Chapitre 14
Ecrit par leilaji
LOVE SONG
Tome II
(Suite de Xander et Leila + Love Song)
LEILA
Episode 14
Je regarde ce vieil homme qui me fait face et cherche à nous trouver des points en commun. Son regard rendu perçant par ses sourcils couleur nuit alors que sa barbe et sa tête sont parsemés de blanc ? Sa bouche de fumeur aux lèvres légèrement noires? Sa manière de se tenir si guindée ? Est-ce qu’on le voit en moi ? J’ai beau observer le moindre de ses faits et gestes, je ne vois rien de similaire entre lui et moi. Mais peut-être suis-je émotionnellement trop perturbée pour voir une quelconque ressemblance. J’ai tellement de questions à poser sur mon père que la tête m’en tourne. Je m’en empêche car je ne peux me permettre de montrer cette face de moi. Je ne peux laisser apparaitre cette petite fille qui a été abandonnée par son père et qui désire tellement le connaitre malgré tout ce qu’elle a prétendu auparavant. Ou a-t-il été enterré ? Quelle a été sa vie ?
Connaitre mon père à travers celui qui l’a engendré et qui malgré toute la détermination qu’il emploie à me séparer de mon mari d’un coté, met ce même entêtement à me faire entrer dans son giron.
— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il en arquant un sourcil d’étonnement.
— Je fais du donnant-donnant. Je te cède quelque chose pour que tu me cèdes quelque chose en retour. Comme ça tout est clair. Pas d’entourloupe !
— Je t’écoute, dit-il en se carrant dans sa chaise avec un petit sourire de défi. Mais avant qu’on ouvre les hostilités, peux-tu me servir à boire ? Je ne sais pas où est passée la domestique. Elle passe tout son temps au téléphone celle là !
Je regarde autour de nous et effectivement nous sommes seuls. Pas de bonne, pas de gardes du corps dans les alentours. C’est bien la première fois. Intéressant. Je me lève et me rends dans son salon. J’essaie de ne pas regarder autour de moi, en me demandant si mon père a grandi ici… où quelle genre de femme j’aurai été si moi j’avais grandi dans tout ce luxe au look désuet. J’attrape un verre et un whisky dont la bouteille à elle seule m’indique un prix exorbitant puis ressors le plus rapidement possible.
— Le whisky ça ira ? je demande en posant le verre devant lui avec un sous verre.
— C’est parfait.
— Je vais chercher des glaçons… par où se trouve la cuisine ?
— Non jamais de glaçons avec un vrai whisky, ma petite. Ca tue l’arome. Il faut juste une goute d’eau minérale fraiche pour libérer le parfum et c’est tout. On ne te l’a pas appris ? demande-t-il en versant une larme d’eau dans son verre après que je le sers.
— Par on je suppose que tu parles de ce père absent par ta faute… Ah désolée de te l’apprendre mais je n’ai pas eu de père pour me dire qu’il ne faut pas de glaçon dans un vrai whisky, je réponds plus sèchement que je ne veux.
— Touché …
Le silence s’installe. Je profite de l’accalmie. Des oiseaux chantent au loin. Le coin est vraiment paisible. Les arbres plantés tout autour du mur d’enceinte forment une barrière végétale et les bruits de la rue ne nous parviennent pas.
— Je suis là maintenant, je t’apprendrais, dit-il avec douceur. Il n’est jamais trop tard pour apprendre.
— Si tu le dis.
— Assieds-toi et parle-moi de ta proposition.
Je reprends ma place et essaie de cacher ma nervosité.
— Bon, je vais jouer carte sur table. Je te donne de quoi me tenir moi et pas Alexander. Tu annules l’opération que je t’ai aidé à mettre en place, tu acceptes qu’Alexander vienne se présenter devant toi et je te cède la moitié des parts de mon cabinet en contre partie.
— Ton cabinet ne m’intéresse pas ma petite fille.
— Mais moi je t’intéresse non ? Ce cabinet est ma plus belle réussite. Ce n’est pas comme la fondation où j’ai utilisé l’argent de mon mari pour tout mettre en place, non. Mon cabinet c’est moi et ma sueur. C’est la seule chose que je n’abandonnerai jamais derrière moi. Alors je t’en cède la moitié. C’est comme une garantie pour toi de m’avoir à moitié dans ta main. Une assurance que toi et moi on se verra souvent. Que je le veuille ou pas.
