Chapitre 14 : Girl Trip
Ecrit par Chrime Kouemo
Simon cliqua sur l’icône « lecture » de la vidéo. Denise apparut sur l’écran, le regard enjôleur. Son justaucorps noir soulignait les moindres courbes de sa silhouette élancée et dessinait les muscles fins de ses cuisses et de ses mollets dont le galbe était rehaussé par ses talons aiguille. Dans une démarche ondulante, elle avança vers l’objectif, puis enchaînant des mouvements compliqués mêlant bras et jambes, elle se mit à danser. Avec une souplesse digne d’une contorsionniste, elle glissait au sol, se relevait, se penchait vers l’avant, le tout de façon parfaitement rythmée. Ses mouvements étaient harmonieux, gracieux. Les expressions de son visage changeaient en fonction de ses pas tandis qu’elle évoluait, occupant le cadre de l’écran. Elle clôtura sa chorégraphie en effectuant une sorte de vague, tête en arrière, puis se réceptionna sur les genoux.
Impressionné, fasciné, il visionna les deux vidéos suivantes qu’elle avait postées la veille sur sa chaîne YouTube. Elle avait du style, et énormément de talent, c’était indéniable même pour quelqu’un comme lui qui n’y connaissait absolument rien dans le domaine.
— Simon ?
Il rabattit précipitamment le clapet de son ordinateur. Il n’avait pas entendu Amandine revenir de la cuisine où elle s’était enfermée pour préparer le repas.
— Oui ?
Il se tourna pour la regarder.
— Tu faisais quoi ? demanda sa petite soeur en plissant les yeux.
— Rien, pourquoi ?
Un sourire moqueur naquit sur les lèvres de sa soeur.
— Tu regardais une vidéo de Denise…
— Euh… non, pas du tout. Tu as mal vu.
Il faillit se donner une gifle. Son propos sonnait tellement faux.
— J’ai bien vu, au contraire.
— Tu voulais quoi ? demanda t-il à son tour, changeant de sujet.
Amandine croisa les bras sur sa poitrine.
— Après tout le speech que tu m’as fait sur les cours de danse de Denise, je te surprends entrain de mater une de ses vidéos. il y a de quoi se poser des questions.
Simon ne répondit rien, et se pencha pour poser son ordinateur sur la table basse.
Amandine fit le tour du canapé et vint se placer en face de lui.
— Il s’est passé un truc entre elle et toi ?
— Où est-ce que tu vas chercher ça ? Contra t-il aussitôt, le regard néanmoins fuyant.
— Excuse-moi, mais je ne te crois pas. J’avais quelques doutes à la messe d’action de grâce quand je vous ai observés tous les deux; mais maintenant, je suis sûre.
— Bon, si tu n'avais rien à me demander, je vais dans la chambre. Appelle-moi quand c'est prêt.
Sa petite soeur secoua la tête, le regard toujours suspicieux.
— Dis-moi la vérité, Simon, je sais que tu me caches quelque chose.
Il s’arrêta, partagé entre l’envie de tout lui avouer et celle de garder le secret. Ce fut plus fort que lui. Il avait une pleine confiance en Amandine, elle saurait être discrète.
— J'ai couché avec Denise.
— Quoi ? S’écria t-elle les yeux écarquillés.
Simon se rassit sur le canapé, la tête dans les mains. Il avait espéré que les jours passant, il verrait plus clair quant à l’issue de sa relation avec Esther. Bien au contraire, il était plus perturbé que jamais, et littéralement obsédé par Denise. Il ne parvenait pas à la chasser de ses pensées malgré tous ses efforts. Elle s’y insinuait à tout moment de la journée et sans crier gare. Heureusement pour lui, Esther ne semblait pas s’être rendue compte de son changement d’attitude. Il espérait que les choses reviendraient à la normale très vite, car l’unique certitude qu’il avait était que sa locataire n’était pas faite pour lui; il était suffisamment lucide pour le savoir même si ses sens n’étaient pas de cet avis pour le moment.
