Chapitre 17

Ecrit par Auby88

Madame Suzanne ZANNOU


Aujourd'hui, j'ai accepté de me promener dans la cour du Centre psychiatrique. Je suis avec Hélène et Marie-Cécile.

Marie-Cécile est la femme qui occupe l'appartement voisin au mien. Je ne sais rien d'elle, bien qu'elle vienne souvent discuter avec Hélène.

J'avoue qu'elle a plusieurs fois tenté de mener une conversation avec moi, mais je ne le lui ai jamais permis.

Je ne suis pas venue ici pour me faire des amies. D'ailleurs, depuis deux mois que je suis ici, je n'ai qu'une seule envie : quitter cet endroit que je trouve sinistre. Qui aimerait vivre au milieu de fous ?


- Suzanne ! Comment vous sentez vous aujourd'hui ?

De quoi cette Marie-Cécile se mêle ? A ce que je sache, elle n'est pas mon psy mais une "folle" de la maison. Même si, elle semble guérie. En tout cas, je demeure muette.


- Excuse-la,  Marie-Cécile. Il arrive à ma soeur d'être … timide.

Moi, timide ! Elle est bien drôle, Hélène !

- Je vois, répond l'autre en me scrutant.

Je la remarque du coin de l'oeil.

- Sache que ma soeur va beaucoup mieux. Et ce depuis qu'elle a véritablement commencé à prendre ses médicaments.

Je toise Hélène. Fallait-il vraiment qu'elle ramène le sujet ? Je reconnais qu'au début du traitement, je continuais ma bonne vieille méthode : cacher puis cracher les médicaments. Mais j'ai dû abandonner car la plupart me brûlaient la bouche. De toute manière, je déteste toutes ces pilules qui vous font dormir énormément, modifie votre langage, vous font énormément uriner parfois sur vous-même et vous donnent l'impression d'avoir été assommée.

Tandis qu'on avance, je regarde tout autour de moi. Je remarque des chambres très modestes, comparées à l'appartement "chic" et meublé que j'occupe.

Des patients assis sur des bancs en pierre nous observent. Un malade s'approche de nous avec une pierre en main. Il me regarde bizarrement​. Je garde le bras d'Hélène. Il me sourit, dévoilant des dents jaunies. Il empeste  l'urine et la merde. Il ne s'est sûrement pas lavé depuis des mois.


- N'ayez surtout pas peur, Suzanne ! Ils ne vous feront rien. Certes, il y en a qui sont violents, mais ceux-là ne sont pas laissés en liberté dans la cour.

Je hoche juste la tête.

Une religieuse vient à notre rencontre.  Elle vient fréquemment s'enquérir de mon état de santé.

- Enfin, Suzanne, vous vous êtes décidée à sortir de votre chambre !

Je n'ai pas envie de lui répondre. Cependant par politesse, je hoche la tête.

- J'espère que vous continuez à bien prendre vos médicaments !

A nouveau, je fais oui de la tête.

- C'est bien. Je vous laisse.

Tandis que nous avançons, je remarque un jeune homme qui vient d'attirer mon attention. Celui-là doit avoir l'âge de Bella. C'est bien triste de le voir ici et ainsi. Il récite un chapitre entier d'un cours de Biologie, je pense.

- Celui-là, me dit Marie-Cécile, était un brillant étudiant en médecine. Personne ne sait exactement ce qui l'a rendu ainsi. Certains parlent de surmenage intellectuel tandis que d'autres​ pensent qu'on lui a jeté un mauvais sort.

Je ne dis mot, me contentant juste de regarder le jeune homme. Quelle triste vie !

Quelques minutes plus tard, une jeune fille vient se jeter au cou de Marie-Cécile. Son teint clair et son sourire me rappellent étrangement... Bella. Je me retiens pour ne pas l'appeler ainsi.


- Maman ! Comment vas-tu ? dit-elle en s'adressant à Marie-Cécile.

- Je vais bien. Et toi ?

Elle lui sourit largement.

- Je te rappelle que je ne suis pas seule.

Elle nous salue aussitôt en pliant un genou. Je hoche la tête tout​ en gardant les yeux sur elle. Marie-Cécile et la jeune fille reprennent leur discussion.

- Pourquoi ne t'ai-je pas vue hier ? J'avais préparé une bonne sauce d'arachide comme tu aimes.

- Oh, hier je suis sortie.

- Pour aller t'amuser, n'est-ce pas ?

Je l'entends rire.

- Un peu, maman.

- Attention à ne pas attraper une autre grossesse !