— Je vois. Mais je le dis et le répète, cet homme n’est pas ton mari…
— C’est mon mari, j’insiste effrontément en lui montrant mon alliance.
Puis voyant qu’il ne veut pas en démordre, je mets les choses au clair :
— Si je respecte ton opinion, il va falloir que tu apprennes à respecter la mienne. Et oui ta petite fille aime parler sur un pied d’égalité avec les hommes qui essaient de l’anéantir. Il va falloir que tu fasses avec. Déçu ?
— Pas le moins du monde. Je n’en attendais pas moins de toi ma très chère.
— Alors on est d’accord ?
— Hum… fait-il avec dédain
Comme un enfant boudeur, il ne me répond pas et tourne la tête pour siroter tranquillement son whisky. Je respire un grand coup, reprends l’enveloppe kaki posée sur la table qui nous sépare et me lève comme pour m’en aller. Ma chaise racle le sol et attire son attention. Sa grande main se pose sur la mienne. Je me fige. Il ne la serre pas, ne l’agrippe pas. Il la caresse tout doucement comme on cajole la main d’un enfant têtu pour le ramener à la raison.
— Assieds-toi Leila. Si c’est comme ça que tu as l’habitude de mener tes négociations, je crains pour mes futures parts dans ton cabinet.
— Tu acceptes ?
C’est trop facile, je me méfie. Il se lève lui-même et revient avec un second verre dans lequel il verse le breuvage ambré.
— Je ne suis pas fan du whisky.
— Goutte d’abord. Tu refuseras ensuite.
— Hum.
— Ne t’en fais pas ce n’est pas empoisonné.
— Tu trouves ça drôle ?
— Comme si j’allais empoisonner ma propre petite fille… murmure-t-il distraitement. Tu as une si mauvaise opinion de moi ?
Je m’empare du verre, en bois une bonne gorgée, me brule la gorge au passage puis dépose avec précaution le verre tout en essayant de ne pas recracher le peu qui me reste en bouche.
— Ca nettoie le corps et purifie l’âme, me dit-il en souriant.
— C’est abject. Et dirait un produit pour déboucher les canalisations. C’est vraiment trop fort.
— Je t’apprendrais à aimer. Tiens ! dit-il en poussant son verre vers moi. Ce n’est pas une course et il n’est pas question de prouver qu’on est fort en avalant tout d’un coup. Réessaie.
J’obéis. Mais je n’aime toujours pas ce satané whisky. Ca ne m’empêche pas de sourire et pencher la tête de coté comme si je percevais enfin quel subtil gout se cachait derrière autant d’alcool.
— Bon. J’ai bu ton fabuleux whisky… Et ma proposition ?
— Je veux bien laisser les entreprises de ton mari tranquilles contre des parts de ton cabinet. Ce qui t’obligerait à me voir lors des assemblées que tu le veuilles ou pas. J’adore cette idée. Mais accepter qu’il se présente devant moi pour ces mêmes parts fait pencher de manière défavorable la balance entre nous. Alors je vais te dire ce qui m’intéresse. Je veux que mon nom, revienne tout en haut de la liste. Je veux que mon nom soit de nouveau synonyme de pouvoir … Je n’en ai plus pour très longtemps, on ne va pas se leurrer. Alors je veux tout…et tout de suite.
Je réfléchis à vive allure, essaie de comprendre ce qui se cache derrière chaque mot.
— Je veux que le destin que mon fils aurait dû avoir se réalise, finit-il par expliquer.
— Je le comprends tout à fait. Ton vrai héritier c’est Prince, ton petit-fils, pas moi. C’est un jeune homme qui semble avoir la tête sur les épaules et j’ai cru comprendre qu’il a été dans l’armée. Donc la discipline il connait. Je peux prendre en charge une partie de sa formation concernant la gestion de patrimoine et le monde des affaires pour le mettre à la tête de ta fortune. Que la passation de pouvoir se passe en douceur…
— Pourquoi refuses-tu de comprendre ce que je dis ? crie-t-il en tapant sur la table me faisant ainsi sursauter.
— Parce que tu ne le dis pas clairement … je réplique immédiatement en m’énervant à mon tour. On vient à peine de se retrouver et déjà tu me tends des pièges à chaque rencontre. Que veux-tu ? Dis le moi alors ?