— Et que comptes-tu faire avec Esther ? reprit sa soeur, comme il gardait toujours le silence.
— Ca ne change rien à ma relation avec Esther, dit-il posément. C’était une erreur qui ne se reproduira plus.
— Hum…
Il releva la tête. Amandine semblait sceptique.
— J’aime Esther… et puis, de toutes les façons, il ne peut rien y avoir entre Denise et moi, elle ne correspond pas au type de femmes que je recherche.
— Si tu le dis... Pour ton info, je vais justement passer quelques jours avec elle chez son frère qui vit dans le Nord du Cameroun. J’espère que ça ne te dérange pas ?
Bien sûr que ça le dérangeait, mais il voulait être bien pendu avant de l’avouer.
— Euh... Non, pas du tout.
***
Armelle se redressa sur son lit. Ralph était rentré, elle entendait ses pas dans le couloir. Elle jeta un coup d’oeil à sa montre, il était déjà 17h. Elle s’était assoupie après une longue matinée passée à empaqueter ses affaires et celles de Stan.
La poignée de la porte s’abaissa. Les battements de son coeur s’accélèrent. C’était le moment.
Ralph apparut sur le seuil de la porte, un petit bagage dans une de ses mains. Leurs regards se croisèrent brièvement.
— Ça va ? Demanda t-il en se dirigeant vers le dressing pour y ranger son bagage.
— Oui, et toi ? Tu as passé un bon week-end ?
Il s'assit sur le lit et entreprit d'ôter ses chaussures.
— Oui, on a passé un bon moment avec les potes. Les travaux de notre complexe hôtelier à Kribi ont démarré, on a eu toutes les autorisations administratives; on a bien fêté ça.
— Ah ! fit-elle pour seul commentaire.
Si elle avait encore besoin d’une preuve qu’elle ne comptait même pas pour du beurre dans sa vie, elle l’avait. Elle ne savait même pas qu’il était parti à Kribi. D’ailleurs, c’était tout à fait par hasard qu’elle avait appris par la femme d’un de ses amis le projet de complexe hôtelier qu’il avait monté avec son groupe d’amis. Quand elle avait essayé de s’en plaindre, il l’avait rabrouée comme une malpropre.
Armelle regarda Ralph se débarrasser de sa chemise et de son pantalon. Malgré sa bedaine de bière, il restait encore très séduisant. Un pincement au coeur la saisit. Elle avait aimé cet homme. Une part d’elle l’aimait même encore d’une certaine façon, mais elle ne pouvait plus rien espérer de cette relation qui était morte plusieurs années auparavant. La nuit dernière avec Bobby lui avait montré qu’elle méritait mieux que ce qu’elle vivait depuis longtemps.
Pendant que Ralph prenait sa douche, elle laissa son regard errer dans chaque coin de la grande chambre parentale. Elle se rappela le soin particulier qu’elle avait pris pour dessiner le dressing afin de le faire réaliser par un menuisier, sélectionner les tissus pour la confection des rideaux.
Ralph revint de la salle de bains, vêtu d’un jogging et d’un débardeur. Il allait s’étendre sur le lit quand elle l’interpella.
— Ralph, il faut que je te parle.
— A propos de quoi ? l'interrogea t-il sans même lui adresser un coup d'oeil.
— Je te quitte, lâcha t-elle.
Il releva la tête brusquement.
— Hein ?
— Je te quitte, répéta t-elle d’un ton calme, luttant contre la boule d’émotions qui s’était formée dans sa gorge. Je ne peux plus continuer comme ça.
— Co... comment ça ?
— Ça ne marche plus entre nous depuis longtemps, tu le sais. On ne partage plus rien. Tu fais tes choses dans ton coin, et moi je suis là comme une potiche à attendre que tu me considères.
Ralph la fixait, complètement hébété, les yeux ouverts comme des soucoupes, les bras pendant le long du corps.