- Ah ! Cette fois-ci, je ferai attention.

- Tu as intérêt ! lui rappelle Marie-Cécile.

Elle sourit.

- Je vous laisse. C'était juste un bonjour. Je passerai vous voir tout à l'heure pour le repas de midi.

- Je t'espérerai.

- Aurevoir mamans, fait-elle en direction de nous trois.

Tandis qu'elle s'éloigne. Je garde les yeux sur elle.


- Celle-là semble être ta protégée, Marie-Cécile !

- En effet, Hélène. Elle est comme ma fille et je l'aide autant que je le peux. Elle a atterri ici, il y a quatre ans je crois. Personne ne sait ce qui a réellement déclenché sa "folie" . Elle va beaucoup mieux, mais demeure encore ici car sa famille l'a abandonnée. Elle fait donc partie des malades dont s'occupe le Centre. Ceux-là vivent dans un grand dortoir commun.

Malheureusement, elle est un peu frivole et naïve. On lui permet de sortir, mais elle revient souvent avec des grossesses dont on ne connaît jamais les géniteurs. Elle a eu récemment son troisième enfant.

- Et ils sont avec elle ?

- Ici ! Non. Le centre n'admet pas d'enfant. Un enfant ici court un réel danger. Un "malade" peut confondre l'enfant d'autrui au sien et vouloir s'en emparer. Les enfants sont donc laissés soit à leurs familles ; soit à l'orphelinat où ils sont adoptés pour la plupart, les mères n'étant souvent pas aptes à s'occuper d'eux.


Une fois encore, je regarde en arrière. Cette jeune femme m'intrigue si tant que je finis par sortir de mon mutisme.

- Dis Marie-Cécile, comment s'appelle cette jeune-femme ?

Ma soeur et Marie-Cécile semblent étonnées de m'entendre leur parler.

- Elle s'appelle Fifa.

- Fifa ! m'exclame-je.

Hélène jette un regard vers moi.

- Oui c'est bien cela, renchérit Marie-Cécile.


Je soupire. Quelle coïncidence étrange ! Elle porte le même prénom indigène que Bella !


**********


Rita MARTINS


- Allez, dépêche-toi​ ! dis-je en arrachant le stylo des mains de Steve.

- Voyons, Rita. Je suis en plein travail là.

- Mais il est 21h presque. La majorité de tes collègues doivent déjà être rentrés chez eux.

- Je sais, mais je tiens à finir ce que j'ai à faire ! C'est toi même qui m'a conseillé de travailler comme un forcené pour espérer une promotion.

En me parlant, il sourit. Il n'a pas tort.

- Oui, je m'en rappelle. Mais, fais une exception aujourd'hui. Tu m'as promis de m'accompagner au Karaoké Chez Alex's.  

- Pour voir et entendre chanter ce mec dont tu vantes si tant les prouesses vocales ?

- Tu ne vas quand même pas me dire que tu es jaloux ?

Il me toise.

- Je n'ai même jamais vu ce gars. Je sais juste qu'il a commencé a prester là récemment. Des amis m'ont parlé de lui et tu sais combien j'adore la bonne musique et les beaux​ timbres.

- Hummm.

Je lui dépose un bisou sur la joue.

- On y va maintenant ?

- Je …

- Si tu n'es pas intéressé, ce n'est pas grave. J'y vais seule ! achève-je en prenant mon sac.

- Attends, Rita. Je range rapidement mes dossiers.

Je souris intérieurement. Steve est tellement amoureux de moi que le seul fait de m'imaginer avec d'autres mecs le rend jaloux.


Une demi-heure plus tard.

Enfin, nous y sommes. Ça vient à peine de commencer. Le gars a vraiment une voix des plus suaves. Il interprète des variétés françaises, américaines et béninoises avec une justesse et une originalité qui me déroutent. Je suis fan de … sa voix quoi. Je n'ai d'yeux que pour lui. Et puis, il n'est pas mal. Il porte un polo noir sur un pantalon jean qui lui siéent bien. Les yeux de Steve m'épient. Je m'en fous. (Sourire)...


Le chanteur prend une pause pour faire une annonce :

- Cette chanson que je m'en vais interpréter, je la dédie spécialement à une personne exceptionnelle, une grande amie présente ici : Aurore AMOUSSOU ! Sois la bienvenue !


Pardieu ! Elle ! Je me retourne en même temps que Steve pour remarquer Aurore dans un coin de la salle. Mais qu'est-ce que les hommes lui trouvent à la fin ? Et moi qui croyais l'avoir anéantie en lui piquant Steve !