Il sort de sa poche une feuille de papier qu’il déplie soigneusement. On y voit une liste de noms tapés à la machine. J’en reconnais beaucoup. Et c’est tout à fait normal. Il s’agit des membres du gouvernement. Ok. Que suis-je censée comprendre ? Il veut que son petit fils entre au gouvernement ? Il n’en a pas l’étoffe. Mais ce n’est que mon avis.
— Cette liste va être transmise à qui de droit. Le septième nom va être remplacé par celui de Leila Okili… Tu vas faire tes preuves dans la cour des grands. Ce n’est pas pour tout de suite mais je veux que tu sois prête dès que ce sera décidé.
J’éclate de rire, m’attendant à ce qu’il rigole à son tour en m’expliquant qu’il plaisantait. Mais non. Son visage grave m’indique tout le contraire. Je suis estomaquée par son regard insistant. J’avais déjà entendu parler de cas où la personne nommée ne l’apprenait qu’à la dernière minute et je pensais que cela faisait parti des légendes habituelles en politique.
Et pourquoi écrire Leila… Okili ? Depuis quand je m’appelle ainsi ?
— Non.
— Pourquoi ? demande-t-il surpris par ma réponse.
— Je suis Leila Khan ou Leila Larba épouse Khan … Leila Okili n’existe que dans ton imagination ! C’est hors de question que je me lance dans la politique. Que je … m’expose… Non, ça jamais ! dis-je ne me levant précipitamment.
— De quoi as-tu peur ? Que l’indien ne l’accepte pas ?
Même si je sais qu’il a parfaitement raison et qu’Alexander n’est pas le genre à l’accepter je ne peux le reconnaitre à haute voix. Et de toute manière, ça ne m’intéresse pas.
— Ne le mêle pas à ça. Je décide de ma vie. Il ne le fait pas pour moi contrairement à toi.
— Alors prouve-le.
— Je n’ai rien à te prouver.
— Tu le fais et je l’accepte, murmure-t-il avant que je ne descende la première marche.
— Tu mens. Je commence à te connaitre. Manipuler les gens pour obtenir ce que tu veux c’est tout ce que tu sais faire. Je m’en vais. J’en ai assez.
Je quitte sa terrasse, m’éloigne à grands pas et débloque la voiture à distance.
— Tu le fais et je l’accepte….J’accepte ton Khan. Et la famille l’acceptera aussi. Tu redonnes à mon nom sa place et je l’accepte.
Je me retourne vers lui. Il s’est levé de sa chaise, sa canne en main. Son regard est presque suppliant. C’est la première fois qu’il prononce le nom d’Alexander. Je reviens sur mes pas.
— Pourquoi pas Prince ? C’est le fils de ton fils.
— Qui participe à un jeu idiot en ce moment … Il chante ou je ne sais quoi… crache-t-il avec dédain. Je lui ai pourtant demandé de se rapprocher de toi, pour que vous puissiez vous connaitre mais il dit que c’est toi l’ainée et que c’est à toi de lui dire si tu as envie de le connaitre. Je ne comprends pas ce garçon. Il avait une bonne place dans l’armée et il a tout quitté parce que je ne sais qui est mort et ça l’a affecté. Travailler dur pour obtenir quelque chose et tout abandonner parce que quelqu’un nous quitte est aussi ridicule que de boire de l’eau avec une fourchette. Perte de temps !!! Oui c’est le fils de mon fils mais l’héritage des Okili réside en toi…
Il s’avance vers moi en s’appuyant sur sa canne puis la pose sur une chaise. Il prend mon visage entre ses mains et me parle tout doucement.
— J’ai fait beaucoup d’erreur et tu en as souffert. Je sais qu’avec le temps tu me pardonneras ma petite fille.
— Non… c’est trop facile de te pardonner juste parce que tu le demandes…
— Si tu le feras. Je le sais. Dès que tu auras compris à quel point tu m’es précieuse. Tu le feras.
Je recule d’un pas et croise les bras.
— Je crois sincèrement… que tu es faite pour ça.
— Pour quoi ? Me marier de force ?
— Non, répond-il en souriant. Pour faire avancer les choses. C’est parce que tu n’as pas eu le soutien nécessaire que tu t’es cantonnée à ton cabinet et à cette fondation. Si tu avais baigné dans notre milieu depuis le départ, tu aurais changé bien plus de vies que tu ne l’as déjà fait. N’est-ce pas ce que tu veux ?
