Chapitre 17

Ecrit par EdnaYamba


                     

Chapitre    17

Isabelle MOUKAMA

La tasse se fracasse au sol, alors que le thé presque brulant éclabousse René qui l’évite de peu. C’est bien lui, pensé-je, alors qu’un BOUMI plus mature apparaissait devant l’écran.

-         Désolée, m’excusé-je en me refugiant dans la cuisine, la main sur le cœur.

Je peux sentir les battements affolés de mon cœur.

17 ans plus tard, c’est à la télévision que je le revois, celui qui m’a si lâchement trahie. D’un coup, renaît ma colère, ma douleur, celle que j’ai si longtemps enfoui Je reste là debout pensive, quand René apparait devant la porte de la cuisine. Silencieux, il m’observe avant de me dire :

-         N’importe qui verrait cet homme ne douterait pas qu’il est le père de Grace.

C’est un fait. Tout le monde dans la famille le sait, Grace ne ressemble à aucun MOUKAMA. Elle a tout d’une BOUMI. Ça été douloureux à vivre au début, mais après j’ai dû me faire à l’idée que cette ressemblance servirait à rétablir la vérité devant tous ceux qui la verront, ils verront tous que je n’ai jamais menti dans toute cette affaire. C’était BOUMI, le menteur !

Le lâche, l’imbécile.

Je tremble presqu’en y pensant. Le voir comme ça à la télévision, l’air heureux, respecté alors qu’il ne s’agit ni plus ni moins qu’un pauvre type , m’énerve.

-         17 ans après, tu es toujours aussi troublée ! je croyais que tu étais passée à autre chose, Constate René qui continue de m’observer

-         Ne remets pas tout en cause, lui dis-je en voyant le ton qu’il aborde.

-         Je ne demande que ça ! dit-il en sortant de la pièce. Je vais me changer pour le thé c’est bon tu peux éviter de le faire pour aujourd’hui, je ne tiens pas à finir brûler.

-         Ne le prends pas comm….

Je n’ai pas fini de parler, qu’il a déjà disparu de mon champ de vision. Qu’est-ce qu’il me reproche au juste ? Il connait très bien toute l’aversion que je ressens pour BOUMI. Si je suis autant troublée c’est parce qu’après autant d’années, je n’aurais jamais imaginé qu’il reviendrait au GABON, j’avais secrètement espéré que la vie lui rende les coups qu’il m’a donnée , j’avais espéré qu’il soit malheureux, que je le jour où je le reverrais , je me moquerais de son infortune après m’avoir fait tout ce mal, mais apparemment, il n’y a que d’un seul côté om tous les coups sont permis . Chez lui tout va bien.

Directeur général, son rêve de réussir, d’être une haute personnalité, il l’a accompli, je suppose que la fille que j’étais, je ne cadrais pas avec ses ambitions et qu’un enfant le gênerait. On peut dire qu’il a réussi.

 

Antoine BOUMI

Ce sont les cernes sous les yeux que j’arrive au boulot. Je vais directement m’enfermer dans mon bureau, la consigne est claire pour ma secrétaire, je ne reçois personne.

Je m’adosse sur le fauteuil, les yeux fixant le plafond.

Cette idée m’a hantée toute la nuit, cette histoire d’enfant avec Isabelle. Déjà, je dormais très peu avant, maintenant c’est encore pire. Quand j’y pense j’ai le cœur qui bat à vive allure, je me sens stressé.

Il est vrai qu’après avoir usé de ses fétiches, on a eu une relation Isabelle et moi, mais cet enfant est celui de son amant Jonathan. ce n’est pas le mien, je ne sais pas de quelle ressemblance parle Julie.

Elles veulent tellement me voir père, qu’elles seraient prêtes à accepter que l’enfant de la fille qu’ils ont refusé au village est le mien.

Sont-elles désespérées à ce point ?

Je ne peux pas être le père de cet enfant.

Pourtant depuis qu’elle en a parlé, je suis troublé.

Je desserre le nœud de ma cravate.

Seigneur quand aurais-je un peu de paix ?

Mon cœur n’est jamais tranquille. Il y a de très brèves périodes d’accalmies alternant avec de fortes périodes d’intempéries. Je ne suis pas sûr de vivre longtemps à cette allure.

-         Monsieur ! me crie ma secrétaire à ma porte. Ya un monsieur qui désire vous voir !

-         J’avais dit que je ne veux voir Personne ! dis-je

-         Il insiste !

Je me lève énervé pour voir cette personne qui insiste quand en face de moi se trouve mon plus vieil ami, mon frère , Alain. Depuis qu’il est maintenant en poste sur Port-Gentil, on se voit de moins en moins. Nous nous saluons chaleureusement, heureux de nous revoir. Ma secrétaire s’éclipse avant de revenir quelques minutes plus tard avec du thé à servir pour Alain.

