Chapitre 16
Ecrit par Meritamon
Tahaa se présenta au concert dans le
petit bar rempli à craquer de la petite ville. L’homme arriva
intentionnellement en retard, délibérément au bras d’une autre jeune femme,
jolie de surcroît.
Lorsqu’il croisa le regard de Serena,
celle-ci ne put cacher son mépris à son égard. La jeune femme était juchée sur
la petite estrade, un micro à la main. Elle s’adressait à l’assemblée
présente pour introduire Idy au public. Elle portait une époustouflante
robe de mousseline vert émeraude qui mettait en valeur son teint ébène velouté.
Pour Tahaa, elle incarnait avec perfection ce poème
de Senghor... femme noire, femme nue, vêtue de ta couleur qui est vie, de ta
forme qui est beauté…
Il ressentit involontairement une
jalousie et une possessivité à son endroit. Le jeune homme se convainquit que
d’ici la fin de la soirée qu’il commettrait un meurtre puisque tous les hommes présents n'avaient d'yeux que pour elle.
Très sophistiquée, la jeune femme avait
relevé ses cheveux en un chignon qui laissait échapper quelques mèches rebelles
et qui révélait une nuque d’une grande délicatesse. Elle tenait un petit papier
sur lequel elle avait griffonné des notes et avec son assurance habituelle, s’adressait,
dans un français au léger accent étranger, à une assistance subjuguée.
Personne dans la salle ne remarqua son
léger trouble, alors que ses pensées la menaient inexorablement à Tahaa.
Dire qu’elle avait embrassé ce goujat;
dire que son premier vrai baiser à vie avait été échangé avec cet homme qui ne
lui témoignait aucun égard en s’affichant avec une autre femme, fulmina Serena.
Pourtant, Tahaa ne lui devait rien.
L’homme avait honoré leur marché et avait fait l’effort d’assister à une partie
du concert. Il pouvait amener qui il souhaitait à cette fête, il n’était pas
obligé de justifier ses fréquentations, surtout pas à elle puisqu’ils n’étaient
rien l’un pour l’autre; voilà qu’il y a quelques semaines, ils étaient encore de
parfaits étrangers....
De plus, c’était
Serena qui faisait des efforts pour éviter l’homme, pour ne pas le croiser ni devoir
lui parler.
Les choses avaient pris une
tournure inexplicable depuis qu'ils s'étaient embrassés. Tahaa avait réussi à charmer la jeune femme malgré
toutes les barrières et les résistances qu’elle avait érigées entre eux. En un
baiser, tout s’était bonnement effondré, la laissant désemparée et fragile face
aux émotions qui se disputaient son cœur.
Inna, à qui rien n’échappait fut la première à constater l’état d’esprit de Serena. Sa jeunesse et sa naïveté faisaient en sorte qu’elle était incapable de dissimulation et qu’il fut facile de lire en elle comme dans un livre ouvert. Serena vivait dans le silence de quelque chose qui ressemblait à une passion naissante. La jeune femme était rêveuse et distraite quand elle était seule ou croyait être seule.
"Quelle sotte j’ai été de me laisser
aller ainsi à lui… J’aurai dû être plus prudente, j’aurai dû lui résister. J’aurai
dû…" se blamait-elle sans arrêt.
« Sans plus attendre, chers invités,
voici le moment que nous attendons tous : le talentueux Idy Badr! Pour le
plaisir de nos sens! ». C’est avec soulagement qu’elle arriva à la conclusion alors que des applaudissements chaleureux accueillaient son discours.
Un autre coup d’œil en direction de Tahaa accoudé au bar, elle l’aperçut qui discutait insouciamment avec la jeune inconnue, et lui en voulut pour son insensibilité.
De tous les hommes, il eut fallu
que ce soit lui qui réussisse à l'ébranler ! Un cultivateur du fin fond d’une région inconnue! Un homme de
surcroît presque ruiné…
*************
Tahaa était quasiment au bord du gouffre financier.
Serena l’apprit de son père lorsqu’elle voulut connaître
les détails du marché que Malick Hann avait conclu avec Tahaa, au téléphone. La
jeune femme fut stupéfaite par cette nouvelle. C’était du Tahaa
Badr tout craché, avec sa maudite fierté et son stupide orgueil. Jamais elle ne
l’avait entendu se plaindre malgré qu’il fût, selon les dires de son père, complètement fauché.