— J’emménage dans mon appartement la semaine prochaine. Si ça ne te dérange pas, je vais rester dans la chambre d’amis, ça nous laissera la semaine pour parler tranquillement à Stan. Il faudra qu’on discute des modalités de sa garde.
Ralph était toujours silencieux, se contentant de la fixer avec un air de petit garçon perdu. Elle attendit quelques secondes encore avant de reprendre :
— J’espère que tu trouveras celle qui te correspondra et que tu seras heureux.
Un silence pesant accueillit ses dernières paroles. Il ne savait visiblement pas quoi dire. Elle récupéra son téléphone portable sur la table de chevet et après lui avoir adressé un dernier regard, sortit de la pièce.
Elle s’étendit sur le lit de la chambre d’amis. Ses valises déjà fermées à l’exception d’une seule étaient disposés le long d’un mur.
Elle soupira. C’était fini. Elle ne s’attendait pas à ce mutisme de la part de Ralph. Il était souvent tellement prompt à l’accabler de mots durs et méprisants qu’elle ne comprenait pas ce manque de réaction venant de lui.
Stella passerait déposer Stan d’un moment à l’autre. Elle espérait trouver les mots justes pour parler à son petit garçon.
Une semaine plus tard...
— Je ne veux pas partir. Je ne veux pas quitter mon papa ! S’écria Stan alors qu’Armelle sortait de sa chambre avec son bagage.
Les yeux embués, Armelle étendit la main pour le caresser. Il se déroba et courut se jeter dans les bras de Ralph qui était en retrait. Elle croisa son regard accusateur.
Affligée, elle attendit patiemment que son fils se calme. Elle ne pensait pas que ce serait aussi éprouvant. Stan avait semblé plutôt bien prendre la nouvelle quand Ralph et elle lui avaient parlé quelques jours plus tôt. Enfin, c'était surtout elle qui avait parlé, son ex était resté muet comme une carpe. De toute la semaine, il ne lui avait d’ailleurs pas adressé la parole en dehors des politesses d’usage en présence de leur petit garçon. Sa mère avait pris le pli elle aussi et ne répondait plus à ses messages et coups de fils depuis qu’elle l’avait informée de sa décision. La semaine avait donc été extrêmement pénible. Heureusement, le soutien de sa sœur et de Denise et les conversations quotidiennes avec Bobby tempéraient la morosité qui menaçait de l’envahir. Lui parler l’apaisait, et lui donnait la force d’affronter cet énorme tournant dans sa vie qui, même si elle le savait nécessaire, l’effrayait. Elle s’étonnait parfois de l’importance qu’il avait pris dans sa vie en si peu de temps. Discuter avec lui était presque devenu vital. Ça lui faisait un peu peur, elle devait le reconnaître aussi. La dernière chose qu’elle voulait était de laisser une fois de plus son bonheur dépendre de quelqu’un d’autre qu’elle.
Stan s’arrêta enfin de pleurer au bout de ce qui lui sembla durer une éternité. La mine triste, il lui emboîta le pas, la main dans celle de son père.
— On se voit la semaine prochaine, mon bonhomme, dit Ralph en s’accroupissant pour se mettre à la hauteur de son fils et l’étreindre une dernière fois.
Un vague pincement au cœur la saisit tandis qu’elle manœuvrait pour sortir de la propriété, laissant Ralph, la mine déconfite, debout au milieu de la cour.
***
Denise rangea ses affaires dans le coffre de la voiture d’Armelle, puis s’installa sur le siège passager.
La journée avait été intense. Elle avait enchaîné plusieurs cours sans réellement faire de pause entre deux sessions. Une chance pour elle qu’elle se fit déposer par Armelle, lui épargnant un trajet en taxi après une journée aussi harassante.
Elle réprima une grimace en se rappelant qu’elle avait encore ses bagages à faire en vue du voyage du lendemain. Armelle, Amandine et elle s’envolaient pour Garoua dès 7h du matin. Ses deux amies qui rêvaient de découvrir la région s’étaient incrustées pour son plus grand plaisir dans son programme quand elle leur avait parlé de son séjour quelques jours plus tôt.