- Ton ex n'a pas perdu son temps. On dirait qu'elle ne te pleure plus.

- Tant mieux. Je suis ravie de la voir heureuse.

- Et cela ne te perturbe pas qu'elle soit à nouveau en couple ?

- Il l'a bien dit. Ils sont justes amis.

- Je ne le crois pas. Il y a plus qu'une simple amitié entre ces deux-là.

- Et alors si c'est le cas, Où est le problème ? Je trouve que c'est très bien. Je ne peux qu'être content pour elle.


Menteur ! Même ses gestes le trahissent. Je parie qu'il a ressenti une jalousie, minime soit-elle. J'ai perdu mon enthousiasme. Je regarde en arrière. Le visage toujours souriant d'Aurore m'agace et m'irrite. Elle semble bien apprécier la dédicace " I'll be there"  (Je serai là) de Jackson's Five pendant que moi j'enrage intérieurement. Steve aussi épie par moments Aurore, qui semble ne pas nous avoir vus.


* *

 *

A présent sur le podium, se trouve une chanteuse. L'homme a délaissé la scène pour se retrouver aux cotés d'Aurore. Ils discutent et sourient à n'en point finir.

- On peut rentrer à présent qu'il a fini sa prestation ? Je suis fatigué.

- Oui, Steve. Mais avant, je tiens à le féliciter.

- Ne fais pas cela, Rita ! Laisse Aurore tranquille ! ajoute-t-il en gardant mon bras.

Avec tact, je retire mon bras.

- Je me fiche d'Aurore. C'est lui que je veux féliciter et tu n'as pas à être jaloux, mon petit coeur ! dis-je en affichant un faux sourire.

A pas lents, je me dirige vers les deux soi-disant amis.


******

Femi AKONDE

La voix presque mélodieuse d'une jolie créature métisse interrompt la discussion entre Aurore et moi. Sur des escarpins noirs, elle porte une courte robe rouge assez moulante.

- Bonsoir, beau gosse ! dit-elle sans prêter attention à Aurore.

Je trouve cela déplacé, mais je lui rends quand même son salut. Aurore la toise.

- Je tiens à te féliciter. Tu chantes très bien.

Je sens qu'elle essaie de m'impressionner, voire même de me séduire. C'est vrai qu'elle est très belle, mais elle n'est du tout pas mon genre de femme.

- Ah Aurore ! Je ne t'avais pas remarquée. Je vois que tu es en pleine forme.

Aurore continue de la regarder sans dire mot. Je ne savais pas qu'elles se connaissaient.

- Steve et moi, nous nous faisions beaucoup de souci pour toi. D'ailleurs, il est là-bas ! ajoute-t-elle en pointant l'index vers un point de la salle.


J'essaie de comprendre ce qui se passe. Il y a quelque chose qui m'échappe.

- Je vois ! répond simplement Aurore.

- Bon, je vous laisse. J'espère, beau gosse, qu'on se reverra.

L'inconnue est partie, mais Aurore semble encore troublée. Elle a la tête baissée. Là, je comprends tout. La métisse est certainement celle qui lui a piqué son ex. Et l'ex en question n'est nul autre que le Steve assis là-bas. Je pose une main sur celle d'Aurore.

- On peut s'en aller d'ici si tu le souhaites. Je n'ai plus de prestation à faire.

Elle hoche la tête. Je pousse son fauteuil jusqu'à la sortie. Dans notre traversée, nous passons devant le couple en question. Aurore jette un regard vers l'homme, qui la regarde furtivement avant de détourner la tête. Je sens qu'elle pleure. Elle vient de passer ses mains sur ses joues.

J'ai vraiment mal pour elle. Si seulement, elle pouvait m'aimer rien qu'un peu, je m'évertuerai jour après jour à lui faire oublier son ex. Hélas ! Je ne suis qu'un ami pour elle et en tant que tel, je reste limité dans mes actions. Je la conduis jusqu'à sa voiture et la porte à l'intérieur.

- Ça ira ?

Elle fait juste Oui de la tête. Elle n'a pas envie de me parler. C'est compréhensible. Je prends congés d'elle et regarde sa voiture s'éloigner. Je soupire longuement puis je finis par hausser les épaules. La voir ainsi m'attriste profondément. Mais qu'y puis-je ? Elle aime encore son ex et c'est normal qu'elle souffre à chaque fois qu'elle le voit avec l'autre femme.

Résigné donc, je me dirige vers le garde-vélo pour récupérer ma moto.







SECONDE CHANCE