Chapitre 16

Ecrit par Auby88

"(...) Pauvre mère, en effet ! Un soupir étouffant

Parfois coupait sa voix qui murmurait : L'enfant !

Parfois elle semblait, dans la cendre enfouie,

Chercher une lueur au ciel évanouie,

Car la jeune âme enfuie, hélas ! de sa maison

Avait en s'en allant emporté sa raison !

On avait beau lui dire, en parlant à voix basse,

Que la vie est ainsi ; que tout meurt, que tout passe ;

Et qu'il est des enfants, – mères, sachez-le bien !

Que Dieu, qui prête tout et qui ne donne rien,

Pour rafraîchir nos fronts avec leurs ailes blanches,

Met comme des oiseaux pour un jour sur nos branches !

On avait beau lui dire, elle n'entendait pas.

L'œil fixe, elle voyait toujours devant ses pas

S'ouvrir les bras charmants de l'enfant qui l'appelle.

(…)

Car rien n'est plus puissant que ces petits bras morts

Pour tirer promptement les mères dans la tombe.

Où l'enfant est tombé bientôt la femme tombe.

Qu'est-ce qu'une maison dont le seuil est désert ?

Qu'un lit sans un berceau ? Dieu clément ! à quoi sert

Le regard maternel sans l'enfant qui repose ?

(…)

Victor HUGO, Fiat Voluntas"



*********

Des jours plus tard


Madame Suzanne ZANNOU


Je reviens de Cotonou.

Hélène est assise dans mon salon.

- D'où viens-tu, petite sœur ?

Elle me fatigue avec ses questions idiotes. Je suis quand même adulte et responsable !

- Je suis allée faire du shopping.

- Du shopping !

- Oui, j'avais besoin de m'acheter de nouveaux vêtements.

Elle me scrute.

- Je monte les ranger. On se revoit tout à l'heure.

Je sens ses yeux derrière mon dos. Je m'en fiche. Je chantonne en montant les marches. J'ai également acheté des vêtements pour Bella. Elle me l'a demandé. Je compte donc passer en premier dans sa chambre pour les ranger dans son dressing.

Je fouille mon sac, à la recherche de la clé qui ouvre la porte de Bella. Je l'insère dans le trou à plusieurs reprises, mais elle ne tourne pas. Elle reste bloquée. Je rêve ou quoi ! C'est pourtant la bonne clé. Que se passe-t-il ?

Je descends précipitamment les escaliers et reviens vers Hélène.

Avant même que je ne pipe mot, elle s'adresse à moi en ces termes :

- J'ai fait changer la serrure. Ce n'est pas bien que tu passes autant de temps dans la chambre de ta fille !

- De quel droit te permets-tu d'opérer des changements dans ma propre maison, sans demander mon avis ?

- Je suis ta soeur aînée et je me dois de te protéger !

- Me protéger ! Mais de quoi ou de qui !

- De toi-même, Suzanne ! Tu ne vas pas bien !

- Foutaises ! Avoue que tu as toujours été jalouse et envieuse de moi ! C'est pour cela que tu détestes me voir heureuse !

- Là tu délires, petite sœur ! Je préfère faire semblant de n'avoir rien entendu.

- Nous avons assez parlé. A présent, donne-moi une copie de la nouvelle clé.

- Non, Suzanne ! Je suis désolée, mais tu ne l'auras pas. La chambre de Bella restera désormais fermée.


Je suis déboussolée.

- Tu ne peux pas me faire cela, Hélène ! hurle-je. Tu n'en as pas le droit !

- Oh que si !


Je commence par perdre patience.

- Tu ne me connais pas, Hélène ! Tu ne sais pas ce dont je suis capable ! Il vaut mieux pour toi que tu ne me contraries pas davantage !

- Tu ne vas pas bien, Suzanne. Tu devrais retourner voir le psy !

- Jamais ! Je te le répète : Je vais bien.

- Non, tu ne vas pas bien ! Tu ne dors même plus la nuit. Tu n'avales pas les médicaments que je te donne. Et le pire, c'est que tout le monde ici t'entend parler avec Bella, alors qu'elle est morte !

- Morte ! NON ! riposte-je. Ma fille est plus vivante que jamais. Donne-moi la clé.

- NON.


C'en est trop pour moi ! J'empoigne le col de sa chemise et lève un poing.

- Tu veux frapper ta soeur aînée ?Allez, vas-y !

Je la fixe longuement puis finis par desserrer mon étreinte.

- Je vais prendre l'air. J'étouffe ici.

- Suzanne, reviens ici !