De profil, Armelle semblait perdue dans ses pensées, elle avait allumé le contact mais ses mains restaient inertes sur le volant depuis plusieurs secondes.
— Ça n´a pas l´air d´aller ? S’enquit Denise en fronçant les sourcils.
Armelle tourna la tête vers elle, l’air malheureux comme les pierres.
— Non, ca ne va pas très fort. Je ne verrai pas Stan pendant une semaine. C’est la première fois que je me sépare de mon fils aussi longtemps.
— Oh... ça ne doit pas etre évident.
— C’est difficile. Stan m’en veut toujours d’avoir quitté son père. Pour lui, je suis la méchante de l’histoire. J’ai failli craquer ce midi quand Ralph est venu le chercher, avoua t-elle en se cachant le visage de ses mains.
— Wèèè...
Denise posa sa main sur le bras d’Armelle, en signe de réconfort.
— J’ai peur que Ralph en profite pour monter mon fils contre moi.
— Est-ce qu’il t’a donné une raison de penser ça ?
— Non, répondit-elle en secouant la tête. Il ne m’adresse plus la parole, mais il est correct.
— Alors, arrête de te miner le cerveau avec ce genre d’idées. Je pense que tu as besoin d’un temps d’adaptation pour cette garde partagée.
— Ça doit être ça... souffla t-elle.
— Quant à Stan, ça lui passera. Les enfants s’adaptent beaucoup plus vite que nous les adultes. Essaie d’etre patiente. Et de ce que je sais de ta relation avec ton fils, rien, ni personne ne réussira à se mettre entre vous. Laisse-lui juste le temps de digérer.
Armelle se pencha spontanément dans ses bras et la serra avec effusion contre elle.
— Merci ! Tu me remontes le moral, tu ne sais pas à quel point.
— Je t’en prie.
Son amie démarra la voiture en douceur.
— Et toi alors, ca va mieux avec ta mère ? Lui demanda t-elle en se tournant vers elle.
— Non, et ça ne risque pas d’arriver d’ici là.
— Mais tu m’avais dit que tu soupçonnais qu’elle avait une maladie, non ?
— Oui, mais après m’être limite fait insulter pour avoir posé la question, je t’avoue que je ne cherche plus à pousser plus loin les investigations. Mylène ne m’a rien dit, mon frère Samy non plus, donc, je considère que ce n’est rien de grave.
— Ce doit être probablement ça.
— En tout cas, je mets ces tracas de côté pour quelques jours afin de profiter à fond de notre périple dans le nord. J’ai eu Samy tout à l’heure. Il nous a concocté un beau programme.
— Oh... j’ai hâte d’être à demain.
— À qui le dis-tu ?
Le lendemain matin, Armelle, Amandine et elle, toutes trois excitées comme des puces, embarquaient dans le vol Camair-Co à destination de Garoua.
Contrairement à tous ses aprioris, le trajet fut paisible. L’avion décolla à l’heure prévue et les hôtesses de l’air furent aimables. Une heure plus tard, elles atterrissaient dans la capitale du département du nord.
A travers le hublot, des volutes de fumée se formaient sur le tarmac chauffe par le soleil. Denise colla son nez à la vitre, admirant la savane qui se déployait au loin. Le paysage était radicalement différent de celui auquel elle était habitué.
Une demie heure plus tard, elles avaient toutes récupéré leurs bagages à son plus grand soulagement. Eloïse lui avait raconté que les problèmes d’acheminement de bagages étaient récurrents avec la compagnie aérienne.
Samy, son visage anguleux barré d’un sourire jusqu’aux oreilles, les attendait à la porte de débarquement. Elle se jeta dans ses bras, émue de le revoir. Les occasions de se voir étaient rares et ils ne s’appelaient que très rarement, mais elle ne doutait pas de l’affection sincère qu’il lui portait. Mylène et lui avaient été ses seuls liens avec la famille pendant longtemps durant son séjour à l’étranger.