-         Monsieur le Directeur Général, qu’est-ce qui fait que vous soyez si occupé et qu’on ne puisse pas vous déranger ? me demande-t-il.

-         Ah vieux frère, la vie n’est certainement pas très câline avec moi en ce moment !

-         Quand je vois ces yeux cernés, je peux aisément imaginer l’intensité ! ça va au moins avec Mélanie ?

Je lui raconte tout ce par quoi nous passons depuis, et ce que je ressens il est le mieux placé pour m’écouter, lui qui a toujours été l’auditoire de mes plaintes de manque et de vide.

-         Ecoute Antoine, me dit-il, venez diner ce soir à la maison avec ton épouse, nous sommes là pour une semaine. Il y a le petit frère de ma femme qui est là, un prophète, on ne sait jamais Dieu pourrait lui révéler ce qui ne va pas.

-         Ces choses-là, je n’y crois pas trop !

-         Qu’est-ce que ça te coûte ? de toute façon s’il ne dit rien le vide sera toujours là, s’il te dit quelque chose au moins tu pourras discerner si c’est digne que tu y prêtes ton attention ou pas et peut-être il pourrait prier pour vous, pour cet enfant que vous cherchez !

Ces choses de révélation des églises là, je n’en suis pas trop fan . Mais Alain a raison, ce n’est pas comme si j’avais quelque chose à perdre à écouter simplement.

-         Et puis que tu viennes pour l’écouter ou pas, je te veux à diner chez moi, ça fait longtemps qu’on s’est vus là quand même !

 

Mélanie BOMO épouse BOUMI

La séance de lavage vient de finir, toute cette mascarade me fatigue. Je vais m’habiller alors que maman et le tradipraticien discute. Mon téléphone sonne c’est BOUMI qui me dit qu’on est invité manger chez Alain et son épouse. Je me passerais bien d’aller chez ceux-là, mais bon Alain est le meilleur ami d’Antoine et je suis obligé de le tolérer tout comme il me tolère. On ne s’apprécie pas depuis toujours c’est un fait et ça n’a jamais changé, mais on garde des relations cordiales à cause de BOUMI.

Je raccroche après avoir dit à Antoine qu’il me trouvera prête à dix-neuf heures

-         Ah mon ami, nous on ne va pas continuer à venir ici, s’énerve maman .

Je reste à l’écart pour les écouter parler. Qu’elle se dispute avec lui,si elle veut, moi mes soucis sont ailleurs, hier Antoine a trouvé le sommeil très tard et plus tard, je l’ai entendu murmurer le prénom d’Isabelle. Ça fait des années qu’on n’a plus évoqué cette fille, qu’est-ce qui s’est passé ? Il y a forcément eu quelque chose.

-         Pourquoi, maman ?lui demande le pseudo pratricien

-         Comment ça pourquoi ? depuis qu’on vient là, on dépense de l’argent et ma fille n’est toujours pas enceinte ! c’est quoi c’est ça, tes histoires-là ne marchent pas !

-         Ah maman , c’est pas moi ! riposte-il

-         Et c’est qui ?

-         Faut demander à votre fille ! lui balance-t-il.

-         Eh , lui dis-je piqué , tu me fous le camp tu comprends

-         Tchipps, l’insulte maman,  tu veux insinuer quoi, malheureux ! on ne revient plus ici

-         Oui, partez de toutes façons, où que vous irez, il n’y aura pas de solution, ta fille elle-même sait !

Je ramasse le bois que je trouve juste à côté de moi et je lui balance ça, avant d’intimer à maman qu’il était temps de quitter les lieux, toutes les deux en colère. Le malheureux tout ce temps j’ai cru qu’il croyait réellement que ces potions allaient accomplir le miracle que maman  attendait alors qu’il est bien plus malin que ce que je pensais, il savait quel était mon problème et comme il savait que je ne dirais rien, il profitait également à se faire de l’argent.

-         On m’a parlé d’une autre femme, commence-t-elle, une fois qu’on arrive à la maison.

Ça commence à me fatiguer tout ça. je ne compte plus les endroits où sommes allées, je sais qu’elle veut m’aider mais maintenant je suis fatiguée, j’en ai marre de faire tous ces tours alors que la seule vérité que je sis est que mon sort est scellé. Quand je pense qu’on a même fait venir des potions depuis le CONGO, car il parait que les féticheurs de là-bas sont excellents, à force de la suivre partout et de l’écouter, un moment j’ai vraiment cru que quelqu’un pourrait vraiment m’aider mais rien n’à faire c’est BOUTSOUROU qui avait raison. J’ai empêché un enfant d’avoir un père, je n’en aurais pas moi-même. Je me fais à l’idée et je veux qu’eux tous se fassent à l’idée et arrête de me fatiguer avec toute cette histoire bon Dieu !