Trop tard. Je marche à grandes enjambées. J'atteins la rue. Il n'y a pas grand monde. Juste quelques passants  et surtout une femme qui s'amuse avec une petite fille.

J'entends la voix de Bella. Elle m'appelle "MAMAN". Je tourne dans tous les sens, mais ne la vois pas. Je ne l'entends plus. Je panique. Je sue abondamment.

A nouveau, je l'entends. Je tourne la tête. Elle est là, pas loin dans les bras de la femme que j'ai aperçue tout à l'heure. C'est elle, la petite fille. Je suis rassurée. Je ne dois pas perdre plus de temps. Je cours vers l'inconnue.


- Donnez-moi ma fille ! vocifère-je en sa direction.

Elle est surprise.

- Vous êtes folle ou quoi !

Elle ose me traiter de folle, alors que c'est elle la voleuse d'enfant. Je lui donne une belle gifle. Tandis qu'elle crie, j'essaie de prendre ma fille mais elle ne lâche pas prise. Ma fille se met à pleurer. Mon cœur de mère se serre.

Des gens alertés par nos cris s'attroupent autour de nous. Hélène aussi est là.


- Suzanne, arrête ! Ce n'est pas Bella !

- Si. C'est ma fille !

Je m'accroche à ma fille qui continue de pleurer. Deux gaillards parviennent à me maîtriser. Je suis obligée de lâcher prise. Je suis tellement fâchée que je mords l'un d'entre eux et me débats du mieux que je peux. J'assène de violents coups de pieds à l'aveugle. Mes yeux sont empreints de colère. Je perds mes sandalettes et ma perruque quitte ma tête. Quelqu'un amène des cordelettes avec lesquels on m'attache les bras et les pieds, car je suis incontrôlable. Jamais auparavant, je n'avais fait preuve d'une telle force.


Hélène se lamente.

- Ma soeur a perdu la raison. Oh, mon Dieu !

Je la regarde avec mépris. Qui lui a dit que j'ai perdu la raison ? Idiote ! Traîtresse ! Soeur ignoble !


Contre mon gré, on me met dans une voiture. J'insulte tout le monde. Je me demande bien où on m'emmène. La voiture quitte Abomey-calavi pour Fidjrossè. Je devine déjà où on va.

- Hélène ! Tu n'as pas intérêt à m'emmener au Centre psychiatrique de Jacquot. Je ne suis pas folle. La seule folle ici, c'est toi !

Elle ne me répond pas. Elle coule toujours des larmes qui ressortent au fur et à mesure qu'elle les essuie.

C'est bien devant le "Centre de fous" qu'on s'arrête. Le portier nous ouvre le portail et on se retrouve à l'intérieur. Deux infirmiers viennent à notre rencontre et me soulèvent de la voiture. Je les regarde méchamment. On m'installe sur un lit d'auscultation. Je crie de toutes mes forces quand je vois l'un des infirmiers s'avancer avec une injection.

- Ne m'injectez pas ça. Je ne suis pas folle !

Personne ne m'écoute. On me retient de part et d'autre. Je sens l'aiguille entrer dans ma chair. Je crie en vain... Peu à peu, je perds mes forces. Mes paupières deviennent de plus en plus lourdes. Ma vision devient faible. Je n'entrevois que des formes, rien de clair. Mes paupières se ferment. Je ne vois plus rien…



*******

Un mois plus tard


Femi AKONDE

Aurore est en face de moi. Je lui parle, mais elle semble ailleurs.

- Aurore, tout va bien ?

- Hein ! réplique-t-elle, sans vraiment me regarder.

- Qu'est-ce qui ne va pas, Aurore ?

- Excuse-moi si je suis autant distraite aujourd'hui. Je pense à la mère de Bella. Cela fait un mois qu'elle est internée et j'ai vraiment pitié pour elle.

- C'est bien triste. J'espère que ce séjour au Centre psychiatrique lui fera du bien. Cette mère souffre beaucoup trop.

Elle soupire.

- Je me sens tellement coupable, Femi. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je ne regrette mes choix passés. Si seulement…

- Tu veux qu'on en parle ?

- Je ne sais pas. C'est tellement douloureux pour moi d'évoquer le passé, même avec le psychologue.


Je lui prends la main.

- Alors, tu me raconteras ton histoire quand tu te sentiras prête.

- Je veux le faire maintenant.

- Alors, je t'écoute. Prends tout ton temps.

Elle respire profondément avant de commencer.