- Il n’y a
pas de marché spécifique entre Tahaa et moi. Je lui verse une certaine somme d’argent
afin qu’il te garde sur son domaine pendant cette période trouble. C’est tout,
fit son père, légèrement ennuyé qu’elle aborde cette question avec lui.
- Et qu' arrivera-t-il quand je m’en irais d’ici, papa? Vas-tu continuer d’aider Tahaa?
Un silence éloquent lui répondit à l’autre bout du fil et d’une voix pressée, son
père annonça durement.
- Je ne suis
pas une institution de charité, Serena! Je paie déjà ses dettes, ce qui est
beaucoup.
Serena dû insister pour avoir des explications.
- Si je comprends bien, il n’y
aura pas de financement futur pour le domaine agricole de Diarri?
- Serena! D’où sors-tu cette information? Non-sense! s'écria l'homme d'Affaires, irrité. Il n’ a jamais été question de financement. Même si ton oncle Charles a évoqué ce cas de figure, à un moment donné. Mais c’était avant de savoir que Tahaa était sur le point de tout perdre…
"Puis, honnêtement, je ne peux pas mettre des capitaux dans son secteur d’activité, il y a énormément de risques que je refuse de prendre. Il lui faut trouver d’autres investisseurs..."
- Pourtant, tu as promis de lui venir en aide... dit-elle avec reproches.
Malick Hann semblait exaspéré.
- Pas vraiment, j’ai
dit que je verrais s’il y a des gens d’affaires intéressés. Ce qui n’est pas le
cas…
- Donc, tu as bluffé tout ce temps?
- C’est les
affaires, Serena.
- Parce que Tahaa
n’est pas au courant de cela, papa. Tu lui as fait une promesse.
- Que je ne
suis pas obligé de tenir. Pourquoi tu te fais tant de soucis pour ces gens? Tu deviens sentimentale ou quoi? Demanda,
très intrigué, Malick Hann.
- Pour rien. Je pense seulement que Tahaa mérite une deuxième chance, papa, plaida-t-elle encore, sa famille et lui, travaillent très fort pour s'en sortir.
« Alors, ressaisis-toi. Tahaa
Badr est complètement ruiné. Il n’a pas pu s’adapter à la nouvelle ère, son
domaine et lui. Qu’est-ce que je t’ai appris? La vie est une évolution
permanente, et il faut s’adapter. Et tu sais à quel point je déteste l’interventionnisme. Toute chose qui n’arrive pas à s’adapter,
doit impérativement disparaître. C'est la sélection naturelle ».
C'était ça le mantra de Malick Hann, qu'il lui faisait répéter des centaines de fois quand elle était plus jeune.
Tahaa et son domaine étaient au bord de l’asphyxie. Il ne trouvait pas d’investisseurs qui s’intéressent à ses terres. Ses ouvriers quittaient de plus en plus nombreux le domaine, attirés par les villes et parce qu'il avait dû mal à les payer. L'homme était acculé de dettes envers certaines institutions bancaires. Malgré son travail acharné, sa vision et sa bonne volonté. Il lui manquait une ressource précieuse. Le capital.
- Dans ce
cas, pourquoi m’as-tu amenée ici? lui reprocha Serena.
- Il fallait t’éloigner de Nairobi coûte que coûte, peu importe quel endroit... s'il eût fallu t'emmener sur la lune, je l'aurai fait à cause du scandale. Mais, c'est le passé tout ça. Il est temps que tu reviennes, ça va faire plus d'un mois que tu es partie.
Effectivement, elle venait de passer 35 jours sur le domaine des Badr à travailler, à apprendre les coutumes, à
vivre lentement et apprécier les petites choses du quotidien. Même la perspective de retourner à Nairobi, à Londres ou ailleurs dans le monde lui donnait un serrement au cœur.
Malick Hann se plaignit de ne pas la rejoindre au téléphone quand il voulait parce qu'elle passait son temps dans l’étable ou dans les prairies auprès des bêtes qu’elle aidait à s’occuper et à soigner.
Il lui parlait de reprendre son
trimestre à Londres plutôt que prévu, de commencer un
stage dans un cabinet de consultants influent. L'homme d'affaires avait recommencé à planifier toutes les minutes de la vie de sa fille.
- Tu te souviens d’Harold Stander? Le magnat Sud-Africain... On skiait parfois ensemble pendant nos vacances d’hiver en Autriche. Tu étais une enfant et il te trouvait déjà bonne…. Il a fait son argent en rachetant quelques starts-up dans la Silicon Valley. Tu pourrais faire un stage dans sa compagnie afin que tu appliques par la pratique tout ce que je t’ai appris.