-         On n’ira plus voir personne maman, tu ne comprends donc pas que je ne pourrais pas faire d’enfant

-         Mais tu n’as aucun problème Mélanie, pourquoi n’en ferais-tu pas ? il ne faut pas te décourager, on finira par trouver un qui te guérira.

-         Maman, je t’ai dit que c’est bon, m’énervé-je.  JE N’AURAIS PAS D’ENFANT POINT FINAL !

J’ai haussé la voix tellement fort que maman s’est calmée, elle m’a regardée un instant avant de me dire :

-         Je sais que tu es peut-être fatiguée mais on va aller voir du côté des MITSOGO aussi.

-         Maman qu’est-ce que tu n’as pas compris dans ce que je t’ai dit, je n’aurais pas d’enfant !

-         Mélanie , si toi tu t’es résigné, ton mari non, il faut lui donner un enfant avant qu’une fille du dehors ne lui en donne, parfois même ce ne sera même pas son enfant , elle va le lui attribuer et comme il n’en a pas qu’est-ce que tu crois qu’il va faire ? il va accepter  parce qu’il n’a pas d’enfant !

-         Il en a ! lâché-je 

-         Comment ça, il t’a trompée ? me demande-t-elle inquiète

-         Je n’ai pas envie de parler de ça !

-         Comment ça tu n’en as pas envie, je vais appeler ton père et lui dire ça, comment BOUMI a pu te faire un enfant dehors ? s’énerve-t-elle. Si c’est après pour qu’une fille vienne narguer mon enfant parce qu’elle n’a pas enfanté, je dis non !

-         Il ne le sait pas, ce n’est donc pas la peine d’alerter tout le monde ; lui dis-je alors qu’elle prenait déjà son téléphone.

-         Qu’est-ce que ça veut dire ?

Il est mieux que je lui dise. Qu’on en finisse, et qu’elle ne me fatigue plus avec cette histoire. Je m’assois à côté et je lui raconte l’histoire, au fur et à mesure que je parle, je vois le visage horrifié de ma mère, je sens qu’elle veut parler mais elle se retient et m’écoute jusqu’au bout. Quand je finis, je me sens libérée d’en avoir en parler à quelqu’un, garder un si lourd secret 17 ans, ce n’était pas aisé.

Maman est toujours silencieuse.

-         Tu ne dis rien, maman ?

Pour toutes réponses, c’est une paire de gifle que je reçois. C’est douloureux. Je garde ma main à la joue, regardant ahurie , maman.

-         Qu’est-ce qui te prend maman ?

-         J’aurais dû t’en donner plus souvent quand tu étais jeune, mon DIEU Mélanie qu’as-tu fait ?

Ses yeux sont rouges de colère.

-         Je l’aimais maman, j’en étais prête à tout !

-         Prête à tout tu n’es qu’une enfant pourrie gâtée, mais qu’est-ce que tu crois ? gâcher ta vie, pour un homme qui ne t’aimait pas, et qui ne t’aimera jamais parce que dis-toi bien que tout ce que tu vis là, n’est qu’un mirage. Quel gâchis ! quel gâchis !

-         Ce n’est pas un gâchis maman, je suis heureuse, il m’aime !

-         tu n’aurais jamais utilisé ces fétiches, ce garçon n’aurait pas été à toi ! me dit-elle.

Elle a raison, mais il vaut mieux ça que rien. Je ne regrette rien. je n’aurais pas pu vivre sans BOUMI, la preuve aujourd’hui encore j’en suis folle amoureuse, ce n’était pas juste un béguin d’adolescente, si je n’avais pas forcé le destin, je serais certainement malheureuse avec un homme que je n’aime pas et toujours amoureuse de lui.

-         je ne regrette rien, maman ! lui dis-je , il y a des gens qui vivent sans jamais avoir d’enfant, et malgré tout sont heureux.

Ma mère me regarde comme si elle me découvrait pour la première fois. Sans plus rien ajouter, elle se lève prend ses clés de voiture et s’en va.

Quand elle part, je ne peux m’empêcher de verser quelques larmes mais j’ai fait un choix il y a 17 ans et je l’assumerais.

Je suis sa fille, aussi horrible peut-elle penser que je sois, je n’en demeure pas moins sa fille et elle finira toujours par me pardonner, elle n’a pas besoin de me comprendre, ni d’approuver mes actes, ce n’est pas ce que je lui demande.

Je me lève pour aller prendre un bain et m’allonger.

-         Chérie, me réveille Antoine, tu dors depuis que je suis arrivée, il est déjà 19h

-         J’ai des céphalées, je crois bien que tu iras sans moi, lui dis-je .

