Chapitre 19
Ecrit par Annabelle Sara
Josiane
40 ans plus tôt.
Je me suis réveillée
avant le chant du coq. J’avais des choses à faire ce matin dans la cour et il
ne fallait pas que ma mère et moi nous allions au champ sans avoir préparé le
repas du matin pour mon père. Il aime bien boire son bouillon d’aubergine après
sa toilette matinale. Beaucoup de gens se moquait de lui en lui demandant
pourquoi il faisait les choses des Nkwa, mais c’était normal vu qu’il avait
grandi dans le sud.
Mes taches achevées je
me suis apprêtée pour accompagner ma mère. Elle est sortie au moment même où
j’attrapais une houe.
-
Jo, il faut mettre le kumbo de ton Père
sur la table il est déjà debout, me lança-t-elle. Fait le sans qu’il ne te
voit !
J’ai hoché la tête.
Depuis l’incident d’il y a trois ans mon père refusait que je me présente
devant sa face. J’étais la honte qu’il portait comme un chapeau sur la tête.
Voilà déjà trois ans
que mon père ne voulait pas me voir face à lui. Il m’avait renié. J’avais mal
depuis trois ans pas seulement parce que mon père ne voulait plus me voir mais
aussi parce que j’avais perdu la chose la plus précieuse que j’avais eu dans ma
courte vie de femme.
Tout avait pourtant
commencé comme un rêve, un beau rêve de jeune fille, j’avais 18 ans et on
venait demandé ma main. Mon promis était un garçon du village, Constant. Il
était beau garçon, son père l’avait envoyé terminer ses études à la ville et
lorsqu’il venait au village il avait toutes les filles à ses pieds.
Ce fut donc une
véritable chance de le voir s’intéressée à moi. La première fois que nous
avions échangée des mots, il venait déposer un paquet que son papa avait envoyé
au mien.
Il était devant moi je
n’arrivais pas à le regarder dans les yeux parce que je n’étais pas
indifférente à son charme.
-
Ton Papa est là ?
-
Non, il est parti dans sa plantation…
-
Et tu ne l’as pas accompagné ?, me
demanda-t-il.
J’ai levé la tête pour
comprendre qu’il posait sérieusement la question.
-
Moi je viens de rentrer ça ne se voit
pas ?
-
Donc tu veux dire que ça ce sont tes
habits du champ ? Propre comme ça ?
Il avait raison,
contrairement à beaucoup de gens moi je me changeais toujours au champ pour ne
pas traverser le village habillé de vêtements déchirés et sales.
-
Oui mais mes pieds sont encore sales…
-
Hum !, répondit-il. Okay… Mon père
à envoyé ceci au tien, alors quand il rente tu le lui remettras de sa
part !
-
D’accord !
En prenant le paquet
j’ai remarqué qu’il m’observait avec beaucoup d’insistance. Mais je n’avais pas
envie de m’attarder là-dessus ! Des jours passaient et petit à petit nous
nous sommes rapprochés l’un de l’autre jusqu’au jour où il m’a annoncé qu’il
venait au village pour se trouver une femme.
-
Je travaille en ville tu sais !,
dit-il. Ma femme sera une grande dame en ville…
-
C’est bien ! Mais pourquoi tu me
dis tout ça ?
-
Parce que je voulais que tu sois ma
femme !
Je n’avais jamais été
plus heureuse d’entendre cette phrase sortir de sa bouche. Constant voulait de
moi comme épouse et il le fit savoir à son père qui étant ami avec le mien
décida de démarrer la procédure entre nos deux familles pour le mariage.
Le jour du toquer porte
ma famille toute entière était présente, les oncles, tantes, cousin et
cousines, tous et bien sûr il y avait cette cousine, ma cousine préférée celle
avec qui je faisais les 400 coups depuis petite.
Hélène, elle était
présente et contente de me voir aller en mariage, elle était une fille
extravertie, elle parlait beaucoup contrairement à moi et surtout elle abordait
des sujets que je n’osais aborder.
-
Jo, viens un peu, fit-elle en m’attirant
dans un coin pendant que les festivités se poursuivaient dans la cour de la
maison de mon père.
-
Hélène il y a quoi ?
-
Viens un peu ! Ton futur mari là
est beau hein !, dit-elle en me chatouillant.
Elle savait que je ne
supportais pas me faire chatouiller parce que j’étais hyper sensible.
-
Hélène…
-
Mais toi je sens que tu n’as pas encore…
Elle fit un mouvement
avec ses yeux, mais je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire.
-
Quoi ?, lui ai-je demandé.
-
Vous n’avez pas encore ?
-
Encore quoi ?
-
Fait… fait la chose ?,
demanda-t-elle.
J’ai failli m’étouffer
en comprenant ce qu’elle voulait dire. Je savais que je devais entrer dans mon
mariage en étant pure, mais cette nuit là elle me rassura que de toutes les
façons j’étais déjà mariée avec Constant donc que je le fasse avec lui aujourd’hui
ou plus tard cela ne changeait absolument rien.