Serena faillit pousser un gloussement. Son père
ignorait que cela faisait des années qu’elle s’était mise à la pratique toute
seule, sans sa permission.
-
Je
t’avais dit qu’Harold travaille aussi avec son fils? Il s’appelle Ryan, il est diplômé d’Harvard, premier de sa promotion, un garçon brillant. Il a écrit des
articles pour le Washington Post sur la finance internationale, il est nominé dans le
top 30 under 30 de Forbes,. qui récompense chaque année 30 jeunes talentueux de moins de trente ans qui révolutionnent un secteur d'activité dans le monde. Je me suis dit que tu devais le rencontrer
peut-être… qui sait? Vous pourriez vous entendre. Ryan pourrait te donner des
conseils sur ta carrière, sur ce que tu envisages de faire plus tard… Je te verrais bien sur cette liste Forbes, un jour...
Malick Hann perçut l’hésitation de sa
fille à l’autre bout du fil. Pourquoi lui parlait-il soudain de ce Ryan ? Serena
parvint à lire entre les lignes ce que son père voulait d’elle : qu’elle
rencontre le fils du richissime Harold Stander, peut-être qu’une possible union entre
les deux familles, un mariage pourquoi pas? Des opportunités de travailler
ensemble, de fusion…
Son père était entrain de tâter le terrain pour voir comment elle accueillerait cette nouvelle. Le fils d’Harold pouvait être un
parti de choix....
Cependant, Malick Hann nota encore que sa fille ne
semblait pas très enchantée par la nouvelle, qui pourtant était d’une importance
capitale.
- J’apprécie
prendre du recul en ce moment dans cette région, père. Je vais rester encore au Fouta-Djalon comme convenu… pour réfléchir. Il ne me reste que quelques semaines.
Son père de soupirer de dépit dans le combiné du téléphone.
- Okay... Mais je voudrais que tu réfléchisses à cette proposition de rencontrer Ryan. C'est un jeune homme plein d'avenir. Il a déjà entendu parlé de toi… il est emballé de faire ta connaissance. Son père et moi travaillons sur des projets communs en ce moment.
Oui, évidemment. Le contraire n'aurait pas étonné Serena.
- Bon, je vais y aller, je dois
terminer un truc, père.
Malick Hann la retint de nouveau.
- Est-ce qu’il est correct avec toi, Tahaa? J’ai entendu dire qu’il avait été assez exigeant…
Serena, sans faire exprès, marqua une pause. Tout devenait compliqué avec Tahaa. Mais son père n'avait pas besoin de le savoir.
- N'est-ce pas ce que tu souhaitais? Qu'il soit exigeant... Tahaa est très correct. Notre relation est assez formelle. Ne t'inquiète pas, mentit-elle.
Pourquoi ressentait-elle le besoin de se justifier à
son père? Pourquoi avait-elle peur qu’il devine son émoi? Que les choses
avaient basculé? Qu'elle changeait surtout?
- Je vais y aller maintenant… Bye.
-
Attend,
Serena. Je voulais te dire que ton français s’est amélioré, félicitations. Je
suis content aussi d’avoir eu cette conversation avec toi. Je t’envoie une photo de Ryan ainsi que son parcours professionnel. Tu me diras ce que tu en penses. Pas de pression surtout, ajouta son père.
- Entendu... Bye.
Elle raccrocha avec soulagement, se passa la main sur le front. Elle se convainquit d'une chose, Tahaa avait besoin d'une seconde chance pour sauver son domaine. Une idée aussi géniale que risquée venait de germer dans le vif esprit de la jeune femme. Il fallait qu’elle y réfléchisse tranquillement, la laisser mûrir, évaluer les chances de réussite et les conséquences de son action.
La jeune femme vérifia le réseau sur son téléphone et envoya un message à Jay Patel.
- Hey! connard... We need to talk, ASAP!
Cinq minutes plus tard, elle recevait ce message de Jay.
- Tes manières charmantes m'avaient manqué, princesse. Que veux-tu? lui écrivit-il, avec son sarcasme habituel.
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Coucou, je suis contente de vous retrouver mes cher(e)s lectrices et lecteurs. Ça a été long, ça a été dur, ça l'est encore, je me suis dit de prendre mon épreuve une journée à la fois.
J'ai apprécié chaque message, chaque attention de votre part pendant cette période difficile de ma vie. Merci pour vos prières. Vous êtes formidables! bisous.
À très vite! Meritamon.