-         Qu’est-ce qu’il y a ? dit-il en me regardant droit dans les yeux.

-         Juste une petite incompréhension avec maman c’est tout.

-         Petite ?

-         Oui, petite, vas-y ! tu leur diras bonjour même si je sais qu’Alain se réjouira de ne pas m’avoir dans les pattes aujourd’hui.

-         Tu sais bien que ce n’est pas le cas. Bon je vais y aller alors.

Il se lève  et va troquer son costume pour une tenue plus relaxe. Je le regarde, Dieu seul sait combien j’aime cet homme. Je n’ai fait tout ça que par amour, l’amour justifie tout. on devrait plutôt me louer d’avoir fait ce sacrifice par amour, me priver d’avoir des enfants, oui on devrait me féliciter, aucune femme ne l’aimera comme moi, je l’aime.

-         J’y vais chérie. Me dit-il en m’embrassant au front.

Alors qu’il veut se lever, je le retiens afin de l’embrasser et de lui dire :

-         Je t’aime BOUMI, je t’aime, tu le sais n’est-ce pas ?

-         Je t’aime aussi Madame BOUMI !

Et puis il s’en va. Quand j’entends le bruit du moteur qui s’éloigne, je me rendors.

 

Grace MOUKAMA

-         Jonathan, Loïc  crie madame Gisèle à son petit-fils alors que je prends congé d’eux.

-         Mamie, répondent-ils

-         Raccompagnez la petite Grace s’il vous plait, il se fait tard. J’ai donné une tâche à Sandra.

les deux garçons acquiescent.

-         Mamie Gisèle, crois que je suis encore un bébé on dirait ! souris-je dès que nous sortons du portail.

-          C’est vrai que tu es une bien jolie jeune fille maintenant, n’est-ce pas Jonathan ? sourit-il à celui qui lui lance un regard rempli d’éclairs.

Depuis leur arrivée, Jonathan est celui avec lequel je parle le moins, c’est bizarre, je suis chaque fois gênée en sa présence, je n’arrive même plus à le regarder dans les yeux, chaque fois qu’on essaie de discuter un peu, on bégaye tellement que Loïc ou Sandra apparaissent et nous charrient alors que lui, il s’éclipse. Il a toujours été plus calme que les autres mais n’empêche que les années précédentes, on pouvait au moins bien se parler, je n’étais pas autant impressionnée par lui comme maintenant. C’était juste Jonathan quoi. Nous nous avançons dans la ruelle pas très bien éclairé qui mène chez mon oncle qui j’espère n’est pas encore rentré. Il est près de 20 h déjà, j’ai beaucoup trop trainé chez eux, je devrais être à la maison depuis. Je ne vois jamais le temps passé avec eux.

-         Bon, vous deux avancez ! dit Loïc alors qu’il aperçoit une jeune fille.

Incorrigible ce garçon.

-         Je vais essayer de parler un peu avec cette fille, tu devrais en faire de même avec Grace, à moins que tu ne bégayes encore ! taquine-t-il son frère en s’éloignant. Grace on se dit à demain.

Il me fait ma bise et s’éclipse vers la jeune fille.

-         Il ne faut pas les écouter, je ne sais pas d’où ils sortent toutes les âneries que Sandra et lui disent ! réagit Jonathan une fois son frère parti.

-         Aneries, souris-je, comme celle du genre, la plus jolie fille que tu connaisses se trouve au Gabon ?

Il sourit à son tour.

-         C’était pour me débarrasser d’une fille qui ne voulait pas me lâcher les baskets !

-         Ah ! fais-je quand même un peu déçue.

-         N’empêche que ce n’était pas un mensonge, je suis sûre qu’au Lycée, on doit beaucoup te tourner autour. N’est-ce pas ?! parce qu’avec ce sourire qui est nettement plus beau sur ton visage que cette expression que tu prends parfois

-         C’est quand je pense à mon père, Jonathan, avoué-je, j’ai tellement envie de comprendre pourquoi….

Antoine BOUMI

Alain et moi discutions au salon quand nous sommes rejoints par son beau-frère, un jeune homme aimable. En venant, je me suis dit que je ne venais que pour diner mais maintenant là sur place alors que je l’entends défendre sa foi, je suis poussé par la curiosité. De toutes les façons je ne perds rien. Puis il se tourne vers moi, souriant :

-         Vous vous posez beaucoup de questions n’est-ce pas ? si vous me permettez, pourrais-je prier pour vous ?

Alain me regarde attendant ma réponse. J’accepte.

Il se met à prier et quand il finit, il me dit :

-         Monsieur, le vide que vous ressentez c’est parce qu’il manque une part de vous, vous avez un enfant qui cherche son père !

L'orpheline