Chapitre 17
Ecrit par Meyroma
Cela fait déjà un long moment que Djibril est parti, fougueux à la recherche de Fati.
Toutes mes tentatives de le joindre au téléphone sont restées vaines. Si je n'étais pas cloîtrée dans ce lugubre lit d'hôpital et branchée à ces innombrables fils, je serais partie à sa quête aux quatres extrémités du monde. Il me tarde d'avoir de ses nouvelles.
Faisant appel a mon réservoir interne de foi, je m'adosse au chevet du lit, réajuste mon voile, joint mes deux mains et commence à réciter des invocation en faveur de mon fiancé.
Soudain, j'entends tourner le poignet de la porte.
Tiens c'est lui!
Djibril s'introduit dans la chambre d'une démarche nonchalante et une tête de chien battu. Il s'assied sur le rebord du lit et me fixe d'un regard désespéré, incapable de prononcé le moindre mot.
- Que s'est il passé mon amour ? Lui demandé-je tendrement.
Face à son mutisme, je persiste afin de connaître la raison d'un tel changement d'attitude, d'un homme tout à l'heure excessif à cet homme résigné.
- Ou es tu allé en sortant d'ici? Insisté-je pour le motiver à me parler.
- Je suis allée directement chez mon oncle, déterminé à régler mes comptes avec sa meurtrière de fille. Tu n'imagines pas à quel point j'ai la haine contre elle. Je l'aurais trainé par les cheveux jusqu'aux commissariat, mais...
-Mais tu es tombé sur ton oncle et il t'en a dissuadé. Anticipé-je, imaginant déjà la suite des événements.
Il m'apparaît alors tellement évidant le dilemme auquel se trouve confronté maître Djibril.
Le contraste est flagrant entre son désir de rendre justice à la femme pour qui il serait capable de remuer ciel et terre, et sa crainte de heurter l'homme pour qui il se sacrifierait comme un kamikaze.
D'un côté il y'a cette rage qui le consume, de l'autre il y'a son oncle qui le retient.
Pulsion ou raison?
Vengeance ou pardon?
- Aujourd'hui, mon oncle a fait prévaloir ses sentiments de père, la suprématie des liens de sang sur toute autre chose au monde. Nonobstant le rapport détaillé que je lui ai fait de la situation, il m'a imploré en genoux, presque prosterné, d'épargner sa fille unique. Si je la dénonçait, elle finirait certainement ses jours derrière les barreaux. Mais comment enlever sa seule famille à l'homme qui a toujours été ma seule famille?
Comment aurais-je pu faire autrement?
Personnellement, je me retrouve pieds et mains liés et je te supplie Yasmine, par égard pour mon devoir de fils, malgré mon devoir de fiancé, de m'exonérer. Pardonne mon impuissance, ma lâcheté, mon incompétence...je me sens si minable et honteux.
Saches que si tu te sens incapable de rester muette face à cette cruauté envers toi et notre enfant injustement privé du droit de naître, c'est tout à ton honneur. Tu pourras compter sur mon soutien certes infirme, mais indéfectible.
Derrière chaque mot, la voix de maître Djibril tremble et donne même l'impression qu'il bégaie. Je ne l'ai jamais vu aussi vulnérable.
Je lui prends la main en guise de sollicitude et lui dis d'un ton des plus réconfortant.
- Djibril, tu sais que je suis juriste, mais j'ai confiance en la justice divine plus qu'à celle des hommes. De toutes les façons, qui sème le vent récoltera la tempête. Laisse Fati à son propre sort, je suis convaincu que le destin se chargera d'elle. Je ne suis pas pressée.
*****
Dès le lendemain matin, le médecin m'autorise à rentrer à la maison, sous réserve de revenir faire des examens de contrôle la semaine suivante.
Djibril ne m'a pas lâché d'une semelle. Il est resté omniprésent à mes côtés jusqu'à la fin de ma convalescence. Il a même mis sa vie professionnelle entre parenthèses en s'accordant un congé spécialement pour rester à mes chevets. Ce sont ces petits gestes de dévouements qui attisent et epicent l'amour.