Malheureusement pour moi. Il sait avec quoi m’appâter. Evidemment que j’en ai envie. Ca a toujours été mon rêve. Je voudrais qu’il n’y ait plus de femmes comme ma mère… Je voudrais tellement plus pour toutes les femmes.
— Sans ton oui inconditionnel à ma demande, ce n’est même pas la peine que cet homme remette les pieds chez moi. C’est à prendre ou à laisser…
— Ne fais pas ça…
— Et surtout Leila, ne fais pas comme si je te forçais à faire quelque chose qui te répugne. L’ambition et le gout du pouvoir, nous l’avons dans le sang.
Il me tourne le dos, me signifiant ainsi que la discussion est close.
— Cette discussion n’est pas encore terminée… je lui dis d’un ton plein de colère.
— Que veux-tu ajouter ? demande –t-il à son tour.
— Et cette histoire d’enfant ?
— C’est envers la famille de Denis qu’il y a eu faute. C’est à lui de te délier pour cela.
— Et je suis censée croire ces… ces bêtises !!!
— Libre à toi de continuer à ne pas y croire. Mais je t’aurai au moins prévenue.
*
**
Une semaine plus tard, je passe plus de temps au téléphone avec mon mari qu’avec mes clients, ce qui est assez rare. Toutes ces difficultés nous ont beaucoup rapprochées. Le soleil se lève à peine ici et je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est à Mumbai.
— Tu as bien dormi ? je lui demande en baillant en m’en décrocher la mâchoire.
— Je n’ai pas dormi de la nuit. Cette femme va me rendre fou.
— Cette femme c’est ta mère. Il faut t’en accommoder.
— J’essaie… Et toi, pourquoi tu as l’air aussi fatiguée ?
— Décision difficile à prendre…
— C’est ce que la vie devient… une fois qu’on grandit.
— Quoi ?
Je m’installe un peu mieux dans notre grand lit, décidée à ne pas le quitter ce matin. Je m’empare de l’oreiller d’Alexander et le serre très fort contre mon buste.
— Quand t’es gamin… Tu veux quelque chose… tu te bats pour l’avoir, qu’importe ce que ça va te couter. Mais en grandissant on apprend que chaque chose à un prix et on se met à avoir peur d’obtenir ce qu’on veut parce qu’avant même de se lancer dans la batille, on pense au prix à payer. J’ai l’impression que devenir adulte c’est apprendre la peur… Je suis parti de Libreville la peur au ventre Leila !
— C’est normal, on a beaucoup à perdre …
— Elle ne veut pas entendre raison Lei.
Je rejette les draps et me lève, le téléphone vissé à l’oreille. Je fais les cent pas dans la chambre. Alexander soupire.
— Mais je ne partirai pas sans son « oui ». Même si ça doit me prendre une vie entière. Surtout ne t’inquiète pas mera dil. Ok ?
— Ok… Mais Alexander…
— Oui ?
— Je n’ai pas toute une vie à gâcher à attendre ta mère. Donne lui l’enveloppe alors… On n’a pas la vie entière. Elle pourrait faire durer les choses, juste pour me mettre en rogne.
— Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Dis le moi…
— Non. Fais-moi confiance. Donne-la-lui et écoute sa réponse. J’en ai besoin pour savoir quoi faire ici
*
**
Le portail ouvert par le gardien laisse entrer la voiture de Denis qui se gare dans la cour. Je ne m’attendais pas à le voir alors je suis un peu anxieuse. Je ne sais pas si Alexander s’est décidé à le joindre pour qu’ils puissent parler à cœur ouvert. Denis descend et marche d’un pas leste vers la porte principale. Avant même qu’il ne cogne, j’ouvre. On s’observe de longues secondes. Son regard me met mal à l’aise. Je remarque au dernier moment le paquet richement orné qu’il a en main. Il ne me le tend pas.
— Bonjour Denis.
— Salut princesse !
Je soupire. Il m’a manqué cet idiot. Je m’efface pour le laisser passer mais il ne bouge pas et hausse un sourcil ironique.
— Waoh… c’est bon ? Je suis de nouveau en odeur de sainteté chez toi. Je ne suis plus l’ennemi qui tente de briser le couple mythique ?