Constant devait
retourner en ville avant que nous ne poursuivions avec les formalités liées à
notre mariage, j’étais triste de le voir partir pour une durée non déterminée.
Alors j’ai fais la seule chose que je pensais pourrais lui rappeler qu’il
devait revenir vers moi. M’unir avec lui avait été pour moi un beau moment mais
un beau moment qui aurait des conséquences que je n’avais pas anticipé.
En me voyant vomir mes
entrailles un matin six semaines après le départ de mon fiancé, ma mère en
bonne femme sentit que quelque chose n’allait pas moi-même sous informé je ne
savais pas ce qui m’arrivais je me sentais juste malade et nauséeuse ;
-
Jo !, s’écria-t-elle en frottant
mon dos pendant que je reprenais mes esprits. Dis-moi la vérité, Constant et
toi vous avez fait quelque chose ?
Je n’en revenais pas
que ma mère me pose cette question, et puis j’avais honte de lui dire la
vérité.
-
Non Mama…
-
Non hein ! Hopaaa… Et tu vomis
comme le chat qui a avalé les intestin du poisson pourquoi ? Tu as saigné
ce mois ?, insista-t-elle. Montre-moi tes serviettes.
Je ne voulais pas
désobéir à ma mère alors je lui ai apporté mes serviettes, elles étaient intact
puisque ces derniers temps je ne les ai pas touché.
-
Josiane… Ton paquet de serviette est
intact ! Tu as fais quoi ?, cria-t-elle.
-
Rien Mama…
-
Tu mens ? Tu mens ! Vous avez…
Hooo je suis morte… Jo tu m’as tué… Jo ma tué ! Dis-moi que c’est pour
Constant !
-
Mama je n’ai rien fait…
J’insistais dans mon
mensonge parce que je voulais me persuader moi-même que je n’étais pas
enceinte, pas moi. Je suis une fille sage citée en exemple dans tout le village
si on apprend que je suis enceinte avant mon mariage même si c’est l’enfant de
mon fiancé je vais me faire disputer par mon père.
-
Personne ne doit savoir ça… Je vais voir
comment faire pour que ton mariage ait lieu sans que personne ne sache que tu
es enceinte ! Il faut que Constant vienne te doter rapidement, il faut que
tu sortes d’ici avant que ton ventre commence à pointer.
Ma mère était une femme
qui cherche les solutions face à un problème et cela je le respectais. Mais il
y a des problèmes que personne ne pouvait résoudre, moi j’avais le chic de
m’attirer des problèmes que personne ne peut résoudre.
-
C’est quel honte ça ? Josiane… Tu
es enceinte que tu as bu dans le verre ?
Mon père était furieux,
pas juste parce qu’il venait de découvrir que j’attendais un enfant alors que
j’étais censée me marier mais surtout parce que mon fiancé avait nié avoir posé
les mains sur moi.
Constant m’avait renié
devant sa famille et la mienne, il n’avait même pas daigné se présenter à la
date où la remise de la dote avait été fixé. Il n’était pas venue, il avait
décidé de ne pas se présenter et il avait fait dire à son père qu’il ne voulait
plus de moi.
-
Constant dit qu’il ne t’a pas
touché ! Qui est donc le père de l’enfant que tu portes ?, me demanda
une énième fois mon père.
Je ne voulais plus
répondre à cette question, cela fait des jours que je répète la même chose et
les seules à me croire sont ma mère et ma sœur ainée qui prend ma défense dans
tous les carrefours du village.
La seule personne qui
pouvait corroborer ma version c’était Hélène, mais elle n’était pas au village et si j’avais cité
son nom je me serais attirée des ennuis plus graves, parce que j’aurais essayé
de faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre.
-
Papa tu crois que Jo ment ? C’est
ta fille mais tu préfères écouter la parvenue de la ville là ?
La mère de ma cousine
Hélène qui avait été alarmée par ma mère sur ma situation débarqua mais pas
pour m’aider ou trouver une solution à ma situation au contraire.
-
Les jeunes filles de nos jours ! Si
cet enfant était celui de Constant il t’aurait pas renié, c’est parce que tu as
porté la grossesse de quelqu’un d’autre qu’il ne veut plus t’épouser…
La seule défense qu’il
me restait était les larmes, naïve comme j’étais que pouvais-je dire ou faire
pour prouver que je portais l’enfant de mon ex-fiancé ?
-
En tout cas comme c’est comme ça le
mieux c’est que tu viennes avec moi, continua ma tante. Tu ne peux pas
accoucher l’enfant là ici chez ton père… Mon frère a déjà subi trop
d’humiliation comme ça à cause de toi…
-
Non, je peux m’occuper d’elle ! En
ville elle va accoucher sans problème, intervint ma grande sœur en regardant ma
tante avec un œil noir.
-
Donc tu es arrivée au niveau où tu peux
déjà décider pour tes petits frères ? Ma fille tu es notre fille et ici c’est
nous qui décidons, déclara ma tante.
-
Tantine…
-
Ta sœur ira chez sa tante, elle est une
accoucheuse traditionnelle elle saura s’occuper d’elle.