— Bienvenue à Garoua ! Vous avez fait un bon voyage ?
Elles hochèrent toutes trois la tête. Denise fit les présentations avec Armelle.
Quelques minutes plus tard, elles embarquaient à bord du 4x4 de Samy.
— Comment vont mes nièces ? Demanda Denise alors qu’ils sortaient du parking de l’aéroport.
Son frère Samy était marié et heureux papa de trois filles dont il était complètement gaga.
— Très bien ! Elles ne tenaient plus en place tout à l’heure et voulaient même m’accompagner. Ça a été compliqué de leur faire comprendre que je n’aurais pas assez de place dans la voiture en les prenant avec moi.
— J’ai aussi hâte de les revoir. Tu devrais plus souvent les envoyer à Yaoundé pour les vacances pour qu’elles profitent de la famille.
— Ou peut-être, toi et les autres pouvez aussi faire l’effort de venir nous rendre visite ici, suggéra son frère en lui adressant un clin d’œil.
— Ouais... c’est vrai aussi. En tout cas, je suis là. Il ne tient qu’à toi de me trouver des arguments pour revenir.
— Tu doutes ?! Et vous ? C’est aussi votre première fois dans le nord ? Demanda Samy à Armelle et Amandine.
— Oui !
— J’avais été à Ngaoundéré il y a quelques années à l’occasion d’un séminaire, mais je n’avais pas eu l’occasion de visiter, ajouta Armelle.
— Ok. Ce sera donc une totale découverte. Je pense que vous allez apprécier.
— C’est quoi le programme ? S’enquit Denise.
— Demain, nous irons au Lamidat de Rey Bouba, dimanche on visitera le parc national et nous dormirons sur place.
— Intéressant !
Le trajet jusqu’à Tcholliré, petite localité à quelques centaines de kilomètres de Garoua dura environ trois heures. Samy avait été nommé sous-préfet du département cinq ans plus tôt. Depuis lors, il était tombé amoureux de la région.
Le dépaysement pour le moment était total. La savane s’étendait à perte de vue. On était loin de la forêt dense aux arbres touffus qui constituait le paysage de la région du centre d’où elle venait.
Les filles de Samy jouaient dans la cour à leur arrivée. Elles s’élancèrent aussitôt vers la voiture, sautillant et poussant des cris perçants. Denise sortit et les serra dans ses bras, le cœur bienheureux. Ses nièces étaient aussi affectueuses que leur papa. Reine, l’épouse de Simon, une femme de taille moyenne, robuste et au teint clair, s’avança vers elles, un grand sourire aux lèvres.
— Les filles, dit Denise en riant à ses nièces qui s’étaient accrochées à chacune de ses jambes. Vous me laissez embrasser aussi votre maman ?
Elles acquiescèrent à contre cœur.
Denise salua sa belle sœur d’une accolade chaleureuse. Elle l’avait rencontrée seulement à deux ou trois reprises, et à chaque fois elle en avait gardé un bon souvenir. Reine était sympathique et savait mettre les gens à l’aise.
Après les politesses d’usage, ils allèrent rapidement se réfugier à l’intérieur. Le soleil tapait déjà violemment à cette heure de la journée.
Quelques instants plus tard, ils étaient attablés dans la salle à manger, à déguster un délicieux couscous de riz à la sauce gombo.
Le lendemain matin, ils embarquaient tous en direction du Lamidat de Rey Bouba dans un minibus que son frère avait loué pour l’occasion. Après un trajet d’environ quarante cinq minutes sur une route non bitumée et fort poussiéreuse, le lamidat de Rey Bouba apparut au loin, dans toute sa splendeur. Émerveillées, Denise et ses amies dégainèrent leurs smartphones, essayant de capturer comme elles pouvaient ce bijou architectural tellement beau qu’il semblait irréel. A l’entrée du Palais Royal du Lamido, des chevaliers, s’apprêtant pour la parade quotidienne, se dressaient sur leurs montures à la croupe recouverte d’une étoffe colorée. D’après les explications du guide engagé par Samy, le Lamido, également Sultan de Rey Bouba, sortait dans sa cour royale tous les après-midis pour saluer ses sujets.