— Tu as le droit d’être fâché mais ne pousse pas le bouchon trop loin Denis… Il y a une bâte derrière cette porte et Alexander m’a appris à m’en servir !
— Avec tes quarante kilos tout mouillé !
— Arrête ! J’en fais plus, dis-je en tirant sur mon vieux tee-shirt.
De nouveau on s’observe.
— Je saurai me contenter de : « je suis désolée Denis » tu sais.
Je le regarde longuement. Je sais qu’il essaie de se donner un air désinvolte pour ne pas me montrer qu’il a été blessé mais je peux aussi voir au delà de son ton sarcastique …
— Je suis désolée Denis, je finis par lui murmurer contrite.
— C’est un bon début ça !
— Je suppose que tu as parlé à Alexander et que ça s’est réglé entre vous.
— Oui il a appelé…
— C’est une bonne nouvelle, je lui fais remarquer en souriant.
— Il m’a traité d’enculé de gabonais, tu le crois ça !
— Quoi? Je m’exclame complètement paniquée.
Ca ne ressemble vraiment pas à Alexander d’insulter quelqu’un pour qui il a le plus grand respect.
— Pour sa défense, je l’avais traité d’enfoiré d’indien. On s’est raccroché au nez et je l’ai rappelé pour le faire chier parce que je savais qu’il était en colère … disons que ça a été long mais au final ca s’est arrangé entre nous.
— Ca s’est arrangé entre nous… on dirait des expressions de dispute de couple !
— Moque-toi si tu veux… mais je suis heureux que ca se soit passé ainsi. C’était assez désagréable d’entendre ses reproches.
— Il comptait sur toi et il a été surpris par ton silence. Et moi… j’ai eu l’impression que tu savais pas mal de choses depuis le début et que tu me les avais toutes cachées et ça m’a mise en colère. Je me suis toujours dit que tu ne ferais jamais rien qui puisse nous faire du mal à Xander et moi. Parce que nous on ne fera jamais rien qui pourrait te nuire.
— Et c est toujours vrai… du moins j’essaie de toutes mes forces. Et vous ne me facilitez pas la tache quand vous doutez de moi comme ca.
— Encore une fois je suis désolée Denis.
— Bon… ceci dit, tes aptitudes de maitresse de maison laissent à désirer. Les indiens ont une mauvaise influence sur toi hein. Ca fait trente minutes que je suis devant ta porte.
Je lui file un coup de coude qu’il évite de justesse et nous installe par la suite au grand salon. Denis dépose la boite sur la table basse qui nous sépare. Je lui propose à boire, il décline et tapote sur le cadeau. Je secoue la tête pour refuser
— Non Denis. Plus de cadeaux extravagants…
— On se calme ! Ca vient de ton mari.
— Et pourquoi c’est toi qui me l’apporte ? je demande en inspectant la boite comme s’il pouvait s’agir d’un cadeau dangereux.
— Je suppose que suite à notre conversation et tout ce qui s’est passé dernièrement, il veut nous réconcilier. Nous faire comprendre qu’il n’y a plus de malaise.
A l’instant même je reçois un message d’Alexander sur whatsapp. Je l’ouvre fébrile.
(Conversation whatsapp)
— Denis est-il déjà là ?
— Oui…
— J’espère que tu ne lui as pas gueulé dessus. On s’est expliqué et ça va.
— Non. Je lui ai présenté les excuses qu’il a exigées.
— Lol. Ca lui ressemble tellement.
— Qu’est-ce qu’il y a dans la boite ?
— Regarde et dis-moi. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle contient.
— Comment ça ? Ca vient bien de toi non ?
— Ouvre Leila. Tu me rends nerveux. C’est un présent de ma mère suite à l’enveloppe que tu m’as demandé de lui donner.
Je jette un coup d’œil à Denis qui m’observe sans ciller. J’ouvre la boite et découvre une merveille de tissu doré, brodé d’or et de perles brillantes accompagné d’une parure tout aussi sublime que celle que j’ai porté le jour de mon mariage. Je ne comprends pas. Il y a une carte dans la boite. Je la déplie soigneusement.
« Puisque vous me rendez mon fils. Je vous rends votre époux. Nous serrons là, dès que possible»
Mes mains tremblent légèrement. Est-ce que ça veut bien dire ce que je pense que ça veut dire ?