C’est comme cela que je
me suis retrouvée deux mois pus tard chez ma tante qui vivait seule, Hélène
n’étant pas là pour me tenir compagnie. Mes cinq derniers mois de grossesse
sont passés rapidement, j’avais de temps à autres des nouvelles de ma mère qui
venait me rendre visite. C’était un
plaisir de la voir mais quand Hélène débarqua un matin chez sa mère ce fut
comme une fête pour moi. Enfin une personne de mon âge, quelqu’un avec qui je pouvais
partager mon quotidien.
Hélène me parut quelque
peut bizarre les premiers jours de son séjour. Parfois elle se retrouvait avec
sa mère et elle faisait des messes basses dans mon dos, mais ça ne m’alarmait
pas plus que cela. Je ne cherchais pas à
comprendre ce qu’elle faisait.
J’aurais dû !
Un soir ma tante m’a
demandé d’aller chercher un de ses boucs qui étaient attachés derrière la case
de la cuisine. J’y suis allée, même si je trouvais bizarre qu’elle me demande
d’aller chercher ce bouc sachant qu’il n’est pas prudent dans mon état de tirer
une bête belliqueuse comme celle là.
J’y suis allée et c’est
là que le cauchemar à commencé, un cauchemar dont je ne me souvenais que par
flash.
Une main qui m’agrippe
par derrière pour m’étouffer et m’endormir, la douleur, le sang, les voix qui
murmuraient, le froid qui envahissait mon corps, des cris lointain de bébé, mon
cœur qui bat parfois trop fort, et d’autre fois pas assez. Je me suis vu mourir
au moins deux fois dans ce cauchemar, et à chaque fois j’ai cette voix qui
murmure à coté de moi : Vas avec l’enfant ! C’est ta chance !
C’était un cauchemar
tellement réel au point où je me suis réveillée grâce aux cris et pleurs de ma
mère qui est venue me tirer des latrines derrière la maison de ma tante.
J’étais faible, mais apparemment j’avais réussi à me retrouver là-bas toute
seule.
J’étais perdue, je ne
comprenais rein à ce qui se passait, mes yeux pesaient, mon ventre me semblait
vide mais je n’avais pas assez de force pour y toucher. Et j’ai commencé à
entendre cette accusation horrible sortir de la bouche de ma tante.
-
Elle a jeté son bébé dans les
latrines !
Au début j’avais pensé
que c’était une vilaine farce que la sœur de mon père me faisait mais elle ne
blaguait pas. Elle le répéta à qui voulait l’entendre, elle le répétait à
chaque fois qu’elle en avait l’occasion.
Elle a jeté son bébé
dans les latrines !
Comment voulez vous
vous défendre lorsque vous n’avez aucune idée de ce qui vous est arrivé ?
Je ne savais pas quand ni à quel moment j’avais accouché, je ne savais pas
comment j’avais fait pour me retrouver dans les latrines, j’étais comme
quelqu’un qui avait été possédé par un vilain démon pendant deux jours et qui
ne se rappelait plus du tout de ce qui lui était arrivé ni de ce qu’elle avait
fait…
Véronique
En écoutant l’histoire
de sa mère, Paul fut touché. Il est quelqu’un de sensible et je crois qu’il
tient cela de sa mère.
-
Ma’a Jo, ton histoire est vraiment
touchante, c’est triste de vivre toute cette douleur… mais qu’elle est le lien
avec moi ?, dit-il brusquement.
-
Paul s’il te plait ! Ne joue pas à
l’aveugle et au naïf en même temps !, ai-je réagis sur les nerfs. Hélène
c’est le nom de ta mère non ? Tu peux faire le lien tout seul quand
même !
-
Non… Véronique je ne peux pas faire le
lien parce que ma mère s’appelle Hélène ! Il y a une tonne d’Hélène…
-
Ta… Hélène que tu appelles ta mère était
ma cousine et juste après ce scandale, j’ai appris qu’elle avait eut un enfant…
Alors que lors de sa visite au village elle était tout sauf enceinte… Elle
avait fait croire à Nana qu’elle portait son enfant juste pour pouvoir
continuer de profiter de son argent ! Pour pouvoir entrer dans sa maison
et battre sa femme au jeu de la reine mère et la voleuse de mari !
-
N’importe quoi !, répondit Paul.
Vous racontez des histoires… je vais vous demander de respecter la mémoire de
ma feue maman !
-
Si
je te disais qu’elle est vivante !, ai-je lâché calmement.
Puisqu’il ne croyait
pas Ma’a Jo peut-être qu’il aurait des doutes en étant confronté à la réalité.
-
Pardon ?, fit-il.
-
Ta mère… Celle qui t’a fait entrer chez
les Nana est vivante…
J’ai sorti mon
téléphone et je lui ai tendu la photo de la femme que Noura appelait Mamy.
-
C’est la femme qui a demandé à Noura de
venir te piéger avec une fausse grossesse ! C’est elle la tête pensante de
toute cette histoire…
La tête baissée sur
l’écran de mon téléphone je vis les yeux de Paul se mouiller, et une larme
coula sur mon écran lorsqu’il leva les yeux sur Ma’a Josiane.