Samy stationna le mini van près de l’entrée. A quelques mètres de là, un groupe de mendiants étaient assis sur des nattes installées à même le sol poussiéreux. Suivant les consignes du guide Oumarou, ils les saluèrent poliment et leur laissèrent quelques pièces dans les calebasses posées à leurs pieds.
Denise leva la tête, appréciant la splendeur de la muraille de pierre qui ceinturait le Palais Royal. Plusieurs touristes étaient amassés devant la porte principale au gigantesque toit de chaume, attendant de pouvoir accéder aux cours du palais.
— C’est époustouflant ! S’extasia Amandine derrière elle.
— Ça laisse sans voix effectivement, appuya Denise. On a de la peine à croire qu’on est toujours au Cameroun.
— Et encore ! Ce n’est que le début. Il y a tellement de choses à visiter dans cette région, enchérit Reine en tenant d’une main ferme ses deux derniers filles.
— Je reviendrai, c’est sûr ! Déclara Armelle.
Dans la grande cour où ils se retrouvèrent avec les autres touristes, les valets du royaume les invitèrent à former un arc de cercle. Quelques minutes plus tard, le Lamido, Sultan de Rey Bouba, faisait son entrée dans la grande cour. A ses côtés, ses serviteurs accompagnaient ses pas, tenant un grand parasol au dessus de sa tête et agitant de larges éventails pour lui faire de l’air. Dans sa grande gandoura blanche et sa chèche de la même couleur qui lui recouvrait une bonne partie du visage ne laissant libre que la bouche, les yeux et le nez, il imposait sa présence. D’une voix forte, le griot qui le suivait, chantait ses louanges.
Impressionnée, Denise observait la scène en silence. Des sujets s’approchèrent du Sultan, le dos courbé à l’extrême. Oumarou leur avait expliqué que le peuple considérait le Lamido comme une divinité et de ce fait, il ne devait être regardé dans les yeux.
La parade terminée, le Sultan et ses sujets retournèrent dans leurs quartiers composés de plusieurs cases.
Denise prit plusieurs photos devant ces cases anciennes aux toits de paille rasant presque le sol qui dataient pour la plupart du 19eme siècle. Elle aurait aimé avoir de plus amples explications de la part du guide au sujet de ces constructions hors du commun et qui forçaient le respect de part leur longévité. Elle pensait qu’il était primordial de conserver ce patrimoine envers et contre tout, même si une autre part d’elle ne pouvait s’empêcher de ressentir de la désolation pour tous ces sujets du royaume dévoués à leur Lamido alors que pour la plupart, ils avaient hérité d’un destin qu’ils n’avaient pas choisis.
Denise se laissa tomber lourdement dans le fauteuil rembourré traditionnel du lodge qu’elle partageait avec ses amies au campement de Boubandjida. La journée avait été riche en découvertes et apprentissages. Elle en avait eu plein la vue. Après le Lamidat, ils avaient visité quelques petits villages du Rey et avaient assisté pour leur plus grand plaisir à un concert de tam-tam ainsi qu’à un spectacle de danse « Mboum Babal » qui clôturait la cérémonie de mariage traditionnel. La journée du lendemain promettait d’être toute aussi intéressante avec la visite guidée du parc national de Boubandjida.
— Waouh ! S’exclama Armelle en prenant place sur le fauteuil en face du sien. C’est calme par ici.
— Je confirme. Mon quartier me semble tout d’un coup très bruyant en comparaison. Tu as eu Stan finalement ?
Un sourire illumina les traits d’Armelle.
— Oui, Ralph me l’a passé au téléphone. Il m’a dit que je lui manquais et m’a demandé des photos de l’endroit où j’étais.
