth TCHATCHER, la dame de fer à laquelle je souhaite ressembler. Quant à IDOSSOU, je l'ai choisi en hommage à une religieuse, soeur Joséphine IDOSSOU de l'association caritative, qui m'a toujours aidée, aimée, encouragée mais qui n'est pas restée longtemps en vie pour me voir réussir mes études. Avec fierté, je porte son nom de famille.
C'est ainsi que de Mélanie DALI, je suis passée à Margareth IDOSSOU.