*****
La deuxième semaine consécutive à mon accident, après consensus entre nos deux familles, la cérémonie de remise de dote à enfin lieu chez moi, comme il est de coutume chez nous.
Cette cérémonie est toute une série de protocoles qui répondent en même temps aux normes religieuses et culturelles.
A ma grande surprise, en tête de délégation de la famille de Djibril, se trouve son oncle, le père de Fati, suivi de quelques anciens, certainement les rares membres de sa famille avec qui il a gardé des liens.
De notre côté, il y'a mon oncle Mallam Habou, les frères de mon défunt père qui ont fait le déplacement du village pour la circonstance et quelques vieux du quartier.
Il leur a été aménagé une tente dans notre cours certes étroite, mais assez spacieuse pour que tous les invités soient installés. De toute les façons, la remise de la dote est un évènement qui se déroule spécifiquement entre les hommes des deux familles.
Les femmes y assistent simplement en spectatrices, à partir de la véranda. La délégation de ma mère est quant à elle composée de ses amies, ses cousines, ses belles soeurs et des voisines du quartier.
Moi, je suis claustrée dans ma chambre comme il est de tradition avec les jeunes filles de ma génération notamment ma meilleure amie Mariam, ma collègue-amie Djamila et mes soeurs jumelles.
De temps à autre, ces dernières jettent un coup d'œil dehors et viennent me raconter la température ambiante des festivités.
À travers la fenêtre de ma chambre qui donne sur la cour-avant de la maison, je perçois des echos de ce qui s'y passent.
À la prononciation de son prénom, je reconnais l'oncle de Djibril qui donne un discours des plus éloquents:
- Moi, Elhadj Moussa Ali, je viens en mon nom et celui de mes confrères ici présents, vous demander la main de votre fille Yasmine Ben Saïd pour notre fils Djibril Issa. Recevez cette dote d'un montant de cinq millions de Francs CFA, cinq valises pleines de cadeaux divers pour notre future belle fille et la clef d'un nouveau véhicule Range Rover dernier modèle de la part de son futur epoux. Je designe comme mes deux témoins Elhadj Ousmane ci présent et Elhadj Ibrah, qui se hâtent de confirmer leur titre.
Après avoir réceptionné l'argent et les présents, mon oncle paternel aîné, prend la parole.
- Moi, Chérif Brah, en ma qualité d'oncle aîné déclare solennellement avoir réceptionnée la dote et tous les biens précédemment annoncés et vous accorde en toute gaieté de cœur, la main de notre très chère fille Yasmine Ben Saïd. Nous vous confions notre bien le plus précieux, que votre fils en prenne soin comme la prunelle de ses yeux et la chérisse comme le prophète ( Paix et Salut de Dieu sur Lui) a chéri son épouse Aïcha. Voici mes deux témoins en appelant mon oncle Mallam Habou et un sage du quartier.
Un flot d'applaudissements retenti dans la foule et le père adoptif de Djibril reprend la parole.
- Nous proposons la cérémonie du mariage pour le mois prochain si cette date vous convient.
- Nous n'y avons aucune objection s'enquit mon oncle.
Après cet échange formel, est dites une fatiha pour clôturer la cérémonie et les délicieux plats préparés par ma mère entrent en scène.
Après que tout le monde soit parti, mon téléphone émet un bip m'annoncant la réception d'un SMS:
<<Message
Samedi 12 juin 2016. 19h 30 PM
Reçu
De : Maître Djibril
Félicitation, la plus belle des futures mariées, Madame Djibril Yasmine Ben Saïd.❤
Le coeur rempli d'émotion, je lui réponds immédiatement.
<<Message
Samedi 12 juin 2017. 19h 31 PM
Envoyé
À: Maître Djibril
Merci de transformer mes cauchemars en de si beaux rêves. Mon tendre époux❤
Le clavier de mon téléphone scotché a mes doigts, les messages vont et viennent entre Djibril et moi comme des étoiles filantes.
J'inscris officiellement ce jour, comme l'un des plus beaux de ma vie.