— Est-ce que ça va princesse ?
— Oui.
— T’es toute pale, me fit-il remarquer inquiet.
— Je suis … heureuse, je réussis à dire malgré les larmes qui me montent aux yeux.
— Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est ? demande Denis.
Je reprends mon téléphone et envoie un message à Alexander.
(Conversation Whatsapp)
— Je crois que ta mère est enfin d’accord. Il y a une robe dorée et des bijoux qui ont l’air ancien…
— La robe est dorée ? Avec des perles et broderies de même couleur ?
— Oui, je réponds en prenant une photo que je lui envoie immédiatement.
— Putain !
— Quoi ?
— C’est ce qu’elle même portait pour ses noces… les bijoux, elle les a reçus de la mère de mon père Lei…
— Oh mon Dieu !
— Qu’as-tu mis dans l’enveloppe ? Elle n’a pas voulu me le dire.
— Je ne peux pas en parler là maintenant. Je t’explique plus tard.
— Ok. Elle est à mes cotés. Attends.
— Ok.
Quelques secondes plus tard, je reçois un nouveau message.
— Elle demande si tu peux l’essayer et lui envoyer une photo entière. Comme ça elle saura s’il faudra des retouches, ajouter du tissu ou des bijoux ou … bref. Lei essaie la.
— Je ne peux pas prendre de photo de moi entière toute seule.
— Si Denis est toujours là, demande-lui de t’aider.
— Ok. Xander ?
— Oui…
— Tu y crois toi…
— Finalement, il fallait juste tenir bon.
— Et grandir…
— C'est-à-dire ?
— Savoir quoi sacrifier.
— Lei…
— Je te rappelle.
Je demande à Denis de me prendre en photo. Il hésite puis accepte et me laisse aller me changer. Je prends le temps d’aller enfiler la tenue dans notre chambre située à l’étage. Et parce que c’est une photo à envoyer à la mère de mon mari, je mets un peu de maquillage pour qu’elle ne me voit pas à mon désavantage. Une fois satisfaite de mon allure, je descends. Denis m’attend en bas des marches. C’est étrange comme sensation. Son regard habituellement si dur et plein d’ironie est doux et protecteur. Il s’éclaircit la voix et me fait signe d’avancer. Assez maladroitement, il sort son téléphone de sa poche. Il est tout d’un coup tellement silencieux que je sens le malaise m’envahir… Au moment où il appuie sur l’écran de son appareil pour prendre la photo, je me dissimule la moitié du visage comme pour me cacher ce qui est apparu de manière fugace dans ses yeux. J’ai vu de la colère… Il envoie la photo à Alexander.
— Alors tout va rentrer dans l’ordre à ce que je vois? Le vieux a accepté de voir les parents d’Alexander ?
— Oui.
— Et ceux d’Alexander ont accepté de venir ?
— Oui.
— Je suppose que tu as encore bricolé quelque chose pour que tout rentre dans l’ordre ?
— Pourquoi tu dis ça ?
— Parce que je te connais. Que vas-tu sacrifier cette fois ci ?
Je me raidis face à cette attaque. Sans rien laisser paraitre de ma colère, je souris et baisse le voile transparent sur mes épaules.
— Merci beaucoup pour la photo Denis. Je ne te retiens pas plus longtemps.
Je lui tourne le dos et remonte les marches vers la chambre.
*
**
Blottie dans mon lit, je raconte mes dernières péripéties à Elle par appel Whatsapp au cas où ma ligne est surveillée.
— Je me demande ce que maman en penserait … dis-je rêveusement.
— Elle serait fière. Et tu sais quoi ?
— Quoi ?
— Peut-être que tout ce qu’elle t’a inculquée c’était pour que tu en arrives là.
— Comment ça ?
— Tu connais combien de mère qui pousse leur fille comme elle t’a poussée ? Te couper de tout ce qui pouvait te distraire de tes études, de la réussite, de l’indépendance. Elle t’a ôté l’envie d’être soumise à un homme pour lui plaire… Moi, je n’en connais pas beaucoup. Surtout venant de l’ouest, sans vouloir t’offenser !
— Quand je n’étais pas la meilleure, elle me menait la vie dure Elle ce n’était pas aussi rose que tu sembles le croire.