— Oh ... c’est mignon
— Oh oui ! Appuya Armelle d’une voix guillerette. Il semble avoir tout oublié la crise d’il y a deux jours.
— C’est cool. Il faut juste qu’il trouve ses marques dans sa nouvelle vie.
— C’est sûr.
— Et tu as des nouvelles de notre locksé baraqué ? Demanda t-elle avec un sourire malicieux.
Les prunelles de la jeune femme s’animèrent aussitôt.
— Oui. On s’est échangé plein de messages pendant le trajet jusqu’ici. Il revient de Joburg la semaine prochaine.
Elle s’interrompit un instant et baissa un peu la voix avant de poursuivre :
— J’ai trop hâte de le revoir. Je ne sais pas ce qu’il m’a donné pour que je me sente si bien avec lui. Ça ne fait même pas trois mois que je le connais !
— Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années, dit le proverbe. Je suis contente pour toi. Tu rayonnes quand tu parles de lui.
Amandine apparut sur le seuil de la porte, les bras chargés d’un grand plateau contenant une théière et trois petites calebasses.
— Vous avez commencé les divers sans moi ?! S’exclama t-elle d’un ton faussement indigné.
— Ekié ! La bouche des bébés de vingt ans fait quoi dans les choses des grandes personnes ? Rétorqua Denise, espiègle.
Elles s’esclaffèrent toutes les trois. Alors qu’elles s’étaient rencontrées pour la première fois La veille de leur départ de Yaoundé, une complicité s’était installée naturellement entre Amandine et Armelle, malgré leur différence d’âge, exactement comme avec elle. La sœur de Simon était une jeune femme adorable. Sa nature joviale était d’autant plus admirable quand on connaissait son histoire familiale. Son grand frère avait vraiment fait de l’excellent travail.
Simon... Sa pensée s’imposa à elle sans prévenir comme à moult reprises depuis ce fameux soir. Et comme à chaque fois, une envie teintée de culpabilité et de honte s’emparait d’elle. Le fait de se dire qu’elle avait pris une décision raisonnable et juste, que partageait le co auteur de son forfait ne changeait rien à l’affaire. Elle avait espéré vaguement que ces jours de coupure lui permettrait de mettre un véritable « off » sur tout cela, mais elle était loin du résultat. La présence d’Amandine devait y être pour quelque chose, se justifia t-elle intérieurement.
C’est en sirotant leurs boissons chaudes qu’elles poursuivirent leur papotage jusque très tard dans la soirée.
La voix off féminine de la compagnie aérienne invita les derniers passagers à s’enregistrer. Denise fit la moue en regardant Samy. Cinq jours étaient si vite passés; elle aurait voulu rester un peu plus longtemps mais cela n’aurait pas été raisonnable. La promotion de son spectacle sur les chaînes de TV allait être lancée dès la semaine prochaine; elle avait pour l’occasion plusieurs rendez-vous à honorer dans des émissions.
Ce bref séjour en compagnie de son frère, sa famille et ses nouvelles amies lui avait fait énormément de bien. Les paysages de la région si particuliers et totalement différents de ceux qu’elle avait eu à visiter lui avaient permis de se vider la tête et de prendre du recul avec ses inquiétudes. Le sujet de Madame Rita n’avait pas du tout été abordé et elle en savait gré à son grand frère pour cela. Durant ces derniers jours, elle ne s’était pas non plus inquiétée du contenu vidéos de sa page et de la vente des billets du spectacle. À chaque jour, suffisait sa peine.
— Je ne saurais comment te remercier Samy, pour ton accueil et ta disponibilité. J’ai passé un excellent séjour.
— Je t’en prie, sœurette.
Ils s’étreignirent durant de longues secondes. La gorge serrée, elle se détacha de lui.
— Fais bon voyage. Tu fais signe quand tu arrives ?
— Ok. Merci encore pour tout.
Après un dernier signe de la main, elle rejoignit Armelle et Amandine qui l’attendaient à la porte d’embarquement.