- Je n'ai pas toujours été la gentille fille que tu as en face de toi. Avant, j'étais égocentrique et perfide. Avec maman, nous ne nous entendions jamais. Professionnellent, j'étais un grand mannequin qui avait de beaux jours devant elle. Sauf que je n'étais pas humble et je n'acceptais pas les défaites. Je faisais beaucoup de coups bas à mes concurrentes de l'agence de mannequinat. Bella était ma meilleure amie, ma petite sœur de cœur qui me connaissait depuis des années et que j'aimais beaucoup. Elle aussi était mannequin.

Elle inspire à nouveau avant de continuer.

- La nuit de l'accident, sa mère ainsi que la mienne ne voulaient pas qu'on sorte. J'ai toujours été indépendante alors je n'ai pas écouté ma mère. Quant à Bella, je l'ai convaincue de désobéir à sa mère pour me suivre. C'est pour cela que cette femme me déteste autant et m'accuse d'être responsable de la mort de sa fille. Nous nous sommes rendues dans une boîte de nuit où nous avons fait la fête jusqu'à l'aube. J'avais bu, mais ce n'était pas la première fois et je pensais être assez lucide pour conduire. J'ai pris le volant. Bella s'est endormie en chemin. Moi aussi j'ai commencé par somnoler, mais j'ai préféré continuer plutôt que de m'arrêter. Malheureusement, au niveau de l'Université d'Abomey-Calavi, j'étais tellement fatiguée que je n'ai pas aperçu ... le camion stationné dans le noir. J'ai freiné… de toutes mes forces… mais c'était trop tard.


Elle éclate en sanglots. Mon cœur souffre avec elle. Je me rapproche d'elle et la serre contre moi.

- Pleure autant que tu veux ! Je devine combien tout cela a été douloureux pour toi !

Ses mots sont entrecoupés.

- Tu … n'imagines… pas à quel point, Femi. J'ai perdu beaucoup dans cet accident. On m'a d'abord annoncé que j'étais complètement paralysée. Puis j'ai appris la mort de Bella. Après, j'ai passé huit mois éprouvants à l'Etranger où j'ai subi des opérations et fait des rééducations. C'est ainsi que j'ai pu recouvrer progressivement l'usage de mes mains. Je suis revenue au pays et quelques mois plus tard, j'ai dû faire face à une autre épreuve très douloureuse : pendant que moi je me soignais, mon petit-ami, celui que j'aimais par-dessus tout, me trompait avec une fille de l'agence que j'ai toujours détestée.

Je la regarde sans trop savoir quoi dire.

- Elle a profité de mon absence pour se rapprocher de lui, pour l'embobiner. Et lui, il est bêtement tombé dans son jeu au point de s'amouracher d'elle. Je me rappelle encore ce jour où je les ais vus ensemble, amoureux, chez lui. Ce même jour, tout mon monde s'est effondré. Je l'aimais tellement, Femi ! Tu ne peux savoir à quel point !

- Si tu es encore là, malgré toutes ces épreuves, c'est parce que tu es une femme forte, Aurore ! Et je suis sûre que le vrai amour frappera un jour ou l'autre à ta porte !

En parlant, j'essuie ses larmes du revers de ma main.

- Je ne suis pas encore prête pour une nouvelle relation. Et puis les femmes comme moi ont du mal à se trouver quelqu'un qui les aime vraiment.

- Ne dis pas cela, Aurore !

- Je suis sérieuse, Femi ! Quel homme, assez sensé, pourrait réellement aimer une femme dans mon état ?


Je m'arme de courage.

- Moi, Aurore !

Sur son visage, je lis de la surprise.

- Toi, Femi !

Je hoche la tête.

- Oui, Aurore. Je ne peux plus le cacher. Je suis ... amoureux de toi, même si ce n'est pas réciproque.

- Femi ! Je ne … sais ... quoi te dire.

- Ne dis rien. Je n'attends rien de toi. Je voulais juste que tu le saches.


Une larme coule sur sa joue.

- Aurore, tu pleures ?

Elle hoche la tête.

- Tu es vraiment quelqu'un de bien, Femi. J'aurais voulu te rencontrer des années plus tôt. Peut-être que je serais tombée amoureuse de toi. Mais là, mon cœur est encore blessé et je n'ai pas complètement oublié mon ex. Tu comprends ?

- Je te le redis, Aurore : je n'attends rien de toi. Allez, je ne veux plus te voir pleurer ! achève-je en nettoyant ses dernières larmes.

- J'espère que tu rencontreras une femme qui te méritera vraiment et qui t'aimera réellement. Approche-toi de moi.

- Pourquoi ?

- Ne discute pas. Viens.

Je me rapproche d'elle et je reçois un long et tendre baiser sur la joue.

- Aurore !

- Merci, Femi ! Merci pour tout ! dit-elle en me souriant.

Je lui rends son sourire.











SECONDE CHANCE