— Justement ! Peut-être qu’elle savait qu’il finirait par te retrouver et qu’elle a voulu que tu sois assez forte pour lui tenir tête et faire tes propres choix sans te sentir obligée de rentrer dans ses bonnes grâces. Réfléchis un peu… Elle s’est dit : moi je me suis fait avoir parce que je n’avais pas les bonnes armes, je n’étais pas assez éduquée pour réclamer ce qu’on me devait! Mais ma fille, elle saura se débrouiller, se défendre, réclamer son dû ! C’est un peu comme si ta mère était une féministe avant l’heure. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre et tu le sais. Elle t’a affranchie avec une bonne éducation. Et je sais que tu veux la même chose pour toutes les femmes. Alors il faut que tu acceptes le deal ! tu es faite pour ça. Quand je pense que je te taquinais tous les jours en te disant qu’un jour tu seras ministre… C’est une histoire de fou !
— Je n’ai pas encore accepté Elle.
— Et pourquoi tu refuserais ? Je te connais depuis je ne sais combien d’années et ton grand père a raison, c’est ce que tu as toujours voulu sans avoir le cran de te battre pour l’avoir.
— Arrête ce n’est pas ça. Tu sais que je n’aime pas m’exposer.
— On s’en fiche. Quel ministère ?
— Travail et compagnie.
— Je suis sure que tu as déjà des idées…
— Oui… des tonnes. Je vais faire … passer des lois Elle. Des lois !
— Parle moi d’abord de tes idées avant de penser à les transformer en lois.
— Des idées comme l’égalité des salaires. Hors de question que pour un même boulot les femmes continuent à être payées 30 % moins que les hommes.
— Je savais que tu allais t’y attaquer !
— L’égalité dans la représentation des genres dans les conseils d’administration des grosses sociétés, plus de formation scientifique pour les filles, de l’aide pour la création d’entreprises. Une meilleure protection pour les femmes qui veulent mener vie de famille et boulot de front. Et si les recommandations légales ne sont pas respectées, de vraies sanctions pécuniaires. Des sommes tellement astronomiques que tout le monde va se ranger. Et les sommes récoltées par le paiement des amendes, parce que je sais qu’il y aura toujours des récalcitrants, serviront à financer des garderies qui permettront aux filles mères de suivre des formations ou de travailler. De vraies garderies, ouvertes avant 7 heures 30 pour qu’elles puissent aller au boulot à l’heure sans risquer de se faire virer! Et…
— Oh mon Dieu Leila, tu n’arrives même plus à t’arrêter de parler... constate Elle en rigolant.
On rigole comme des gamines avant de retrouver notre sérieux.
— Mais dis-moi Leila, qu’as-tu sacrifié cette fois ci ?
— Pourquoi tout le monde me pose la même question à chaque fois ?
— Parce qu’à chaque fois c’est ce qui se passe ma chérie. Pourquoi penses-tu que les hommes passent leur temps à nous abrutir de notion telle que la femme est le socle de la famille, elle est la mère de la nation et patati patata… parce que c’est nous qui trinquons à chaque fois que ça va mal… On nous éduque pour que nous nous sentions obligée de nous sacrifier à chaque fois ! N’est-ce pas ce que tu as fait jusqu’à présent ?
— Si …
Mais ce qu’elle ne sait pas c’est qu’elle vient de me convaincre de ne rien sacrifier … J’éclate de rire… comme à chaque fois que je prends une décision terrible, une décharge électrique me traverse le corps. Un stress terrible, que j’ignore tout simplement. Je sais garder la tête froide quand il s’agit de résoudre les problèmes de mes clients ! Mais lorsqu’il s’agit de moi, je m’emmêle les pinceaux. Pour une fois, je vais prendre un risque calculé !
— Euhhh t’es bourrée ?
— Non. Ah Elle que serais-je sans toi à mes cotés ?
— Pardon.
— Tu as mille fois raison. Comme une idiote c’est ce que j’allais une fois de plus faire. J’ai négocié avec mon grand père pour qu’il laisse les entreprises d’Alexander tranquilles et en contre partie je cède la moitié du cabinet. Et à sa mère, juste pour qu’elle vienne je lui ai dit qu’après la cérémonie, on rentrait en Inde, qu’elle pourrait enfin voir son fils tout son saoul et essayé de recoller les morceaux avec lui. Que je ferai tout pour cela.